Chapitre 22

À mon réveil, j'étais étendu sur le ventre sur le canapé, à baver sur un coussin. Je levai lentement la tête pour regarder autour de moi, dans le salon ; il n'y avait personne en vue, et une vive lumière passait par la fenêtre. Il me fallut un petit moment pour remarquer les voix depuis la pièce voisine, et encore moins de temps pour ressentir le mal qui me dévorait la boite crânienne.

J'essayai de me souvenir de la veille, mais après les shooter, ce n'était qu'un grand trou noir.

Hyde, qu'est-ce que tu as fait ? pensai-je en m'asseyant sur le canapé.

Oh, t'as oublié ? Ha, ha, comme dans le bon vieux temps !

Il s'est passé quoi ? demandai-je encore. Dis-moi !

Hyde éclata à nouveau de rire, sans rien ajouter. Je sortis mon téléphone de ma poche, en quête de quelques indices, mais tout ce que je vis fut un appel manqué de la tante Carole, à trois heures du matin. Pourquoi elle m'aurait appelé à trois heures du matin ?!

Si ça peut te rassurer, je suis à peu près sûr que personne n'est mort cette nuit. Pour sûr, si c'est le cas, c'est pas entièrement de ma faute.

Je l'ignorai, préférant me lever et, tanguant légèrement dans mes pas, à croire que j'étais encore un peu soul de la veille, allai vers la cuisine où j'entendais les voix. Arrivé là, je remarquai Lucas, Mathis, Cassandra et Helena, à dévorer un copieux petit déjeuner.

- Oh, Jacob ! dit Lucas avec un grand sourire. T'es de retour chez les vivants !

Le sourire de Lucas se figea en réalisant ce qu'il venait de dire, alors que les autres lui lançaient des regards noirs. Je les ignorais, n'ayant pas la force de le réprimander pour une expression.

- Sers-toi, dit Mathis en désignant le plan de travail, où il y avait encore un peu d'œufs, de bacons et de patate en cube. Si c'est trop froid, t'as qu'à tout mettre au microonde.

Je hochai la tête avant de m'exécuter, prenant une assiette dans l'armoire.

- Et Sabrine, elle est où ? demandai-je.

- Qui ? demanda Helena.

- Ma cousine. La blonde qui était toujours dans son coin.

- Oh, elle est partie depuis longtemps.

Je levai la tête pour regarder la cour avant, par la fenêtre. La voiture de Carole n'était plus là.

- Elle est partie sans moi ? répétai-je. Pourquoi elle a fait ça ? Et je pars comment, maintenant ?

C'est pas possible, à chaque jour qui passe, elle devient de plus en plus insupportable !

- J'avais oublié que tu étais du genre à oublier, dit Cassandra dans un ricanement.

- C'est après les shooter, dit Mathis. Quand elle s'est rendu compte que tu avais bu, alors qu'elle t'avait averti de ne pas le faire, elle s'est énervée.

- Tu as essayé de la rattraper, vous avez un peu parlé – j'ai rien entendu, vous étiez déjà devant la porte - puis elle s'est enfuie avec la voiture, termina Lucas.

Je me mordis la lèvre nerveusement, essayant de me souvenir. Pas à faire, il n'y avait plus aucune trace de l'évènement dans mon esprit. Je sortis mon assiette du microonde et allai m'assoir à côté de Mathis.

Qu'est-ce que tu as dit à Sabrine pour la faire fuir comme ça ? Encore des menaces de mort ?

Moi ? Allons, je ferrais jamais ça !

Je laissai aller un ricanement devant la réponse de Hyde, alors que c'était ce qu'il faisait de mieux ; des menaces de mort et de torture. Personne ne fit de commentaire.

- Et sinon, tu vas bien ? demanda Cassandra. Tu m'as l'air pas totalement réveillé...

- Hangover, dit Helena avec un grand sourire. Jacob n'a jamais été très fort sur l'alcool.

- C'est pas vrai, je suis très fort. C'est vous qui l'êtes encore plus.

Tout le monde éclata de rire, comme quoi j'avais fait une bonne blague. Leur rire me frappait comme des coups de marteau sur le crâne.

- Et ensuite ? demandai-je.

- Ensuite, tu m'as dit que tu allais prendre l'air et de ne pas te chercher, dit Helena. Tu es sorti, et tu n'es revenu qu'une heure plus tard. Même ça, tu l'as oublié ?

Je soupirai platement en hochant la tête. Je pris quelque bouché de mon petit déjeuner avant de relever les yeux vers mes quatre amis. Tous me dévisageaient.

- Quoi ? demandai-je un peu durement.

Personne ne répondit.

Je soupirai à nouveau, préférant laisser couler. Un peu malgré moi, j'avais eu l'habitude des regards de travers, à l'école. Je tâtai ma poche, un peu par réflexe, à la recherche de mes écouteurs. Ils n'étaient pas là.

Toujours pas envie de parler ? demandai-je en mangeant mon petit déjeuner.

Je croyais que t'aimais pas quand je te parle.

Je veux juste savoir ce que t'as foutu hier soir !

Rien ! s'énerva Hyde. Te jure, la seule chose que j'ai fait, c'est que je suis allé à la maison, je me suis étendu dans le plancher, pour essayer de réfléchir un peu sur ma situation. Crois-moi, c'est pas tous les jours facile, de réfléchir, quand tu es emprisonné dans la tête d'un gros débile.

Là-dessus, je n'avais pas le choix de lui accorder ce point.

Tu en as tiré des conclusions ?

Ouais. On devrait fuguer. Ce serait trop bien !

Je crispai mes doigts sur ma fourchette, préférant ne pas répondre sur ce point.

Pourquoi tu m'as tout fait oublier, alors ? J'aurais bien aimé aller à la maison, moi aussi.

Hé, c'est pas ma faute si t'as un esprit fragile. J'ai rien fait pour que tu oublies, c'était toi et t'es shooter.

J'avais terminé mon petit déjeuner. En relevant la tête, je me rendis compte que j'étais le dernier, mais tous me dévisageaient encore.

- Quoi ? demandai-je encore, commençant à m'énerver. Arrêtez de me dévisager !

- Désolé ! dit Cassandra, qui était assise juste en face de moi. On s'inquiète pour toi, c'est tout.

- J'ai pas besoin de votre pitié, vous faites chier, merde !

Je me levai d'un bon pour poser mon assiette sur le plan de travail, puis allai m'enfermer à la salle de bain.

Woh, y'a quelqu'un de colérique ici !

Ta gueule, Hyde.

Je m'appuyai contre le lavabo, observant mon reflet. J'avais les cheveux en pétard, des cernes sous les yeux et le teint blême.

Mon téléphone sonna alors que Hyde s'amusait à faire des commentaires sur mon sexe-appeal. Je sortis mon téléphone de ma poche ; sans grand étonnement, c'était Carole. Je décrochai et collai l'appareil contre mon oreille.

- Yo.

- Jake. Tu vas bien ?

- Oui, et toi ?

- Je vais venir te chercher. Tu es toujours chez ton ami ?

- Ouais.

- Je serais là dans une heure. Ne bouge pas d'où tu es.

- Ouais. Oh, matante, t'as parlé à Sabrine ?

- Oui, elle m'a dit ce qui s'est passé. On en reparlera en face à face.

Carole raccrocha le téléphone. Je l'imitai dans un soupir.

Hé, on a une heure pour s'amuser ! s'écria Hyde.

- Ta gueule, Hy... (Je me redressai, laissant échapper un petit rire.) Hé, c'est que t'as raison !

Ah, tu crois ?

Je sortis de la salle de bain pour retrouver les autres à la cuisine. Cassandra débarrassait la table, Mathis lavait la vaisselle, Helena l'essuyait. Lucas était ailleurs, probablement à faire le tour de la maison à la recherche d'indice à se débarrasser avant que ses parents ne reviennent.

- Oh, Jake, tu vas où ?

Je m'arrêtai en face de Cassandra alors qu'elle frottait la table avec une guenille.

- Prendre un peu d'air. Je serais de retour dans dix ou vingt minutes.

Je tournai les talons sans lui laisser le temps de répondre et sortis dehors. J'allai sur le trottoir, fis quelques pas. Quand je fus assez éloigné pour ne pas être visible depuis la maison de Lucas, je me mis à courir à pleine vitesse pour aller chez moi. Sans ralentir, je grimpai sur la niche du chien, montai sur le toit du garage et passai par la fenêtre de ma sœur. Je me permis de ralentir la cadence qu'une fois de retour dans le salon vide de ma maison.

En soufflant, j'allai m'assoir où avait été le canapé, à même le sol, puis fermais les yeux.

- Allez, Hyde. Fait vite ; montre-moi le souvenir, à nouveau.

Quoi ? s'étonna-t-il. Pourquoi ? T'as déjà vu ta famille se faire massacrer une fois, c'est pas suffisant ?

- Fais-le, s'te plait ! Je veux repérer le plus d'indices possible.

Hyde soupira en roulant les yeux – ce fut du moins l'image qui s'imposa à mon esprit – puis le souvenir refit surface.

Tout était en accéléré. J'étais au salon à écouter un film avec le reste de la famille. À l'annonce publicitaire, mes sœurs partirent en même temps à la cuisine. Ma mère essaya de me parler, mais je m'éclipsai aux toilettes. Retour au salon, la discussion pénible, et le tueur qui arrive juste au bon moment pour me l'éviter. Coup de feu, bataille épique, des morts partout, rideau, c'est fini, je sombre dans le coma.

J'ouvris les yeux. Ç'avait été tellement rapide qu'il n'y avait certainement que trente secondes de passé.

Voilà, t'es content ? Donne-moi les indices que tu as trouvés.

- J'en ai trouvé quelques-unes. Premièrement, mes sœurs allant à la cuisine. Dans le premier souvenir, Amy était allée en premier. Sophia l'a suivi parce qu'elle n'avait pas répondu quand elle lui avait demandé pour un verre de lait.

Hyde ne répondit rien. Je sentis son stress enfler comme si c'était le mien.

- Dans ce souvenir, le tueur n'avait qu'un seul pistolet, et du peu que j'ai vu, ce qui n'était pas recouvert par des vêtements ou des lunettes de soleil, sa peau était noire.

Je souris triomphalement, alors que Hyde semblait avoir de la difficulté à se contenir.

- Dans le premier souvenir, c'était le pistoléro du livre ; peau blanche, yeux bleus. Maintenant, tu me donnes la version du film ; peau noire. Au moins, tu es resté avec ton idée de départ sur le pistoléro. Hein, je me trompe ? C'est l'idée que je sois fou comme Susannah, ou le simple fait qu'on m'appelle Jake qui t'a donné cette envie ?

Tu dis n'importe quoi ! s'énerva Hyde. J'aurais même pas dû te montrer ça !

Sa colère commençait à me donner un sérieux mal de tête, encore pire que ce que mon lendemain de veille me donnait déjà. J'avais l'impression que ma tête allait exploser. Je me levai, dans l'idée de retourner chez Lucas et d'y attendre gentiment ma tante. Mais au frisson qui me parcourut l'échine, je remarquai assez vite que Hyde avait pris le contrôle sans demander.

Qu'est-ce que tu fais ? m'énervai-je en pensée, maintenant incapable de parler avec ma bouche. Tu voulais que je trouve le coupable, et tu m'en veux pour chercher des indices ?

- Tu ne cherches pas le coupable, dit Hyde en serrant les poings en même temps de marcher vers les escaliers, en direction de la chambre de ma sœur. Tu cherches des preuves contre moi.

Montre-moi le vrai souvenir.

- Tu peux toujours courir.

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