Chapitre 21
J'entrai le premier dans la maison, après avoir frappé quelques coups contre la porte d'entrée. Je fus aussitôt accueilli par la musique hip-hop dont affectionnait Lucas, le volume juste assez bas pour me permettre d'entendre les conversations dans la pièce voisine. Sabrine arriva derrière moi pour fermer la porte.
- Oh ! y'a quelqu'un qui vient d'arriver ! entendis-je.
Je sentis mon cœur bondir de joie en reconnaissant la voix de Lucas. J'allai dans sa direction et, à moitié chemin, Lucas fit son apparition. Il n'avait pas changé depuis la dernière fois que je l'avais vu ; toujours aussi grand, les cheveux noirs et les yeux assortis. La seule différence apparente était son sourire. Lucas était du genre à avoir toujours le sourire scotché au visage. Cette fois, il était un peu plus sérieux. Il souriait, certes, mais on ne voyait pas ses dents. Il devait être particulièrement préoccupé.
- Jacob... Salut.
- Salut.
J'essayai de lui sourire en retour, mais ma joie s'était transformée en stress. Ça aidait encore moins les choses qu'il soit une tête de plus que moi. Mais alors que le silence se faisait étrangement long, Lucas me prit dans ses bras pour une accolade. J'en restais figé ; Lucas n'était pas du genre tactile. Il était du genre à s'excuser s'il ne faisait que m'effleurer.
- Je suis désolé pour tout ce qui t'est arrivé. Et tout autant pour ce silence radio. Comprends-moi ; je n'avais aucune idée de ce que je devais faire, j'avais peur de dire des trucs que je devrais pas, et tout...
- C'est bon, dis-je en riant nerveusement.
Le simple fait d'être présent aurait déjà été parfait, mais je ne voulais pas abuser de ma chance d'avoir été invité à cette soirée. Je préférais encore une amitié hypocrite que pas d'amitié du tout.
- Bon, y'a pas que ça ! dit Lucas en s'écartant de moi. Et vous êtes Sabrine, je suppose ?
Je me retournai à demi pour voir Sabrine hocher la tête en souriant timidement. En croisant le regard de Lucas, celui-ci retrouva vite fait son sourire habituel.
- Bienvenue dans ma demeure, cousine de Jacob. Vous venez ?
- On te suit, dis-je en même temps que Sabrine.
Lucas nous tourna le dos pour retourner d'où il était venu ; le salon. Là, regroupé entre le canapé, les fauteuils et même assis directement au sol autour de la table basse, il y avait mes anciens amis ; Mathis, Antoni, Martin, Austin, Julia, Cassandra, Helena et d'autres encore. Ils étaient une quinzaine, entre mes meilleurs amis de toujours et les simples connaissances, mais ils m'avaient tous manqué. En me voyant entrer dans le salon, tout le monde se leva d'un bon pour me saluer, limite en hurlant. Je crois que si je n'avais pas été sur les antidépresseurs, je me serais mis à pleurer comme un gros bébé.
Les accolades et les mots gentils durèrent près de dix minutes non-stop, alors que je commençai à étouffer au centre d'un énorme câlin groupé, coincé en sandwich entre Mathis, qui était tout petit et que sa tête était appuyée sur mon épaule, et Cassandra qui avait tout un parechoc qui m'entrait dans le dos. Quand ils s'écartèrent enfin, j'eus droit à la place du centre du canapé, alors que Sabrine allait s'assoir au sol, un peu en retrait, car il n'y avait plus de place autour de la table basse. Lucas s'absenta quelques secondes et revint ensuite avec deux bières en canette, une pour moi et l'autre pour Sabrine.
- Jake ne peut pas boire, il est sous médication, dit-elle en acceptant sa canette.
- Oh, une seule bière ! m'énervai-je en prenant l'autre canette des mains de Lucas. Ça va pas me tuer !
Les autres renchérirent, se mettant de mon côté. Les plus près me tapèrent dans le dos comme pour approuver mon choix courageux. Le visage de Sabrine vira au rouge et elle prit plusieurs gorgées de sa bière pour passer la honte.
- Hé, on se fait un vérité-conséquence ? s'écria Julia.
Tout le monde cria de joie, moi compris. Sabrine leva les yeux au ciel en soupirant. Visiblement, elle en avait déjà marre d'être ici. Elle s'était attendue aux grandes fêtes dans le genre à Justin, et ce n'était pas vraiment ça.
Julia et Lucas se levèrent d'un bon pour aller chercher les accessoires nécessaires pour notre version du jeu. Quand ils revinrent de la cuisine, elle avait un paquet de cartes à la main, lui avait une bouteille de vodka et un sac de shooter en plastique. Ça attisa enfin la curiosité de Sabrine, qui s'était réfugiée dans son coin.
- Pas de vodka pour Jake, il...
- Tu vas pas arrêter, avec ça ? dis-je. Tu ennuies tout le monde ! Et puis, si je gagne, j'aurais aucun shooter à prendre.
- Tu va perdre ! pouffa Lucas. Eh, je veux dire... on te laissera gagner ?
Tous marmonnèrent un « ouais, c'est ça » pas très convaincant. Lucas haussa les épaules et brassa les cartes.
- Tu connais le poker, Sabrine ? À deux cartes. Mais on n'a pas de jeton ; on mise le nombre de shooter, ou des conséquences.
- Ça n'a rien à voir avec « vérité conséquence », s'étonna-t-elle.
- Ouais, on n'a juste pas encore trouvé de nom pour ce jeu. Au début, c'était vraiment ça, mais on s'est mis à faire des shooter à la place de vérité. Et puis ensuite, on a ajouté le poker. Le jeu est encore en développement, tu vois ?
- Mouais. Bah, Jake, tu prendras des conséquences.
- Pour courir autour de la maison à poil et ramener la police ? Nah ! C'est du déjà vu, en plus, dis-je en pointant Antoni du pouce.
Le concerné, fait sur la même carrure que Lucas, s'était fait avoir quelques mois plus tôt. Il s'était pris trop de shooter d'un coup, et pour le tour d'après, il avait pris conséquence. C'était vraiment beau à voir.
En riant au souvenir, je croisai le regard de Cassandra, la petite blonde à lunette. Je sentis mes joues s'enflammer à la suite du souvenir ; c'était ce soir-là que j'avais perdu ma virginité, disons. Avec Cassandra.
À la voir, mi-amusé, mi-gêné, je savais qu'elle pensait à la même chose que moi.
Lucas distribua les cartes pendant que Julia remplissait les verres à shooter. Mathis les distribua autour de la table. Je pris une dernière gorgée de ma bière avant de la laisser sur la table basse et de prendre mes cartes. Je m'enfonçai dans mon coin de canapé avant de regarder ce que j'avais eu, faisant attention de ne pas me faire voir par mes voisins. Un quatre de cœur, un sept de pique. Ça ne voulait rien dire ; j'allais perdre.
Malgré tout, d'autres avaient pire que moi. Je passai à la ronde suivante, alors que deux autres prenaient leur shooter avant de sortir du jeu.
- Attendez, je comprends de moins en moins, dit Sabrine.
Je levai les yeux au ciel en soupirant. Lucas s'occupa d'expliquer.
- À chaque tour, deux personnes sont éliminées, ce sont eux qui ont les moins belles paires. Quand t'es éliminé, c'est là que tu prends ton shooter, ou la conséquence. À chaque ronde, par contre, c'est un shooter de plus pour le perdant ; les deux qui vont perdre à la ronde suivante devront prendre deux shooter, ensuite trois et quatre...
- Des shooter ou des conséquences, intervint Julia.
Sabrine hocha la tête en m'envoyant un regard noir.
- T'as intérêt à perdre au plus vite, Jake.
Je haussai les épaules en présentant ma nouvelle paire, que Antoni avait distribuée pendant que les autres parlaient. Une paire de dix. Je souris fièrement alors que Sabrine montrait à son tour ses cartes ; paire de dames.
Deux autres furent éliminés, ainsi qu'à la troisième et quatrième partie. Ça commençait à devenir drôle ; quatre shooter à la suite pour Lucas qui se retrouva assez vite à rire comme un débile à n'importe quoi. Julia ne voulut pas se risquer et choisi de faire une conséquence ; elle dut embrasser Mathis langoureusement pendant une minute entière.
Cinquième round. Sabrine fut éliminée. Refusant catégoriquement de se risquer aux conséquences, elle prit cinq shooter à la suite pour retourner s'assoir dans son coin. Elle sortit son téléphone et se mit à envoyer des textes à ses amis, sans plus.
- Ta cousine est vraiment forte, murmura Mathis en ramassant les cartes et me tendant le paquet.
- Elle est surtout casse-couille.
Je pris le paquet pour brasser. Nous n'étions plus que six joueurs pour la sixième ronde.
- T'avais bien dit que c'était une salope, ajouta Lucas en se penchant vers nous. J'avais osé croire que c'était littéralement.
- Oh si, elle l'est dans tous les sens du terme. Vas-y, tu peux t'essayer !
- Sérieux ? dit-il en écarquillant les yeux. C'est ta cousine.
- Je la déteste. Fais-en ce que tu veux. Mais bon, faut qu'elle soit consentante, et la connaissant, elle le sera sans hésiter une seule seconde.
Je distribuais les cartes, sans en donner à Lucas puisqu'il avait perdu le tour d'avant. Il ne restait plus que Mathis, Cassandra, Helena, Antoni, Martin et moi. Ma petite bande de meilleurs amis, en dehors de Lucas. Lui, il s'était déjà levé pour aller rejoindre Sabrine.
Il était temps que je perde. J'avais besoin de boire, et ça commençait à faire beaucoup de shooter. En retournant mes cartes, je trouvai une paire d'as. Je grimaçai en posant les cartes sur la table, puis cherchai les pires paires. Un quatre et un six, je levai les yeux pour voir qu'elle appartenait à Mathis. Je souris en poussant mon verre de shooter vers lui. Mathis prit une grande inspiration en voyant tous les shooter qui se présentaient devant lui.
- Je vais mourir, dit-il en secouant la tête.
- Conséquence ? proposa Cassandra.
- Non !
- T'as pas aimé quand je t'ai embrassé ? intervint Julia en pouffant.
- Ouais. Je peux choisir ma conséquence ?
- Tu peux embrasser quelqu'un, dit Antoni. Pourquoi pas Martin ?
Martin, perdu dans une conversation avec une autre fille, se tourna vivement vers nous, les yeux écarquillés.
- Hé, j'ai gagné, signala-t-il en montrant sa paire de deux qui était toujours sur la table. J'ai pas à faire de conséquence !
- C'est pas une conséquence pour toi, tu es gay, lui rappela Cassandra avec un coup de coude dans les côtes.
- Quand même, t'es pas mon genre, dit Martin avec une grimace.
- Je veux pas embrasser quelqu'un ! s'énerva Mathis.
- Tu pourrais toucher les seins de Cassandra, dit Martin. C'est pas un problème, vous êtes tous les deux hétéros !
- Il est pas mon genre, grimaça Cassandra.
- Allez, dernière chance, dis-je, commençant à trouver le débat un peu long. C'est les shooter ou les seins de Cassandra.
- Oh, mais que vois-je ! s'écria Helena. Personne n'a remarqué que Cassandra aussi, elle a perdu, pouffa-t-elle.
- Oh, c'est vrai ! dit Mathis avec un grand sourire, soulagé.
- Alors, vous pouvez vous toucher mutuellement, dit Helena avec un sourire sadique.
- Prenez une chambre ! dit Antoni en sortant un condom de sa poche et le lançant dans les mains de Mathis.
- Mais, je... marmonna Mathis.
Il leva les yeux vers Cassandra, qui secoua lentement la tête de gauche à droite. Sans plus attendre, Helena et Julia forcèrent Cassandra à se lever pour la trainer jusqu'à la chambre de la petite sœur de Lucas, Martin, Antoni et moi en fîmes de même pour Mathis.
- Allez, dit Antoni une fois revenu au salon. C'est la dernière ronde.
Tout se jouait entre lui, Martin, Helena et moi. Il distribua les cartes. J'eus droit à un sept et un neuf, mais c'était tous les deux des piques. J'avais encore une chance... Qui ne dura pas longtemps, car Antoni eut droit à une paire de valets, et Helena à une suite de cœur. J'avais perdu à la dernière ronde, soit la pire.
- Shooter ou conséquence ? demanda Antoni en nous regardant tour à tour, Martin et moi.
- Conséquence, dit aussitôt Martin.
- Shooter, dis-je.
- Hum, t'es sur ? intervint Helena. Ta cousine a dit...
- J'emmerde ma cousine ! Allez, envoie avant qu'elle ne regarde !
Antoni et Helena échangèrent un regard, avant de s'avouer vaincus et de pousser les shooter vers moi. Je me dépêchai de m'en enfiler trois à la suite, par peur que Sabrine intervienne. Je pris une petite pause pour apaiser ma gorge qui me brulait déjà, avant de prendre un quatrième. Il m'en restait encore le double et j'avais l'impression d'avoir atteint ma limite.
- J'ai pitié pour toi, dit Helena en me volant un shooter.
- Hé ! dis-je, la voix déjà un peu pâteuse. C'est à moi, voleuse.
Je me pris un nouveau shooter. Il me resta en travers de la gorge, et je déglutis pour le faire passer. Je plaquai ma main devant ma bouche pour l'empêcher de faire demi-tour.
- Tu vas être malade, dit Martin. Arrête maintenant et ta conséquence sera toute petite.
- Laisse tomber les conséquences, il en a déjà assez pris, dit Antoni en me volant le septième shooter.
- Arrêtez, je peux le faire ! dis-je en prenant le shooter des mains d'Antoni, renversant la moitié sur son teeshirt et l'autre moitié sur mon menton.
- T'es déjà soul, dit Martin, une pointe d'amusement dans la voix.
Ouais, et pas qu'un peu.
Je secouai la tête de gauche à droite, essayant de bien leur faire comprendre que non, je pouvais encore en prendre ; il ne me restait qu'un seul shooter à prendre, en dehors de celui qu'Helena m'avait volé. Mais le simple fait de secouer la tête balaya ma vision comme une vague ; tous semblaient étrangement flous et déformés.
Ils avaient raison ; six shooter m'avaient achevé. Sabrine aussi avait raison, c'était probablement à cause des médicaments que j'avais dans le corps.
- Merde... murmurai-je platement.
Ça veut dire bonne chance, comme au théâtre ? Moi, je vais le prendre comme ça. Merci pour les shooter, ça réveille !
Hyde éclata d'un rire machiavélique. Ce fut mon dernier souvenir de la soirée.
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