Chapitre 19
Je me fis réveiller en sursaut par ma porte de chambre, ouvert avec tellement de puissance qu'elle frappa dans le mur avec un grand « bang ! » Je sursautai en criant de panique, tombant de mon lit et me cognant la tête sur mon bureau. J'avais maintenant la tête au sol, les bras écartés et les jambes dans le lit.
- Jacob ! s'écria ma tante. Qu'est-ce que tu fais ici ?
- Je dormais, marmonnai-je d'une voix encore un peu endormie. Note l'imparfait.
- Ton directeur vient de m'appeler. Ça fait le deuxième cours à la suite que tu es absent.
- Bah c'est pas plus mal, ça veut dire qu'il en reste qu'un pour la journée. Ça vaut pas la peine d'y retourner.
- Lève-toi, premièrement...
Je poussai un soupir en ouvrant les yeux. Ma tante était penchée au-dessus de moi, mains sur les hanches sourcils froncés. Je me retournai sur le ventre avant de me mettre à quatre pattes, remarquant d'un coup que Hyde m'avait rendu le contrôle. Je n'avais même pas réalisé plus tôt.
Ma tante me tendit la main pour m'aider à me relever. J'acceptai son aide un peu à regret ; j'aurais préféré rester coucher encore un peu, quand bien même ç'aurait été dans le plancher.
- Jake, reprit ma tante un peu plus doucement. Est-ce que tu vas bien ?
- Oui, dis-je dans un grognement.
- Alors, pourquoi tu dormais, à quatorze heures ?
- Parce que je suis un rebelle. Tu vas me forcer à retourner à l'école ?
- Non, soupira-t-elle. Je t'amène chez le docteur.
- Quoi ? m'étonnai-je. Pourquoi ? Je vais bien !
- Me fais pas rire, ça fait des jours que tu tombes de fatigue.
Ma tante me fusilla du regard pour me défier de dire le contraire. Je soutins son regard, mais j'avais beau chercher, je ne voyais rien à répliquer. Ma tante m'agrippa par le poignet et m'entraina hors de ma chambre.
- Carole ! m'énervai-je en essayant de lutter contre sa poigne, sans grand résultat. J'ai pas besoin de voir un docteur !
Je tirai à nouveau, avec plus de force, mais trébuchai et tombai assis au pied de ma tante, qui me tenait toujours solidement le poignet.
- Un jeune homme comme toi, en « pleine santé » (elle fit les guillemets avec sa main valide) aurait facilement pu échapper à la poigne d'une vieille dame de quarante ans.
- T'es très bien conservé pour ton âge.
- Merci. Lève-toi ! Et mets tes souliers.
Je grognai, abandonnant le combat. Vraiment, j'étais pas au top de ma forme, et c'était un peu trop visible.
Ma tante lâcha enfin mon poignet, voyant que je ne tenterai plus d'aller m'enfermer dans ma chambre. Je mis mes souliers et sorties dehors jusqu'à la voiture de ma tante, celle-là même que j'avais « empruntée » pour mon petit voyage à Bathurst.
Carole alla derrière le volant et démarra la voiture. Je mis ma ceinture de sécurité et sorti mon téléphone de mes poches.
« À l'aide ! »
Malgré que les cours n'étaient toujours pas terminées, mon téléphone vibra rapidement. Élodie ne pouvait plus résister à l'envie de me parler. Son cœur flanchait en ma faveur !
« LOL »
Je relus les trois lettres plusieurs fois – c'était tellement cour, en même temps, que c'était difficile de faire autrement – avec une grimace. Elle se faisait tellement de soucis pour moi, ça allait me faire pleurer.
Découragé, je remis le téléphone dans ma poche. Cette fille ne prenait jamais rien au sérieux.
La route vers l'hôpital ne dura que cinq minutes. Une fois à l'intérieur, ce fut plutôt une histoire d'heures avant de pouvoir passer. Je n'eus pas à me plaindre ; je m'étais endormi contre ma tante, ronflant et bavant sur son épaule. Quand j'eus enfin mon rendez-vous avec le médecin, toute fatigue s'était temporairement envolée de mon corps ; j'avais peur de ce qui pourrait arriver. Je l'imaginai poser exactement les bonnes questions, moi répondre exactement ce qu'il ne fallait pas. Je l'imaginai m'envoyer passer une IRM au cerveau et qu'ils verraient toute sorte de petites anomalies. Non, au final, je n'eus droit qu'à quelques petites questions assez basiques, qui me valurent la prescription tant espérée ; des somnifères. Et j'eus même droit à des antidépresseurs.
- Je ne suis pas dépressif, dis-je avec un regard noir au médecin.
- Moi, je crois que ces médicaments sauront te faire du bien, insista-t-il.
Je soupirai en hochant la tête. Valait mieux accepter la drogue qui venait, je suppose. Ce n'était peut-être pas exactement ce qu'il me fallait pour tuer Hyde, mais ça saura peut-être l'abrutir un peu.
- OK, parfait. On va dire que je suis dépressif. On peut y aller, maintenant ? dis-je en me tournant vers ma tante, assise dans la chaise à côté de la mienne.
- C'est bon, dit le médecin sous le regard que lui lançait ma tante. Allez voir la réceptionniste avec ce papier, elle vous donnera les vrais qu'il faudra donner au pharmacien.
- Merci, répondit ma tante.
Elle prit le papier que lui tendait le médecin, puis me fit signe de la suivre en dehors de la pièce. Je ne me fis pas prier ; j'avais hâte de sortir d'ici depuis aussi longtemps que j'y étais. Ma tante s'arrêta après une dizaine de pas dans le corridor et s'arrêta au bureau de la réceptionniste, à qui elle donna les papiers avant de se retourner vers moi.
- Tu aurais pu être un peu plus poli, dit-elle.
- J'aurai pu me sauver en courant pour éviter la torture, mais, tu vois, il m'arrive d'être raisonnable. Tu devrais t'en contenter.
- Cette nuit, tu auras une vraie bonne nuit de sommeil, dit-elle en pointant du pouce l'ordinateur de la réceptionniste, qui était en voie d'imprimer les papiers. Et enfin, tu arrêteras de dire des conneries.
- Les conneries, c'est à mon état normal, dis-je en pouffant.
Ma tante secoua la tête, sans rien trouver à répliquer – elle s'avait que j'avais raison. La réceptionniste nous donna enfin les papiers et nous pûmes sortir de l'hôpital, cette fois pour aller à la pharmacie. Arrivée dans le magasin, ma tante alla vers le comptoir du fond, où étaient les pharmaciens. Pendant ce temps, j'allais flâner dans les rangées, sachant que la prescription prendra un temps fou à arriver.
Je commençai par le rayon électronique, qui se résuma à des batteries. N'ayant pas besoin de batteries, je passai mon chemin. La rangée d'en face, la bonne bouffe ; chips et chocolat. Je me pris tout de suite deux barres de Hershey au chocolat blanc et un mini sac de chips assaisonné. Je continuai ma ronde pour terminer, quelques rangées plus loin, devant les préservatifs. Je lançai un regard gêné de chaque côté de la rangée, pour m'assurer que personne ne regardait, puis m'amusai à lire les inscriptions. Je pris une boite « extra large » dans mes mains pour lire de plus près, un petit sourire amusé aux lèvres.
- Jake, c'est toi ?
Je laissai tomber la boite au sol et donnai un coup de pied pour la faire disparaitre sous la rangée avant de me tourner vers mon interlocuteur. C'était Élodie, une boite de serviette hygiénique dans les mains.
- Élodie ?! m'écriai-je nerveusement. Qu'est-ce que tu fais là ?
- Bah, il se trouve qu'aujourd'hui, je suis devenu une femme, dit-elle en levant la boite triomphalement. Et toi, visiblement, t'essayes encore de devenir un homme ?
Elle s'approcha de moi, assez près pour voir ce qu'il y avait en face de moi sur les rayons. Elle se mordit la lèvre pour ne pas éclater de rire en voyant la petite boite manquante de la rangé « extra large ».
- C'était juste pour rire, j'en ai pas besoin, dis-je en rougissant. Faut que j'attende ma tante qui est au comptoir à prescription... J'ai été diagnostiqué dépressif !
- C'est encore mieux que schizo.
- Je ne suis pas dépressif.
- Tu es quelque chose, pour sûr.
- Pas dépressif !
- Mais pas schizo non plus ! Alors, arrête de stresser.
- Comment veux-tu que j'arrête de stresser, j'ai...
Je m'interrompis, regardant ailleurs en serrant les poings. J'étais passé à deux doigts de dire « j'ai une voix dans la tête, et c'est certainement pas le basilic de la chambre des secrets ».
- J'ai perdu ma famille, terminai-je dans un murmure. J'ai droit de stresser. Tien, dis-je pour changer de sujet, j'ai pensé à toi et j'ai pris du chocolat. Sauf que tu peux pas vraiment le prendre maintenant, j'ai pas encore payé... (Je lui tendis la barre de Hershey et fouillai dans mon portefeuille pour en ressortir un cinq dollars, que je donnai à Élodie.) Si tu le veux maintenant, t'as qu'à aller le payer.
- C'était presque gentlemans, mais il a fallu que j'aille moi-même à la caisse, dit-elle en acceptant le billet bleu.
- Pourquoi il faut toujours que tu guète les moments romantiques ? Avoue que tu m'aimes, tu attends seulement que je fasse une vraie bonne déclaration.
- Ouais, et t'es vraiment nul dans le domaine.
J'attrapai une boite de condom au hasard et mis un genou à terre devant Élodie, présentant la boite dans toute sa splendeur. C'était déjà un peu mieux ; c'était des médiums.
- Élodie, je t'aime ! Accepteriez-vous de passer le reste de votre vie à me toucher ?
- Heu... non, bredouilla-t-elle, regardant de gauche à droite en rougissant.
- C'est pas grave si t'es dans ta semaine. Une pipe fera l'affaire.
Élodie me frappa en pleine tête avec sa boite de serviette hygiénique, puis me donna un coup de pied dans la main pour me faire échapper la boite de condom.
- Aïe ! m'écriai-je en me frottant la main, toujours à genoux devant elle.
- T'es con !
- Et moi, j'aime les femmes qui savent se défendre.
- Lève-toi ! s'énerva Élodie. Tu me fais honte !
- Oh, c'est bon, y'a personne qui regarde !
Je me levai et regardai derrière moi, pour me rendre compte qu'une petite dame dans le rayon des crèmes épilatoires nous dévisageait, un petit sourire aux lèvres. Je me retournai aussitôt vers Élodie, sentant mes joues virer au rouge.
- Elle n'était pas là quand j'avais regardé, murmurai-je pour ne pas me faire entendre par la dame.
Élodie secoua la tête de gauche à droite, désespérée.
- Tu me pardonnes si je te donne la deuxième barre ? dis-je en tendant l'autre tablette de chocolat que j'avais toujours dans la main.
Sans répondre, Élodie m'arracha le chocolat des mains, un petit sourire aux lèvres.
- Si tu veux vraiment que je te pardonne, va falloir que tu donnes les chips aussi.
Je levai les yeux au ciel en lui tendant le sac.
- Maintenant, je peux avoir ton amour ? Même s'il commence à se faire de moins en moins désirer ?
- Peut-être une autre fois, dit Élodie dans un haussement d'épaules. La semaine prochaine.
- Quand tu seras plus dans ta semaine, dis-je en souriant de toutes mes dents.
- Peut-être. Faut que j'y aille, dit-elle en levant légèrement sa boite de serviette. J'ai un truc important à faire.
- Ouais, je comprends, dis-je dans un rire. Enfin, non, je peux pas comprendre, mais si je pouvais, je comprendrais.
Élodie leva les yeux au ciel en soupirant, puis baissa à nouveau les yeux vers les condoms. Elle prit une boite et la fourra dans ma main avant de tourner les talons en direction des caisses, sans un au revoir. Souriant, je regardai la symbolique boite de condom qu'elle avait mis dans ma main. Si ce n'était pas un signe, ça !
Mon sourire disparut de moitié en remarquant que c'était plutôt des tailles petites. Je remis la boite sur l'étagère et tournai les talons, voulant retourner me prendre d'autre chips et chocolat. Je m'arrêtai au bout de deux pas puis, poing serré, pris une boite Médium et la fourrai dans la poche de mon sweat.
C'était magnifique. Vraiment, je vois pas pourquoi elle s'est pas lancée dans tes bras pour t'embrasser à pleine bouche.
Ouais, moi non plus, pensai-je platement. Pourquoi je dis toujours de telles conneries... Je peux pas lui dire un simple « je t'aime » comme tout le monde ?
Moi, je peux ! La prochaine fois, tu me laisseras parler !
- Non !
Je toussai, me cachant la bouche de la manche de mon sweat. Je n'avais remarqué personne pour m'entendre, mais je préférai ne pas prendre de chance. C'était énervant quand ça m'échappait et que je me m'étais à parler tout seul ! Dans un lieu public, en plus !
Hyde dut avoir tout aussi peur que moi, car il ne répondit rien, préférant se faire oublier.
J'allai à la caisse avec mes chocolats, chips et, regardant un peu partout pour m'assurer que ma tante n'était pas en vue, ma boite de condom. Je payai rapidement pour cacher les condoms dans le fond du sac, puis partis à la recherche de ma tante, qui payait au comptoir de prescription. Sans faire attention à ce qu'il y avait dans mon sac, elle balança les médicaments dedans. Je soufflai, soulagé. J'aurais été bien si elle avait été un peu plus curieuse...
Dans la soirée, j'essayai pour la première fois mes médicaments contre l'insomnie. Il ne me fallut pas une demi-heure que je tombai raide mort dans mon lit.
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