Chapitre 17
Nous étions vendredi. J'avais été incapable de dormir depuis mardi.
J'avais eu tellement peur de faire de l'insomnie que, toutes les nuits, je m'étais répétée inlassablement « endors-toi, endors-toi, endors-toi... » et aux finales, je m'étais moi-même empêché de dormir. Enfin, peut-être que c'était de la vraie de vraie insomnie, mais je refusais d'y croire.
Ma tante frappa trois coups contre la porte de ma chambre avant d'entrer. Elle alluma la lampe au plafond et je remontai les couvertures au-dessus de ma tête. Elle retira les couvertures d'un coup sec, et je me retournai sur le ventre pour enfoncer mon visage dans l'oreiller.
- Réveille-toi, Jake, soupira-t-elle. Tu vas être en retard pour l'école.
Si seulement je pouvais simplement rester ici... j'emmerde l'école ! Et j'emmerde encore plus tous ceux qui sont dedans.
À force d'épuisement, j'avais fini par m'endormir... il y a une demi-heure.
- Jacob, répéta ma tante en me secouant l'épaule. Est-ce que tu vas bien ?
Je me redressai enfin pour faire face à ma tante. Mon seul objectif était d'éviter qu'elle ait des soupçons.
- J'aurais pas dû écouter Netflix toute la nuit, marmonnai-je.
Ma tante soupira en secouant la tête. Ces soupçons s'étaient envolés, youpi pour moi.
- Il va vraiment falloir que je te confisque ton ordi ?
- Non, j'ai ma leçon.
- Viens manger, j'ai fait des crêpes. Et dépêche-toi, ou tu vas vraiment être en retard.
- Oui, c'est bon !
Ma tante quitta ma chambre. Au risque de m'endormir à nouveau si je ne faisais que me mettre en position horizontale, je sortis de mon lit, bâillant à m'en décrocher la mâchoire, puis allai m'habiller. J'étais dû pour une douche, mais j'avais trop la flemme. Ce sera pour ce soir.
J'ouvris mon meuble à la recherche de vêtement à mettre. Depuis mardi, je faisais tout mon possible pour repousser un quelconque signe de schizophrénie, et l'hygiène en faisait partie. Alors j'avais mis, tous les jours, mes vêtements préférés. Sauf que là, je les avais tous épuisés, et j'étais de retour dans mon stock de vêtements banals. Jeans avec un trou aux genoux droits, teeshirt rouge et sweatshirt ouvert gris.
Je refermai la porte de ma penderie et regardai mon reflet sur le miroir qui y était accroché. Le teint blême et les poches énormes sous les yeux, mes cheveux bruns allant dans tous les sens, j'avais plus que jamais l'allure d'un zombie. Avec efforts, je parvins à accrocher un sourire sur le tableau. L'effet était encore plus dramatique ; un zombie qui grogne et qui montre les dents. Je poussai un soupir de lassitude, puis sorti de ma chambre pour aller manger les crêpes de ma tante. Peut-être qu'un peu de nourriture saura me remonter.
Comme toujours, ces derniers temps, c'était tendu à la table. Sabrine évitait mon regard, toute sa concentration à mettre une parfaite dose de sirop dans son assiette.
Si seulement je pouvais me confier à elle, pensai-je avec amertume.
Même pas en rêve. C'est une rapporteuse.
Je sais... Mais j'ai besoin de parler à quelqu'un.
Parle avec moi.
Quelqu'un de réel, ce serait mieux.
Y'a personne à qui faire confiance. Alors, c'est non.
Je hochai vaguement la tête, puis levais les yeux pour m'assurer que personne ne faisait attention à moi.
Élodie.
Je repris une bouchée de mes crêpes. Malgré la certitude de ma tante que je serais en retard ce matin, j'avais encore dix minutes pour me préparer. Tout ce qu'il me restait à faire, c'était manger et me brosser les dents.
Sauf qu'elle ne veut plus te parler, dit Hyde d'un air moqueur.
Il avait malheureusement raison. En suivant mon plan, ce n'est qu'hier que je me suis mis à la bombarder d'excuse. Peut-être que c'était un mauvais plan, mais pour sûr, elle ne m'avait toujours pas répondu.
Tu pourrais toujours insister, continua Hyde. Malgré son absence, je l'aime de plus en plus.
La ferme, tu n'y connais rien, pestai-je en refermant ma poigne sur ma fourchette. Me parle pas d'amour, espèce de monstre !
Je suis sûr que je saurais mieux la séduire que toi.
J'abandonnai mon assiette à demi entamée et allai à la salle de bain, plus pour échapper au regard intrigué de ma famille si je perdais contre l'envie de répondre à voix haute que par besoin de me brosser les dents après le repas. Je le fis tout de même, ne voyant d'autre utilité à être là.
- Jake, ça va ? demanda ma tante depuis l'autre côté de la porte.
- Voui, répondis-je difficilement, la bouche pleine de mousse.
- Je peux entrer ?
J'ouvris la porte d'un coup de pied, puis me penchai devant l'évier pour cracher. Ma tante entra à son tour et prit sa brosse à dents.
- J'ai raison de m'inquiéter pour toi ?
- Non.
J'essuyai ma bouche avec la serviette, puis tournai les talons. Ma tante m'empêcha de sortir d'une main sur mon épaule.
- Est-ce que tu te confis à la psychologue de l'école ?
- Oui, soupirai-je en me retournant vers elle. Mais sérieusement, c'est pas une pro.
- Pourquoi tu dis ça ?
Je haussai les épaules, préférant ne rien dire. Parce qu'elle ne sait pas remarquer mes mensonges, voilà pourquoi. C'était un peu comme si, malgré moi, j'aurai voulu qu'elle comprenne exactement le problème et me donne les médocs qui va avec. Seulement, j'étais incapable de le dire directement, j'avais peur d'affronter la réalité, j'avais encore plus peur de Hyde, j'avais peur de terminer ma vie dans un asile, mort cérébrale par électrochoc. La simple idée de mon avenir me faisait peur.
- Parce que... elle est bizarre, bredouillai-je. Son sourire est trop éblouissant, ça déconcentre.
- Tu préfèrerais avoir un psy ?
- Non, ça n'a pas d'importance !
- Mais si tu... si la psy te déconcentre...
Ma tante fit une petite grimace explicite, ne sachant plus comment terminer sa phrase.
- J'ai pas de vue sur la psy ! m'énervai-je. Merde, c'est pas une cougar !
- Mais t'aimerais que c'en soit une ?
- Non, matante, arrête ! C'est dégueu ! Sérieux, mes vus sont sur quelqu'un de mon âge, de toute façon !
Je grognai en tapant du pied, énervé par mes propres paroles.
- J'ai des vues sur personne ! me repris-je.
- Élodie ?
- Non !
- Tu l'aimes ?
- Évidemment ! Je veux dire... Non ! Arrête !
- Est-ce qu'elle est au courant ?
- J'en sais rien, elle veut plus me parler ! Comme tout le monde, de toute façon.
Je poussai un long soupir, essayant de me reprendre. Rien que là, ma tante était une meilleure psychologue que ma psychologue. Ou peut-être plutôt une meilleure détective.
- J'ai pas le temps pour ça, je vais être en retard...
- Jacob, dit ma tante en me retenant par un bras. Si elle t'aime en retour, elle te pardonnera.
- Elle ne me pardonne pas, visiblement, dis-je en lui lançant un regard noir.
Je me dégageai de sa poigne et parti vers la porte d'entrée. Je m'arrêtai là pour mettre mes souliers. Sabrine y était déjà, regardant dans son sac à dos pour s'assurer qu'elle n'avait rien oublié. Elle leva timidement les yeux vers moi, mais je fis de mon mieux pour l'ignorer. Une fois mes souliers en place, je sortis dehors pour aller sur le trottoir, en direction de l'école.
- Jacob.
Je m'arrêtai de marcher pour me retourner vers Sabrine, interloqué. J'hallucine, ou elle vient de m'appeler ?
- Quoi ?
Sabrine parcourut les derniers mètres qui nous séparaient, s'arrêtant à ma hauteur. Ses yeux étaient braqués au sol, ses joues bien rouges. Elle penchait la tête par en avant, de sorte que ses cheveux cachaient la moitié de son visage.
- Est-ce que tu dors bien, dernièrement ?
- Pourquoi cette question ?
- Écoute... (Sabrine ferma les yeux, comme pour trouver le courage de dire ce qu'elle s'apprêtait à dire) Je suis désolé d'avoir tout répété à mes amis. Je n'aurais pas dû. Et ce truc avec Élodie, ça date de l'an dernier, c'est plus d'actualité !
- Pourquoi tu t'excuses ?
Sabrine leva des yeux tristes vers moi, puis se remit à marcher lentement. Je la suivis, un peu à regret.
- Ça me fait mal d'entendre tout ce qu'on dit sur toi, à l'école. Surtout que ça vient de moi. Mais je te jure, j'ai répété à mes amis les plus proches, je croyais pas qu'ils allaient lancer les rumeurs.
- Tu n'aurais rien dû dire à personne. Comment je dois te faire confiance, maintenant ? C'est impossible.
- C'est vrai, tu ne peux pas. Et tu pourras encore moins quand je t'aurai dit ça... (Sabrine garda le silence quelques secondes pour un peu de suspense, avant de lâcher :) Ça fait plusieurs nuits que je t'espionne, depuis la fenêtre de ta chambre. Car tu sais autant que moi que c'était pour moi le seul moyen de comprendre quelque chose ! Tu fais des insomnies ? Tu as des hallucinations auditives, aussi ? Dédoublement de personnalité ? Écoute, Jake, il faut que tu le dises à un professionnel, ça ne sert à rien de le garder pour toi.
Je vais la tuer, souffla Hyde.
Je sentis mes poings se contracter, mais ce n'était pas moi. Je luttai de toute mes forces contre les envies de Hyde, enfonçant mes mains dans mes poches.
- Pourquoi tu m'as espionné ?
- J'en sais rien, peut-être parce que ta tentative de meurtre de l'autre jour m'a fait quand même un peu peur ? J'ai pas envie que ça recommence ; je veux juste t'aider.
Je hochai lentement la tête, ne sachant plus trop quoi dire. Elle avait peut-être un peu raison ; ce serait plus facile si je parlais à un professionnel. Seulement, j'étais tout sauf courageux, je ne serais pas celui qui fera les premiers pas. Je n'irais pas chercher un quelconque psychologue pour lui dire que je suis fou, et je parlerais encore moins à la psy de l'école. Je ne l'aime pas.
- Je peux t'aider, continua Sabrine. Dis-moi seulement si tu le veux, et je le dirais à la bonne personne, uniquement. Un professionnel.
Je vais la tuer, dit Hyde. Je te jure !
- Ne dis rien, dis-je en m'arrêtant de marcher pour faire face à ma cousine. C'est peut-être juste un stress posttraumatique, ça va finir par passer.
- Tu sais pas, s'entêta-t-elle. Il vaudrait mieux s'en assurer.
- Ne dis rien, s'il te plait !
- OK, soupira-t-elle en secouant la tête. Je dirais rien. C'est toi qui décides. Mais laisse-moi te dire un dernier conseil... Ne mêle pas Élodie dans cette histoire. Tu ne vas réussir qu'à lui faire mal.
- Pourquoi tout le monde me parle d'Élodie ?! m'énervai-je. Je l'ai pas revu depuis mardi.
- Eh bien, ma mère adore les histoires d'amour... et pour mon cas... tu vas encore me détester.
- Qu'est-ce que tu as fait ? soupirai-je.
- Mercredi, quand tu étais sous la douche, j'ai pris ton téléphone et j'ai changé le numéro d'Élodie. Alors, tes textes ne vont nulle part.
- Tu as fait quoi ?
- Le dernier chiffre, c'est deux.
Sabrine prit son sac à dos par les bretelles et se mit à courir à pleine vitesse vers l'école, qu'on voyait déjà au bout de la rue. Je m'arrêtai de marcher, vibrant de colère, la voix de Hyde soufflant toutes sortes d'insultes contre elle.
Je sortis mon téléphone de ma poche et cherchai Élodie dans mes contacts, pour enfin retrouver le numéro qui y était affiché. Il terminait par un trois.
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