Chapitre 14

- Oh, mon Dieu ! m'écriai-je à nouveau. Maman !

Elle ne répondit rien, continuant de regarder la télé. Les larmes aux yeux, j'essayai de lui faire un gros câlin, mais je ne réussis pas à faire le moindre mouvement. J'étais scotché au canapé.

Arrête, le con, souffla Hyde dans mon esprit. C'est un souvenir en 3D à haute définition. Profite du spectacle, c'est encore mieux qu'au ciné.

Résigné, je laissai aller un grand soupire, essayant de passer ma frustration. Elle est morte, essayai-je de me convaincre. C'est qu'une image projetée par mon cerveau de malade.

Peut-être que Professeur X m'irait mieux, comme nom, proposa Hyde.

- Nah. Professeur X est un gentil, lui.

Sans émettre le moindre son dans mon esprit, j'eus pourtant l'impression que Hyde me faisait la grimace. Avec quel visage ? Aucun... c'était juste une langue tirée. Super bizarre...

Devant moi, le film s'arrêta au beau milieu d'une scène d'action pour passer aux publicités. À ma gauche, Amy poussa un soupir, avant de se lever et d'aller vers la cuisine. Sophia, assise sur les genoux de papa dans son fauteuil, réclama un verre de lait, auquel Amy ne répondit rien. Frustrée, Sophia se leva à son tour pour aller le chercher elle-même.

C'est ici que ça commence, dit Hyde. Plus de petites sœurs dans les pattes...

Ma mère posa une main sur mon pied. Dans la position que j'étais, les genoux repliés, c'était plus simple ainsi, même si ça faisait un peu étrange. J'étais nu-pied – dans le souvenir, du moins, j'étais simplement en pyjama, alors qu'en réalité, j'étais en jeans et converse au pied.

- Jacob... Je peux te poser une question ? demanda timidement ma mère.

- Ouais, quoi ? demandai-je.

C'était le moi du souvenir qui parlait, pas le moi moi. En même temps, c'était vraiment moi. C'était... tous mes moi en même temps, disons. Mais surtout, c'était plus Hyde que moi. À ce moment du souvenir, il avait pris le dessus. Pour aucune raison. Je commençai à peine à comprendre ma situation, mais je savais que, parfois, c'était moi, et parfois, c'était lui. Quand c'était lui, généralement, il faisait comme moi – du moins c'est ce qu'il avait dit un jour dans un message sur mon téléphone –, mais en même temps, c'était une version de moi plus susceptible et colérique. Depuis quand ça durait, tout ça ? Hyde avait aussi dit, dans un autre message, que j'oubliais toujours quand il prenait le dessus. J'en oubliais entièrement son existence. Jusqu'à récemment, où il s'était introduit doucement, pour que je ne panique pas et, surtout, que je n'oublie pas.

Ma mère lança un regard vers mon père, comme pour chercher des encouragements. Mon père, à qui je ressemblais beaucoup – mêmes cheveux et yeux bruns, même si, je sais, c'est plutôt commun comme look – a hoché la tête, pour ensuite braquer son regard dans le mien. Je sentis mon cœur s'affoler, et j'entendis la voix de Hyde, une voix en provenance du souvenir, surgir dans ma tête.

Non, ils n'ont quand même pas deviné... c'est impossible !

- Ça peut attendre, une seconde ? dis-je alors que ma mère s'apprêtait à enfin poser sa question. Faut vraiment que j'aille aux toilettes...

Sans attendre sa réponse, je bondis hors du canapé et me précipitai vers la salle de bain, fermant ensuite la porte derrière moi. Je m'imaginai, en second plan sur le moment présent, à courir sans but dans la maison, à interagir avec des meubles qui n'étaient même plus là.

Je m'appuyai contre le lavabo, essayant de passer l'angoisse qui me prenait à la gorge.

- Hé, Jacob, murmurai-je à mon reflet dans le miroir. T'es un gros con, tu le savais, ça ? Je vois pas comment t'aurais fait, mais si t'as vraiment cafeté sans même que je m'en rende compte... Je te tue.

Tu peux pas me tuer ! hurla l'autre depuis le fond de mon esprit, celui qui était le moi réel, du souvenir, qui hurlait de panique en second plan, à l'intérieur du crâne de Hyde alors qu'il avait le dessus. Ce serait du suicide !

- Peut-être bien, dis-je à mon reflet. Peut-être bien...

- Jake ! entendis-je depuis l'autre côté de la porte de la salle de bain – c'était Amy. Qu'est-ce que tu fous, à te parler tout seul ? Sort, faut que je fasse pipi !

Mon cœur bondit dans ma poitrine, et je me précipitai vers la porte pour l'ouvrir. J'attrapai Amy par le bras et la tirai dans la salle de bain avec moi. Amy poussa un léger cri de panique, qu'elle camoufla par un rire nerveux.

- Ouille ! dit-elle en se dégageant de ma main sur son bras et reculant d'un pas. Tu m'as fait mal.

Elle leva le bras pour regarder les marques en forme de doigts qui s'imprimaient déjà au-dessus de son coude. Et je me sentais totalement indifférent de lui avoir fait mal.

- Qu'est-ce que t'as entendu ?

- Que t'es un gros con que tu t'es automenacé de mort... Bah, je commence à avoir l'habitude. T'es tellement bizarre. Tu sors ? Je veux pas faire pipi avec toi qui m'observes !

J'ignorais la dernière partie, songeant à ce que je venais d'apprendre. Je commence à en avoir l'habitude...

- Tu m'as déjà entendu parler à moi-même avant ? demandai-je.

- Des centaines de fois ! Ta chambre est à côté de la mienne, je te rappelle. Sophia aussi t'a entendu.

- Tu l'as dit aux parents ?

- Plusieurs fois.

Amy recula à nouveau d'un pas, comme si elle venait tout juste de réaliser que ce qu'elle me disait me mettait dans une terrible colère. Je serrais les poings, mon cerveau bouillonnant d'idée de meurtre, alors que l'autre criait toujours « ne fais pas de mal à ma sœur ! », dont je n'avais aucun mal à ignorer.

- Est-ce que tu l'as tué ? demandai-je en direct, alors que le souvenir semblait se mettre sur pause le temps d'une question. Si c'est le cas... je peux me passer des détails.

Personne ne meurt avant au moins trois ou quatre minutes, et Amy ne sera pas la première. Et puis, je t'ai déjà dit que ce n'est pas moi, le meurtrier.

- Mais tu as aussi dit, dans un autre temps, que tu es le meurtrier ! Ah, soupirai-je, essayant de reprendre un minimum de contenance. Ma vie est vraiment... confuse !

No shit, Sherlock.

Le souvenir reprit sans me laisser le temps de répondre quoi que ce soit et, rapidement, sans que le moi du direct et le moi du souvenir puisse suivre le mouvement, Amy passa à côté de moi à toute vitesse et sorti de la salle de bain, sans même prendre le temps de faire son pipi, et fila vers le salon où attendaient les parents. Les poings toujours serrés, je la suivis pour la retrouver sur le canapé, presque embarqué sur les genoux de maman.

- Il a recommencé, dit-elle.

Ma mère et mon père me lancèrent un regard lourd de sens. Je cachai mes poings derrière mon dos, dont j'étais incapable de desserrer. J'avais furieusement envie de les balancer au visage du premier venu.

- J'ai rien fait, répliquai-je. Elle raconte n'importe quoi !

Sur ce, Amy répéta mot pour mot ce que je m'étais dit un peu plus tôt, devant le miroir.

- Ne mens pas, Jacob, dit mon père, qui serrait Sophia contre lui comme pour la protéger, alors qu'elle buvait simplement son verre de lait.

Devant les quatre regards insistants, je ne pouvais plus mentir, c'est sûr. Je levai les bras en l'air, capitulant.

- OK ! m'énervai-je. C'est vrai. Tout est vrai. Et alors, vous allez faire quoi, hein ? Vous allez me foutre à l'asile, me faire passer les électrochocs, me gaver de médocs ?

- Il va premièrement falloir que tu nous expliques, dit mon père.

- J'ai rien à expliquer, grognai-je.

Et c'est là que ça part en vrille, dit Hyde. Le tueur arrive soudainement...

Derrière moi, la porte d'entrée vola en éclat, comme si quelqu'un l'aurait défoncé à l'aide d'un bazooka. Je me retournai dans un sursaut.

Il se la joue Chuck Norris...

Le corps entièrement recouvert de vêtements, je n'avais aucun signe distinctif à associer au tueur. Il sortit deux armes semi-automatiques de sa ceinture et les pointa vers nous. Sous le coup de l'adrénaline, je bondis de côté pour me cacher derrière le canapé, alors que le tueur ouvrait le feu.

Et il tue tout le monde. Va savoir pourquoi.

Les coups de feu cessèrent. J'entendis les pas s'approcher de ma cachette. Personne ne disait un mot ; j'en venu tout de suite à la conclusion que toute ma famille était morte.

Le pistolero à la rescousse de Susannah.

Je sortis la tête de ma cachette, observant le tueur. Nos regards se croisèrent, du moins, je crois, car il avait des lunettes de soleil. Il leva l'une de ses armes vers moi, et je baissai à nouveau la tête pour me protéger.

- Attends une seconde avant de me tuer, monsieur le méchant. Je peux seulement comprendre la logique de ce qui vient de se passer ? demandai-je, parfaitement calme. Qui êtes-vous ? Ayez pas peur de parler, vous aller me tuer, de toute façon.

Le tueur éclata de rire. Au timbre de sa voix, j'eus aussitôt la certitude que c'était un homme. Enfin un indice.

- T'es plutôt calme, gamin, pour un tout nouvel orphelin. Sors de ta cachette, je te tuerai pas tout de suite. Je t'aime bien.

- Bien sûr, tout le monde m'aime, dis-je nonchalamment, sortant à nouveau de derrière le canapé pour m'appuyer dessus. (Je baissai les yeux pour voir ma mère et Amy, tombé l'une contre l'autre, du sang sortant de leurs poitrines sous le coup des balles. À l'intérieur de ma tête, l'autre hurlait deux fois plus fort que d'habitude.) Merci, en fait. J'étais sur le point d'être percé à jour. Tu les as percés en premier, finalement.

L'homme retira ses lunettes. Peau blanche, yeux bleus... encore des indices.

- Je t'aime pas, finalement. T'es vraiment bizarre...

- Comme si j'en avais quelque chose à foutre ! Je t'aime pas plus, espèce de trou du cul ! Maintenant, dis-moi qu'est-ce que tu fous ici, c'est tout ce que je veux !

- Si tu veux savoir, gamin, il y avait un prix sur la tête de ta famille.

Un prix sur la tête de ma famille ?! répétai-je intérieurement.

- Quoi... ?

- T'as compris. Ta famille... toute la famille.

Il leva à nouveau son pistolet. Je me laissai à nouveau tomber derrière le canapé, et la balle se ficha dans la fenêtre, loin derrière moi, laissant des débris de verre un peu partout. Le tueur contourna le canapé, et j'en profitai pour lui sauter dessus et lui reprendre pistolet des mains, mais dans la panique du moment, il me glissa aussi des doigts et fila vers l'autre bout de la pièce. Changeant de tactique, le tueur me fit tomber au sol, m'agrippa par les cheveux et me frappa la tête plusieurs fois de suite contre le plancher. J'étais sonné, incapable de me relever, mais j'avais encore espoir ; j'entendais les sirènes qui venaient vers nous. Le tueur les avait entendues aussi. Voulant en finir au plus vite, il n'alla par chercher son pistolet. Il se contenta de faire tomber la bibliothèque sur moi. Tous les objets qu'elle contenait – livres, DVD, babiole décoratrice – me tombèrent dessus en vrac. Puis ce fut le meuble lui-même qui s'abattit sur moi, m'écrasant la jambe. Le craquement sinistre de l'os qui se casse fut la dernière chose que j'entendis avant de perdre connaissance.

Voilà, dit Hyde, alors qu'il faisait toujours totalement noir. C'était ça.

- C'était bizarre, marmonnai-je. (J'ouvris les yeux, pour me rendre compte que j'étais couché au sol, exactement comme dans le souvenir, près de la bibliothèque inexistante.) C'était... glauque. Mais c'était... irréaliste.

C'était... la vérité. Arrête de douter.

- Alors quoi ? Un type arrive juste au bon moment pour éviter une conversation pénible, il tue tout le monde – toi, tu dis « merci, mon pote ! » en lui donnant une poignée de main et un billet de vingt pour le service – il avait deux fusils, pourquoi il n'a pas sortie le deuxième pour me tuer, à la place de ne pas aller chercher le premier ? Et c'est quoi, cette histoire, sérieux !? En quoi ma famille pourrait avoir sa tête à prix, hein ? C'est ridicule !

Qu'est-ce que j'en sais, moi ?! Je t'ai montré ce qui est arrivé, voilà tout ! Je suis pas le professeur Slughorn pour trafiquer mes souvenirs !

En rageant, je me levai du sol, époussetant la poussière de mes vêtements. Je pris plusieurs grandes inspirations, essayant de faire disparaitre l'image de ma mère et ma sœur ensanglantée dans le canapé.

- Alors... ma mission, c'est de le trouver. Mission suicidaire. Comment je suis censé faire ça ?

J'en sais rien, mais tu te débrouilles...

- Et si j'abandonne ? Parce que je te dis, c'est impossible. S'il y a un seul truc en lequel je suis doué, ce n'est certainement pas à jouer les détectives. Mon talent consiste plutôt à dire n'importe quoi. Ou... (un frisson me parcourut l'échine) à inventer n'importe quoi. Et tu es moi, alors, je te crois pas.

Il faudra bien, pourtant. C'est la vérité !

- Alors pourquoi, au début, quand tu étais sous les effets de l'alcool, et donc, bien incapable de mentir avec un minimum de crédibilité, tu m'as dit que tu étais le meurtrier ?!

Hyde ne répondit rien. Je l'avais bouché.

- Merde ! hurlai-je en tapant du pied. Je veux la putain de vérité ! C'est trop demandé ?!

Au même moment, je remarquai la présence d'un son, allant toujours de plus en plus fort à mesure que les secondes passaient. Je retins mon souffle, pris de panique ; des sirènes. Contrairement au souvenir où leur venue m'avait sauvé la vie, je savais que, maintenant, la police ne venait pas me sauver, mais m'enfoncer encore plus dans les problèmes. J'entendis Élodie klaxonner, ce qui me ramena à la raison ; je me précipitai dans les escaliers, montai jusqu'à la chambre d'Amy, sautai de la fenêtre pour atterrir sur le toit du garage, couru jusqu'au bord, sautai sur la niche du chien, et sautai encore une fois pour atterrir sur le sol ferme. Je courus jusqu'à la voiture, où Élodie était toujours sagement assise dans le siège passager, les bras croisés et l'air boudeur. Je tournai la clé dans la voiture, le monteur gronda. Mais je n'eus pas le temps de faire plus ; deux polices étaient arrivées, et elles s'étaient garées devant et derrière moi, me bloquant le chemin.

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