Chapitre 12

Quelques heures en plus à flâner dans le café m'avaient permis de remettre mes nombreux esprits en place. En sortant, j'avais croisé un quelconque élève de la même école que moi, et je lui avais demandé quel film il était allé voir, et ce qu'il en avait pensé. De retour à la maison, une dizaine de minutes de marches plus tard, je répétai l'information à mon oncle, pour le convaincre – comme s'il avait des raisons de douter – que j'avais vraiment été voir le film. Il ne sembla pas y douter une seule seconde. Par la suite, je m'étais enfermé dans ma chambre, j'avais mis une alarme pour minuit sur mon réveille-matin, puis je m'étais endormi. Comme prévu.

Et comme prévu, mon réveil sonna à minuit. Je sursautai dans mon lit, m'empressant d'éteindre. J'avais pris la précaution de mettre le volume aussi bas que possible, pour ne réveiller personne, mais il valait mieux être prudent.

J'envoyai le texto « Dix minutes » à Élodie, puis sorti de mon lit pour m'habiller, pour ensuite mettre mon portefeuille dans ma poche. Le téléphone toujours en main, en mode silencieux, j'ouvris lentement la porte de ma chambre, puis sorti dans le corridor, marchant sur la pointe des pieds en direction de l'entrée. Arrivé à destination, je mis mes souliers Converse, puis déverrouillai mon téléphone, me servant de la lumière pour identifier la bonne clé, cachée parmi tant d'autres sur le porte-clé vissée sur le mur. Il y en avait au moins sept, alors que nous n'avions que deux voitures ; celle de mon oncle, celle de ma tante. Il y avait certainement le double de chacune, peut-être celle qui ouvre la remise... Pour les deux restantes, j'étais paumé.

Je pris la clé portant le logo de Toyota, la voiture de ma tante, et la glissai dans la poche de mon sweat. Mon téléphone vibra deux coups dans ma main, et je le retournai pour voir l'écran. Élodie m'avait répondu.

« Je suis prête dans deux minutes. N'entre pas dans la cour, mets-toi juste à côté. Je te verrais. »

Je fermai l'écran, songeant que je répondrai quand je serais à destination. Je me tournai vers la porte, la main sur la poignée.

- Jacob ?

Je sursautai aux moins deux mètres de haut, mais réussis, par un quelconque miracle, à ne pas crier. La lumière au plafond m'éblouit, je portai ma main portant la clé devant mes yeux.

- C'est pas ce que tu crois, dis-je péniblement.

- Alors t'es pas en train de fuguer avec la voiture de maman ?

J'abaissai la main pour voir ma cousine Sabrine. Je laissai aller un soupir de soulagement – j'étais convaincu que c'était ma tante qui m'avait coincé – avant que le stress ne revienne d'un coup. Ce n'était pas Carole, mais Sabrine allait parler de toute façon.

- Non, puisque je compte revenir avant le matin. Tes parents ne se rendront compte de rien, si tu pouvais avoir l'amabilité de me laisser aller en paix.

- T'as pas été si gentil que ça avec moi aujourd'hui, pourtant. J'ai atrocement envie de te balancer, rien que pour te faire chier.

- Sabrine, dis-je dans un soupir. J'avais même pas eu l'intention de répéter ce qu'Élodie m'avait appris sur toi. Je l'ai fait pour détourner l'attention de ce que toi, tu as dit sur moi. OK, c'était vraiment dégueulasse de ta part, mais si t'es parents sont au courant, c'est ta faute !

- J'ai tout dit parce que je croyais que tu ferrais pareil, si tu arrivais à la maison le premier, dit Sabrine en rougissant sévèrement.

- Et risquer une vengeance de ta part ?

- C'est ce que t'as fait.

- Ce qui démontre bien qui est le plus intelligent des deux ! Si j'étais arrivé à la maison le premier, j'aurais acté normal, sans rien dire à tes parents. J'aurais voulu parler à toi seule, sur ce sujet. Pas à la famille au complet ! (Je fis une pause, laissant le temps à Sabrine de répondre, mais elle n'en fit rien, embarrassée.) Mais si tu dis à qui veux l'entendre que j'ai un dédoublement de personnalité, je dirais en retour que t'es qu'une grosse salope et que dès mon premier jour dans cette maison, tu me sautais déjà dessus pour me faire des pipes.

- T'es dégueulasse, dit Sabrine dans une grimace.

- C'est à prendre ou à laisser. Dis un seul mot à qui que ce soit... Et tu vas le regretter.

- Pourquoi tu te défends à ce point, si c'est faux ? Hein ? s'énerva Sabrine. (Elle prit une grande inspiration, retrouvant un ton plus doux.) Dis-moi, si c'est vrai ou faux. Personne ne va te foutre à l'asile pour ça. On pourra t'aider. Et puis, on n'est plus à l'époque American Horror Story saison 2, je te rappelle...

La colère que j'éprouverai sur ce sujet explosa d'un coup à l'intérieur de moi. Une réelle explosion au cerveau, qui me fit tomber par en arrière. Du moins, c'était l'impression que j'avais eu, mais je remarquai, une seconde plus tard, que j'étais toujours debout, face à ma cousine, alors que mon corps avait à peine frémi. Je pliai et dépliai les doigts, essayant par ce simple mouvement, faire passer l'impression étrange du non-mouvement que je venais d'avoir. Et je me rendis compte que j'en étais incapable.

J'étais incapable de plier les doigts. Incapable de faire le moindre mouvement. Et pourtant, sans que je ne comprenne le moins du monde ce qui se passait, je me sentis faire un pas de plus vers Sabrine, l'empoigner à deux mains par le cou et la secouer sauvagement. Sabrine laissa échapper un cri de panique et je la poussai pour la faire tomber au sol. Elle atterrit sur le dos, mais se redressa aussitôt sur les coudes pour me lancer un regard traumatisé. Je me penchai à moitié au-dessus d'elle, levai le poing au-dessus de sa tête. Sabrine laissa échapper un gémissement de peur, puis se replia en position fœtale, les bras au-dessus de son visage pour éviter mes coups.

- Ne dis rien, dis-je dans un murmure. À personne. Ou je te jure, Sabrine, tu seras la prochaine à mourir.

- OK, marmonna Sabrine, la voix enrouée par le sanglot qui lui coinçait la gorge. OK, promis, je dirais rien à personne !

- Merci.

Je me redressai, lui tournai le dos alors qu'elle était toujours à pleurer en position fœtale dans le plancher, puis passai la porte d'entrée.

Aussitôt la porte refermée derrière moi, j'eus à nouveau l'impression de tomber, cette fois par en avant. Je m'adossai à la porte, essayant de me reprendre. Les larmes me montèrent aux yeux en réalisant ce qui venait de se passer ; Hyde avait pris le contrôle, il avait presque étranglé Sabrine, avait menacer de la tuer.

J'ouvris à nouveau la porte d'entrée, passant tout juste la tête à l'intérieur. Sabrine était toujours étendue là, les joues baignées de larmes, à essayer de comprendre ce qui venait de se passer. En me voyant revenir à la charge, elle se leva d'un bon et recula de plusieurs pas, les poings en avant pour se défendre.

- Sabrine, je suis désolé, soufflai-je, blessé par la peur qu'elle éprouvait maintenant pour moi. C'était pas moi... c'était l'autre.

Je fermai la porte, cette fois pour de bon, et laissai aller les larmes qui me piquaient les yeux. Mon téléphone vibra dans ma poche, probablement Élodie qui s'impatientait, mais je n'y fis pas attention.

Toutes mes félicitations, entendis-je depuis le petit coin obscur de mon cerveau. T'as pas paniqué, cette fois. Tu fais des progrès.

- Fous-moi la paix, dis-je, les dents serrées. Et ne fais pas de mal à ma cousine !

Faudra d'abord qu'elle tienne sa langue.

Je secouai la tête, essayant de le faire disparaitre. Il n'ajouta rien, alors peut-être que ça avait marché. Le plus logique était qu'il n'avait plus rien à dire, pour l'instant.

Reprenant peu à peu mes esprits, j'allai m'assoir dans la voiture de ma tante, envoyai le texto « Dans cinq minutes », mis le téléphone dans le porte-gobelet, fit tourner la clé. La voiture démarra, j'engageai la marche arrière pour sortir de la cour, puis partie vers l'aventure.

Après avoir passé le pont servant de limite pour le centre-ville, je me répétai mentalement l'information apprit par Google Map pour me souvenir de la rue, et ensuite le numéro de maison. Je trouvai assez rapidement ma cible, malgré l'obscurité qui m'empêchait de lire la majorité des numéros. Je m'arrêtai devant la maison en question, une jolie maison de style chalet, les murs en bois ronds, avec beaucoup de fenêtres, toutes lumières éteintes. J'étais encore à regarder quand la porte-passager s'ouvrit sur Élodie.

- Salut ! dit-elle joyeusement tout en balançant un sac à l'arrière. Pas besoin de faire demi-tour, la rue fait un U, ça revient à la principale si tu continues.

- Salut... Oui, OK, dis-je en retirant mon pied du frein.

- Wow, je peux sentir l'excitation qui te ronge de l'intérieur, pouffa Élodie, sarcastique. C'est quoi, t'as pleuré ? Tes yeux sont rouges.

- Non, dis-je en secouant vigoureusement la tête. C'est le printemps. Les allergies.

- Excuse bidon pour quand tu as réellement pleuré, dit Élodie en éclatant de rire. C'est bon, j'ai des Réactine dans mon sac. Tu en veux ?

- Non, merci. J'en ai pris une avant de sortir. Elle devrait faire effet en peu de temps.

- T'as pris le type sans somnolence, j'espère ?

- Mais oui, je suis pas con...

Élodie sourit fièrement. Arrivés au bout de la rue, nous étions de retour sur la principale, comme prévu. Je tournai à gauche, direction banlieue. Nous n'étions plus au cœur de la ville de Tracadie, mais il y avait toujours des magasins de chaque côté de la rue. Principalement des magasins de construction, des concessionnaires et un Home Hardware.

- Alors, c'est tendu, entre toi et Sabrine ? demanda Élodie.

- Un peu, dis-je dans une grimace.

- Je suis désolé... J'aurais même pas dû te dire, pour cette partie de l'histoire. J'aurais pu éviter de citer son nom, disant simplement « salope X »...

- C'est bon, dis-je, dérouter de l'entendre dire « Salope » en parlant de ma cousine, alors même que je l'avais menacé sur ce sujet un peu plus tôt. T'as pas à t'en faire. Ça à déraper, et... Si elle m'en veut, c'est pour un sujet totalement différent, qui ne te concerne pas. On peut changer de sujet ?

- Oui... désolé si je t'ai vexé...

Je grimaçai, réalisant un peu tard le ton rude que j'avais adopté.

- Désolé encore plus, je suis un peu à cran.

- Ça va, on va pas se faire une bataille de politesse. Tiens, voilà le sujet. Tu peux me dire un truc sur toi ! Nous sommes minuits douze. Comme promis un peu plus tôt hier, on se dit un truc par jour.

- J'adore le chocolat, dis-je spontanément.

Élodie se retourna sur son siège pour me lancer un regard ennuyé.

- Tout le monde aime le chocolat.

- Et les bonbons ?

- Je vais faire une nouvelle règle ; les trucs que nous avons en commun ne comptent pas.

- Je suis beau, alors.

- Hé !

- Désolé, j'ai pas pu m'en empêcher, dis-je en éclatant de rire. OK, ça compte pas. Laisse-moi réfléchir pour quelque chose de vrai...

- Je prends le relai, en attendant... J'ai un chat qui s'appelle Chat.

- Sérieux ? dis-je, incapable de m'arrêter de rire.

- Ouais... j'avais sept ans quand j'ai choisi son nom.

- Ouah... Bah si ça peut te rassurer, ma tante à un Yorkshire qui s'appelle Grizzli. Je t'assure qu'il porte vraiment pas bien son nom. Tu imagines, un tout petit chien, tout mignon, une boucle rose sur la tête – c'est un mâle – et il s'appelle Grizzli... C'est plus un nom de Boxer, voire de Pitbull ou de Berger Allemand... Pas de Yorkshire !

À côté de moi, Élodie riait, penchée par en avant et se tenant les côtes. Ça faisait contraste : en l'espace de quinze minutes, j'avais fait pleurer de rire Élodie et pleurer de peur Sabrine. Vraiment, on peut dire que je fais de l'effet chez la gent féminine...

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