Chapitre 10

Le reste de la journée scolaire passa tout aussi lentement que son début. À la fin du dernier cours, j'allai rejoindre Sabrine à son casier, comme je le faisais tous les jours, mais elle n'y était pas. Me voir avec Élodie lui avait vraiment coupé toute envie de me voir ; elle était déjà partie, me laissant seul faire la route.

- Jake ! s'écria quelqu'un.

Je me retournai pour faire face à Justin. Je répondis d'un sourire timide, puis continuai mon chemin vers la sortie. Justin me rattrapa et marcha à mes côtés, son sac sur l'épaule.

- Question stupide... mais ça va ? dit-il avec un grand sourire. Toutes mes excuses, en passant, je sais pas comment démarrer une conversation, autrement.

J'étouffai un rire en hochant la tête. Je le connaissais depuis peu, mais s'il y avait bien quelque chose que je savais sur lui, c'est que c'était un gros débile. Disons qu'il était plus du genre Justin Bieber que Justin Trudeau.

- Ça va, dis-je sans grande conviction. T'as vu Sabrine ?

- Je l'ai vu courir dans le corridor, en direction de cette même porte qu'on vient de passer... Tiens, elle est là !

Je levai les yeux pour voir, au loin sur le trottoir, Sabrine courir à pleine vitesse vers la maison, slalomant entre les autres piétons.

- Elle a le feu au cul, m'étonnai-je. Qu'est-ce qu'elle a ?

- Aucune idée.

- Elle n'a rien dit de suspect, aujourd'hui ?

- Pas que je sache...

- J'espèce que ça n'a rien à voir avec Élodie, dis-je pour moi-même.

- Ah, par contre, c'est pas impossible ! Elle est probablement en train de monter un plan diabolique contre toi. Sabrine sait être féroce, quand elle veut. Comme une maman tigre.

Un poids me tomba sur l'estomac. Bien sûr, pensai-je. Elle va parler.

- À plus ! dis-je.

J'agrippai la bretelle de mon sac à dos et couru à mon tour sur le trottoir pour rejoindre la maison au plus vite. Quand je crus enfin rattraper Sabrine, elle n'était plus devant moi. La salope, elle avait dû prendre un raccourci que je ne connaissais pas. En pestant, je doublai de vitesse, attirant vers moi des regards intrigués.

J'arrivai à la maison au bout d'à peine deux minutes de course à pleine vitesse, à bout de souffle. J'ouvris la porte à la voler, sans même prendre la peine de la refermer derrière moi, et me précipitai vers le salon. Là, je trouvai ma tante et mon oncle, chacun dans leurs fauteuils, et Sabrine debout devant la télé, le visage rouge et soufflant comme un bœuf. À mon entrée, tout le monde se retourna vers moi d'un seul mouvement.

- Jacob, murmura ma tante. Est-ce que c'est vrai ?

- Non, dis-je sans même savoir ce qu'elle avait dit exactement. Elle dit n'importe quoi pour couvrir le fait qu'elle a couché avec le petit ami de quelqu'un d'autre.

Les yeux de ma tante sortirent pratiquement de leurs orbites sous l'accusation. Elle se retourna à nouveau vers Sabrine, qui bouillait de rage.

- Jake a tué sa famille, dit Sabrine presque en hurlant. Il l'a dit lui-même. Il dit qu'il souffle de dédoublement de personnalité.

Ma tante et mon oncle se retournèrent à nouveau vers moi. Ils avaient l'air aussi passionnés qu'à une partie de tennis.

- T'aurais pu comprendre le sous-entendu avec un minimum de connaissance en psychologie. Je les ai pas tués, je culpabilise d'être le seul survivant. Ça peut se comprendre, ou c'est trop compliqué pour ton petit cerveau ?!

- Tu l'as clairement dit, répéta Sabrine. Et tu veux rien dire parce que t'as peur d'être envoyé à l'asile !

- Tu devrais avoir peur, toi aussi, d'y être enfermé comme prédatrice sexuelle !

- Jacob ! s'offusqua mon oncle d'une vois étrangement aigüe. Sabrine... Arrêtez ça. Calmez-vous. Et asseyez-vous.

Je pris une grande inspiration, essayant de faire descendre la pression, puis allai m'assoir à une extrémité du canapé pendant que Sabrine allait à l'autre coin, les bras croisés et un magnifique sourire à la Grumpy Cat.

Grizzli, pas le moins du monde impressionné, sauta sur mes genoux pour se faire flatter.

- Vous allez vous expliquer chacun votre tour, sans interrompre l'autre, continua mon oncle. Jake, commence.

Je lançai un regard en coin à ma cousine. Peut-être que si j'avouai avoir tout inventé, qu'elle en ferait autant pour moi. Malheureusement, c'était peine perdue.

- J'ai rencontré une fille, aujourd'hui, dis-je lentement, baissant les yeux vers Grizzli qui sortait la langue de plaisir sous mes grattouilles. Je la connaissais déjà avant, mais c'était la première fois qu'on se parlait vraiment, disons. Et elle m'a dit que l'an dernier, tu avais couché avec son petit ami.

- C'est faux ! hurla Sabrine en se levant d'un bon du canapé.

- Sabrine ! dit son père sur le même ton. Assis !

Sabrine se laissa tomber dans le canapé, dépité. Son père savait être intimidant quand il le voulait. En cas contraire, sa mère n'était plus bonne à rien, bouche bée dans son coin.

- Explique-nous ta version calmement, dit-il.

- Ma version, c'est que je n'ai couché avec personne, grogna Sabrine.

- Vraiment personne ? demandai-je innocemment. Jamais ?

Le visage de Sabrine devint encore plus rouge qu'avant. C'en était presque effrayant.

- Jamais, dit-elle.

- C'est le mensonge le plus crédible que j'ai jamais entendu. Bravo.

- Jake, dit mon oncle comme avertissement. Tu parles quand je t'en donne la permission. Sabrine, dit-il cette fois, tant que tu ne tombes pas enceinte avant d'avoir quitté l'école, je suis content. Et je te comprends de ne pas avoir envie de parler de ça avec tes parents. Mais dis-moi honnêtement si tu es vierge ou non.

- Rien que la question est une agression, marmonna Sabrine en s'enfonçant dans son coin de sofa.

Mon oncle continua de la fixer avec toute l'intensité que peuvent avoir ses yeux noir, pendant exactement vingt-sept secondes (j'avais compté dans ma tête) avant qu'elle ne craque :

- OK, parfait ! hurla-t-elle en se levant d'un bon. Je suis pas vierge, mais alors, vraiment pas ! Tu veux que je t'étale mon tableau de chasse !?

- Max en fait partie ? demandai-je.

- Lui et plein d'autres !

J'avais l'impression qu'elle exagérait sur le coup de la colère – du moins j'espère, parce que moi-même, je n'avais couché qu'avec une seule fille, il y a au moins six moins, et on était tous les deux complètement bourré. Mais elle avait dit ce qui était important.

- Max, c'est le gars en question, spécifiai-je pour mon oncle. Celui qui avait déjà une petite amie.

- Quoi ? s'écria Sabrine d'une voix étrangement aigüe. Je parlais d'un autre Max !

- Moi, je parlais de ce Max.

- Hé ! dit à nouveau mon oncle. Sabrine, plus de mensonge !

- OK, dit-elle dans un grognement. J'ai couché avec lui. Mais c'était y'a plus d'un an ! Et puis, c'est lui qui... qui a fait les premiers pas, bredouilla-t-elle. Et je pouvais pas dire non, ce mec est trop beau...

- Merci de ton honnêteté. Maintenant, file dans ta chambre.

- Quoi, tu vas quand même pas me priver de sortie pour ça ! s'écria Sabrine.

- Je sais pas encore. Pour l'instant, file !

- Jake, tu vas me le payer ! hurla-t-elle en se levant d'un bon du canapé pour aller vers sa chambre.

Elle mettait tellement d'effort à simplement marcher que ses pas produisaient d'énormes « Boum, boum, boum », de quoi défoncer le plancher. Puis, sa porte claqua si fort que Grizzli gémit de peur et vint se coller contre moi. Il y eut ensuite un long silence, jusqu'à ce que ma tante se lève à son tour et aille rejoindre Sabrine.

Et dire qu'elle s'était mise elle-même dans cette situation. Elle voulait parler contre moi, bah moi aussi, je pouvais parler contre elle.

- À ton tour, Jake, dit mon oncle en s'enfonçant dans son fauteuil, qu'il avait retourné pour me faire face.

Le peu de joie que m'avait donné le fait de venger Élodie disparut aussitôt. Je serai Grizzli contre moi, espérant en faire un bouclier.

- Tu vas pas me gronder parce que ma famille me manque, quand même ? dis-je, le regard perdu dans les poils soyeux du yorkshire.

- Bien sûr que non. Et c'est bien normal que ta famille te manque, le contraire m'aurait inquiété... Ce que je voudrais savoir, c'est pourquoi Sabrine dit que tu as dit avoir toi-même...

Il ne sut pas terminer sa phrase, mais j'avais compris l'essentiel.

- Je n'ai pas dit avoir moi-même tué ma famille. J'ai dit avoir l'impression d'avoir tué ma famille. C'est psychologique. Mais moi, je n'ai tué personne.

Mon oncle hocha la tête. Il semblait avoir encore plus de difficulté de parler de ma famille que de la virginité non existante de sa fille.

- Et le dédoublement ?

- Même chose. C'est psychologique. J'ai pas de dédoublement.

- Alors, pourquoi avoir utilisé ces mots ?

- Je ne les ai pas utilisés, c'est Sabrine qui l'a fait ! Moi, j'ai juste... Prit l'exemple de Hyde.

- Jekyll est Hyde ? s'étonna mon oncle. C'est encore pire !

- Mais c'est faux ! m'énervai-je. J'ai pas de dédoublement, et je n'ai tué personne. Tu ne vas quand même pas me suspecter de meurtre ?

- Non, dit mon oncle en baissant les yeux. Bien sûr que non. Je sais bien que tu n'as tué personne, allons. Mais c'est seulement ça qui me tracasse... le dédoublement.

- Dont je ne souffre pas.

Mon oncle soupira, promenant son regard un peu partout.

- Ça te dirait, une séance d'hypnose ?

- Une quoi ? m'étonnai-je dans un rire.

- C'est le seul moyen pour que tu te souviennes de... des évènements. Si tu te souvenais, tu n'aurais plus de doute. Tu saurais que tu n'y es pour rien. Ça pourrait peut-être t'aider... sur le plan psychologique. Et d'un autre côté, tu pourras peut-être faire avancer l'enquête.

Mon oncle se pencha de côté pour sortir son portefeuille d'une poche arrière de son jean. Il fouilla quelques instants avant d'en sortir une carte d'affaires, qu'il me présenta.

- C'est le psy de l'hôpital qui nous avait donné ça, dit-il. C'est la carte d'affaires d'un autre psychologue, qui pratique des séances d'hypnoses. Il suffit d'appeler pour avoir un rendez-vous.

Il y avait deux numéros, sur la carte. Probablement bureau et portable. Les trois premiers chiffres du portable étaient les mêmes que le mien, ce qui voulait dire qu'il provenait de la même région ; Bathurst.

Je levai les yeux vers mon oncle, qui me regardait nerveusement, l'air de se demander si me montrer ça était une bonne ou une mauvaise idée.

Je regardai à nouveau la carte. Une séance d'hypnose... me souvenir d'une nuit d'horreur, pour en faire des cauchemars jusqu'à la fin de mes jours, pour ensuite prouver à mon oncle qu'il avait tort ; j'étais responsable. Du moins, en partie. Et prouver à tout le monde que je souffrais réellement de dédoublement.

- Non, merci, dis-je en déchirant la carte en un millier de petits morceaux. Sauf ton respect, je préfère encore mourir.

Grizzli sauta en bas de mes genoux et approcha sa truffe des bouts de papier à mes pieds.

- Un simple non aurait suffi, soupira mon oncle. Je voulais juste te dire que cette option était possible. Tu n'avais pas à le prendre mal.

- Eh bien oui, je le prends mal ! hurlai-je en me levant du canapé. Tu crois que me souvenir d'un bain de sang serait bon pour mon mental ? T'es complètement taré !

- Jacob ! hurla à son tour mon oncle. (Il se leva pour me prendre par les épaules, m'empêchant de m'enfuir et m'enfermer dans ma chambre, comme j'en avais grandement envie.) J'essaie seulement de t'aider, moi ! Pardon si je suis pas parfait, mais je fais de mon mieux !

- T'es loin d'être parfait, marmonnai-je en essayant de me dégager, sans succès. Lâche-moi...

- Tu vas te calmer ?

- Si t'arrêtes de me proposer des plans de suicide psychologique.

- C'est comme ça que tu le vois ?

- Oui. T'aurais aussi bien pu me proposer les électrochocs, je vois pas la différence.

- Je suis désolé. Je ne dirais plus un seul mot sur le sujet. Ça te va ?

- Ouais.

Mon oncle me lâcha les épaules. Sans ajouter un seul mot de plus, je courus m'enfermer dans ma chambre, le cerveau en ébullition. J'avais l'impression d'avoir échappé à la mort de justesse, dans le genre Destination Finale. Et bien sûr, c'était parce qu'elle allait revenir en force, un peu plus tard dans le film.

Plus de temps à perdre. Faut que je fasse quelque chose.

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