Chapitre 87
Stiles n'aimait vraiment pas toutes ces ombres dans son regard et qui semblaient lui apparaître plus nombreuses qu'il ne l'avait pensé de prime abord. Cette idée lui plaisait de moins en moins, notamment parce que la considérer à sa juste valeur signifierait accepter le fait qu'il avait été complètement aveugle et ce, pendant un trop long moment. Pourtant, il n'avait pas le choix car s'il la niait, ce serait par pur égoïsme – et Stiles ne voulait pas l'être. Pas avec Derek.
Pas avec Amelia non plus, qu'il commençait à trouver étrange.
Durant tout le reste de la journée, il fit au mieux pour alterner entre son homme et la petite fille qui, il l'avait remarqué, avait besoin de compagnie et que l'on joue avec elle. Ils s'étaient d'ailleurs tous les trois retrouvés à regarder un petit film d'animation en début de soirée, la fillette entre eux deux. Ainsi, elle se pelotonnait tour à tour contre l'un, puis contre l'autre. Stiles, se découvrant une étonnante fatigue, s'était endormi au milieu du film. Et lorsqu'il se réveilla une fois sa fin touchée, il remarqua que la petite aussi avait cédé à l'appel du sommeil. Lorsqu'il releva les yeux, il remarqua qu'elle n'était pas la seule – et c'était peut-être ça, le plus étonnant.
Avec toute la discrétion et la douceur dont il était capable, Stiles attrapa sa béquille et se leva. De là, il la reposa, s'appuya sur sa jambe valide et cala la petite de sorte à la tenir contre lui avec un bras. Reprenant son meilleur outil de marche, il entreprit de la ramener dans sa chambre... Ce qui ne s'avéra pas être une mince affaire. Car le jeune homme, aussi bien intentionné soit-il, avait complètement négligé la difficulté de son affaire par rapport à son état. Sa jambe allait mieux, mais n'avait pas encore assez guéri pour que monter les escaliers redevienne une formalité. C'était pire dans la mesure où il portait un poids – Amelia n'était pas grande, mais la tenir avec un bras en s'appuyant sur une jambe et une béquille, c'était dur. Son trajet prit donc un peu plus de temps que prévu, mais il finit par arriver à bon port et déposer la petite fille dans son lit. Il se mordit toutefois la lèvre inférieure en pensant au fait qu'elle dormirait habillée – qu'importe. Il n'était pas assez confiant et sûr de lui pour la déshabiller et lui mettre son pyjama sans peur. De façon générale, il était un peu plus à l'aise avec qu'elle qu'autrefois, mais... L'ombre du monstre planait au-dessus de lui et l'empêchait de s'accorder une pleine confiance, quand bien même ses intentions étaient les plus pures et innocentes du monde.
Au fond, c'était toujours la même chose... Toujours cet élément précis qui le bloquait dans sa relation avec la petite : ce sentiment qu'il ne devait pas reproduire ce qu'il avait vécu tout en sachant qu'il en avait les capacités. Le pouvoir. Or, Stiles n'avait pas la moindre intention de dominer qui que ce soit, encore moins une enfant qui n'avait rien demandé, un petit ange qui vivait au mieux la perte de sa mère. Si elle donnait l'impression de ne pas s'en sortir trop mal, Stiles commençait à deviner ses blessures. Il n'y avait qu'à voir la façon dont elle les collait lui et Derek, depuis son retour. Chacun de ces gestes était criant de vérité.
Le fait est que Stiles frissonna et ressentit un certain dégoût envers lui-même. Au fond de lui, il savait qu'il ne lui ferait jamais le moindre mal. Il remonta doucement la couette sur elle et écarta quelques mèches de son visage rond de petite fille. Il ne voulait rien, si ce n'est son bonheur et pourtant... Comme pour Derek, il se rendait progressivement compte de ses lacunes, son absence. Physiquement, il était partiellement là, se rappelant de temps en temps de ses devoirs envers elle. Mais à l'intérieur... Il n'y pensait pas tant que ça. La raison à cela, elle était simple : ces derniers temps, ses propres traumatismes avaient pris une ampleur considérable, au point de le rendre faible, incapable du moindre effort psychique. Autant dire que s'occuper de quelqu'un d'autre que lui-même aurait été mission impossible s'il avait essayé. Sauf que son évitement, bien qu'involontaire, avait des conséquences. Elle avait besoin d'amour, Amelia, de savoir que l'on était là pour elle. Il était son tonton Stiles.
Le jeune homme, assis au bord du lit pour reposer sa jambe une minute, ramena ses mains sur ses cuisses et les mira à la lueur des rayons de la lune. Il aurait très bien pu allumer la lampe de chevet mais la peur de réveiller la petite avait été trop grande pour qu'il le fasse.
Sauf que dans la nuit, si faiblement éclairés, ses doigts lui semblaient hideux, déformés. Il se faisait l'impression d'avoir les mains d'un monstre. Un sentiment un peu trop fort pour lui le prit, si bien qu'il lui serra la gorge et le poussa à sortir de cette chambre au plus vite. Non, il n'allait pas faire de mal à Amelia, mais la façon dont il se voyait le bouffait. A l'aide de sa béquille, il marcha aussi rapidement qu'il le put en direction de la salle de bain la plus proche, à savoir celle de l'étage. Pas besoin de s'éclairer dans les couloirs, la nuit était si claire qu'il y voyait suffisamment pour se déplacer. Mais lorsqu'il arriva dans la pièce qu'il visait, il n'y tint plus et alluma brusquement la lumière : il regarda son visage, ses yeux, sa bouche, son corps.
Ses mains.
Elles étaient parfaitement normales, sans déformation aucune.
Stiles poussa un soupir des plus tremblants qui ne cachait pas grand-chose de son soulagement. Oui, il était soulagé de constater qu'il n'avait rien du monstre qu'il pensait parfois être, une abomination de la nature, quelqu'un qui ne devait pas vivre. Il avait juste peur et savait fort bien que l'émotion était due à son passé. Mais non, il ne le reproduirait pas. Jamais. Plutôt mourir que de devenir le monstre, de laisser aussi Emile croire qu'il avait gagné, qu'il l'avait souillé au point de le transformer en profondeur.
Il passa néanmoins un moment monstrueux à se regarder, à détailler chaque parcelle de peau visible, chaque centimètre de son visage... Juste pour s'assurer, au cas-où, qu'il n'avait pas pris les traits de son bourreau. Qu'il était toujours lui, et pas seulement à l'intérieur. Parce qu'il avait depuis tout petit développé une croyance particulière, et très personnelle : celle que toutes les personnes intrinsèquement mauvaises se ressemblaient ou du moins qu'elles avaient quelque chose en commun. Soit ces détails-là étaient innés, soit ils apparaissaient avec le temps.
Stiles finit par mettre fin à son observation. Il était lui, tout allait bien et il n'allait pas vriller. Il se répéta mentalement ces paroles jusqu'à se convaincre de leur véracité – au moins concernant les premier et troisième points. Il n'avait pas d'autre choix que de se dire les choses encore et encore. Il lui fallait au moins tenter d'y croire – il devait bien ça à Derek, qui se battait chaque jour pour qu'il s'en sorte. Et en pensant à lui, il se détendit un peu... Suffisamment pour se rasséréner et sortir de la salle de bain. Il avait envie... Besoin de le retrouver. Le fait qu'il dorme n'était pas un problème – il espérait d'ailleurs ne pas l'avoir réveillé. Sa simple présence lui irait.
Descendre les escaliers fut tout, sauf une partie de plaisir. Il n'avait qu'une seule béquille et même si cela faisait un moment déjà qu'il avait appris à marcher avec ces choses-là, il peinait encore à s'y habituer. Vivement que sa jambe ait complètement guéri ! Il n'en pouvait définitivement plus. Encore qu'au moins, il se déplaçait... Quelques jours plus tôt, il n'était pas capable de monter une marche. Mais il trouvait définitivement sa guérison trop lente.
Le fait est qu'après ce qu'il considéra comme un parcours du combattant, il arriva en bas sans encombre. Quelques pas supplémentaires et le voilà au salon. Derek n'avait pas bougé d'un poil sur le canapé : il dormait comme un loir. Stiles, s'appuyant aussi solidement qu'il le put sur sa béquille et sa jambe valide, s'engagea dans une entreprise un peu difficile, mais qu'il comptait bien mener à son terme. Et les efforts qu'il dut fournir, aussi importants soient-ils, ne réveillèrent pas Derek une seconde.
Il devait vraiment être épuisé.
xxx
Derek se sentait lourd, mais il n'avait pas l'impression d'avoir mal dormi pour autant, au contraire. Il savait sa nuit longue et ininterrompu, un fait qu'il commençait à considérer comme rare au vu des dernières crises qu'avait eu à vivre Stiles. Il se demanda même si son impression était réelle et, au terme d'une réflexion somme toute sommaire – c'était tout ce dont il était capable au réveil –, il en conclut que oui. Mais il nota très vite un sentiment d'anormalité, de la présence de quelque chose d'inhabituel.
Il avait l'impression de manquer de place. Puis il avait chaud, aussi, mais sentit le corps de son compagnon pressé contre lui – ce qui, bien sûr, le ravit. L'étreinte qu'il avait sur lui se resserra légèrement. Cependant, cela ne put lui faire oublier sa constatation, laquelle lui apparaissait de plus en plus réelle. Alors, il finit par ouvrir les yeux et il dut papillonner des paupières un moment tant la pièce était inondée de lumière. La matinée était, si ce n'est avancée, bien entamée déjà. Mais ce qui marqua Derek ne fut pas tant l'heure potentielle que le décor en lui-même.
Qu'est-ce qu'ils faisaient là, à dormir dans le salon ? Bien sûr qu'ils n'avaient pas beaucoup de place puisque le canapé, convertible, n'était pas ouvert. Derek se redressa légèrement, sans toutefois briser son étreinte instinctive autour de son compagnon. Il nota le plaid étendu sur eux, une couverture extrêmement épaisse – voilà pourquoi il avait chaud ! – et laissa ses yeux revenir sur Stiles.
Il semblait dormir profondément et de son visage émanait une sérénité étonnante, qui lui faisait tout drôle. Parce que la sérénité, ce n'était pas ce qui caractérisait le plus l'état de son compagnon, si l'on pensait aux crises qu'il avait subies ces derniers temps. Pourtant, il était bien là, à dormir de façon détendue, contre lui. Peu lui avait vraisemblablement importé qu'ils dorment ainsi serrés comme des sardines, sans aucune place pour se mouvoir, se tourner confortablement. S'appuyant sur l'un de ses coudes, Derek laissa sa main libre se poser avec délicatesse sur sa joue pâle. Il reprenait des couleurs, doucement, et les bonnes. Bientôt, les hématomes toujours présents sur son visage disparaîtront complètement. D'ailleurs, le contact avec sa peau ne fut pas aussi doux que d'habitude. Stiles n'avait pas pensé à se raser et une très légère barbe commençait à orner son visage – à peine. Généralement, il y passait un coup tous les trois jours, mais il semblerait qu'il ait momentanément oublié sa petite habitude. Enfin, ce n'était pas si mal, ça lui allait bien. Alors le toucher, inhabituellement rêche, lui plut malgré tout.
Derek n'eut alors pas envie de se lever, même si techniquement, c'était ce qu'il devait faire. Ils n'étaient pas tous seuls, dans ce manoir, puisqu'ils avaient à leur charge une adorable petite fille qui les aimait très fort. Sans doute s'étaient-ils endormis avant elle, ce qui l'avait poussée à tout éteindre et à partir se coucher en autonomie. Mais voilà, même si Derek se sentait extrêmement bien aux côtés de son compagnon, il lui fallait se faire violence pour ne pas se rallonger, et vaquer aux occupations de la maison : préparer les petits-déjeuners de tout le monde – un supplément pour Amelia, histoire qu'elle leur pardonne leur grasse matinée –, passer un coup d'aspirateur. Et, plus tard, il appellerait Parrish pour lui parler de l'idée qu'avait eue Stiles et qu'il allait falloir penser à mettre en application incessamment sous peu.
Mais Derek décida malgré tout de s'accorder quelques minutes de sérénité supplémentaires. Il se rallongea correctement, ajusta son étreinte autour de Stiles et fourra son nez dans ses doux cheveux châtains. Il y aperçut un éclat singulier, celui d'un cheveu blanc. Mais le bonheur de le sentir se lover davantage contre lui était trop fort pour laisser son étonnante découverte le peiner – pour l'instant du moins.
Et ça lui allait parfaitement.
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