Chapitre 86
Il n'était pas facile pour Noah de dompter sa nature profonde, cet amour filial qu'il entretenait naturellement tout en faisant de son mieux pour ne pas y penser... Car ledit amour était aussi fort que douloureux : une source de souffrance sans nul autre pareil dans la mesure où son propre enfant ne voulait pas le voir. Enfin techniquement – et il voulait y croire –, il ne s'agissait que d'une question de temps. De temps dont Stiles aurait apparemment besoin. Si Noah avait du mal à comprendre tout ceci, il désirait... Tout simplement accéder à la demande de son fils pour revoir celui-ci au plus vite. Il avait juste l'espoir que ce temps ne dépasse pas cette semaine. Cela faisait déjà des jours et des jours qu'il attendait et sa patience commençait sérieusement à s'effriter. A ce stade-là, la colère qu'il entretenait au sujet de Derek n'avait plus lieu d'être... Il l'avait reléguée au rang de souvenir, tout simplement parce qu'elle n'était pas importante. Elle ne comptait pas.
Disons que Noah ne s'autorisait plus à penser, réfléchir, si ce n'est à l'essentiel. Le travail, et Stiles. Il ne parlait plus beaucoup, n'adressant la parole à ses collègues que lorsque c'était nécessaire, ne s'embarrassait plus de quelque formule de politesse que ce soit. Sa nouvelle devise, quelle que soit l'affaire sur laquelle il travaillait, était devenue la suivante : être efficace à tout prix. Ne plus non plus laisser de place à l'affect pour atteindre ses objectifs.
De toute façon, cette histoire de meurtres en série nécessitait une réflexion froide et purement objective, d'autant plus que Noah avait avec lui un nouvel élément, et pas des moindres : il savait que le dossier était truqué, saboté en interne. Et ce détail, il avait décidé de le garder secret pour le moment. Dans la mesure où il n'avait pas la moindre idée de la taupe, mieux valait ne pas prendre le risque de l'informer de cette découverte des plus récentes. Noah n'en avait même pas parlé à son meilleur ami. Il n'était pas d'humeur à compter sur son amitié, laquelle passait, comme tout le reste, au second plan. Il avait besoin de rester seul le plus possible. C'était ainsi qu'il réfléchissait et se contrôlait le mieux. Autrement, le voilà qui se serait déjà débrouillé depuis longtemps pour retrouver Hale et lui faire manger des balles en argent – sans colère, juste pour le geste.
Noah fut mécontent de sortir de sa torpeur, mais impossible de s'y replonger : l'on venait de toquer à la porte de son bureau et il était clair qu'il ne pouvait pas faire semblant d'être absent dans la mesure où le commissariat entier l'avait vu arriver une demi-heure plus tôt. Tard, certes, en fin de journée... Mais il était bel et bien là. Pour travailler, se servir aisément dans les archives de la police de son secteur si nécessaire.
- Entrez, finit-il par soupirer d'un ton particulièrement las.
Plus vite il expédierait cette entrevue, plus vite il retrouverait sa sacro-sainte solitude.
xxx
Il n'avait pas été aisé de coucher Amelia dans la mesure où celle-ci avait fait des pieds et des mains pour que Derek et Stiles restent avec elle. Le loup-garou n'était pas foncièrement contre l'idée – d'autant plus qu'il connaissait les insécurités et inquiétudes de la petite –, mais Stiles lui avait subtilement fait comprendre qu'il ne partageait pas ce désir. En revanche, l'hyperactif avait promis à Amelia qu'elle dormirait avec eux le lendemain.
Parce que ce soir, il lui fallait parler, discuter avec Derek de choses dont une enfant ne devait avoir vent sous aucun prétexte. Surtout pas celle-ci, dans la mesure où elle était particulièrement jeune et que la perte de sa mère restait particulièrement récente. D'ailleurs, Amelia n'en parlait pas et il s'agissait d'une chose à laquelle il fallait penser – Stiles devrait sans doute prendre un peu de temps, un de ces jours, pour discuter de cela avec elle. Le deuil, il connaissait. Celui d'un parent, encore plus.
Derek, en parfait gentleman, l'aida à s'installer confortablement dans le lit. Stiles grimaça.
- Vivement que cette patte folle guérisse, je n'en peux plus, râla-t-il posant sa main sur sa cuisse.
Elle n'était plus aussi sensible ni douloureuse au toucher, d'autant plus que le bandage qui l'entourait la protégeait par son épaisseur.
- C'est si lent...
- C'est un rythme humain, fit Derek en haussant les épaules. Lent, mais complet.
Stiles tourna la tête vers son homme et lui trouva l'air étrange, un peu... Comme lorsqu'ils avaient mangé. Son loup n'était pas parfaitement à l'aise, détendu... Et il savait que cela faisait un moment – du moins, son instinct le lui soufflait. Et il insistait sur ce fait, ce qui signifiait qu'il avait sans doute raison. Derek n'était pas complètement lui-même dans le sens où... Il retenait quelque chose. Et Stiles se rendit compte que cela durait depuis un bon moment, que le Derek qu'il connaissait tardait à refaire son apparition. Sans doute était-ce à cause de préoccupations personnelles, de la lourdeur des évènements, de la fin de leurs courtes vacances en amoureux... D'un repos, d'une tranquillité qu'il cherchait mais qui ne venait pas. Stiles en avait, des idées, des hypothèses qui pourraient expliquer la retenue presque perpétuelle de son compagnon.
- Tu as quelque chose derrière la tête, fit Derek en haussant un sourcil.
- Je suppose qu'on peut dire ça comme ça, éluda à moitié Stiles.
Disons qu'il réfléchissait et qu'il désirait comprendre certaines choses... A la limite, on pouvait considérer que son seul « plan » consistait en deux sujets, deux discussions distinctes. L'une concernait son idée pour agir contre Emile – une idée qui se précisait de plus en plus dans sa tête – tandis que l'autre portait sur Derek, tout simplement.
- Je pense juste... Qu'on devrait parler, prendre le temps de faire ça un peu plus souvent et... Amelia n'a pas à entendre ce genre de choses, expliqua Stiles.
Il savait ses mots maladroits, mal choisis, son ton bancal, hésitant. Il était doué pour détourner une conversation quand son tournant ne lui plaisait pas, mais pas pour la diriger. En outre, il évitait facilement ce qui pouvait devenir une difficulté. Affronter ses propres préoccupations, c'était autre chose... Quelque chose qu'il n'avait pas l'habitude de faire.
Mais Stiles était bien placé pour savoir que fuir n'était pas une solution, juste un moyen de repousser l'inéluctable. Disons qu'il avait suffisamment avancé pour s'en rendre compte et agir en conséquence. N'était-ce d'ailleurs pas Derek qui l'avait poussé sur le chemin de la vérité ? Lequel était, en soi, une forme de combat intérieur ? En définitive, peut-être que Stiles avait effectivement un plan, dont il ne connaissait ni la forme, ni le but précis. Et il comptait bien l'exécuter... Pour la bonne cause.
- Je pense que je vais le faire, finit-il par lâcher. Même si ça fait des années, même si je ne serai pas pris au sérieux... Je me dis que ça pourra nous aider.
Il termina sa prise de parole par un haussement d'épaules presque nonchalant qui mettait malgré tout en valeur non pas son hésitation, mais son appréhension. Sa décision ne serait pas sans conséquence et il en avait clairement conscience.
La mine qu'afficha Derek fut pour lui passablement difficile à décrypter tant elle était... Opaque. Stiles voyait sa préoccupation tout autant qu'il la sentait, mais... Son compagnon n'utilisait pas ses sourcils, dont il connaissait la signification de chaque courbure à la perfection. Qu'on le croie ou non, il s'agissait pour Stiles d'un excellent outil qui l'aidait grandement à deviner ce à quoi il pouvait penser.
Et, évidemment, ne pas savoir fit naître en lui une espèce d'angoisse sourde qui, par chance, ne fut pas de grande ampleur. Elle l'alourdit sans aller jusqu'à le paralyser. Alors, il ressentit stupidement le besoin de se justifier.
- J'ai juste... J'ai juste besoin de ton soutien. Je ne veux pas qu'on prenne cette décision à ma place et tu sais... J'y pense vraiment de plus en plus. Depuis que ça m'est venu, je me dis que dans la mesure où je n'ai plus rien à perdre à ce niveau-là... On a presque tout à y gagner.
Agir pourrait aider la meute en lui faisant gagner du temps... D'autant plus qu'Emile ne s'attendrait sûrement pas à un tel revers de sa part, surtout pas après ces années de silence qu'il avait participé à créer, puis cultiver. En démontant sa première plainte, en le décrédibilisant complètement auprès de son père... En le faisant passer pour un menteur, un enfant en mal d'attention qui n'aurait pas encore fait le deuil de sa mère. A côté de cela, il y aurait le traitement de sa plainte – car il s'agissait bien de cela. Stiles n'avait aucun doute quant au fait qu'elle n'aboutirait sans doute pas ou qu'un non-lieu serait prononcé. S'il respectait le travail des policiers et l'autorité en elle-même, il savait pertinemment que les éléments pourris de cette institution échappaient souvent à la justice. C'était d'autant plus vrai lorsque les éléments en question jouissaient d'une excellente réputation, ce qui était le cas d'Emile. Un enfoiré pourvu d'un visage agréable invitant à la discussion dont on appréciait la compagnie et qui possédait des statistiques quasi-irréprochables. Il n'aurait rien.
En ce qui concernait le plan personnel, Stiles n'avait absolument rien à gagner à déposer plainte contre lui. Sans doute serait-il décrié comme autrefois, injurié, haï par son propre père... Perdant ainsi à nouveau sa confiance. Mais le jeune homme avait parfaitement conscience du fait que sa vie n'était pas la seule en jeu et qu'il pouvait peut-être bien essuyer une nouvelle vague de honte si cela lui permettait d'en sauver d'autres.
Sa plainte serait donc surtout de l'ordre de l'utile : elle ne lui tranquilliserait pas l'esprit, ne l'aiderait pas à passer à l'autre chose... Mais elle aurait peut-être la faculté de pousser Emile à commettre une erreur qui, là, pourrait permettre quelque chose. Dans le pire des cas, que l'on commence à le suspecter de quelque chose – et dans le meilleur, son inculpation. Qu'importe pour Stiles qu'on le juge sur ses actes les plus innommables qu'il avait commis : si on l'attrapait au moins pour ses différents meurtres, l'issue serait la même. Il fallait juste l'arrêter... Et qu'il paie.
- Je ne te dirai jamais quoi faire dans cette histoire et je ne prendrai jamais de décision à ta place. Elles t'appartiennent toutes.
Derek fit une très courte pause et prit un air songeur.
- Je n'aime pas ton plan, avoua-t-il finalement, parce que d'une certaine manière, il te met sur le devant de la scène, il t'expose alors que tu n'as pas besoin de ça.
Il était dans le vrai et parlait sans le dire des difficultés que devait affronter Stiles dans son quotidien. Entre ses traumatismes pas encore complètement digérés, ses crises de plus en plus régulières et profondes, sa guérison sur les plans physiques et psychiques... Car l'air de rien, tout restait extrêmement récent, en plus de s'étaler sur des années. Et encore une fois, Stiles n'avait pas le temps de se reposer réellement.
- En revanche, je ne peux pas nier son utilité. Ton plan peut nous aider à coincer ce monstre, c'est un fait.
Et cette vérité le dérangeait tant qu'elle se lisait sur son visage – Stiles ne pouvait pas ne pas le voir. Puis à côté de cela, il essayait de faire véritablement attention à Derek, notifiant tous les petits changements qu'il voyait s'inscrire sur ses traits. Car il n'y avait pas que lui qui souffrait, pas que lui qui savait sa vie changée par les évènements. Celle de son compagnon l'était également par la force des choses, à cause ou grâce à ce lien immatériel qui liait solidement leurs deux esprits.
- J'ai besoin de ton soutien, répéta Stiles sur un ton un peu plus craintif qu'il ne l'aurait voulu.
Il comprenait parfaitement les inquiétudes de Derek dans la mesure où il s'imaginait facilement se retrouver à sa place. Lui non plus ne désirait pas que son compagnon souffre plus que nécessaire ni qu'il ne s'expose alors que ladite exposition avait le pouvoir de participer à sa destruction intérieure. Mais Stiles avait besoin de s'assurer qu'il ne serait pas seul dans cette entreprise et que cet homme, celui grâce à qui l'espoir continuait de vibrer en lui, le rattrape en cas de chute.
Derek ne sourit pas et eut même l'air plutôt mécontent des mots qu'il venait d'employer car ses sourcils enfin daignèrent se mouvoir : ils se froncèrent. Pourtant, il eut un geste doux, tendre. Il le prit dans ses bras avec patience, caressa sa joue avec une délicatesse inégalée avant de l'embrasser doucement. Et si le contact surprit Stiles, il ne fit rien de moins que de répondre à ce baiser auquel il était tenté de ne pas mettre fin. Mais puisqu'ils devaient se séparer pour continuer de parler, Derek amorça le mouvement.
- Mon soutien, tu l'auras toujours.
Stiles savait qu'il était sincère dans ses mots, qu'il ne lui mentait pas. Mais il ne lui disait pas tout et continuait d'afficher une mine quelque peu renfrognée même si l'hyperactif percevait tout autant qu'il voyait, encore une fois, une certaine retenue chez lui.
Autant dire que la chose ne lui plut pas beaucoup.
Il laissa cependant le soulagement de se savoir soutenu primer sur tout le reste, un peu comme un réflexe pour garder la tête hors de l'eau, le temps de réaliser. Il se jura qu'après cela, il s'occuperait de son compagnon, de cette retenue qui ne lui allait pas.
S'il devait s'exprimer, Derek aussi.
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