Chapitre 84
La vie avait son lot d'épreuves, d'évènements lambdas, de moments de repos. Stiles voyait ça comme un cycle plus ou moins juste, voué à se répéter bêtement sans que l'on puisse vraiment influer dessus. Le cours des choses, le destin... Tout un chacun désignait cette idée abstraite à sa manière.
Mais le ciel semblait se jouer de lui à sa guise en bouleversant l'ordre des choses, en le bousculant de tous les côtés. Quoique le mot était faible... Revêtait plus l'apparence d'un euphémisme qu'autre chose. Stiles aimerait être croyant, se dire que tout cela avait un sens : qu'une entité supérieure d'apparence plus ou moins humaine le mettait à l'épreuve pour tester sa foi, l'endurcir... Il aimerait avoir cette vision, laquelle le rassurerait sur les intentions que l'on pouvait avoir à son égard. Quoique se connaissant, il serait bien capable d'injurier cet être supérieur, de lui demander pourquoi, inlassablement, sans jamais obtenir la moindre réponse. Pourquoi j'ai cette vie ? Pourquoi on m'a fait ça ? Pourquoi les autres parents font confiance à leur enfant ? Pourquoi mon père à moi ne m'a pas cru ? Pourquoi... Qu'est-ce que j'ai fait ? Pourquoi moi ? Pourquoi tu te montres aussi injuste envers moi ?! Entre autres. Et c'est cette même idée qui l'aurait poussé à se défaire de cette croyance. Quitte à se savoir abandonné, autant se dire que rien de bienveillant ne régissait les cieux. Rien tout court, d'ailleurs. Autrement, pourquoi le faire souffrir, lui ? Pourquoi lui rajouter épreuves sur épreuves en ne lui laissant à chaque fois que peu ou pas de temps pour respirer ? Car même si Stiles se savait reconnaissant par rapport aux ridicules petits jours qu'il avait passé avec Derek, dans le chalet... C'était peu, si peu. Une courte pause paradisiaque, une passerelle vers l'enfer.
Stiles se trouvait à son bord et bien ancré dans la réalité. Sa bulle, elle avait éclaté il y a quelques heures et il était clair qu'elle ne se reformerait pas de sitôt. Il ne pouvait s'empêcher de faire un parallèle avec son innocence, perdue des années plus tôt. Pourquoi certaines choses n'existaient-elles qu'une fois, ou que pour un certain temps ? Pourquoi ne se renouvelaient-elles pas ? Stiles eut un rictus amer alors qu'il se réinstallait confortablement sur le vieux canapé du salon du manoir Hale. S'il y avait bien une chose qu'il ferait à jamais, c'était de se poser des questions. S'interroger sur tout, sa situation et sa condition comprises.
- Amelia arrive quand ? Finit-il par demander à Derek, lequel venait de sortir de la cuisine.
Le loup-garou posa son regard plus ou moins vide sur lui. Vide, parce qu'il contrôlait au mieux le flot d'émotions qui le prenait depuis... Depuis ce coup de fil désastreux.
- D'ici deux heures, lui répondit-il. Melissa a des choses à finir.
Il ne savait plus si elle lui avait parlé d'une histoire de ménage ou de garde, ou... Enfin, peu importe. Ils allaient rapidement retrouver leur petite princesse et ce, sans y être prêts outre mesure. Derek n'avait pas assez récupéré mentalement et Stiles... Inutile de se pencher sur son cas dans la mesure où l'on savait très bien ce qu'il en était.
Autant dire qu'ils allaient devoir assurer, l'un comme l'autre, malgré leurs faiblesses intérieures et cette fatigue psychique qui n'en finissait plus de peser sur leurs épaules.
- Tant mieux, soupira Stiles.
Ils avaient du temps. Trop et pas assez à la fois. Mais l'hyperactif, malgré son moral à zéro, continuait à entrevoir certaines choses sous un prisme positif.
- Elle m'a manqué, avoua-t-il, même s'il avait l'impression de ne pas avoir pensé assez à Amelia ces derniers jours.
Avait-il seulement songé à elle ? Il ne saurait le dire tant il trouvait sa mémoire défaillante sur certains sujets. Pas complètement toutefois. Parfois, il lui arrivait d'avoir des absences et c'était une chose dont il était parfaitement au courant. Un élément qui lui faisait peur parce qu'il n'avait pas appris à le contrôler. Au moins, il essayait quand il s'en rendait compte...
- A moi aussi, répondit Derek en s'installant doucement à ses côtés.
Le loup-garou passa un bras autour de ses épaules et l'attira contre lui. Il déposa un baiser sur sa tempe et soupira à son tour, sans rien ajouter.
- On est plus que trois, lâcha l'hyperactif au bout d'un moment, le regard vide. Il a eu Spencer.
Le nombre de victimes, de cadavres... S'élevait désormais à quatre.
Quatre sur sept.
Stiles ne saurait dire s'il considérait vraiment cela comme un retour à la réalité brutal puisqu'il en vivait des petits de façon très régulière. Entre ses cauchemars, certaines réminiscences et pensées intrusives... Tout lui rappelait, d'une manière ou d'une autre, ce qu'il avait vécu. Lui martelait l'esprit de l'idée que tant que son agresseur ne serait pas mis hors d'état de nuire, cette réalité continuerait d'exister, de proliférer telle une horrible maladie.
- Après, on ne sera que deux. A la fin, je serai le seul, et ensuite...
- Ensuite, rien du tout, le coupa un peu brutalement Derek. Il n'arrivera pas à ses fins.
Le problème, c'est qu'ils ne l'arrêtaient pas. L'ancien alpha lui-même ne s'attelait pas trop à la tache. De son côté, la chose était compréhensible : il ressentait le besoin de rester auprès de son âme sœur et de la petite perle qui complétait leur petite famille malgré elle. Mais cette idée commença à résonner en lui comme une excuse, un moyen de ne pas prendre certaines responsabilités, dont celle d'actes qui pourraient avoir lieu. Derek savait, de façon générale, se contrôler : cependant, rien ne garantissait qu'il saurait garder son calme et rester raisonnable s'il se retrouvait un jour face au monstre qui avait purement et simplement détruit Stiles. Car même si l'hyperactif donnait tout pour se relever et n'abandonnait pas malgré les difficultés, les faits étaient là. Son âme était en morceaux et si ceux-ci retrouvaient peu à peu leur place, rien ne pourrait jamais effacer ce qui lui avait été fait.
Et cette idée, malheureusement plus que réelle, ne faisait qu'ajouter une certaine tangibilité à la colère que Derek ressentait chaque jour et qu'il muselait par automatisme. Elle augmentait également la lourdeur de la pression qui écrasait à la fois ses épaules et son âme. Elle confirmait son impuissance à tout gérer d'une main de maître. Parce que pour cela, il lui faudrait aller bien, se sentir parfaitement armé pour affronter de front cette situation plus que singulière.
Or, Derek chancelait, lui aussi. Il était humain à sa manière, après tout. Une chose était toutefois certaine : il allait falloir mettre fin à cette situation, d'une manière ou d'une autre.
- Jusqu'ici, il a toujours eu ce qu'il voulait, rétorqua Stiles, un semblant de hargne dans la voix. Rien ni personne ne lui a jamais résisté.
Il fut difficile pour Derek de décrire précisément toutes ces choses que laissait s'échapper la voix de son âme sœur. Il y en avait beaucoup. Certaines se ressemblaient, d'autres s'avéraient on ne peut plus opposées.
- Je ne suis même pas sûr que la meute puisse se mettre en travers de sa route, continua l'hyperactif.
Cette fois, une pointe d'amertume... Mais pas de désespoir. Ce sentiment avait été sa première réaction lorsqu'il avait appris pour Spencer. Néanmoins, les choses étaient d'ores et déjà en train de changer. Stiles n'abandonnait pas la partie : il énonçait simplement ce qui lui apparaissait comme un fait.
- Qu'est-ce que tu racontes ? Lui demanda Derek, sans pouvoir cacher son étonnement face à ses étranges mots.
- Vous avez des pouvoirs, des capacités extraordinaires. D'un point de vue purement physique, vous êtes plus forts que nous, les humains.
Stiles fit une très courte pause.
- Mais au regard de la loi, nous sommes égaux.
Il avait le regard sombre, légèrement voilé, dépourvu de toute forme de joie, d'innocence.
- La justice est censée faire payer les criminels et dédommager les victimes, mais elle ne fonctionne pas toujours comme elle le devrait. Le meilleur ami de mon père est un de ses rouages et... Certains préfèrent conserver toutes les pièces pour que la machine continue de fonctionner sans effort. La pièce aura beau être pourrie, on ne la changera pas tant qu'elle existe. On l'astique, on la polit, on l'empêche de faire naître chez les gens un doute quant à l'intégrité de la machine, ou c'est son mécanisme entier qui en pâtira.
Et c'était ce qui avait poussé le commissariat à écouter Noah Stilinski et à étouffer l'affaire. Sa plainte, bien que notée et conservée dans ses archives, n'avait pas eu le moindre poids. En même temps... Stiles n'avait eu ni la force, ni l'occasion de la mener à son terme. On l'en avait empêché.
Son esprit s'en était retrouvé longtemps broyé et en conservait encore des stigmates.
- Le problème, reprit-il, c'est qu'on n'a rien. On est pieds et poings liés et si la meute cherche à faire quelque chose à ce type... C'est elle qui paiera au lieu de lui.
Entre eux, ils se protègent. Pas tous, bien sûr. Seuls les gens intègres et objectifs avaient le courage de se mettre face à leurs collègues ripoux pour les faire tomber. Intègre, Noah l'était. Objectif, pas le moins du monde. Le pauvre homme se faisait manipuler depuis le départ et ce n'était pas là une chose qu'on pouvait lui faire entendre. La confiance du shérif envers son meilleur ami était un pur poison, une sorte d'infection lente et insidieuse dont on ne ressentait les premiers effets que tardivement.
- Ne t'inquiète pas pour nous, rétorqua Derek en posant sa main sur celle de l'hyperactif. Si quelque chose doit être fait, nous le ferons.
Quoi que l'on puisse en penser, l'ancien alpha avait parfaitement conscience des mots qui étaient sortis de sa bouche, et c'était d'autant plus vrai concernant leur sens. Le sous-entendu, clair, ne désarçonna toutefois pas Stiles, qui planta son regard dans le sien.
- Même si j'adorerais le savoir croupissant six pieds sous terre, vous ne pouvez pas faire ça, du moins pas comme ça. La meute ne peut pas agir aussi simplement qu'elle le ferait avec n'importe quel être surnaturel. Les actes ont des conséquences, Der'.
Et Stiles ne voulait pas que son bien-aimé l'oublie. Même si c'était difficile, même si ignorer était plus simple... Il fallait que Derek garde ce fait à l'esprit, autrement, il finirait par avoir des ennuis. Or, ils devaient rester forts, tous les deux mais surtout, ensemble. Et Stiles n'était pas sûr de continuer d'essayer d'avancer si la « justice » finissait par lui enlever son compagnon parce que celui-ci avait osé rendre service à la société en supprimant une ordure de la même espèce. De même, Stiles se sentirait extrêmement coupable si un autre membre de la meute connaissait la prison pour cette raison : il se considèrerait inévitablement responsable d'une peine potentielle. Parce que l'on aurait agi pour le protéger, ou bien le venger... Or, il n'avait pas la moindre intention de leur attirer quelque ennui que ce soit. Il fallait trouver un autre moyen d'agir, quelque chose de moins violent et qui respectait la loi.
- Les siens aussi, lui rappela le loup-garou. Ce sont des vies qu'il détruit, des vies qu'il enlève.
Inutile de le lui dire : Stiles était suffisamment bien placé pour le savoir.
- Vous foutre dans la merde ne nous aidera pas, fit-il d'un ton qu'il voulut ferme.
- Viendra un moment où on n'aura peut-être pas le choix, objecta le loup-garou.
L'hyperactif perçut un « je » à la place du « nous » énoncé. Derek faisait part de son individualité en parlant du groupe – Stiles le devinait aisément. Et bizarrement, l'idée que son compagnon hôte la vie de celui qui avait détruit la sienne ne le dérangeait pas. Il désirait simplement s'assurer que cela ne soit pas une entrave à leur relation, leur existence commune. Emile ne devait pas les pourrir jusque-là.
Stiles secoua la tête.
- Agir de cette façon ne fonctionnera pas, ça nous fera plus de mal que de bien.
Le « je » s'entendit de son côté, cette fois.
- Si l'issue doit être violente, il faut qu'elle soit en notre faveur, continua-t-il, l'air on ne peut plus sérieux. Il n'est pas question qu'on paye pour lui. C'est lui qui doit payer pour tout le mal qu'il a fait.
Dans sa tête apparurent des visages. La première victime, puis la seconde. A ces deux s'ajoutèrent Meadow et Spencer. Stiles songea aux deux dernières photographies que leur avait montré Parrish. Brice, et l'autre fille.
Et enfin, lui. Stiles Stilinski.
- Qu'est-ce que tu proposes ? Lui demanda Derek, ouvert à tout type de proposition.
Il ne lâcha pas sa main, la serra même un peu plus. Il vit le regard de son compagnon briller sombrement. Son visage, qui s'était durci au cours de cette conversation aussi triste que surréaliste, était désormais complètement fermé.
Stiles avait une idée et il n'était pas certain que Derek veuille l'entendre.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top