Chapitre 81
Stiles avait adoré le mauvais temps. Le vent l'avait emballé, la pluie apaisé. Le mouvement, à la fois vif et doux, lui avait semblé lui ressembler. Il avait eu l'impression... Que l'extérieur avait reflété son intérieur. Il y avait vu là un écho rassurant, l'idée d'une similarité. Il ne s'était pas senti seul... Et il y avait vu une forme d'espoir, la possibilité d'une éclaircie inespérée.
Mais l'orage le chamboula dans son entier sitôt la nuit venue. Stiles ne l'entendit pas à proprement parler – il le ressentit. Car le temps reflétait involontairement l'état de sa psyché. Vaillante et abîmée. Combattante et fragilisée. Stiles dansait sur un fil, sans réel équilibre. Sur deux jambes à moitié brisées. Et les attaques du tonnerre agirent sur lui sans qu'il ne s'en rende compte. La joue contre le torse de Derek, il commença par froncer les sourcils. Puis il fut pris de palpitations alors que son rêve, d'un calme absolu, s'assombrissait à vue d'œil.
Le calme avait fait son temps.
Place à la tempête.
Stiles vit, sentit. Se retrouva submergé par des sensations qui, sans le réveiller, lui firent un mal de chien. Sa gorge lui sembla se serrer d'un coup, la respiration lui manqua... Il sombra, avec la sensation de tomber dans un puits qui ne connaissait pas de fond. Repères et certitudes s'envolèrent, quittèrent son enveloppe immatérielle. Stiles s'affola, ne réussit même pas à ouvrir les yeux dans le rêve qui était en train de se former dans sa propre tête. Un songe qui prenait déjà des dimensions cauchemardesques, honnête dans son contenu. Il n'y eut pas de verte prairie ensoleillée, de calme apparent. Et même s'il ne vit rien, Stiles ressentit avec plus de clarté encore ces choses qui le faisaient souffrir. Des sensations familières venant de ce passé qu'il tentait au mieux d'enfouir et qui, tout sauf révolu, le torturait ces temps-ci avec plus de puissance qu'autrefois. Stiles avait eu droit à une pause – de courte durée. C'était toujours de cette manière que les choses semblaient se passer dans sa vie : il subissait, commençait à se reposer... Avant de sombrer à nouveau. Un cercle vicieux, sans fin... Duquel il désespéra, alors même que ses doigts se crispaient sur les draps et que sa conscience s'enfonçait plus profondément encore dans le cauchemar, de sortir un jour.
Le rêve n'avait pas d'images. Il n'était rien de plus que sons et touchers multiples, le genre de choses qui avaient la capacité de marquer encore plus profondément l'esprit en laissant des traces sur ce corps qui n'en portait pas le moindre stigmate. Si Stiles gardait sur sa peau quelques ronds bruns, ceux-ci se faisaient de plus en plus discrets. Ils étaient le témoin de blessures physiques concrètes. Les mains d'Emile y avaient laissé des traces invisibles... Mais indélébiles. Celles-là le brûlaient peut-être davantage que les cigarettes qu'il avait écrasées sur ses bras, son torse. Car la douleur durait dans le temps, elle était interne. Aucun antidouleur, aucune substance chimique ne pourrait jamais la calmer, parce que le mal était ailleurs, caché au plus profond du corps de cette âme dépossédée de ses droits et de sa parole.
Le cœur battant à tout rompre, Stiles refusa toutefois de se laisser abattre. Il savait ce qu'il voulait et ne désirait pas. Mais s'il était bien pour lui d'en avoir conscience, l'humain ne savait pas ce qu'il était censé faire ou dire pour que cela s'arrête. Il n'avait rien pour lui, il se sentait maintenu... Complètement offert à l'horreur. Or, il avait changé. Il n'était plus un enfant, et tout l'amour qu'il recevait depuis un moment le poussa à repousser cette paralysie destructrice. Elle était de l'ordre du réflexe et de l'habitude : du choc et de la domination qu'on lui avait autrefois imposée.
Mais pas cette fois.
Stiles sentit qu'il pleurait et pourtant, il n'avait sans doute jamais été loin de la réalité qu'à cet instant. Son âme, repliée au fond de lui et prisonnière de ce rêve sans image, n'arrivait pas à en sortir malgré des essais aussi nombreux qu'infructueux. Comment était-il censé faire ? En avait-il seulement la force ? Stiles se débattit comme un diable et fit tout son possible pour hurler, dans l'espoir d'alerter quiconque pourrait l'aider. Il se pensait perdu, kidnappé, les yeux bandés... C'était là ce qu'il prenait pour la réalité parce qu'il avait déjà vécu celle-ci par le passé. Au début, Emile prenait ses précautions, avant de rapidement se rendre compte du fait que face à un enfant, il n'en avait pas besoin... Surtout lorsque celui-ci n'était pas cru par son seul et unique parent, le dernier à être en vie.
Mais Stiles ne démérita pas. Il redoubla d'efforts, refusant de se laisser faire. Plus jamais... Plus jamais !
Qu'importe qu'on le croie ou non. Qu'importe si la vérité faisait disparaître certaines personnes de sa vie. Qu'importe s'il devait finir par se débrouiller par ses propres moyens.
Plus jamais on ne se servirait de son corps comme d'un jouet.
Alors si Stiles se sentait régulièrement faiblard et se disait qu'il laisserait Emile lui faire n'importe quoi s'il arrivait à remettre la main sur lui... C'était faux. La vérité, c'est que seule la mort lui ferait abandonner le combat. Avoir goûté à la liberté, s'être senti désiré sainement, aimé pour ce qu'il était... Ces choses-là, aussi simples pouvaient-elles paraître, avaient changé sa vision du monde – de sa propre vie. Pourtant, l'humain n'en avait pas complètement conscience tant cette partie de lui ne lui laissait voir que la douleur, ces temps-ci. La souffrance qui lui bousillait le moral, lui faisait se sentir... Nul, incapable d'avancer. Derrière ce prisme des plus subjectifs se cachait cette force particulière, laquelle participait au fait... Qu'il était encore en vie aujourd'hui. Que malgré l'état de sa psyché, il n'avait pas retenté quoi que ce soit de concret. La mort l'avait salué à de trop nombreuses reprises pour qu'il veuille à nouveau se rendre à ses pieds de son propre chef.
Il y avait également un autre facteur qui jouait dans la façon dont il utilisait cette force au quotidien, sans le savoir... Et qui se manifesta si soudainement qu'il ne le vit pas venir.
Comment ?
Stiles sentit tout d'abord une forme de chaleur se coller contre lui... Et qu'il accepta instantanément. Pas de réflexion, pas de questionnement. Elle était là, avec lui, en lui. Et très vite, les mains malvenues, intruses, méchantes disparurent presque d'un coup d'un seul. Il n'en sentit du moins plus le toucher. Quant à leur existence potentielle, il n'en savait rien – ne voyait toujours rien. L'oppression se désagrégea peu à peu, l'air redevint respirable. Stiles cessa de vouloir hurler. Eut l'impression que ce qui l'empêchait de voir se dissolvait... Parce qu'il réussit à ouvrir ses paupières dès qu'il osa réessayer.
L'espace dans lequel il se trouvait était ridiculement petit, que le côté cosy compensait largement. Une espèce de petite grotte pas le moins du monde éclairée par quoi que ce soit, mais dans laquelle il y voyait sans effort et sans avoir besoin de la moindre source de lumière. L'hyperactif voulut se redresser un minimum pour tenter de sortir de cet endroit malgré son état encore pantelant, son corps qui, s'il s'était déjà grandement détendu, restait particulièrement fébrile. Ce qui l'empêcha de mener ce projet à terme ? Un poids, une masse contre lui, un... Un loup. Les yeux de l'humain s'écarquillèrent. Contre lui, la bête au pelage de jais ne dormait pas, mais elle restait couchée, comme pour lui donner l'exemple... Ou participer à le calmer.
Et ça marchait.
La main droite de Stiles se posa doucement et avec une fébrilité certaine sur le pelage noir, qu'il se mit à caresser d'un geste aussi naturel qu'automatique. Le loup de Derek, il ne l'avait que rarement aperçu et jamais vu à proprement parler – ainsi cette fois-ci pouvait-elle être considérée comme une première. Parce qu'il savait que c'était lui. Son compagnon. Pas besoin de s'interroger à son sujet, de se demander ce qu'il faisait là.
Oui, il savait.
Il savait qu'en réalité, cet endroit-là n'avait rien de réel, pour la simple et bonne raison que les secondes qui s'écoulèrent le calmèrent tout autant que cette chaleur surnaturelle sous ses doigts. Il la sentait douce et brûlante à la fois, le genre de contacts qu'il raffolait secrètement.
- C'est le lien, pas vrai ? S'entendit-il demander.
Et sa voix résonna dans cette grotte aux dimensions variables. Cette fois-ci, elle lui sembla plus grande... Plus haute. Stiles s'amusa de l'écho léger qui s'invita jusqu'à ses oreilles et de cette lumière à l'origine invisible si douce, si apaisante... Si bien qu'il ne vit que tardivement le loup noir lever la tête dans sa direction et le regarder d'un air profondément calme.
Oui.
Stiles laissa l'étonnement l'envahir, l'accueillit comme un vieil ami. Jusqu'à maintenant, il n'y avait pas réfléchi, mais... Le fait d'être compagnon n'était pas qu'un statut. Il s'agissait d'un état perpétuel, d'une façon de vivre à part entière. A deux, ensemble, en tout temps. Et c'était bête qu'il n'y ait jamais réfléchi auparavant parce que... Il s'agissait de quelque chose d'extraordinaire, au sens propre comme au sens figuré. D'un cadeau de la vie dont il ne saisissait pas tous les pouvoirs parce que celle-ci lui mettait régulièrement des bâtons dans les roues. Stiles devait avouer qu'il n'avait pas récemment pas eu l'occasion de se poser et de réfléchir à ce simple état de fait, à ce lien qui les unissait au-delà de tout concept physique. De ce concept-là il ne connaissait pas grand-chose. Il avait simplement l'image d'un cordon immatériel qui reliait leurs deux âmes, un cordon que rien ne pourrait rompre. C'était là la preuve d'un amour né du destin, d'une idée totalement contraire au hasard.
Mais Stiles apprécia grandement l'idée que... Qu'il puisse avoir un autre effet que celui de simplement lier leurs âmes à jamais. En existait-il d'autres ? Même si Derek n'était pas un habitué de la vie de couple, il devait en tant que loup-né savoir des choses à ce sujet. Stiles imaginait ça comme... Une science lupine, des choses que l'on apprend aux lycanthropes pour les aider à se préparer pour leur vie future, un genre de bagages de base. Les yeux cyan du loup s'ancrèrent dans les siens et l'humain crut y voir une forme d'affirmation, comme si Derek avait entendu ses réflexions et qu'il les approuvait. Stiles, un peu plus léger, s'allongea contre son compagnon poilu – assis sur la pierre dure, il commençait à avoir mal aux fesses. Sa tête reposa sur le ventre de l'animal, qui rapprocha la sienne, de sorte à lui lécher la joue. Stiles sourit légèrement, peut-être qu'il rit aussi... Pas sûr. Mais il le laissa faire de façon consciente, se détendit davantage jusqu'à retrouver un niveau de calme suffisant pour... Respirer à nouveau, oublier momentanément ces images invisibles, ces sensations de l'enfer. En fait, il finit par se sentir si bien qu'il trouva la chose presque trop belle, comme si elle n'avait plus grand-chose de réel.
Et il avait raison.
Car en un instant, la silhouette noire de Derek s'évanouit tout autant que la grotte... Et Stiles perdit le peu de repères qu'il avait acquis, quittant le doux monde des rêves pour retrouver une autre réalité, un peu plus tangible...
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