Chapitre 79


Il pleuvait à verse et pourtant, Derek avait eu raison. Ils étaient bien. La maison aux allures de chalet était très bien aménagée, très agréable à vivre aussi. Le couple n'était pas arrivé depuis longtemps, deux heures tout au plus. Les affaires, défaites et parfaitement rangées, n'était plus une priorité tant Derek s'était occupé rapidement. Son crédo : se défaire de toutes ses obligations pour profiter le plus rapidement possible de son homme... Et se centrer sur le moment présent. N'avoir aucune autre préoccupation que le temps présent et tout ce qu'ils avaient à s'offrir. Pour avancer, il leur fallait retrouver un semblant d'équilibre... Fort difficile à atteindre par rapport à leur situation des plus complexes. Derek restait toutefois positif : il savait qu'ils pouvaient y arriver. Ils devaient juste s'accorder le droit à un semblant de tranquillité. Il leur faudrait emmagasiner suffisamment d'énergie pour tenter de vivre tout en récupérant Amelia. Elle devait sentir qu'elle était aimée. Et elle le saurait... Lorsque Stiles et Derek iraient un peu mieux. Tous deux se consolaient toutefois en se disant qu'elle était entre de bonnes mains et qu'une présence féminine ne pouvait lui faire que du bien. Melissa était, selon eux, le meilleur choix qui soit : on ne pourrait jamais trouver mieux que Mama McCall. Rien ne remplacerait toutefois éternellement leur présence – d'ailleurs, Stiles appelait Amelia presque tous les jours, et Derek prenait toujours le téléphone quelques minutes. Disons que ce que lui avait confié la fillette lui trottait régulièrement dans la tête... Et il espérait que cette petite séparation serait vite oubliée. En tout cas, il avait à cœur de tout arranger et il savait que Stiles, lorsqu'il irait un peu mieux, voudrait rattraper le temps perdu avec elle.

En attendant, l'hyperactif regardait la pluie s'abattre avec violence sur cette nature luxuriante. Debout, s'aidant de ses béquilles, il restait là, devant l'immense baie vitrée. Il n'était pas très fan des grandes ouvertures, mais... Il fallait avouer que la façon dont celles-ci laissaient entrer la lumière et la fenêtre qu'elles ouvraient littéralement sur l'extérieur étaient dingues. C'était... Beau, magnifique, splendide. Il avait d'ailleurs remarqué que la maison, si elle était particulièrement bien isolée, réduisait si bien le bruit de l'averse que celui-ci prenait la forme d'un murmure – il devenait non plus stressant, mais apaisant.

Comme quoi, Derek avait bel et bien eu raison. Le temps importait peu.

C'était bête, mais cette phrase tournait dans la tête de Stiles et... Il pouvait aisément dire qu'elle trouvait une certaine résonnance en lui. Il la trouvait très vraie et particulièrement importante... Sans pouvoir expliquer pourquoi. De toute façon, ce n'était pas quelque chose qu'il chercherait à faire. Le but de cette petite escapade plus ou moins improvisée était de se détendre et Stiles devait avouer que réfléchir, il l'avait suffisamment fait ces dernières semaines – un peu de repos ne lui ferait donc pas de mal.

Encore fallait-il y arriver.

Car le cadre, aussi beau et apaisant soit-il, n'avait pas à lui seul le pouvoir de guérir ses maux, de ralentir la course de son esprit contre la folie qui le guettait depuis quelques temps déjà. Alors Stiles voulait aller mieux, se détendre, moins penser... Mais il ne savait pas s'il pouvait y arriver. Le doute persistait en lui, ne cessait de lui rappeler la force de son existence. Quand en serait-il débarrassé ? La réponse, il l'obtint lorsque deux bras l'entourèrent et que deux mains chaudes se posèrent sur son ventre dans un geste de protection net. A ce moment précis, Stiles cessa de réfléchir... Et entendit davantage le murmure de la pluie. Il ferma les yeux, laissa l'arrière de sa tête se pencher en arrière, se poser sur l'épaule de son compagnon.

- Tu te sens mieux ? Entendit-il.

Stiles ne put s'empêcher d'esquisser un léger sourire. Derek était arrivé au bon moment... Et il avait, bien évidemment, senti que quelque chose n'allait pas. Devait-il préciser à quel point le fait qu'il sache quoi faire pour le détendre lui faisait du bien ? Jamais Stiles ne s'était senti aussi écouté qu'avec Derek et ce, dans tous les sens du terme. Etonnamment, le fait qu'il puisse sentir jusqu'à la moindre de ses émotions ne le dérangeait pas... Tout comme il appréciait le fait qu'il puisse entendre et contrer un éventuel mensonge. Certains pourraient assimiler cela à de la surveillance, mais Stiles n'était pas d'accord. Dans l'état actuel des choses, Derek ne faisait rien de plus que ce qu'il acceptait et l'hyperactif... Savait qu'il avait besoin que l'on fasse attention à lui. Alors qu'il l'écoute en plus de l'écouter... Il en avait besoin, au fond. Seul, qui sait ce qu'il serait capable de faire ? Puis de toute façon, il avait confiance en lui... Et chaque jour qui passait, il lui confiait sa vie, son âme, sa dignité – le peu qu'il lui restait. Derek était le seul être sur lequel il savait pouvoir compter sans avoir à se méfier. C'était tacite, instinctif. Quelque chose qu'il ne prenait pas pour acquis à proprement parler, mais qu'il sentait profondément vrai.

Il s'agissait de l'effet du lien... Qu'il ne sentait pas consciemment. C'était lui qui lui envoyait toutes ces ondes positives, lui qui lui montrait la pureté des tréfonds de l'esprit de Derek, de ses intentions à son égard. Alors Stiles savait d'instinct qu'avec lui, il pouvait se détendre.

- Oui, souffla-t-il.

Stiles ne se leurrait cependant pas le moins du monde. Derek avait ses mauvais côtés, des défauts qui lui étaient propres. Il n'était pas parfait au sens propre du terme et l'hyperactif ne le serait jamais non plus. Dans un sens, ils se complétaient, même si Stiles se jugeait toujours un peu trop sévèrement. Il était d'avis que leur couple fonctionnait pour le moment sur la base d'un déséquilibre capable, s'il s'accentuait, de détruire le peu qu'ils avaient, simplement parce que l'une des deux parties fonctionnait mal.

En d'autres termes, Stiles se voyait comme une tare dans cette association fragile et ne pouvait pas s'empêcher de se demander comment Derek arrivait à assumer leur quotidien pour deux.

L'instant d'après, il cessa de se torturer avec ça car Derek déposait sur ses cheveux un baiser d'une douceur presque irréelle. Concentre-toi sur le moment présent, souffla une voix légère à l'intérieur de son esprit. Il désira l'écouter si fort que ses pensées intrusives s'envolèrent.

- Tu aimes cet endroit ? Chuchota le loup près de son oreille.

Stiles rouvrit doucement les yeux et laissa ceux-ci caresser le décor pluvieux mais si vert, si calme...

- Dommage qu'on n'y passe pas beaucoup de temps, répondit-il après un instant.

Il n'avait pas réfléchi à proprement parler... Et en même temps si. Stiles n'avait pas voulu se contenter d'un simple « oui ». Il désirait s'exprimer davantage, en dire un peu plus que d'ordinaire. Pourtant, c'était difficile... Parce que ces derniers jours, il les avait passés à économiser ses mots de façon plus ou moins consciente. La peur de parler, de se ridiculiser, que ses mots trahissent ses ressentis les plus profonds. Stiles n'avait rien à cacher à Derek, mais il avait besoin de faire au mieux pour... Se rendre un peu moins pathétique.

Mais cet objectif commençait doucement à changer.

L'étreinte sur lui se raffermit subtilement.

- On reviendra, lui promit Derek.

Stiles esquissa un sourire si fin qu'il était à peine perceptible.

- Et lorsqu'on reviendra, je pourrai marcher, on pourra... Explorer la forêt, faire de la randonnée... On pourra faire tellement de choses.

Il essayait de se projeter, sincèrement, de s'imaginer ce moment où il serait libéré de cette prison que représentaient ses béquilles. Il guérissait, bien sûr et savait que cela prendrait du temps, mais cette blessure-là, celle qui lui laisserait une belle cicatrice à la cuisse, était particulièrement profonde.

Et Stiles se souvenait parfaitement de la douleur qu'il avait ressentie lorsqu'Emile... Avait planté puis remué ce couteau jusqu'à...

- On fera tout ce que tu veux, mon ange. Tout, et plus encore.

Les mots de Derek se pressaient les uns contre les autres – son débit avait légèrement changé, il s'était un peu accéléré. Stiles eut l'impression qu'il s'alarmait... Et n'eut pas de mal à comprendre pourquoi. Il se mordit la lèvre inférieure et fixa son regard sur la nature secouée par le temps. Même chahutée, elle restait sublime. Beaucoup rêvaient de sorties, de vacances à la plage : Stiles pouvait affirmer sans hésiter qu'il préférait les paysages de forêts et de montagnes. Cet environnement-là, en plus de sublimer sa vision du monde, avaient le don de le détendre en le ramenant à l'essentiel.

L'une des mains de Derek, sur son ventre, monta jusqu'à se poser sur son torse, au niveau de son cœur. Stiles trouva la précaution inutile au vu de ses sens lupins, mais touchante, alors il ne dit rien. Si Derek avait besoin de sentir physiquement que son cœur ralentissait... Il n'allait pas l'en empêcher. Ses angoisses personnelles... Il pouvait les comprendre pour les avoir vécues. L'un et l'autre avaient déjà failli se perdre mutuellement, dans des circonstances différentes. Autant dire qu'il n'irait pas lui reprocher le fait qu'il puisse s'inquiéter pour lui. Il était d'ailleurs étrange de se sentir si important pour quelqu'un... C'était aussi nouveau qu'agréable et Stiles comptait bien tout faire pour lui rendre cet amour qu'il lui portait... Au centuple et plus encore lorsqu'il en aurait l'occasion.

Et ce court séjour de deux jours devrait lui laisser un peu de marge.

Alors, il se décolla légèrement de Derek, se retourna doucement en faisant très attention à ne pas lui écraser les pieds avec ses béquilles – ce dont il était foutrement capable – et leva la tête pour le regarder dans les yeux. Cette action, aussi simple soit-elle, était un réel effort. Stiles avait l'habitude de ne jamais réellement affronter le regard de qui que ce soit, de fixer un point entre les deux yeux, une oreille... Tout ce qui lui permettait de s'éviter cette peine qui avait le don de le mettre mal à l'aise avec une aisance certaine.

Mais cette fois-ci, c'était différent, il avait envie de regarder Derek dans les yeux, de faire cet effort... Pour ne plus avoir honte d'avoir envie de le faire et se montrer à lui-même qu'il n'avait rien à craindre à tenter de nouvelles choses. Derek ne lui sauterait pas dessus, ne lui ferait pas payer ce que ses démons considéraient comme de l'audace, n'irait pas prendre ce regard comme une invitation.

Il le respectait.

Et ça, Stiles le savait, tout en l'oubliant parfois. Derek ne faisait rien pour cela – c'était l'humain qui perdait pied sans réussir à contrôler sa chute. Ainsi, chaque rappel de ce fait lui faisait tout drôle, parce qu'il n'en avait pas l'habitude pour le moment. Ce n'était pas encore quelque chose de normal. Dans la meute et ailleurs, on lui avait toujours apporté une forme de respect... Par rapport à sa personne, son travail, ses compétences... Mais ce que lui montrait Derek dépassait tout ce qui l'avait détruit. C'était sur des fondations on ne peut plus fragiles qu'il s'était construit, avec une notion très vague du consentement et du respect de son corps, de son être dans sa globalité.

Alors il combattit la peur qui le prit de planter ses yeux dans les siens et maintint le contact visuel de ses prunelles noisette dans les orbes bleu-vertes de son compagnon.

- Est-ce que je t'ai déjà dit à quel point tes yeux sont magnifiques ? Articula-t-il après quelques secondes d'un silence léger.

Le regard de Derek sembla se parer de minuscules étincelles dorées alors qu'un mince sourire commençait à parer ses lèvres. Cette question, à peu de choses près, ressemblait à cette petite phrase que Stiles avait prononcée... Elle avait précédé leur premier baiser, celui qui avait tout changé. La voix de l'humain était presque aussi douce que cette fois-là, mais toute aussi hésitante malgré tout.

Et la façon dont leurs visages se rapprochèrent fut si lente que Derek crut un instant qu'ils avaient remonté le temps.

- Est-ce que je t'ai déjà dit que je me sentais bien, avec toi ? Continua Stiles, peu sûr de lui.

Mais il continuait de le regarder dans les yeux – il essayait. Tu crois en moi ? Faillit-il lui demander.

La façon dont Derek passa ses bras autour de sa taille lui donna l'impression qu'une nuée de papillons se mettaient à faire la fête dans son ventre. Cette sensation, il l'avait elle aussi oubliée, ces derniers temps.

- Et moi, est-ce que je t'ai déjà dit à quel point tu es extraordinaire ? Souffla Derek sans rompre un seul instant le contact visuel.

Stiles sentit son cœur se réchauffer à un point inimaginable... Et émit un petit rire, gêné.

- Ne me mets pas sur un tel piédestal, où je pourrais finir par penser que je suis carrément incroyable, lui conseilla-t-il d'un air faussement sérieux...

... Qui montrait toutefois l'insécurité réelle qui l'habitait. Stiles pouvait accepter son amour, tous ses petits gestes d'affection, y compris le simple fait qu'il compte pour son compagnon... Mais pas un tel compliment. Extraordinaire, Derek l'était. Pas Stiles.

- Tu l'es, lâcha tout simplement Derek, ses yeux parlant pour lui.

Ils souriaient, faisaient état d'une joie discrète mais bel et bien présente. Il était comme ça, Derek. Souvent dans la retenue, sans que cela réduise pour autant la présence de ses sentiments et émotions – Stiles était bien placé pour le savoir.

Peu désireux de s'engager dans un débat des plus stériles dans lequel il essaierait vainement de convaincre un Derek plus que têtu de l'incongruité de ses paroles, Stiles se contenta d'un sourire quelque peu timide, qui colora ses joues d'un rose très doux. Cette fois-ci, il baissa les yeux... Cela faisait beaucoup d'un coup, il n'arrivait plus à soutenir le regard de son compagnon... Qui lui releva la tête en mettant un doigt sous son menton, rapprochant la sienne par la même occasion.

Sur un fond de clapotis doux contre la baie vitrée, Stiles se laissa aller et accompagna le mouvement aussi lent que léger. Un instant passa, et ses lèvres rencontrèrent leurs consœurs. L'échange qui s'en suivit fut d'une douceur nouvelle, pas complètement passive... Emplie d'un amour retenu, qui semblait ne pas s'être exprimé depuis un moment. Stiles laissa tomber ses béquilles au sol, s'appuya sur sa jambe valide... Pour se coller contre Derek, sentir correctement son corps qui, même habillé, irradiait de cette chaleur surnaturelle qu'il aimait tant. Il prit en coupe son visage, laissa ses doigts courir sur la courte barbe pour finir leur course dans les cheveux sombres. Contre ses lèvres, Derek sourit.

Je t'aime.

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