Chapitre 77
La main de Derek tenait celle de son homme, qui dormait profondément depuis quelques minutes déjà. Il la tenait et la serrait. Assez fort pour qu'elle ne glisse pas entre ses doigts, mais pas assez pour lui faire mal. Cette chose-là n'était pas du tout dans ses intentions, mais Derek devait bien avouer que la colère qu'il s'était mis à ressentir si soudainement avait bien failli l'emporter.
Ce n'était pourtant pas Stiles qui lui avait donné envie de déchaîner son ire si particulière. Pas directement, en tout cas. Derek s'en voulait. Il s'en voulait et se trouvait profondément stupide. Comment n'avait-il pas pu penser à cela ? Comment avait-il pu se dire que Stiles se gérait bien tout seul ?
Et en même temps, comment aurait-il pu imaginer que les choses en arriveraient là ?
Derek était naïvement parti du principe qu'en protégeant Stiles, celui-ci irait mieux. Il avait également cru que ce qu'ils avaient, cet amour qu'ils partageaient... L'aiderait à guérir. Et pourtant, il savait depuis le départ que rien de tout cela n'était ni ne serait jamais suffisant. Disons que leur lien faisait tenir Stiles.
Mais rien ne remplacerait des soins en tant que tels.
Un souffle tremblant s'échappa d'entre ses lèvres un peu sèches.
Bien sûr qu'il savait que la récente récurrence de ses crises était mauvais signe. Le pire des présages ? Leur violence, la façon dont elles détruisaient Stiles à chaque fois.
Alors au final, qu'il se bourre de médicaments n'était pas si surprenant. La boîte d'Adderall trônant sur la table de nuit était d'ailleurs très parlante et même si Derek ne pensait pas que cela puisse être très dangereux, il avait appelé Melissa pour lui demander des conseils et savoir s'il devrait se déplacer pour l'emmener à l'hôpital incessamment sous peu ou non. Par chance, ce n'était pas le cas, mais elle lui avait demandé d'une voix inquiète de l'empêcher de recommencer dans la mesure du possible. Une grosse prise d'Adderall une fois... Ce n'était pas grave. La récurrence, voilà ce qu'il fallait éviter.
Voilà ce que Derek empêcherait.
- Je suis désolé, murmura-t-il, la mâchoire serrée.
Le problème, c'est que le mal était fait et qu'il était peut-être le début de quelque chose d'un peu plus sombre. Derek devrait donc redoubler de vigilance à partir de maintenant... Ce qui était déjà difficile tant il se donnait déjà tout entier à cet humain pour lequel son amour ne cessait de grandir... Au même rythme que son désespoir. Le mal qui rongeait Stiles avait atteint un tel niveau que c'en était affolant.
Alors dans un sens, il fut heureux que son hyperactif ne soit pas près à revoir son père pour l'instant... Parce que de son côté, Derek n'était pas certain de pouvoir retenir l'immense fureur qu'il gardait en lui. C'était à cause de Noah que Stiles en était arrivé là, à cause de ce père qui s'était laissé aveugler par un ami. Un ami. C'était lui qui avait obligé Stiles à abandonner tout type de poursuite contre son agresseur, lui qui l'avait forcé au silence... En pensant que c'était là la seule chose à faire.
Mais un enfant ne parlait jamais pour rien. Pourquoi invisibilisait-on sans arrêt ces petits êtres ? Qu'est-ce qui faisait que l'on considérait leur parole comme sans importance ? Même à l'aube de ses dix-huit ans, Stiles ne serait peut-être pas davantage écouté par son père. Or, il fallait que la vérité éclate – l'hyperactif lui-même le souhaitait. Le problème, c'est qu'il n'en avait pas la force et que les récents évènements l'avaient fortement affaibli. Que dire de sa prise d'Adderall ? C'était là un niveau qu'il n'avait jusque là jamais atteint. Et Derek, qui caressait sa main avec une douceur paraissant incroyable tant la colère brûlait dans son regard bleu-vert... Devenu couleur de glace. Qu'il était difficile pour lui d'être si doux tout en s'efforçant de ne pas s'emporter. Si ça ne tenait qu'à lui, ce monstre d'Emile serait déjà mort et Noah... Peut-être amputé d'un bras. Ou d'une jambe. De quelque chose qui lui rendrait la vie impossible.
Mais Stiles... Stiles lui importait plus que tout au monde. Plus qu'une vengeance, plus que le sang que réclamait son loup intérieur depuis des semaines et qui ne cessait de croître en intensité. Or, cette énergie, Derek devait la consacrer au bien-être de son humain. Avec une lenteur certaine, l'alpha déposa un baiser des plus délicats sur le dos de sa main trop blanche. Ça aussi, c'était quelque chose qui lui déplaisait : Stiles avait toujours eu la peau claire, mais jamais sans couleur, jamais aussi longtemps. C'était comme si toute forme de vitalité avait quitté tout aussi bien son âme que son corps. Et ça, il le voyait depuis des jours... Sans que cela ne lui saute véritablement aux yeux. Comment ai-je pu être aussi con ? Comment n'avait-il pas pu voir tous ces signes ? Nouveau soupir. Il s'y prenait comme un manche. Depuis le départ. Il n'était pas là quand il le fallait, n'agissait pas quand il le fallait... Ne prenait pas les décisions quand il le fallait. Mais Derek n'avait pas l'habitude d'entretenir la moindre relation et... Avec Stiles, il était difficile de prévoir la moindre action tant sa situation le transformait de jour en jour. Alors Derek voulait faire toujours plus, toujours mieux. Il se faisait l'effet d'un jeune collégien découvrant l'amour, ainsi que, dans le même temps, toutes les horreurs de la vie. Comment pouvait-il être aussi gauche alors que la situation de Stiles requérait des épaules solides et une attitude irréprochable ? C'était aussi difficile parce que Derek l'aimait. Il l'aimait si fort qu'il se savait submergé par toute cette incertitude, tout ces démons que Stiles se traînait depuis des années.
Alors Derek n'eut plus envie de faire quoi que ce soit. Plus envie d'aménager le manoir, plus envie de cuisiner, plus envie de maintenir le ménage à jour. Il ne voulait plus rien, si ce n'est prendre son amour dans ses bras et ne plus le lâcher. C'est ainsi qu'il lâcha la main de Stiles, retira ses chaussures. Sans se dévêtir ni même enfiler un semblant de pyjama, il se glissa sous les draps et emprisonna son compagnon dans une étreinte désespérée. Ses yeux le piquèrent, il les ferma lorsqu'ils rougirent, enfermant ses larmes entre sa paupière et sa cornée.
Il ne voulait plus qu'elles coulent... Que pour des choses heureuses.
Si le sommeil vint le titiller à plusieurs reprises, Derek refusa de s'endormir. Il voulait être conscient, lorsque Stiles se réveillerait. Conscient et alerte, prêt à prendre soin de lui dès les premiers instants, lui donner tout l'amour du monde pour lui éviter de penser à s'échapper de la réalité. Bien sûr, ils discuteraient – Derek y tenait. La parole, c'était tout ce que Stiles avait pour contrer les effets de ce silence long de sept ans, rompu il y a quelques semaines à peine. Alors pour le loup-garou, chaque évènement, chaque pensée était un prétexte pour parler, discuter, échanger. Extérioriser ces choses qui le tuaient. Il s'agissait du seul moyen qu'il avait pour gagner du temps, le temps que cette histoire se calme et que Stiles puisse commencer une thérapie sainement. De toute façon, l'hyperactif l'avait dit lui-même : il ne tenterait rien tant qu'il n'était pas certain d'être complètement sorti d'affaire – la moindre rechute, la moindre agression le tuerait. Mais attendre rongeait Derek de l'intérieur. Assister à la déchéance de son compagnon, c'était mourir par avance – et c'était là une chose qu'il ne pouvait supporter.
Il avait constaté un autre problème qui rendait son aide quelque peu... Limitée sur de nombreux plans. Si elle l'aidait à maintenir Stiles dans cette vie des plus bancales, elle n'était pas aussi puissante qu'elle pourrait l'être dans le cas... Où les choses se seraient passées différemment. Leur relation, elle était récente – et avait ses bases posées sur des fondations fragiles. Plus précisément sur un malheur, le soir même où le masque de Stiles avait commencé à se briser suite au retour de son agresseur dans sa vie. C'était à partir de là que Derek avait commencé à s'intéresser à lui, à se dire que, peut-être... Il n'était pas aussi joyeux qu'il n'en avait l'air. Dans les jours qui avaient suivi, ils s'étaient rapprochés, jusqu'à ce que Derek prenne véritablement soin de lui, que cette proximité créent ce quelque chose qui les liait... Et voilà où ils en étaient.
En d'autres termes, leur couple se basait sur leur amour, certes... Mais également sur une nécessité d'être ensemble – une nécessité au sens propre du terme. Stiles avait eu besoin de rester avec Derek, auprès de qui il se sentait bien et arrivait à oublier son passé destructeur, quand le loup-garou ne voulait pas se séparer de lui par peur qu'il ne finisse par sombrer davantage. Néanmoins, Derek n'avait pas de doute quant au fait qu'ils s'aimaient tous deux véritablement et que ces sentiments étaient extrêmement puissants : simplement, leur relation n'en donnait pas complètement l'impression... Parce que Stiles peinait à survivre, à garder la tête au-dessus de l'eau. Il passait son temps à penser, à réfléchir, à ressasser... Alors à part les contacts amoureux qu'ils s'échangeaient, à part les mots doux, qu'avaient-ils d'un couple ? De quand datait la dernière fois qu'ils étaient restés ensemble pour seulement profiter de la présence de l'autre, sans peur, sans arrière-pensée ? Des moments comme ça, ils en avaient eu quelques-uns... Mais cela avait été court, si court... Et toujours avec la conscience que cela ne durerait pas.
Et ça, Derek y songea jusqu'au réveil de Stiles, quelques temps plus tard. Un réveil qui se fit lent, graduel... Si progressif qu'il eut en premier lieu du mal à le voir venir malgré ses sens de loup... Qu'il n'utilisa pas vraiment. Derek réfléchissait trop pour accorder de la ressource, une énergie superflue à des capacités dont il n'avait pas besoin à l'instant T – quoiqu'il fit une exception pour son odorat. Il avait besoin de savoir, malgré ce réveil vraisemblablement doux, comment se sentait Stiles, et déceler sa première émotion.
Elle était comme... Transparente. Un peu absente. L'on pourrait croire qu'il s'agissait d'un phénomène tout à fait normal dû au concept même d'émergence du sommeil : il y avait bien sûr de cela, mais... Derek avait suffisamment passé de nuit auprès de Stiles pour savoir qu'il n'avait reposé ni son corps, ni sa tête. Il y avait d'ailleurs fort à parier qu'il ait pensé, sans faire toutefois le moindre cauchemar. Sans attendre, l'ancien alpha l'aida à reprendre conscience avec son monde tout en douceur. Sa joue, il l'embrassa délicatement et son étreinte, il la fit un peu plus prononcée... Tout en lui parlant, à la limite du chuchotement.
Il voulait le faire se sentir bien, aimé, soutenu. Et même si le sujet de l'Adderall planait au-dessus de sa tête, Derek ne l'oubliait pas. Comment pourrait-il l'ignorer sciemment ? Se connaissant, il ne pourrait pas remettre cette discussion à plus tard... Sa patience n'allait que jusqu'au réveil complet de Stiles. Si Derek continuait de se reprocher sa négligence, il était d'avis qu'en parler avec son humain pourrait d'ores et déjà aider celui-ci, sincèrement. S'il était plus ouvert avec lui depuis un moment... Il gardait certaines habitudes nées de ce passé qui faisait partie intégrante de son présent à cause de la façon dont il avait été traité. Et Derek voyait déjà ce qu'il pouvait faire pour essayer de gagner du temps... Sur les quelques jours qu'il leur restait à passer seuls. Quoiqu'à bien y réfléchir, il devrait peut-être demander à Melissa de garder Amelia un ou deux jours de plus – après en avoir véritablement discuté avec Stiles, cette fois. Derek avait merdé la première fois et il ne ferait plus la même erreur – il en avait vu les effets. S'il pouvait limiter le nombre de crises de Stiles, et plus précisément éviter de lui faire le moindre mal supplémentaire, il le ferait.
Et le regard que Stiles posa sur lui fut doux, malgré l'incertitude de Derek quant à ce qu'il ressentait à l'heure actuelle. C'était un regard d'amour, un regard... Instinctif. L'humain savait à qui il avait à faire et n'angoissait pas le moins du monde – et ce, même s'il n'était pas encore complètement réveillé. Était-ce le lien qui parlait pour lui, l'aidait à trier par avance certaines informations pour lui ? Peut-être. De son côté, Derek n'était pas suffisamment familier avec cette histoire d'union lupine et, plus largement, d'amour... Pour la simple et bonne raison que ça restait tout nouveau pour lui. De même, il apprenait à ressentir ses émotions et celles de Stiles, parfois autrement que grâce à son odeur... A l'intérieur de lui-même. Le lien avait cette étrange capacité qui était de filtrer et de ne transmettre que le nécessaire – c'était en tout cas ce qu'il en déduisait doucement. Derek savait, grâce à sa défunte mère, qu'une union de ce type pouvait permettre bien des miracles et s'ouvrir davantage avec le temps – et la motivation adéquate. Il apprendrait à le maîtriser, de toute façon, ou plutôt... A vivre avec.
Et le lien choisit de lui transmettre une fébrilité des plus marquées tandis qu'il envoyait à Stiles une part de ce calme qui régissait actuellement l'esprit de Derek. Son regard miel retrouva quelques nuances tandis qu'il s'ancrait dans celui, bien plkus clair et translucide, du loup-garou.
- Comment tu te sens ?
Derek savait pertinemment que sa question pouvait paraître stupide, mais elle revêtait pour lui une importance capitale tant son sens... Pouvait être multiple, et d'une profondeur sans égale. Elle était également la plus utile qui soit car qu'importe la façon dont Stiles lui répondrait, Derek saurait exactement à quoi s'en tenir.
Or, Stiles choisit de ne pas lui répondre. A la place, il cligna des yeux, le regarda à nouveau... Et se blottit dans ses bras en nichant sa tête dans son cou. Se souvenait-il de ce qu'il avait fait avant de s'endormir ? En avait-il conscience, d'ailleurs ? Dans un effort de patience, Derek prit sur lui et garda le silence à son tour, histoire de ne pas le forcer. Si Stiles n'était pas d'humeur à parler maintenant... Il pouvait attendre un peu.
Mais lorsque le moment serait venu, il ne le lâcherait pas.
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