Chapitre 76


- Vous êtes sûr de ce que vous me dites ?

- Plus que sûr, je suis on ne peut plus formel. Tous ces rapports que vous m'avez amenés ont été trafiqués.

Le docteur Meyer n'appréciait pas que l'on puisse douter de son travail, mais il comprenait désormais avec clarté la raison de la venue du shérif. En plus d'être légitime, elle relevait de son professionnalisme : en cela, il avait bien fait d'accepter de se pencher sur ces rapports, comme le lui avait plus que suggéré Parrish.

- Vous souvenez-vous de ce que vous aviez mis et qui n'y figure plus ? Avez-vous constaté des éléments spécifiques ?

Noah se sentait un peu bête, mais il préférait demander, poser toutes les questions qu'il avait à poser. Il avait vraisemblablement manqué des choses sur cette affaire... Autant dire qu'il était désormais plus que déterminé à réparer ses erreurs et à la régler au plus vite. Le tueur était toujours dans la nature et le shérif avait peur qu'il soit d'ores et déjà en train de s'attaquer à sa prochaine victime.

Et puis dans l'ombre de tous ces jeunes assassinés, un visage. Pourquoi celui de Stiles refusait-il de quitter ses pensées, même lorsqu'il s'efforçait de ne dédier sa vie, aussi bien que sa tête, qu'à son travail ? La réponse, Noah ne la connaissait que trop bien : ne plus voir son fils le minait profondément... Au point qu'il se mettait à penser davantage à lui que les premiers jours, durant lesquels... Il l'avait sciemment mis de côté, trop en colère contre lui de le voir à nouveau parler de cette histoire qui les avait déchirés tous les deux. Si Noah considérait Emile comme une victime de l'imaginaire de son fils autrefois en mal d'attention, c'était bien entre Stiles et lui que les choses avaient été compliquées. Tout était graduellement rentré dans l'ordre après le retour de son ami dans sa ville d'origine... Mais Noah ne pouvait nier cette cassure qui perdurait malgré tout et qu'il continuait de sentir encore aujourd'hui – peut-être plus fort qu'autrefois. Rien ne s'était arrangé, rien n'avait été réparé : on avait juste recouvert la blessure d'un drap épais avant de la laisser de côté, dans l'espoir que le temps fasse son œuvre la plus connue.

- Shérif, nous avons la chance de vivre à une époque où l'informatique prédomine, où tout ce qui s'écrit se conserve au-delà du temps de vie du papier : vous pensez bien que tout dossier a son archive, sa sauvegarde...

Le docteur Meyer, ancrant à nouveau Noah dans la réalité grâce à ses paroles, avait prononcé celles-ci avec un léger sourire en coin. Il était le genre d'homme à aimer étaler son savoir, ses petites découvertes, rappeler à qui voulait bien l'entendre qu'en plus de faire du bon travail, il était mis à la page. Il n'était peut-être pas le plus dégourdi qui soit avec un ordinateur, mais il en sortait suffisamment pour ne pas être à la ramasse. Puis il en profitait pour faire un peu d'humour, se mettre à la hauteur de l'homme de loi dont les traits tirés montraient une tension certaine, couplée à une fatigue non négligeable. S'il connaissait peu le shérif Stilinski, il n'en avait entendu que du bien : ainsi, il s'autorisait à se montrer plus ouvert, aussi bien en termes de patience que d'humour. Noah Stilinski lui semblait tout droit sorti de plusieurs jours d'un travail plus qu'intensif.

Mais rien n'atteignit le shérif, dont l'expression resta figée.

- Puis-je y avoir accès ? Demanda-t-il, concentré sur son but à branches multiples.

- Sans aucun problème, répondit le médecin légiste.

Il se pencha alors sur son ordinateur et pianota quelques secondes sur son clavier, effectua quelques clics. Il leva à nouveau le regard dans sa direction et lui demanda s'il préférait qu'il lui imprime le fichier original ou tout simplement regarder l'écran. Noah choisit le papier – il était plus familier avec ces choses-là que le reste. Les ordinateurs, tout ça... C'était Stiles qui gérait.

Et tout et rien le lui rappelait, en ce moment.

Ainsi, Noah entreprit de lire attentivement chacun des rapports de médecine légale concernant son affaire une fois que le docteur Meyer lui eut tout imprimé.

Et le verdict fut sans appel.

Au bout de quelques petites minutes d'une lecture en diagonale néanmoins intensive, le shérif Stilinski releva un regard effaré en direction du médecin, qui eut l'air soudainement désabusé... Mais suffisamment à l'aise pour laisser échapper un conseil des plus clairs :

- Je ne sais pas qui sabote votre enquête en interne, mais je pense que vous feriez mieux d'éviter d'ébruiter le fait que, désormais, vous savez.

xxx

Stiles aimait Derek. Oui, beaucoup. Mais il y avait dans ses gestes et dans ses pensées un petit quelque chose qui, peu à peu, se transformait. La cause ? Ses pensées. Toujours sombres, morbides. Elles se faisaient de plus en plus nombreuses et ne cessaient de menacer l'équilibre précaire qui le maintenait plus ou moins sain d'esprit... Un équilibre grandement maintenu par Derek.

Mais Stiles lui-même commençait à se rendre compte que... Eh bien, ce n'était pas suffisant. Son compagnon aurait beau faire tout ce qu'il voulait pour l'aider à remonter la pente, il manquerait toujours quelque chose. Une fin à cette histoire sordide qui l'avait détruit dans le passé, l'achevait au présent. Le retour à une vie plus ou moins normale était-il encore envisageable ? Stiles se considérait incapable de répondre à cette question. Il savait juste qu'il avait mal et... Ressentait son effondrement mental de façon graduelle, mais on ne peut plus claire. Il avait toutefois eu l'impression d'avoir acquis une certaine stabilité durant quelque temps, mais voilà que celle-ci s'était envolée. Illusoire ou non, elle était désormais révolue. C'était comme s'il avait réussi à se maintenir à un certain niveau durant une temporalité précise... Et qu'il n'en avait désormais plus la force. Parfois, il se demandait comment il avait fait. La réponse, il la connaissait fort bien : il fallait survivre.

Maintenant qu'il se savait protégé, il lâchait complètement prise – et pas dans le bon sens du terme, comme si les barrières qu'il avait si longtemps gardé érigées s'effondraient, désormais inutiles.

Il y avait un autre aspect de cette vie morne qui commençait lentement mais sûrement à ennuyer Stiles au plus haut point : quelque chose qu'il percevait depuis quelques jours déjà. Mal en point ou non, il restait hyperactif. Ces derniers temps, on l'avait trouvé plus calme, plus posé, beaucoup moins bavard. Et surtout, il bougeait moins – ses gesticulations s'étaient presque mues en souvenir aux yeux des autres. C'était le moment où Stiles lui-même se pensait stable.

Or, peu à peu, son hyperactivité regagnait du terrain, prête à se manifester d'une autre manière – elle le faisait déjà. Stiles ressentait à nouveau le besoin de bouger, de s'activer comme avant, de faire mille et une chose, de ne jamais se laisser aller au néant... Ce qu'il ne faisait pas. Ainsi, c'était sa tête qui prenait : pleine de réflexions et remarques allant et venant en tout sens, elle l'empêchait de se reposer à proprement parler. La confusion régnait alors en maître et ralentissait chacun de ses gestes, chacune de ses réflexions, chacune de ses prises de décision. En somme, le nombre conduisait à la rapidité, à son effusion plus qu'anormale... Jusqu'à provoquer un ralentissement général de son fonctionnement psychique. Parce que Stiles se bridait, s'empêchait de réaliser ses propres besoins.

Et il sentait que son traitement contre l'hyperactivité n'était plus suffisant. Il lui en fallait plus. Bien plus. De quoi ralentir toutes ces pensées dans sa tête, de quoi contrôler... Celui qu'il était en train de devenir malgré lui.

Ainsi, au lieu de complètement profiter de sa tranquillité aux côtés de Derek, il songea de plus en plus à sa boîte d'Adderall, qu'il rangeait toujours au même endroit depuis qu'ils logeaient ici. Seul dans la chambre, il déposa le livre qu'il essayait désespérément d'avancer et ouvrit le tiroir qui l'intéressait. Sortit plusieurs cachets de la petite boîte de médicaments. Les enfourna dans sa bouche avant de les faire passer avec un peu d'eau. Garder une bouteille à côté de la lampe de chevet était une très bonne idée qui lui permettait ainsi d'agir en toute discrétion car Derek était occupé à faire un peu de nettoyage en bas. Stiles l'aurait bien aidé... S'il était complètement valide. En fait, faire quelque chose de concret lui aurait permis de se dépenser et, peut-être, de ne pas céder à cette idée quelque peu malsaine mais qu'il voyait comme salvatrice. Si tout allait trop vite, il fallait ralentir. Une légère surdose d'Adderall ne le tuerait pas, ne le transformerait pas non plus en légume... Stiles voyait plutôt ça comme une pédale de frein sur laquelle on l'aidait à appuyer.

Plus qu'un besoin, il s'agissait de plus en plus d'une nécessité, à ses yeux.

Pourtant, Stiles ne laissait pas complètement tomber ses récentes résolutions. En d'autres termes, il n'abandonnait pas vraiment le combat, pour la simple et bonne raison que d'autres vies que la sienne étaient en jeu. A côté de cela, il voulait plus que tout qu'Emile paie pour ce qu'il avait fait. Pour ces enfances volées, ces vies détruites. Or, tout lâcher, c'était mourir : Stiles désirait assister à sa chute, alors pour cela... Il se devait de vivre.

Comment citer sa résistance sans parler de Derek ? Evidemment que Stiles désirait tenir pour lui aussi. S'il voulait être là pour Amelia aussi, elle ne pâtirait pas de sa disparition sur le plan physique, ne risquait pas d'en devenir folle.

Derek, si.

Et leur lien, il le ressentait. Fort, très fort. C'était quelque chose d'inexplicable, une sensation parfaitement surnaturelle qu'il avait du mal à appréhender en tant qu'humain... Mais qu'il ne savait pas ignorer. C'était comme si Derek était là, sans vraiment l'être. Ne lui avait-il pas déjà dit qu'il sentait parfois sa détresse au travers de cette chose ? Stiles espéra alors qu'il contenait suffisamment ses émotions pour ne pas attirer son attention. Le voilà d'ailleurs qui se sentait un peu vaseux. Pour ce qui était de l'ordre de la réflexion, il commençait à en voir le ralentissement. Après plusieurs minutes d'une parfaite immobilité dans le lit, Stiles ferma les yeux. Les effets, voilà ceux qu'il désirait. Un moyen de se contrôler, de ne pas complètement se perdre. Sa psyché brisée avait le pouvoir de transformer chacun de ses actes en une explosion catastrophique. En cela, Stiles respectait sa promesse face à Derek : il ne tentait rien pour passer de l'autre côté, ne voulait d'ailleurs pas vraiment en arriver là. Néanmoins, lui-même n'était pas à l'abri d'un dérapage, d'une absence, d'un trop plein de réflexion suffisant pour lui faire prendre des décisions complètement disproportionnées. N'était-ce pas ce que sa première et unique tentative de suicide avait été ?

Stiles se cala correctement dans le lit. Il n'était pas tard et l'heure du repas approchait, mais il allait peut-être... Demander à Derek de faire sans lui, pour cette fois. Il ne voulait pas rouvrir les yeux, pas bouger non plus car enfin, il sentait la lourdeur de son traitement agir en profondeur par sa démesure. Le surdosage l'écrasait avec sa force bienheureuse. Au lieu de ralentir les effusions de son esprit, il le lui vidait de toute sa substance si bien que Stiles se retrouva à ne plus penser, ne plus rien désirer. Et quel bonheur ce fut. Peut-être que prendre son Adderall de cette façon avant de dormir réduirait le nombre de ses cauchemars et lui permettrait d'éviter certaines crises... Il n'y avait plus qu'à tester... Plus tard, lorsqu'il aurait retrouvé toute sa tête – et ses démons.

Mais l'Adderall n'était pas magique et si Stiles en ressentait le poids, celui-ci n'était que partiel. Son envie de s'abandonner au médicament et au néant était si forte qu'il se laissait berner par un semblant d'illusion. Oui, le surdosage fonctionnait : mais ce qui l'épuisait aussi vite et aussi fort n'était rien d'autre que lui-même. L'esprit sans défense n'aspirait à rien d'autre qu'à se reposer un peu... Faire une pause.

Stiles bénit l'existence du sommeil qui s'empara de lui à une vitesse prodigieuse. Il accepta son étreinte, son influence... Accepta qu'il le rende on ne peut plus vulnérable. N'en avait-il pas le droit ? Ainsi protégé à l'intérieur du manoir Hale, il ne courait aucun risque...

... N'est-ce pas ?

Il avait terriblement besoin d'y croire, alors il le crut... Mais savait pertinemment que l'angoisse sourde le poursuivrait dans son sommeil et finirait par l'en tirer si abruptement que les effets de l'Adderall se dissiperaient aussi vite qu'ils étaient apparus. Qu'importe, Stiles était prêt à tout pour se plonger dans les profondeurs de son être, isolé de tout, pour supporter ce calvaire que redevenait sa vie... Et prendre des risques de ce genre ne lui faisait pas peur.

Cette pensée-là s'évanouit aussi vite qu'elle était apparue : le lien d'union frémit.

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