Chapitre 73


Stiles respira profondément cet air si frais qu'il lui brûla le nez, les poumons. Ça lui allait, ce n'était pas quelque chose qui le dérangeait. La douleur, légère, était saine – naturelle. Tout comme celle des muscles de ses bras, qui redoublaient d'efforts pour lui faire conserver un semblant d'équilibre.

Il était vrai que marcher avec des béquilles en pleine forêt n'était pas chose aisée, mais il était motivé. Aussi motivé que pouvait l'être un jeune homme épuisé qui tentait tant bien que mal de garder la tête haute, de conserver ce qu'il lui restait de dignité.

Près de lui, un souffle chaud. Dans son dos, une main toute aussi chaude. Stiles tourna légèrement la tête, soupira.

- Tu n'as même pas un semblant de frisson, ça m'exaspère, râla-t-il.

Derek ne répondit rien, se contenta de sourire. Il était vrai qu'il pouvait être rageant de le savoir en t-shirt quand Stiles était obligé de porter un pull et une doudoune pour ne pas attraper froid. L'air de rien, le temps passait, on était aux portes de l'hiver... Et Stiles peinait à s'en rendre compte tant il sortait peu. Des choses, il en avait vécu un tas récemment, sans jamais se situer précisément dans le temps, comme si... Celui-ci ne lui appartenait plus, coulait entre ses doigts écartés les uns des autres. Il s'écoulait à une vitesse folle et Stiles ne le voyait même pas.

C'était pour se remonter le moral et se remuer qu'il avait négocié cette balade dans les bois avec Derek. Si celui-ci avait été fort difficile à convaincre, Stiles ne s'était pas démonté et avait su trouver les arguments pour le faire céder. Il était d'avis qu'ils avaient besoin de bouger, tous les deux – surtout lui – et qu'un bon bol d'air frais en dehors du manoir leur ferait du bien. Voir le soleil autrement qu'à travers une fenêtre, aussi. Stiles appréciait tout autant sa chaleur que celle que dégageait Derek. Il s'arrêta, ferma les yeux. Il avait les doigts fermement enroulés autour des poignées de ses béquilles et s'appuyait sur sa jambe valide pour garder l'équilibre.

Honnêtement, Stiles était au bord du gouffre et il en avait plus que conscience, alors la moindre petite sortie comme celle-ci pouvait faire du bien à son moral. Evidemment, il se savait pas complètement tranquille. Ce n'était pas la présence de Derek, toujours à ses côtés, qui le dérangeait. Ce avec quoi il avait le plus de mal, c'était les rondes qu'effectuait Peter non loin d'eux, parfois accompagné d'Isaac, avec qui la relation commençait doucement à s'effriter.

Stiles n'aimait pas savoir qu'on le maternait et en même temps... Il savait que cette mesure de protection discrète était véritablement nécessaire : le danger continuait d'exister malgré son désir de le voir disparaître une fois pour toutes. Plus que quiconque, il avait conscience du fait que les choses ne pouvaient pas être simples. Pas dans sa vie, en tout cas.

La main dans son dos remonta jusqu'à se poser sur son épaule.

- Tu veux qu'on rentre ?

Stiles se raccrocha à cette voix qu'il aimait tant. Elle était la seule à pouvoir le ramener dans ce présent qui lui échappait souvent. Il rouvrit les yeux.

- Non, souffla-t-il.

Il avait besoin de marcher encore un peu, de sentir les feuilles mortes se briser sous son pied, sous les tampons de ses béquilles, sentir l'air rafraîchir sa peau trop pâle qui peinait à reprendre des couleurs, tout en laissant le soleil la lui brûler. Stiles avait toujours aimé les paradoxes et celui-ci en était un beau. Froid, chaud. Des sensations aussi opposées que complémentaires. Physiquement, elles permettaient à Stiles de se sentir vivant.

D'oublier que le temps le dépossédait petit à petit de lui-même. Mais l'hyperactif s'accrochait : il n'avait pas dit son dernier mot.

- D'accord, entendit l'humain alors qu'il reprenait sa marche lente.

Son regard se perdait sur tout et n'importe quoi et Stiles imagina malgré lui la forêt, cette si belle forêt, recouverte d'un splendide manteau blanc. Quand la neige tomberait-elle ?

- Tu as réfléchi à ce dont je t'ai parlé ?

Les mots s'insinuèrent en Stiles avec une rapidité folle, comme toujours. Il eut d'ailleurs soudainement l'impression que la brise fraîche s'était insinuée dans sa doudoune. Un frisson le traversa, mais cela ne l'arrêta pas dans sa marche.

- Non, finit-il par répondre.

Pas la peine de faire semblant de ne pas comprendre de quoi il parlait – ce serait stupide. De toute manière, Stiles n'avait ni la force, ni l'envie de gaspiller son énergie à faire l'ignorant.

La dernière crise qu'il avait à son actif s'était avérée particulièrement violente – plus que les précédentes – et il savait que les choses risquaient de ne pas aller en s'arrangeant. Revenir à lui avait été un exercice des plus difficiles, tant et si bien que la voix de Derek, pourtant dotée d'une puissance folle, avait peiné à transpercer la bulle malsaine qui s'était créée dans son esprit. C'était dans cet espace que tout s'était mélangé : souvenirs et ressentis, passé, présent, futur. Rien n'avait eu de sens, si ce n'est celui de la douleur.

- Je n'ai pas besoin d'y réfléchir, avoua l'humain.

C'était un sujet qui le tendait inévitablement, mais inutile de nier l'évidence.

- Je sais que tu as raison, Der.

Oui, il allait falloir qu'il voie quelqu'un et ce, même si cette idée ne lui plaisait pas vraiment. Non, il ne pouvait pas continuer comme ça. Oui, il avait besoin de soins, de se rappeler comment ne pas s'oublier. Non, il ne voulait pas disparaître, laisser la victoire finale à celui qui avait fait de sa vie un enfer sans nom.

Stiles avait été dans un état déplorable lorsque sa crise était passée. Il s'était lové dans les bras de Derek, incapable de faire autre chose. De s'éloigner de lui, de faire comme s'il contrôlait la situation. Il avait été choqué, perdu, confus à un point tel que tout ce qu'il avait su à ce moment-là, c'était que Derek ne le lâcherait pas. Du reste, il avait oublié l'existence du manoir, des moyens qui étaient chaque jour mis en œuvre pour le protéger, tout... Tout ce qui n'avait pas trait à Derek – et ça, c'était dangereux. Il voulait bien reconnaître que l'ancien alpha était son phare, mais il savait qu'oublier le reste n'était pas bon du tout. C'était le signe qu'il perdait pied. Pourtant, son train de vie semblait doucement se calmer et ce, depuis qu'ils logeaient au manoir, que Derek allait mieux, que Stiles n'allait plus au lycée, ne se retrouvait jamais seul... On le surveillait de près et de loin pour s'assurer de sa sécurité. Et lui, il n'arrivait pas à appréhender correctement la suite, semblait-il... C'était comme si sa chute continuait malgré le soin qu'on apportait à sa protection.

- Mais je ne m'en sens pas capable. Pas pour l'instant.

Ces mots-là revêtaient plus d'un sens et Derek le sut d'instinct – c'est ce qui l'empêcha de réagir trop vivement. Il connaissait son hyperactif et celui-ci était loin d'être stupide : il n'irait certainement pas se mettre de bâtons dans les roues tout en se sachant mentalement au bord du vide, d'autant plus qu'il était au fait de son envie de s'en sortir. Stiles était un battant et il n'avait plus besoin de le prouver.

- Je ne veux me soigner que si tout se termine.

Derek eut deux ressentis différents à l'entente de cette phrase. Aussi simple soit-elle, elle mettait en valeur autant de positif que de négatif. Il appréciait le fait que Stiles ose mettre les mots sur sa situation, montrant ainsi qu'il la voyait avec lucidité, qu'il ne se laissait pas happer par le déni. En revanche, il laissait entendre quelque chose de... Particulier.

- De quoi tu as peur ? Lui demanda le loup sans jamais rompre le contact physique de sa main dans son dos.

Il savait que sa chaleur rassurait Stiles et qu'il la sentait même à travers une doudoune.

- Tu sais très bien de quoi j'ai peur, répondit l'hyperactif sans cesser d'avancer.

Il était fatigué, ses bras commençaient à avoir un peu de mal à force de forcer, mais il avançait malgré tout sans ralentir son rythme déjà modéré.

- Je veux te l'entendre dire.

- En avoir eu un aperçu ne te suffit pas ? Il te faut vraiment des mots ? Grimaça l'humain en lui jetant un coup d'œil en biais.

Derek hocha la tête. Jamais il ne cesserait de lui demander de s'exprimer : il l'y pousserait toujours, qu'importe le sujet. Pour lui, chaque aveu de Stiles était une petite victoire sur ce silence qui l'avait muselé durant sept ans. Un coup de marteau sur ses chaînes dont un certain nombre de maillons étaient déjà brisés. Malheureusement, il en restait encore... Une poignée était intacte.

Stiles ne chercha pas à se battre. Avec Derek, il n'en avait pas envie et... Il savait fort bien que son compagnon n'était pas une menace, bien au contraire.

Il était l'ange qui l'avait sauvé et qui maintenait sa tête hors de l'eau. Bien sûr, Stiles avait envie de s'en sortir depuis toujours, mais il restait lucide : si Derek n'était pas là pour lui depuis le départ, les choses seraient sans doute bien différentes aujourd'hui.

Alors non, Stiles ne résista pas et laissa les mots s'écouler de sa bouche sans chercher à les retenir outre mesure :

- Je n'ai pas envie de perdre davantage de temps.

Il faisait confiance à Derek, aveuglément et savait sa présence nécessaire à sa vie. S'il était au courant que leur relation n'était pas complètement équilibrée à l'heure actuelle, c'était toutefois un objectif vers lequel il tendait. Il avait conscience que, pour ce faire, emprunter la voie de la voix était indispensable à sa progression et, à terme, sa guérison. Cette chose-là avait mis du temps à rentrer, oui. Maintenant, il la comprenait tout autant qu'il l'acceptait.

Il savait que Derek le soutenait complètement et comprenait sa façon de faire. Elle l'embêtait, mais elle était nécessaire et il en avait conscience. De façon générale, il voyait beaucoup de choses, lorsqu'il n'était pas en crise.

- Je me dis que si je commence une... Thérapie...

Prononcer ce mot lui coûtait, réellement, parce que... Stiles s'était toujours imaginé qu'il pourrait faire sans. La réalité l'avait détrompé depuis un moment déjà.

- ... Si je la fais sérieusement, j'ai peur que... Quelque chose se passe à nouveau et qu'elle ne serve à rien. J'ai peur de ne plus vouloir essayer à cause d'une nouvelle attaque qui mènerait à son échec. Tu imagines, tout ce temps gâché et cette énergie perdue ? Je préfère mille fois passer du temps avec toi en espérant que ça se termine plutôt qu'essayer de remonter et de chuter encore.

Derek hocha la tête. S'il comprenait son point de vue, il ne le partageait pas dans son intégralité.

- Ce n'est qu'une question de temps, le rassura-t-il.

Une partie de la meute avait d'ores et déjà axé leurs recherches quant à ce monstre qui se rapprochait doucement de la fin de sa liste. Jordan avait communiqué quelques informations à Derek, que ce dernier gardait pour lui. Pas qu'il veuille cacher quoi que ce soit à son humain, mais la forme toute relative de celui-ci le poussait à mettre sa transparence de côté concernant certains sujets. Stiles n'avait véritablement pas besoin de préoccupations supplémentaires. Et quand Derek voyait à quel point il commençait doucement à enchaîner les crises... Il savait qu'il avait malheureusement raison d'agir ainsi. Il n'aimait pas cela non plus, mais... Il se remercia mentalement à deux nombreuses reprises pour avoir placé Amelia ailleurs ces quelques jours. En sécurité, bien sûr. En son absence, il était plus facile pour le loup-garou de se concentrer sur son compagnon en lente perdition et prendre le temps de l'écouter véritablement. Certes, sa façon de faire avait été mesquine et pas forcément bonne : le fait est qu'il pouvait agir plus aisément et, par extension, tenter de faire avancer les choses.

- Je n'en suis pas si sûr, objecta Stiles, le regard ailleurs. Il est... Monstrueux, mais pas stupide et... On ne peut pas compter sur mon père pour l'arrêter.

Stiles parlait au présent et non au futur : pour lui, Noah ne changerait jamais d'avis, ni de côté. Il préférait l'écarter de l'équation dès le départ, de sorte à ne pas envisager l'inenvisageable – à savoir un soutien de sa part qui ne viendrait jamais.

- Tu sais que la meute est là.

- Et tu sais très bien ce que je pense de leur implication, rétorqua l'humain.

Il l'appréciait tout autant qu'elle lui faisait peur et était d'avis qu'elle n'avait pas à prendre le moindre risque – au niveau judiciaire – pour lui. Néanmoins, il était sûr d'une chose : si Emile devait finir par payer, ce ne serait certainement pas devant un tribunal.

Il serait tant protégé que seule la meute pourrait faire quelque chose. De façon générale, rien n'arrêterait le policier, mis à part la mort.

Et Stiles commençait sérieusement à la lui souhaiter et ce, même si cela ne lui ressemblait pas. Cependant, il en était arrivé à un tel stade que beaucoup de choses avaient changé en lui – le peu d'innocence qu'il lui restait à ce niveau-là s'en était allé. Il n'y avait que la mort, pour les êtres inhumains comme Emile. Il ne faisait pas partie des hommes capables de se repentir ou même de le vouloir : la pourriture imprégnait l'entièreté de leur personnalité. Ces gens-là étaient nés pour faire le mal, pour détruire des vies.

- Il n'y a que de cette façon que les choses auront une fin, lâcha Derek.

Et il savait que les griffes qui trancheraient la gorge d'Emile ne seraient pas les siennes. Tant que l'homme n'aurait pas rendu l'âme, l'ancien alpha ne lâcherait pas Stiles d'une semelle, pas même pour accomplir la vengeance de sa vie et de celle des autres, tombés sous ses mains.

- Et cette fin ne va pas tarder, je te le promets.

Stiles s'autorisa un léger sourire qui trahissait à la fois un soulagement certain, mais également son opposé : une tension qui ne le quitterait pas tant qu'il n'aurait pas sous ses yeux la preuve que l'origine de son profond mal-être ne respirait plus. Et même si c'était lui qui finissait par trépasser, il aurait l'esprit tranquille de savoir que son secret n'en était plus un, que certains connaissaient la véritable nature de cette ordure.

Mais ça, il n'en fit pas part à Derek – celui-ci détestait lorsque Stiles s'imaginait une fin funeste. Il haïssait le fait qu'il puisse prévoir les choses en fonction d'une hypothétique victoire d'Emile sur lui alors que ni lui, Derek Hale, ni la meute ne le laisserait s'approcher. Stiles se savait protégé, mais il n'imaginait pas à quel point.

- Et pour ton père ? S'enquit Derek.

Puisqu'il connaissait un peu trop bien la façon de penser de son humain, le loup-garou préférait changer de sujet, histoire de le détendre un peu et de lui éviter de penser à sa propre fin – un sujet qui revenait parfois dans leurs conversations.

- Je... Vais bientôt lui répondre, souffla Stiles en évitant de peu une racine.

- Tu sais ce que tu veux ?

- Je pense. Je crois que j'ai besoin d'un peu de temps avant de... De potentiellement accepter de le voir. Je ne suis pas certain qu'accepter tout de suite, même s'il est d'accord pour que tu viennes, soit une bonne idée, et puis... Je ne suis pas sûr d'en avoir envie.

- Alors ne te force pas, fit Derek d'un ton si doux que Stiles l'entendait comme une caresse sur tout son être.

Il y avait une phrase que Stiles avait l'impression d'entendre à travers chaque mot que prononçait son compagnon. Une phrase toute simple qu'il connaissait déjà.

On va à ton rythme.

Elle englobait bien des aspects de sa vie, dont celui-ci, ce lien qui le rattachait toujours à ce père absent, coupable de négligences dont il n'avait pas conscience.

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