Chapitre 72


- Stiles, Stiles !

L'hyperactif, sourd à cette voix qu'il aimait tant, ne réagit pas. Il avait les yeux voilés par une colère instinctive, une peur enfantine. Quelque chose qui n'avait jamais véritablement disparu malgré toutes les tentatives de Stiles pour oublier ce qui l'avait tant détruit. Or, il n'avait fait qu'enterrer ces deux éléments qui, assemblés, faisaient un carnage. Stiles ne voyait, n'entendait, ne sentait plus rien. Sa crise si soudaine le rendait complètement hermétique à Derek qui, de son côté, se retrouvait submergé par cette terreur qui ne faisait qu'augmenter en intensité. Il se rendait compte petit à petit, en temps réel, d'à quel point les choses étaient doucement en train d'empirer et pour être honnête, il ne savait pas quoi faire.

- Stiles ! L'appela-t-il encore, les yeux presque exorbités.

Les mains serrant peut-être un peu fort ses épaules, le regard ne quittant pas le sien. Il vit Stiles secouer la tête et aperçut ses mains qui surgirent de nulle part pour se poser sur son torse et le repousser. Si le geste coupa le souffle de Derek tant il ne l'attendait pas, celui-ci ne se laissa pas démonter. La respiration rapide et irrégulière de Stiles paraissait trop forte pour ses oreilles, tout autant que ses battements de cœur désordonnés, mais qu'importe. Il fallait qu'il le fasse revenir à lui, reprendre conscience de la réalité. Derek se sentait devenir trop sensible à chaque signal d'alarme que lui renvoyait malgré lui son compagnon.

- Je... N'ai jamais voulu te faire de mal, articula-t-il rapidement. Jamais !

Dire qu'il culpabilisait était un euphémisme même si la raison pour laquelle il avait agi aussi vite était légitime. Simplement, il s'y était très mal pris, il fallait le reconnaître. Et même si à sa manière, il paniquait, Derek se jura de ne plus jamais s'y prendre de la sorte s'il venait à devoir prendre une nouvelle décision de ce type. S'il avait su que sa façon de faire mettrait Stiles dans un tel état, jamais il n'aurait agi ainsi. Or, la crise à laquelle il faisait face tirait son origine d'ailleurs. En réalité, elle était latente. Ce qu'il s'était passé... N'avait fait qu'accélérer son réveil. Stiles tenta à nouveau de le repousser, Derek continua de le tenir fermement. En fait, il le plaqua contre lui, entoura complètement son corps de ses bras. Il ne savait pas s'il s'agissait de la chose à faire, mais... Peut-être que le contact pourrait aider Stiles à retrouver le chemin du réel.

Les mots que baragouina Stiles ne le rassurèrent pas le moins du monde. Ils étaient... Sans liens, sans sens, sans aucune cohérence. Il les articulait à peine mais sa voix... Elle s'était faite un peu plus aigue que d'ordinaire. C'était comme s'il n'arrivait pas véritablement à s'exprimer malgré des essais répétés. A côté de cela, il tentait encore et toujours de le repousser et la douleur que ressentit Derek fut immense lorsqu'il le sentit se mettre à trembler. Il savait pertinemment que Stiles n'avait pas peur de lui de manière consciente. Le problème venait de l'intérieur, de ce moment de flou durant lequel il confondait tout. Pour être honnête, Derek n'avait aucune idée de la façon dont il pourrait régler le problème efficacement. La première fois que Stiles avait fait une crise de ce genre commençait à remonter et... Avec du recul, elle lui semblait bien moins violente et profonde que celle de ce jour. D'ailleurs, l'hyperactif s'était calmé rapidement. Cette fois-ci, les choses se corsaient car entre l'épisode de l'hôtel et aujourd'hui, il s'était passé nombre d'évènements qui avaient participé à sa fragilisation. En somme, Stiles avait moins d'armes pour se défendre contre ses démons intérieurs et naturellement, la marge de manœuvre de Derek s'en retrouvait drastiquement réduite.

- Je suis là, je serai toujours là...

Il caressait ses cheveux tout en continuant de le maintenir contre lui dans l'espoir que son odeur ou son toucher finisse par le ramener à la réalité, mais il n'était pas certain que cela puisse fonctionner d'autant plus qu'il avait l'impression de se répéter et que... Qu'aucun de ses mots ne pouvaient atteindre Stiles. Du moins pas dans l'état actuel des choses.

Et le problème, c'est qu'il risquait de perdre patience rapidement car le mal-être qui rongeait son compagnon était si fort... Que leur lien d'union s'en retrouvait impacté. Derek ne se rendait pas véritablement compte de ce fait : son esprit fatigué ne faisait que voir. Il ne devinait pas, ne réfléchissait pas, ne creusait pas. Mais il le sentait. Le fil immatériel qui les reliait solidement tremblait et envoyait des deux côtés des signaux d'alerte sans précédent. A Stiles, le lien transmettait la panique de Derek. A Derek, le lien transmettait la douleur de la négligence qu'il avait subie au travers d'une angoisse qu'il peinait à imaginer. Mais la ressentir était infernal, d'autant plus qu'il n'était pas en état d'en déduire la provenance. Pour lui, elle était juste là, à lui pourrir la vie, à tout faire pour l'empêche d'agir correctement. Dans un élan de confusion certain, Derek relâcha le jeune homme pour prendre son visage en coupe et son cœur s'arrêta de battre un instant.

S'il avait déjà vu Stiles pleurer, victime de cauchemars ou d'angoisses multiples, chacun nés de ses traumatismes, jamais il ne lui avait connu un tel air brisé. Était-ce parce que le blanc de ses yeux était rouge que ses prunelles lui paraissaient noires ? La teinte whisky qu'il lui connaissait si bien s'était évaporée. Derek n'arrivait même pas à déceler la moindre émotion dans ce regard paradoxalement des plus expressifs : il était trop sombre. Plus que jamais. Le mot noir continuait de lui apparaître comme une évidence. Il lui faisait l'effet d'un vide abyssal rempli de monstres dont il ne voulait même pas deviner la couleur. A côté de cela, sa peau plus pâle que d'ordinaire ne faisait rien de plus que renforcer cette impression que ses yeux étaient véritablement plus sombres. En d'autres termes, Stiles faisait peur. Oui, il faisait peur à Derek qui voyait peut-être pour la première fois l'étendue de la névrose qui lui pourrissait la vie. Il en avait déjà eu de nombreux aperçus : là, c'était comme si elle lui apparaissait en personne. Qu'elle s'exprimait en prenant l'apparence de Stiles tout en effaçant celui-ci. Au fond, Derek avait conscience du fait que son humain était toujours présent, là, quelque part. Replié sur lui-même dans un coin de sa psyché. En pleurs, comme son visage. Terrifié. Confus parce qu'il ne comprenait rien, qu'il confondait et mélangeait tout. Parce que la structure de son être s'était construite sur des fondations bancales.

- Stiles, regarde-moi !

Derek voulait rester calme, mais il n'y arrivait plus. Sa voix s'était cassée dans son exclamation dissonante, empreinte d'une émotion difficile à contrôler : les yeux de Stiles, qui reflétaient avec une inquiétante efficacité la vérité de son existence, le déboussolaient complètement.

- C'est moi, bordel ! C'est moi, c'est moi...

Il ne savait pas quoi dire, c'était... Comme s'il devait tout essayer pour le faire revenir mais que rien ne marcherait jamais. Parce que Stiles... Tantôt il secouait brutalement la tête, tantôt il finissait par ne plus réellement réagir et pleurer au rythme des borborygmes qu'il continuait de sortir de temps à autres. Les doigts de Derek se crispèrent sur les joues de l'humain.

- Putain, Stiles, reviens ! Tu es en sécurité, avec moi, ton compagnon et... Je te crois, je t'ai toujours cru ! Tu as... Tous les droits, Stiles et jamais je ne chercherai à te soumettre !

Derek, à l'image de Stiles, commençait à mélanger des choses et d'autres. Ses raisons à lui étaient complètement différentes : il ne savait juste... Pas comment faire pour retrouver son humain. Devait-il le rassurer ? Mais pour cela, il fallait que l'hyperactif l'entende et de ça, il n'était pas certain. Et s'il avait simplement à attendre ? Si tel était le cas, le loup pouvait le faire, simplement... Il ne supporterait pas longtemps de voir son compagnon dans un tel état. Assister à l'une des conséquences de sa déchéance, particulièrement violente pour celle-ci, était extrêmement difficile.

Mais Derek étant quelqu'un de tenace, il continua à lui parler malgré la douleur qui lui lacérait le cœur sans jamais le lâcher. Il avait tant... Oui, tant de choses à lui faire comprendre ! Alors il s'excusait pour sa bourde qui avait tout déclenché – selon lui. Il lui demanda pardon à de multiples reprises sans cesser de lâcher son visage et sa voix trahit de plus en plus explicitement sa torture intérieure... Puisqu'elle monta en volume. Malgré tous ses efforts, il perdait patience. Et il cria. Il cria à Stiles de revenir alors que ses yeux rougissaient peu à peu. Parce qu'il était là, complètement démuni face aux conséquences du silence que Stiles avait gardé durant des années. Alors oui, maintenant, il culpabilisait et... Cette culpabilité ressortait dans ses cris, dans sa voix éraillée qui exprimait tant de choses que Derek lui-même se sentait perdu. Mais il continua à s'en briser la voix parce qu'il ne savait pas comment faire autrement. Il... Avait besoin que Stiles reprenne ses esprits, qu'il le regarde à nouveau avec ses yeux à lui, couleur whisky. Ainsi, Derek ignora la façon dont sa propre vue se floutait peu à peu et s'acharna à tout faire pour... Retrouver Stiles. Sans doute ne s'y prenait-il pas de la bonne manière, mais qu'importe. Il faisait ce qu'il pouvait.

Le temps passa à une lenteur telle que Derek ne sut pas le mesurer, même si chaque seconde lui faisait l'effet d'une éternité.

Vint un moment où Stiles cessa de baragouiner des choses incompréhensibles, de se débattre, d'essayer de le repousser et Derek parvint à véritablement l'étreindre sans avoir l'impression qu'il lui opposait quelque résistance que ce soit. Tout ce qu'il put constater fut la façon qu'eut Stiles de poser son front sur son épaule dans un silence étouffant. Le mouvement, si lent, donnait l'impression que sa tête était lourde – trop, sans doute. Si son odeur restait aussi nauséabonde qu'au départ, elle piquait un peu moins. Mais Derek, dans son désespoir confus, ne cessait de lui parler. De s'excuser, de lui promettre qu'il n'agirait plus comme il l'avait fait. De lui jurer mille et une chose, dont une, qu'il considérait comme la plus importante : le protéger. Il entrecoupait ses promesses de « je t'aime » tremblants, de déclarations toutes aussi sincères que fébriles, teintées de cette peur qu'il avait de le perdre. Viscérale, profonde. Il ne connaissait pas la durée de sa crise, ne savait même pas si elle était terminée ou non... Mais il peinait à s'arrêter. Il devait combler ce silence, l'empêcher de régner en maître. La parole, c'était la marque de fabrique de son humain : puisque ce dernier se taisait, Derek prenait le relais. Il ne voulait pas laisser ce putain de silence gagner. Parce que ce mot, aussi simple soit-il, revêtait plusieurs sens et dimensions – toutes aussi difficiles à appréhender les unes que les autres. Et au milieu de tout ça, l'ancien alpha commençait sérieusement à se perdre.

Derek eut l'impression de s'effondrer lorsqu'il sentit les mains de Stiles s'accrocher à lui. Serrer son haut, pincer sa peau sans s'en rendre compte, respirer son odeur à pleins poumons. Parce que ce geste ne lui faisait pas simplement comprendre que l'humain était de retour : il le reconnaissait, lui. Il lui faisait confiance. Enfin, c'était ce que son instinct lui soufflait, et le loup-garou n'avait pas la force de s'assurer qu'il avait raison. Ainsi, il prenait l'information pour argent-comptant.

Derek laissa tomber malgré lui nombre de barrières et déposa un baiser maladroit dans les cheveux de son humain sans cesser de l'étreindre. Se rendait-il compte de l'état dans lequel il était ? Aussi soulagé qu'éreinté, il avait l'impression de ne plus avoir de voix. Il tremblait et refusait de ne serait-ce qu'imaginer lâcher Stiles et le laisser s'éloigner de lui. Pas pour l'instant : il ne s'en sentait pas capable. La peur, présente et passée, ne cessait de le ronger car cette crise, bien plus violente et parlante que les précédentes, ne faisait que confirmer ses réflexions les plus récentes. Derek avait besoin d'aide, dans le sens où... Il n'était pas un thérapeute. Ni un psychologue, ni un psychiatre. Il n'avait l'expérience que de son propre vécu, ses traumatismes à lui. Dans sa vie, il avait côtoyé la mort – souvent. La torture – physique. Les menaces, la terreur – propres à ce que pouvait ressentir un loup-garou chassé pour sa nature... Ou son nom.

On lui avait volé son adolescence, mais pas son enfance, le terreau de la vie. Ce n'était pas lui que l'on avait dépossédé de son propre corps, de ses rêves, de la possibilité de se construire de façon saine... Mais bien Stiles. Et même si Derek partageait sa douleur, il ne pourrait jamais assez la comprendre et le soigner, lui. Ce n'était pas à lui de faire ça et ce, même si c'était tout ce qu'il désirait. Lui arracher ce poids qui l'empêchait de vivre sa vie comme il l'entendait. Pourtant, à ses côtés, Stiles commençait déjà à aligner quelques réussites, pour la simple et bonne raison qu'il voulait lui-même s'en sortir : la concrétisation physique de leur union en était une, et pas des moindres.

Mais au final, les choses n'avançaient pas tant que cela – il semblait même à Derek qu'elles régressaient. La désillusion était immense : car même s'il avait déjà réfléchi à cela de façon claire et posée, en avoir la preuve aussi directe était on ne peut plus douloureux.

Alors oui, peut-être que Derek tremblait un peu, que ses yeux n'étaient pas rouges pour rien. Peut-être que son regard laissait transparaître une peur aux frontières de la folie. Un regard que Stiles n'avait pas la force d'affronter. Si l'hyperactif finit par se serrer véritablement contre lui, ce fut d'une façon si timide et si désespérée que Derek ne pipa plus un mot : il avait l'impression de ne plus en avoir en stock.

Il se tut.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top