Chapitre 68
Avec tout ce qu'il s'était passé récemment et l'absence d'activité du tueur en série dernièrement, Jordan Parrish avait eu la naïveté de penser que celui-ci avait décidé d'une pause. Parce qu'il avait essayé de kidnapper Stiles à plusieurs reprises et que chacune de ses tentatives avait été avortée. Il l'avait imaginé frustré et trop têtu pour rester sur un, puis deux échecs, oui... Trop frustré pour se remettre à la tâche de ses meurtres tant qu'il n'avait pas réussi à mettre la main sur Stiles – que Jordan savait en sécurité, cette fois.
Mais à en croire la scène de crime sur laquelle il se trouvait, il avait tort.
La victime était un homme, jeune. Pas beaucoup plus vieux que Stiles, ou les autres lycéens de la meute. Jordan nota presque par automatisme les cheveux châtains, les grains de beauté, le nez fin, la peau claire... Et cet air un peu mutin que la plupart des victimes du tueur en série partageaient. Son visage ne le surprenait pas : à vrai dire, il reconnaissait parfaitement l'individu présent sur la quatrième photo, selon l'ordre établi par Stiles lors de la réunion où celui-ci avait élucidé l'affaire sans effort. Si Jordan se sentait toujours coupable de l'avoir mis face à ses démons, le fait de connaître la clé de cette histoire qui n'avait fait que lui confirmer l'identité du tueur compensait un peu ce fait. Peut-être qu'il arriverait à l'arrêter avant qu'il n'arrive à sa prochaine victime. A vrai dire, si ça ne tenait qu'à lui, Emile Chabrier serait déjà non pas derrière les barreaux, mais six pieds sous terre.
Le problème, c'est qu'il ne pouvait parler de ce qu'il savait à personne, parce que cet enfoiré de policier avait un soutien solide, et pas des moindres, en la personne du shérif de la ville : Noah Stilinski. Le père de l'une des victimes de cette pourriture. Jordan savait que son supérieur n'était au courant de rien. Pire que ça... Il accordait une confiance démesurée à son collègue et meilleur ami de longue date.
Et ça, c'était foutrement emmerdant.
- Un gosse... Ce n'était qu'un gosse.
Jordan retint un soubresaut et se retourna vers son supérieur, qu'il n'avait pas entendu arriver tant il était perdu dans ses pensées.
- Effectivement, fut la seule chose que Parrish trouva à dire.
Chacune des victimes était jeune, et savoir que Stiles était la dernière sur la liste le tendait suffisamment pour retenir ses émotions quant aux autres pauvres élus. Pas qu'il ne soit pas triste pour eux, au contraire. Simplement, être au courant du fait que l'hyperactif, dont il était proche grâce à la meute, faisait partie de ce sombre jeu... Ça le poussait à mettre ses émotions de côté et à se concentrer sur la manière dont il pourrait mener les choses à bien sans se trahir, ni trahir Stiles. Car si Noah venait à soupçonner Emile à cause d'une maladresse de la part de Jordan, celui-ci était certain que le shérif irait mettre cela sur le dos de son fils. Et ce dernier avait tout, sauf besoin de ça. L'adjoint connaissait son état par l'intermédiaire de Derek, qui avait décidé de ne plus le lâcher d'une semelle. Autant dire qu'il n'était pas très reluisant.
Jordan vit Noah fixer la gorge tranchée du jeune homme. Spencer. Il le savait parce qu'il avait demandé à l'hyperactif de lui donner l'identité de ceux de la liste qu'il connaissait, il y a quelques temps. Il retint un soupir. Cette affaire était morbide et d'autant plus morbide qu'il ne pouvait pas dire ce qu'il savait, ce qui rendait la chose extrêmement frustrante. Pour être honnête, Jordan se demandait bien comment il pourrait arriver à faire en sorte de régler ça sans que Stiles n'en prenne pour son grade.
- Il a l'air d'avoir l'âge de mon fils.
Jordan jeta un regard curieux à Noah, qui semblait sincèrement peiné par ce qu'il voyait. Un membre de la scientifique s'approcha d'eux et leur demanda de s'éloigner. Ni le shérif ni son adjoint n'opposèrent la moindre résistance. Et Jordan se retint à nouveau de parler, de lui dire que oui, Spencer avait plus ou moins l'âge de Stiles. Parce qu'il n'était pas censé connaître l'identité de ce jeune homme et qu'il devait garder ça secret.
- Le tueur a l'air d'avoir ciblé ses victimes. Leur jeunesse peut être une hypothèse à creuser.
Car si Jordan ne pouvait rien dire de ce qu'il savait, rien ne l'empêchait d'aiguiller son supérieur qui, si tout allait bien dans sa vie, aurait pu en venir à cette conclusion tout seul.
Mais Stiles avait déserté la maison depuis un moment déjà, et ça le désolait. Ça le peinait. Ça l'énervait.
Parce que Noah ne comprenait pas. Et Jordan le savait, car le shérif lui en glissait un mot de temps en temps. Le plus triste dans cette histoire, c'est qu'il en souffrait... Tout en refusant de considérer les choses sous un autre angle. Il continuait de penser que Stiles vouait une haine certaine à Emile, presque viscérale. Pour être honnête, Jordan aurait préféré qu'il s'agisse effectivement de cela. Le pire, c'est que Stiles ne le haïssait pas. Il le détestait, mais ne ressentait aucune haine à son égard. A vrai dire, il n'avait pas le temps d'entretenir un tel sentiment, que la peur, bien plus rapide à installer, remplaçait. La vérité, c'était qu'Emile, de par ce qu'il lui avait fait, le terrifiait. Et ça n'allait pas plus loin que cela – c'était déjà amplement suffisant.
- On creusera, fit Noah d'un air absent.
Jordan s'efforça de ne pas laisser son trouble et ses ressentis se voir sur son visage. Toute cette histoire, à force, le rongeait. Si l'on ajoutait à cela que le chien de l'enfer travaillait en général beaucoup avec cette pourriture de Chabrier depuis l'arrivée de ce dernier... Il y avait de quoi passer de bien mauvaises nuits. Et c'était le cas de Jordan qui, chaque jour, se demandait s'il faisait les choses comme il le fallait. Pour l'instant, il restait discret pour Stiles... Sans être certain que ce soit la bonne méthode. Parce qu'en attendant, des jeunes mourraient. Des jeunes comme Stiles.
Il fallait vraiment que Jordan accélère les choses.
Prenant son courage à deux mains, Parrish essaya quelque chose.
- Shérif, je pense que vous devriez essayer de demander à la scientifique d'examiner son corps... En profondeur.
Emile avait beau brouiller discrètement l'enquête de son côté et caché certains éléments à Noah, il n'était pas là en ce jour. Jordan devait absolument se saisir de cette opportunité. Il fallait absolument qu'il commence à orienter son supérieur dans la direction qu'était censée prendre l'enquête depuis le départ. Noah tourna la tête vers lui et ancra son regard fatigué dans le sien. Jordan s'efforça de ne rien laisser paraître... Tandis que dans sa tête, les mots que contenait le dossier de Stiles continuaient de le hanter. Et quand il voyait cet homme face à lui, ce père qui ignorait tout de ce qui avait été fait à son enfant... C'était réellement difficile. Le jour où Noah saurait la vérité... Serait destructeur.
- A quoi pensez-vous, Parrish ? S'enquit le shérif.
L'avantage qu'avait Jordan, c'était justement l'ignorance de son supérieur. Il ne le savait pas au courant de l'affaire de Stiles... Alors il prendrait chacune de ses propositions au sérieux.
- A une agression sexuelle, monsieur, répondit-il sobrement. Ante mortem.
Jordan ne précisa pas quel type, ni quel degré d'agression. S'il voulait essayer d'attirer l'attention de Noah là-dessus, il devait y aller doucement et se faire discret. Une trop grande insistance, surtout si soudaine, ne lui rendrait pas justice. Au contraire.
- Et qu'est-ce qui vous fait imaginer ça ?
Jordan ne se permit pas le moindre relâchement dans son attitude. Si son supérieur n'avait pas l'air de réfuter son idée, cela pouvait arriver à tout moment. Il fit un geste vague de la main en direction de la victime.
- Ses vêtements. On a l'air de les lui avoir fait enfiler après coup. La manière dont ils sont mis est... Perturbante.
Il fallait qu'il le mène sur la piste d'un tueur qui violait. Et cette remarque, aussi légère soit-elle, restait véridique : c'était quelque chose qui lui sautait aux yeux, plus que lors des meurtres précédents, comme si celui-ci avait été fait à la va-vite. Avec un empressement et une frustration notables. Jordan en devinait aisément la raison.
- On devrait peut-être en faire la demande concernant les autres victimes également. S'il s'agit d'un tueur en série, il utilise forcément la même méthode pour tous ses crimes.
Noah observa longuement la victime sans rien dire, avant de finalement hocher la tête d'un air morne. Il était là... Sans vraiment l'être.
- Je ferai la demande à la scientifique.
Et Jordan savait qu'il ne confierait pas cette tâche à autrui – lorsque Noah disait qu'il ferait quelque chose, il respecta sa parole.
Un quart d'heure plus tard, le duo quittait la scène de crime. Dans la voiture, un silence lourd régnait.
- Parrish ?
L'adjoint, au volant de leur voiture de fonction, lui fit un signe de tête pour lui indiquer qu'il l'écoutait.
- Puisque vous faites partie de la meute de mon fils... Vous avez dû le voir récemment.
Parrish fronça légèrement les sourcils, mais lui répondit tout de même par la positive : ce n'était pas un secret, même si la dernière fois commençait doucement à remonter. Néanmoins, il fut pris d'une légère bouffée d'appréhension, aisée à contrôler. Si le shérif lui parlait régulièrement de Stiles, jamais il ne lui posait la moindre question. Et il en sentait une arriver, sans toutefois pouvoir la deviner précisément.
- Comment va-t-il ?
Jordan sentit une certaine tension le gagner. Et alors qu'il avait une réponse toute prête, Noah le devança :
- Je veux que vous soyiez honnête. Je ne veux pas d'un mensonge fait pour me rassurer ou pour noyer le poisson. J'ai besoin de savoir.
L'adjoint savait que son supérieur n'avait vu son fils que lorsque celui-ci avait été hospitalisé à cause de sa tentative de suicide. Et encore, voir était un grand mot – Derek l'en avait empêché. Jordan savait également que Noah souffrait de l'absence de son fils à la maison. Il ne la comprenait pas, mais il en souffrait véritablement. Ainsi, il sut qu'il ne pouvait pas mentir, ni même essayer. Aussi ignorant et négligeant soit-il, Noah méritait de connaître la vérité... Toutefois pas dans son entièreté.
- Stiles essaie d'aller mieux.
Ainsi, il ne se mouillait pas trop et n'avait pas à détailler son état – y repenser lui donnait la boule au ventre. Stiles était tombé si bas qu'il serait difficile de décrire où il en était. De fait, sa réponse lui paraissait la meilleure, car l'hyperactif tentait réellement de s'en sortir, de reprendre le contrôle de sa vie. Il essayait de tout son cœur... Et Derek était là pour l'y aider. Techniquement, la quasi-entièreté de la meute de soutenait en dépit du peu de gens au courant de son passé. Mais Derek restait celui qui lui maintenait la tête hors de l'eau.
Jordan entendit Noah soupirer, mais ne tourna pas la tête vers lui. Il sentait ses propres émotions partir un peu en vrille et préférait garder son regard fixé sur la route, de peur de perdre son sang-froid et que sa comédie s'effondre sous les yeux du shérif.
- Je lui ai envoyé un message, entendit Jordan. Je lui ai dit que je voulais le voir... Qu'il me manquait. J'ai besoin de l'avoir à nouveau à la maison... Je ne supporte plus cette situation.
Les mots semblaient sortir difficilement, comme si Noah peinait à parler. Pour quelqu'un qui avait l'habitude de tout garder pour lui, il s'agissait réellement d'un effort – ce que Jordan comprenait. Noah était profondément triste et préoccupé : dans l'habitacle de cette voiture, il ne cherchait même plus à le cacher.
- Il vous a répondu ? Osa demander Jordan.
Il aperçut le poste et son parking... La fin du trajet qui signifiait également la fin de la discussion.
- Non, fit Noah, complètement abattu.
- Comment lui avez-vous dit les choses ? S'enquit toutefois l'adjoint.
Disons qu'il commençait à connaître Stiles... Et que celui-ci choisissait d'ignorer les messages d'autrui uniquement s'il avait une bonne raison. D'un autre côté, Jordan était habitué à Noah et savait qu'il était parfois un peu trop... Franc, qu'il avait également tendance à demander les choses sans prendre en considération le point de vue de son interlocuteur – déformation professionnelle ou maladresse personnelle, on n'irait pas débattre sur le sujet.
- Garez-vous, je vais vous faire lire ce que je lui ai écrit.
Si Jordan fut surpris, il n'en montra rien. L'état mental de son supérieur devait être véritablement désastreux pour qu'il lui donne un tel accès à cet aspect si privé de sa vie... D'ordinaire, c'était à peine s'il donnait des nouvelles de son fils à ceux qui le demandaient. Il avait toujours cette idée qu'il ne fallait pas mélanger perso et boulot – parfois, il poussait d'ailleurs le concept un peu loin. En ce jour, il avait cependant totalement changé d'attitude. Et lorsque Jordan se gara, Noah lui tendit son téléphone portable, allumé sur sa conversation avec Stiles – plus précisément sur le pavé qu'il lui avait écrit.
Rapidement, Jordan repéra le problème.
- Vous lui avez dit de venir seul, sans Derek, releva-t-il.
Noah le regarda sans comprendre.
- Je ne vois pas pourquoi Hale ferait partie de l'équation, d'autant plus qu'il m'a empêché de le voir à l'hôpital.
A la lueur que Jordan décela dans ses yeux, il lui en voulait. Et même si dans un sens, il le comprenait, il ne pouvait s'empêcher de se mettre du côté de Derek, dont le besoin de protéger Stiles avait primé sur tout le reste. Il était toutefois clair qu'il ne s'y était pas bien pris et de ce côté-là, Jordan rejoignait le shérif. Cependant, il ne pouvait ignorer ce qui relevait de l'état de fait :
- Si vous dites à Stiles de venir seul, il ne vous répondra pas. En revanche, dites-lui que vous acceptez la présence de Derek pendant votre entrevue et vous aurez plus de chances de pouvoir lui parler.
Et même si la contestation se peignait déjà sur le visage du shérif, Jordan enchaîna :
- Je sais ce que Derek vous a fait, mais je l'ai vu aussi durant les réunions de meute. Il est aussi inquiet que vous pour Stiles et fait tout ce qu'il peut pour l'aider. De son côté, Stiles a besoin de lui, plus que vous ne l'imaginez.
Courte pause. Jordan allait lâcher une bombe et il en était conscient, mais il sentait que c'était ce qu'il fallait faire, autrement... La relation entre Noah et Stiles continuerait de se dégrader en silence, le premier braquant le second, le second s'isolant davantage du premier. Comme pour l'enquête, les choses devaient bouger, avancer. Alors, Jordan n'hésita plus :
- Si vous voulez que votre fils accepte de vous voir prochainement, vous devez accepter la présence de son compagnon à ses côtés.
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