Chapitre 29


Scott avait décidé de rentrer à pied. De toute manière, c'était de cette manière qu'il était venu. Il avait tant appréhendé cette réunion qu'il aurait été incapable de se concentrer sur la route s'il était arrivé en moto.

La mâchoire serrée et les mains dans les poches de sa veste, il avançait en regardant droit devant lui. Il n'allait pas bien, mais contenait ses émotions. En fait, il n'allait réellement pas bien depuis qu'il avait quasiment agressé Stiles. Cet épisode le hantait et la discussion qu'il avait eue quelques jours plus tôt avec Lydia, Jackson et les autres quelques jours plus tôt l'avait fait réfléchir. Il avait ainsi pris conscience comme il le fallait de la portée stupide de son comportement violent. Le pire était qu'il n'avait pas voulu faire peur à Stiles, comme il n'avait eu aucune envie de lui faire du mal. S'en prendre à son meilleur ami de toujours était la dernière chose qu'il voulait. Mais ce qu'il avait appris de Parrish lors de la soirée meute l'avait littéralement bouleversé et rendu aveugle. C'était ainsi qu'il avait mal interprété les choses, comme l'odeur de Derek sur Stiles. Il n'était pas très à l'aise concernant leur rapprochement, néanmoins, il comprenait. C'était Isaac qui l'avait mis sur la voie et au début, il n'y croyait pas, ne voyait pas comment cela pouvait être possible. Derek et Stiles étaient si différents ! Deux hommes. Un grincheux impatient et un hyperactif agaçant. Le calme et la tempête. Leur complémentarité était d'autant plus étonnante lorsqu'on connaissait leur passé commun particulièrement tumultueux. Combien de fois Stiles s'était plaint de Derek ? Combien de fois celui-ci l'avait-il gentiment frappé, plaqué contre des murs qui n'avaient rien demandé ? Combien de fois s'étaient-ils engueulés parce qu'ils n'avaient pas les mêmes convictions, pas la même vision des choses ?

Stiles avait trouvé en Derek son pendant calme, celui qui était capable de le canaliser, de le calmer. Si c'était à lui qu'il préférait se confier, ce n'était pas grave, Scott comprenait. De toute manière, ce n'était pas comme si Stiles considérait toujours Scott comme son meilleur ami. Après ce qu'il lui avait fait par mégarde, il le comprenait. Il savait, maintenant. Il avait pris conscience de son erreur monumentale de jugement. Bien sûr que Derek n'aurait pas fait de mal à Stiles, surtout en ayant pris connaissance de son passé quelques temps plus tôt. L'ancien alpha était celui qui l'avait aidé à se contrôler lorsque Peter l'avait mordu, l'avait aidé à chaque fois qu'il en avait eu besoin : c'était quelqu'un de bien qui agissait juste parfois de manière un peu trop bourrue. Mais ça, ce n'était pas de sa faute, la perte de sa famille à cause de Kate l'avait rendu plus dur et encore, il se déridait avec le temps. En somme, Derek protégeait Stiles, sans doute mieux que quiconque actuellement. Très honnêtement, Scott restait tout de même surpris : il savait que Stiles était bi, mais pas que Derek puisse apprécier les hommes. Il ne savait pas non plus que Stiles était son genre et n'avait même pas remarqué la construction de leur relation, c'est dire à quel point il était aveugle. S'il l'avait mal interprétée de prime abord, l'odeur de Stiles était désormais très claire : il était avec Derek. Ils n'avaient peut-être pas directement mis les mots dessus, ne l'avaient pas clairement dit à la meute, mais cette odeur qu'ils partageaient étaient unique.

Scott soupira. Bien sûr qu'il était heureux pour son ami, néanmoins... Avant de pouvoir le féliciter et lui souhaiter tout le bonheur qu'il méritait, il allait falloir qu'il arrange les choses entre eux et ça ne serait pas simple. Pour cela, Stiles devrait être d'accord pour lui parler, puis pour accepter de repartir sur de bonnes bases et ça, ce n'était pas gagné.

Scott allait désormais devoir être patient : il était peut-être long à la détente, mais pas bête pour autant. Malgré l'air indifférent et détaché qu'il avait affiché, Stiles n'allait clairement pas bien et c'était compréhensible. Il allait avoir besoin de se remettre et Scott attendrait le temps qu'il faudrait. Leur discussion n'était pas urgente et la priorité, c'était le bien-être de l'hyperactif. Scott aurait bien sûr adoré l'aider, le soutenir, mais il n'en avait pas le droit, il ne pouvait pas faire ça tant qu'il n'aurait pas arrangé les choses entre eux, Stiles ne comprendrait pas.

xxx

Les doigts de Derek frôlaient la joue encore humide de Stiles, y effectuant des caresses si délicates qu'il n'était même pas sûr que Stiles les sentait. De son regard unique, le loup couvait son humain endormi du regard. Stiles était épuisé mentalement, c'était indéniable. Alors quand il s'était endormi dans ses bras après avoir sangloté durant de longues minutes, en plein milieu de la salle de bain, Derek n'avait rien dit, ne s'était pas posé de questions. Il s'était levé et avait porté son précieux fardeau dans ses bras jusqu'à sa chambre, leur chambre. Il lui avait retiré ses chaussures, son pantalon, sa veste et son t-shirt et Derek s'était dévêtu de la même façon, avant de rabattre la couette sur eux et de le prendre dans ses bras, en cuillère. Pour lui, la peau contre peau, c'était quelque chose de rassurant, d'agréable qui ne pouvait que faire du bien à Stiles. Ce n'était peut-être pas la nuit et peut-être qu'effectivement, une partie de la meute était toujours là, à l'étage d'en-dessous, mais Derek s'en fichait. Seul Stiles comptait actuellement. Avec une tendresse folle, il déposa un léger baiser sur son épaule nue constellée de grains de beauté, qu'il voyait fort bien grâce à la lumière de la petite lampe sur la table de nuit. Il nicha alors doucement son nez dans le cou gracile de l'hyperactif et ses sens lupins captèrent naturellement la pulsation calme de son cœur. Il soupira de soulagement. Ce qu'il aimait entendre ce son régulier. Ça le rassurait, l'ancrait dans cette réalité qui était la leur. Cette réalité dans laquelle il était toujours vivant. L'étreinte protectrice de ses bras autour du corps fin de Stiles se resserra légèrement.

Il le protègerait. Jamais cet enfoiré ne le tuerait et s'il fallait que Derek se sacrifie pour cela, il le ferait sans hésiter.

L'hyperactif se recula, se lova un peu plus contre lui, comme si c'était possible. Ils étaient actuellement collés à un point tel qu'il était difficile de faire mieux. Il papillonna doucement des yeux, émergeant tranquillement d'un sommeil lourd et vide de rêves. Ses yeux de miel regardèrent tout autour de lui et il reconnut aisément la chambre de Derek avec ses rideaux fermés. L'atmosphère était tamisée, intimiste et l'on pouvait remercier la lampe de chevet pour cela.

Sentir la peau de Derek contre lui était une sensation délicieuse et il soupira de bien-être, posant sa main sur l'un des avant-bras de son loup. Il la serra doucement. C'était sa manière à lui de le remercier silencieusement de sa présence.

Dire qu'il ne se souvenait pas de ce qu'il s'était passé avant serait mentir. Il se rappelait de tout, sauf de la manière dont il avait atterri dans cette chambre mais ça, ce n'était qu'un détail parmi d'autres. Ses souvenirs tous récents étaient douloureux, peut-être trop. Sans doute était-ce pour cela que, malgré sa petite sieste, il se sentait épuisé, littéralement. Leur portée émotionnelle était trop forte pour le laisser s'en sortir sans conséquence. C'était un sommeil pesant qui s'était imposé à lui, parce qu'il était éreinté mentalement. Sans rêve, sans cauchemar, vide de tout, lourd de sens. Doucement, Stiles se tourna dans les bras de Derek de manière à se retrouver face à lui. Son loup le regardait de manière étrange. De la tendresse mêlée à une tristesse immense modifiait son regard, le rendait plus terne. Terminées les étincelles de malice, la joie discrète. Ne restait que ce regard vert d'eau fade à cause des émotions négatives qui habitait son propriétaire.

- Je vais bien, ne put-il s'empêcher de dire par réflexe.

Sa voix était rauque, un peu enrouée et il sut au regard de Derek, que son cœur avait raté un battement. Mentir n'était peut-être pas la chose à faire, certes, mais il avait voulu le rassurer, retrouver ces étincelles qui éclairaient toujours ce regard si particulier. Il ne voulait pas que le loup souffre à cause de lui. Et pourtant, c'était le cas.

- Avec moi, tu n'as pas besoin de mentir, rétorqua bassement Derek.

Stiles frissonna en sentant les doigts usés de son loup passer sur sa joue avec une délicatesse extrême. On aurait dit qu'il avait peur de le casser. Ce geste si léger aurait pu le faire sourire s'il allait mieux mentalement. Néanmoins, à l'intérieur, il fondait. La douceur de Derek était un cadeau qui lui réchauffait doucement le cœur. Elle était ce qu'il lui fallait, ce baume qui s'appliquait sur les plaies béantes de sa psyché.

- Et tu vas faire quoi si je continue de mentir ?

Dans un autre contexte, la remarque aurait pu paraître amusante, surtout si le ton était différent. On aurait alors eu l'impression que Stiles jouait avec son loup, l'air espiègle éclairant ses yeux whisky. La réalité était toute autre : il était sérieux et c'était à peine si ses yeux paraissaient noisette. Avec cette luminosité et l'absence de toute émotion positive dans ses prunelles, ils donnaient l'impression d'être d'une fade couleur chocolat. Le doré avait disparu. Derek trouva alors le regard de Stiles éteint, mais également affreusement incomplet.

- Plus de bisous.

Ces mots, tous simples qu'ils étaient, réussirent à arracher un micro-sourire à l'adolescent et à faire timidement apparaître quelques faibles étincelles dans ses yeux. Stiles se rapprocha de son loup jusqu'à ce que leurs nez s'effleurent et ce, à plusieurs reprises. Lorsqu'elle était en vie, Claudia lui avait appris qu'on appelait cela un « bisou esquimau ». Il avait toujours trouvé ce concept mignon. Et sans doute devait-il plaire à Derek également puisqu'il le vit esquisser un rictus.

- Tu n'oserais pas, lui dit Stiles d'un air mutin tout en approchant son visage au point de presque effleurer les lèvres de Derek...

... Qui se recula rapidement. Stiles le regarda alors d'un air ahuri, ne comprenant pas son geste.

- Alors, décidé à arrêter de mentir ? Sourit doucement le loup.

- Espèce de fourbe ! D'accord, t'as gagné, capitula le jeune homme en soupirant.

Enfin, il eut le droit de se coller à nouveau contre le corps ferme et musclé de Derek qui l'entoura de se bras avant de le serrer contre lui. Stiles aurait ronronné, s'il était un chat. Il releva la tête et fixa son loup d'une bien étrange manière. Son regard était plus sombre que d'ordinaire. Légèrement rieur, mais toujours très fade. L'odeur de l'adolescent piqua les narines du loup. De l'envie et de la tristesse. Une once de bonheur saupoudrée d'une lourde souffrance. Etouffante, c'était elle qui rendait le regard de Stiles si sombre, l'empêchant d'être complètement lui.

- Embrasse-moi s'il te plaît, souffla-t-il.

Et Derek ne se fit pas prier. Une main derrière la nuque de Stiles, il rapprocha d'autorité leurs deux visages et fut celui qui scella leurs lèvres. Le ballet commença directement. Si Stiles se montrait impatient et vorace, Derek le concurrençait aisément. A une vitesse folle, leurs langues se retrouvèrent à danser l'une avec l'autre, avec une harmonie étonnante. Une main de Derek empoigna la fesse droite de Stiles, l'autre s'ancra au creux de ses reins. Stiles, de son côté, sans cesser leur ballet endiablé, parcourait de ses doigts presque innocents le torse finement sculpté de son homme. C'était un baiser passionné et langoureux à la fois, empli de désespoir. Derek désespérait de voir Stiles heureux et Stiles désespérait de se dire qu'il ne s'en sortirait peut-être jamais. Alors chacun profitait à sa manière sans jamais dépasser les limites tacites qu'ils commençaient à bien connaître. Derek savait qu'il ne devait pas passer ses doigts sous le boxer de Stiles. Le caresser de cette manière, agripper ses fesses, c'était déjà une grande chose que l'hyperactif avait mis du temps à lui accorder et cela signifiait beaucoup pour lui.

Dans ce baiser au goût salé, Stiles laissait tout transparaître. Sa douleur, ses doutes, ses peurs, mais également sa colère d'être faible. Il souffrait de son présent qui avait trop d'échos de son passé. Doutait d'arriver à retrouver un semblant de vie normale. Avait peur de sombrer pour de bon, de tomber sans arriver à se relever cette fois-ci. Enrageait contre lui-même de ne pas avoir réussi à se défendre à l'époque et encore aujourd'hui. Il se souvenait de ce jour pas si lointain durant lequel son cauchemar vivant s'était amusé à écraser ses cigarettes sur sa peau. Ce jour-là, il riait. S'amuser à le poursuivre et à lui faire peur ne lui avait pas suffi : il avait fallu qu'il le voie pleurer, crier, supplier. Et encore même ça, ce n'était pas assez. Voilà maintenant qu'il l'avait mis dans cette foutue liste de personnes à abattre.

La liste de ses jeunes victimes. Elle n'avait pas changé, c'était toujours la même, sept ans après. Même s'il ne connaissait pas l'identité de toutes les cibles, il se rendit compte qu'il venait de comprendre un nouvel élément.

Stiles se recula doucement, mettant lentement fin au baiser. Ses mains se crispèrent sur les avant-bras de Derek qui embrassa doucement son front.

- J'y arriverai pas, souffla-t-il en détournant le regard.

Ce qui semblait se profiler pour cet avenir de plus en plus incertain lui paraissait insurmontable. Peut-être qu'avant, il aurait réussi. Là, son esprit était trop abîmé pour qu'il arrive à se battre avec la même vigueur qu'autrefois.

- De quoi tu parles mon ange ?

La voix douce et rocailleuse de Derek lui parvenait, bien sûr, mais les mots mirent du temps à faire sens au niveau de son esprit. Il posa sa tête contre le torse de son loup et ferma les yeux, comme épuisé par le constat qu'il venait de faire, sans même relever la manière dont l'avait appelé Derek.

- Si ça recommence, je survivrai pas, répondit-il d'un ton sans appel.

- Ca ne recommencera pas.

Stiles rouvrit les yeux et releva la tête vers les prunelles particulières de Derek et eut l'air sidéré de le voir aussi sûr de lui.

- Qu'est-ce qui te fait dire ça ? Bien sûr que ça risque de recommencer. C'est lui qui est derrière tout ça, c'est lui qui les a tués et qui compte en terminer avec moi et les autres cibles de la liste. Ça fait sept ans qu'il attend, tu crois qu'il n'a pas un plan derrière la tête ? C'est le genre de mec prêt à tout pour arriver à ses fins.

Derek ne devrait pas être étonné de constater que Jordan avait eu raison sur toute la ligne et pourtant il le fut. Stiles connaissait effectivement l'identité du tueur, si bien que le doute ne transparaissait absolument pas dans sa voix. Il savait que son violeur était le tueur dans cette affaire, pour lui, c'était clair et net, si bien que Derek s'en voulut un peu de ne pas avoir compris avant. Néanmoins, d'horribles questions lui vinrent à l'esprit alors que les pièces du puzzle commençaient à réellement s'assembler.

- Tu n'étais pas le seul, souffla-t-il.

- Non, confirma Stiles en détournant le regard. On était plusieurs, mais je ne connaissais que Meadow, Spencer et Brice.

Par ces deux noms, il désignait les deux hommes avant lui dans la liste. Sa langue continua de se délier :

- Parfois, il nous emmenait au même endroit. C'était une cabane perdue au milieu de la forêt de Beacon Hills. Elle était toujours sale, crasseuse. C'était une sorte de petit chalet mal aménagé. Meadow est la première dont j'ai fait la connaissance. Ce jour-là, il m'a attaché dans la pièce d'à côté.

Le regard de Derek s'assombrit. Stiles fit une pause et se tourna, se mit dos à Derek, contre qui il se pelotonna. Le loup encercla son corps fin de ses bras et ne commenta pas, comprenant que Stiles avait besoin de ça pour parler. C'était même l'hyperactif qui entremêla leurs jambes. Derek l'entendit prendre une longue inspiration.

- Les murs intérieurs n'étaient pas isolés. J'entendais tout. C'était sa première fois, elle n'a pas arrêté de crier, de pleurer. A cette époque-là, elle était plus grande que moi et je pensais que les grands, ça ne pleurait pas.

La voix de Stiles ne tremblait pas, mais elle restait faible et basse. Malgré tout ce que son récit provoquait chez Derek, celui-ci ne disait rien et essayait de ne rien laisser transparaître alors qu'à l'intérieur, une multitude d'émotions se déchaînaient. Il y avait toutefois du positif dans cette situation : Stiles résistait encore, puisqu'il se confiait à lui. C'était une preuve de son envie de se battre pour avancer. Son ennemi avait beau tout faire pour l'affaiblir, l'hyperactif ne se laisserait pas avoir si facilement, parce que c'était un battant. Et malgré ce que pouvait dire Stiles, malgré le fait qu'il pensait être trop faible et toutes ces conneries, Derek savait qu'il n'en était rien. L'humain pour lequel son cœur battait d'amour possédait une force et une volonté de fer qui rendaient Derek fier de lui. Cependant, l'intéressé était juste trop épuisé par les épreuves qui s'enchaînaient pour s'en rendre compte. Dans un geste doux et presque automatique, sa main caressa le ventre plat de Stiles sans même faire attention aux presque cicatrices qui le constellaient.

- Quand il en a eu fini avec elle, ça a été mon tour, ma deuxième fois. Il l'a attachée là où j'étais et à ce moment-là, on s'est regardés et on s'est compris. Elle avait quatorze ans, était déjà enceinte de deux mois et moi, je venais tout juste d'avoir onze ans.

Derek n'en revenait pas de voir avec quel calme Stiles lui racontait tout ça. Il prenait le temps, ne parlait pas vite, laissait les mots venir, sans prendre la peine de les choisir avec soin. Il n'avait plus de filtre et se confiait au loup avec une honnêteté surprenante si l'on regardait ses précédents mensonges. Ce qui fit toutefois le plus réagir le loup fut les âges précisés par Stiles : le sien et celui de la défunte mère d'Amelia. Si jeunes, pensa-t-il douloureusement. Et malheureusement, ils n'étaient pas les seuls à avoir subi ce genre de traitements.

- Spencer, je l'ai rencontré dans la rue, en allant à l'école à pied. En fait, il passait là, avec ses parents. Il avait l'air heureux, il riait et souriait sans arrêt et moi je le regardais, envieux. A ce moment-là, Emile m'avait déjà touché. J'étais mal, je ne riais plus, ne souriait plus, mes journées étaient mornes et sombres. J'avais des idées que je n'aurais jamais dû avoir à mon âge. Alors quand j'ai vu ce garçon à peine plus vieux que moi, j'ai été frappé par le soleil qu'il était. Jamais je n'aurais pensé qu'il pourrait lui arriver quoi que ce soit. Sa bonne humeur était contagieuse, à tel point que lorsque j'ai vu son sourire solaire, j'ai eu envie de sourire, comme lui.

Stiles fit une pause avant de reprendre.

- Par la suite, j'ai découvert qu'on était dans la même école. Il venait d'emménager à Beacon Hills. Il était deux classes au-dessus de moi, il avait treize ans. Je sentais que c'était un mec bien, j'avais envie de le connaître, j'avais l'impression que sa présence seule pouvait me faire oublier. Mais on ne peut pas oublier aussi facilement à quel point on a pu être souillé. Encore moins quand on se retrouve avec ce même garçon solaire face à soi, dans cette putain de cabane. A partir de ce jour-là, il a perdu tout air de ressemblance avec le soleil.

Derek resserra son étreinte sur l'hyperactif, dont le rythme cardiaque était plutôt calme. Celui du loup, lui, s'emballait. Il ne voulait pas en entendre plus. Assister par les paroles de Stiles à la destruction de ces gens qui étaient des enfants lui tordaient les entrailles. Mais Stiles avait besoin d'en parler. Alors il le laissa faire. Comme si l'adolescent avait compris que quelque chose n'allait pas, il posa sa main sur celle de Derek, qui caressait toujours son ventre.

- Brice était le plus timide d'entre nous. Lui aussi, j'aimais bien son sourire. A la base, c'est Meadow qui l'a rencontré en premier et au vu de notre... Expérience commune, elle nous a présentés, comme moi je leur ai présenté Spencer. On n'avait personne à qui parler, pas même nos parents, alors on s'est soutenus comme on a pu. On a même tenté de fuir, de s'échapper de cet enfer. Mais quatre enfants ne peuvent pas aller bien loin, seuls. Et lui, ce fumier, il savait nous manipuler. Il... Il nous menaçait de nous faire « regarder », pendant qu'il s'occupait de l'un d'entre nous. De nous frapper, aussi. Il a très vite vu que des liens s'étaient créés, plus ou moins forts pour certains, et il a tout fait pour les briser, allant jusqu'à faire en sorte qu'on se monte les uns contre les autres. Il voyait très bien que l'amitié qu'on avait pouvait nous aider mais lui, ça ne l'arrangeait pas. Il voulait nous détruire. Nous faire souffrir, c'était ça son trip.

La voix de Stiles commençait enfin à trembler alors qu'il se livrait à cœur ouvert en se lovant toujours plus contre Derek. Il restait dos à lui mais acceptait volontiers le soutien physique qu'il lui apportait, comme ses caresses, son étreinte et surtout, sa présence. Malgré les horreurs qu'il était en train de lui révéler, Derek restait et ça, pour Stiles, c'était énorme.

- Les enfants, c'est facile à briser et tu sais pourquoi ? Parce qu'à cet âge, tu te construis. Parce que tu n'as pas le temps de te protéger assez. Parce que la construction de ce que tu es est bancale, elle a besoin de temps pour se solidifier. Et lui, il aime briser les jeunes âmes innocentes, ça lui permet de les dresser comme il l'entend.

Le mot « dresser » donna la chair de poule à Derek qui refusa d'imaginer quoi que ce soit. Il fit tout pour ne pas imaginer ce monstre humain face à Stiles qu'il aurait dressé comme un petit chien. Au moins, il savait que ce formatage n'avait pas réussi sur Stiles, puisque dès leur rencontre, l'hyperactif s'était démarqué par son caractère impétueux et aventureux, tout sauf soumis à qui que ce soit.

Tout ce qu'il n'était plus.

- Je ne vais pas dire qu'il a réussi me concernant même si c'est ce qui se rapproche le plus de la réalité.

Derek retint son souffle sans le vouloir, appréhendant la suite.

- La première fois, j'ai hurlé et pleuré, en me débattant comme un diable pour qu'il arrête. La deuxième fois, je l'ai supplié et j'ai crié. La troisième fois, j'ai pleuré en silence. La quatrième fois, j'ai arrêté de me débattre. La cinquième fois, j'ai arrêté de pleurer. La sixième fois, je me suis juste laissé faire.

Stiles reprit lourdement sa respiration, difficile au vu du temps qu'il mit. Parler était toujours quelque chose de compliqué et c'était d'autant plus vrai lorsque les secrets révélés attendaient au fond d'un gouffre depuis des années. L'hyperactif ne pleurait pas ou du moins, pas encore. Son odeur comportait à l'avance les effluves salés des larmes qui arriveraient bientôt. Le loup et l'humain en Derek s'en retrouvèrent bien tourmentés, si bien qu'il eut lui-même du mal à rester calme. A cette étape-là, être stoïque s'avérait impossible, il fallait être un robot pour cela, ou bien être dépourvu d'empathie. Et Derek, en ce qui concernait les émotions, pouvait s'avérer bien plus humain que beaucoup de gens. Alors il serra les dents en entendant l'énonciation rapide des viols qu'avait subis Stiles. Il ne dit rien, résista à l'envie d'hurler à la lune l'horrible souffrance qui le déchirait tout comme elle déchirait Stiles depuis tant d'années. Parce que la souffrance de son hyperactif, c'était aussi la sienne et que le lien qui se tissait entre eux le rendait encore plus sensible à sa douleur.

Ce qui tuait Derek, mis à part le fait de savoir que Stiles avait subi toutes ces horreurs, c'était aussi et surtout sa manière de le dire. Il choisissait des mots simples cette fois, ne laissait pas tout sortir comme ça venait. Il énonçait, énumérait presque froidement les faits. Ce qui rendait la chose d'autant plus dure à entendre, c'était le contraste démesuré entre cet étalage presque glacial et la voix de Stiles qui perdait peu à peu de sa faible assurance. Et c'est précisément à ce moment-là que Derek prit la mesure d'à quel point son humain était brisé. Si depuis quelques semaines il comprenait sa douleur, il se rendait désormais compte du fait qu'il n'avait jusque-là qu'effleuré les cassures de son cœur.

Et son propre cœur prit un coup tel que sa respiration se coupa un instant. Il resta là, immobile, sous le choc. Ses bras n'enserraient plus Stiles avec autant de forces, son étreinte sur lui était vide. Il était paralysé par tous ces sentiments qui déferlaient d'un coup en lui, eux-mêmes submergés par les émotions torrentielles qui le prenaient d'assaut. Il n'avait pas l'habitude de ressentir tant de choses à la fois, à tel point qu'il se retrouvait complètement désarçonné. Cependant, il fallait qu'il se reprenne et vite.

Un premier sanglot secoua le corps de Stiles, bien vite suivi d'un deuxième. Il ne tenait plus. Derek sembla se réveiller de sa torpeur. Il retourna un peu brusquement Stiles vers lui et l'enserra dans une étreinte puissante et protectrice, le serrant si fort contre lui qu'il faillit ne pas mesurer sa force. Ce furent les tremblements de Stiles qui lui indiquèrent qu'il fallait quand même y aller doucement. Cependant, le sentiment d'urgence qui se démarquait de tous les autres actuellement ne pouvait être réfréné. Stiles pleurait toutes les larmes de son corps et ses blessures qu'il gardait dissimulées depuis tant d'années étaient complètement ouvertes. De ses propres mains, il avait arraché le pansement sale mal positionné d'un seul coup et exposait ainsi toutes ses faiblesses. Il laissait ainsi inconsciemment le champ libre à Derek pour qu'il vienne panser ses plaies à sa manière. Il avait pris un risque en parlant à Derek, en s'ouvrant à lui de cette manière, plus qu'il ne l'avait jamais fait jusqu'à lors.

Stiles ne sut pas trop ce qu'il se passa ensuite, parce qu'il se déconnecta à nouveau progressivement de la réalité, éreinté par ses propres confessions. Tout ce que son esprit retint toutefois fut la tendresse, la douceur et la patience dont fit preuve Derek durant de longues, très longues minutes.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top