Chapitre 11


Isaac remarquait parfois que la vie réservait d'étonnantes surprises. Déjà, il ne s'attendait pas à croiser Peter Hale à la superette du coin, hésitant entre plusieurs types de pâtes. Des spaghettis, des coquillettes, des macaronis... Surprenant de la part d'un psychopathe tel que lui. Et puis le loup se rappela qu'au loft, c'était principalement Peter qui s'occupait des repas. Ce qui l'étonna d'autant plus c'était de remarquer que l'entièreté de la meute était toujours vivante, pas un seul membre n'était mort par empoisonnement, une première quand on connaissait le cuisinier et qu'on se référait à ses antécédents meurtriers. Le pire était que Peter avait fini par le remarquer et lui demander son avis pour l'aider à choisir. Malgré sa surprise, Isaac avait exprimé sa préférence pour les macaronis et Peter avait fait tomber une dizaine de paquets dans son caddie. Devant les yeux exorbités du lycéen, l'oncle de Derek soupira :

- On est samedi. Et le samedi soir, c'est soirée meute. Tu sais, ce rituel ridicule que le petit chiot qui nous sert d'alpha a instauré.

Isaac comprit, eut soudain une illumination en se rappelant de ce fait. Il réprima un petit rire en imaginant Scott avec une tête de chiot.

- Bon, va me chercher des lardons et de la crème fraîche, ça m'aidera, maugréa Peter.

Et Isaac s'exécuta, l'air léger. Des pâtes carbonara ? Ok. Des macaronis à la carbonara ? Exotique, mais acceptable. Tant que Peter n'abusait pas de sa gentillesse...

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Tout compte fait, Isaac aurait peut-être dû sortir de la superette avant que Peter décide de se servir de lui comme esclave. Car oui, c'était le plus jeune des deux loups qui portait les deux sacs de course, étonnamment. Il soupira et attendit que Peter déverrouille la porte d'entrée de l'immeuble. Et étrangement, l'ancien alpha mettait un temps fou à trouver ses clés dans sa poche. Enfin, il consentit à se dépêcher après plusieurs demandes de la part du plus jeune et à l'ouvrir, leur permettant à tous les deux d'atteindre l'ascenseur et d'atteindre la porte du loft, que Peter fit coulisser sans prendre la peine d'écouter avec son ouïe de loup. Aussitôt, un long « chuuuuuuuut » se fit entendre.

- Faites pas de bruit, chuchota une voix qu'ils connaissaient bien.

Isaac haussa un sourcil en même temps que Peter. Il posa les sacs dans un coin de l'entrée et se rapprocha de l'endroit d'où venait la voix. Les deux loups découvrirent avec stupeur le regard noir de Derek posé sur eux, tandis que dans ses bras reposait un Stiles assez pâle, profondément endormi.

- Si vous le réveillez, je vous tue.

Mais ce regard était trop noir pour être uniquement dû aux bruits faits par les Isaac et Peter en rentrant. Il y avait autre chose. L'odeur de Derek puait la colère tout autant que celle-ci crispait son visage. Isaac leva ses mains devant lui comme si les orbes tranchants du plus jeune des Hale lui avaient crié un violent « Haut les mains ! ». Derek sembla s'en vouloir un instant puisqu'il soupira et se redressa. Il relâcha son étreinte sur l'hyperactif, passa un bras derrière ses genoux, un autre dans son dos et le souleva avec aisance, décidé à l'emporter dans un endroit où il pourrait se reposer sans être dérangé : dans sa chambre, à l'étage. Lorsqu'il revint, les bras vides, il fit face à l'air surpris d'Isaac et au regard inquisiteur de Peter.

- J'ai l'impression que ton envie de tuer s'est accrue, nota l'oncle en esquissant un sourire narquois.

- Pourquoi Stiles est chez toi ? Demanda plutôt Isaac.

Légèrement appréhensif de la réaction du loup passablement irrité devant lui s'il lui demandait pourquoi l'hyperactif avait dormi dans ses bras, Isaac avait préféré faire dans le soft.

- Parce qu'il y est en sécurité, consentit à dire Derek même si ce n'était pas vraiment une réponse.

- Plutôt parce qu'il s'est pointé hier couvert de brûlures de cigarettes et qu'il a trouvé refuge ici, révéla gravement Peter avant de prendre un faux air horrifié. Fais gaffe Derek, tu vas finir par devenir assistante sociale, à force.

- Ferme-la... Siffla Derek.

- Des quoi ? Des brûlures de cigarettes ? S'écria Isaac avec horreur après avoir capté le sens des mots de Peter. Je... Scott nous avait dit qu'il allait pas bien, mais pas que...

- Il est pas au courant de ça, le coupa le plus jeune des Hale.

Derek fit quelques pas, finit par se rendre compte qu'il tournait en rond. Sa colère semblait s'être légèrement atténuée, pas assez toutefois pour qu'elle disparaisse de son odeur.

- Il m'a raconté comment ça s'est passé, lâcha-t-il finalement, conscient que les deux loups attendaient une explication. Donc oui, Peter, j'ai des envies de meurtre.

- Va falloir que tu les réfrènes. Ce soir c'est soirée meute et tu sais comme moi que ces morveux ont tendance à commencer à arriver en avance sur ce qu'on leur dit. Un conseil, calme-toi.

Derek sembla soudainement fatigué. Il se passa une main sur le visage et ferma les yeux un instant avant de les rouvrir. Il y avait quelque chose d'étrangement malsain dans cette histoire, plus encore que ces brûlures de cigarettes, qui relevaient plutôt de l'ordre du sadisme. « Il voulait me punir d'être un mauvais garçon. » Cette phrase tournait en boucle dans sa tête et titillait son instinct de loup depuis qu'il l'avait entendue. S'il ne voulait pas tuer quelqu'un pour le moment, mieux valait qu'il se calme. C'était difficile, certes, mais il pouvait y arriver.

Le loup soupira.

- Tu as raison, pour une fois, dit-il d'un air agacé en voyant l'expression de victoire sur le visage de son oncle.

- Tu vas en parler à Scott ? Demanda innocemment Isaac. Ou peut-être... Tu veux que je le fasse ?

- Je lui en parlerai... Après la soirée de meute, pas avant. Bon, venez, vous allez ranger vos cochonneries, ça va pas rester là indéfiniment, fit Derek en esquissant un vague geste en direction des sacs de course.

Isaac haussa les épaules, ne se sentant pas le moins du monde concerné.

- J'ai tout porté pour lui, il se débrouille, indiqua-t-il en désignant Peter du doigt.

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Stiles n'était pas resté longtemps endormi, sans Derek. Quarante minutes, une heure, tout au plus. Pour être honnête, il se sentait un peu perdu. Pourquoi se trouvait-il dans la chambre de Derek ? N'avaient-ils pas discuté dans le salon ? Les yeux ouverts fixant le plafond, Stiles finit par douter. Avaient-ils réellement discuté ? Avait-il vraiment pleuré, encore, dans les bras du loup ? Non, semblait-il, puisqu'il se trouvait dans ce lit. Seul. Stiles vint même à douter de tout le déroulement de la matinée ; était-il allé chercher son sac d'affaires ainsi que son téléphone avec Derek ? Il n'était plus sûr de rien tant il se sentait fébrile et faible. Pour en avoir le cœur net et parce qu'il détestait être dans le flou, il se leva doucement et la douleur de ses bras et de son torse se réveilla. Ce n'était pas violent, pas inattendu et pourtant, Stiles eut l'impression de se prendre une décharge électrique dans ces zones-là. Derek lui prenant généralement sa douleur juste avant qu'elle n'apparaisse réellement, il n'était pas habitué. Là, il se la prenait de plein fouet et autant dire que ça ne lui faisait pas du bien. Il en eut même le souffle coupé durant une seconde. D'un pas léger car il n'aimait pas se faire remarquer, Stiles sortit de la chambre et, dans le couloir, entendit des voix. Ils n'étaient plus seuls dans le loft, semblait-il. Par instinct, en descendant les marches, Stiles revêtit son masque d'indifférence qui, même s'il le faisait passer pour quelqu'un d'étrange, cacherait sa tristesse ainsi que sa douleur. L'important pour lui était de ne pas passer pour plus faible qu'il ne l'était déjà. Pas qu'il s'était déjà humilié tout seul à de nombreuses reprises, mais un peu.

L'entrée en scène de Stiles dans le salon fut remarquée puisque les trois loups qui étaient en train de discuter assis sur les différents canapés se stoppèrent aussitôt, ce qui gêna profondément l'adolescent, qui recula d'un pas. Derek semblait tendu, Peter, aussi espiègle que d'ordinaire et Isaac, perplexe. Le bouclé fut cependant le premier et le seul à lui sourire sincèrement. Il se leva pour le saluer et lui demanda comment il allait. Esquissant un sourire tout ce qu'il y avait de plus faux par-dessus son masque d'indifférence, lui répondit par la positive. Il ne flancha pas, même s'il savait pertinemment que chacun des loups présents, au nombre de trois, avaient perçu son mensonge. Peu lui importait. De manière à détendre l'atmosphère, Isaac entreprit de diriger la conversation vers la soirée de meute qui se profilait. Derek fixa son regard sur Stiles.

- J'ai l'impression que ça fait une éternité qu'on en a pas fait, songea Stiles à haute voix.

- On a pas pu la faire la semaine dernière, c'est pour ça, rappela Isaac.

- Effectivement ! S'exclama l'hyperactif d'un ton un peu trop énergique. Comme j'étais pas trop là ces derniers jours, j'ai pas trop suivi... Qu'est-ce qu'on va faire ? Film ? Jeux ?

Stiles sentait bien le regard de Derek sur lui, il n'était pas bête et son instinct était fortement développé pour un humain. La peur qui l'avait construit y était sans doute pour quelque chose. Lorsqu'il jeta un coup d'œil au loup qui avait tant fait pour lui ces derniers jours, il vit ses yeux incisifs posés sur sa personne. Il le sondait ostensiblement et ne le lâchait pas du regard. Et pour être honnête, Stiles commençait à avoir du mal à faire semblant. Contrôler ses émotions et surtout, ses expressions de visage était loin d'être une mince affaire, surtout en étant analysé par un loup perspicace tel que l'était Derek Hale. Il savait qu'il épiait chacun de ses mouvements, chaque battement de son cœur, chacune de ses expressions faciales. Comment voulait-il rester discret concernant la douleur lancinante de ses blessures, qui lui faisait d'ailleurs momentanément oublier son mal-être, si Derek s'acharnait à essayer de le percer à jour ?

- Bon, puisque je suis le putain de cuistot de cette meute de bas étage, je vais commencer à me mettre à la tâche. Si vous voulez manger à midi, vous commandez, vous vous démerdez. Moi, je m'occupe de tout pour ce soir alors venez pas me les briser s'il vous plaît.

Le raffinement aléatoire à la Peter Hale. Sous ses airs tantôt agacés, tantôt espiègles, il était conscient des choses et savait ce qu'il avait à faire. Pas plus aveugle de Derek, il commençait à voir clair dans le jeu de Stiles et sentait qu'il valait mieux le laisser avec son neveu. Parce qu'il n'était pas bête ; il semblait ne s'ouvrir qu'à lui ces derniers temps, laissant filtrer de précieuses informations au compte-goutte.

- Et Isaac, puisque tu es lycéen et que tu es donc, par définition, un chômeur, tu vas m'aider.

Le visage d'Isaac laissa transparaître une panique évidente.

- Je pense que c'est une mauvaise idée, je suis très, très mauvais en cuisine, expliqua-t-il en riant nerveusement.

- Mon cher Isaac, je vais me faire un plaisir de t'aider à améliorer tes capacités culinaires ! Fit Peter d'un ton... Étrange.

C'est ainsi que les deux loups s'éclipsèrent dans la cuisine. Bien sûr, Peter tendrait l'oreille, Isaac aussi, sans doute. L'adolescent était certes un peu naïf, il n'était pas bête pour autant. Et puis... Il fallait l'avouer, Isaac était quelqu'un de très curieux. Autant dire que lui et Peter faisaient la paire. Le pire fut qu'ils ne se concertèrent même pas lorsqu'ils ouvrirent grand leurs oreilles lupines.

Derek tapota la place à côté de lui et Stiles mit un peu trop de temps à comprendre que c'était une invitation à prendre place à sa droite. Il céda bien vite et se retrouva assis près du loup. La tête baissée, il attendit. Quoi ? Il ne le savait pas lui-même. Des remontrances, une amorce de discussion, des questions par rapport à la veille, ou alors concernant les deux meurtres qui avaient eu lieu récemment... Stiles n'en avait aucune idée alors il restait là, les mains crispées sur ses cuisses, le regard baissé. Il était tendu, toujours et gardait ce masque qui masquait sa douleur. Dans un sens, il s'y habituait, mais ne pouvait ignorer ces trop grands picotements, ces tiraillements incessants. Stiles hoqueta lorsque la douleur le quitta graduellement, au moment où la peau de Derek entra en contact avec la sienne. Il tourna brusquement la tête vers le loup, dont les traits s'étaient irrémédiablement tendus. Derek, égal à lui-même, ne montra rien de la douleur qui parcourut son corps en passant par ses veines noircies. Et pour être honnête, Stiles l'admira. Comment arrivait-il à rester de marbre, comme si tout ce qui lui arrivait n'avait aucune importance, comme si ce n'était jamais assez puissant pour l'atteindre ? Il était fort et c'était tout. C'était Derek Hale, le seul et l'unique.

- Tu vas pas faire ça à chaque fois ? Soupira Stiles, las d'être si facilement percé à jour.

Derek ne dit rien, mais son regard parlait pour lui. Bien sûr, il ferait ça autant de fois que ce serait nécessaire. Lorsqu'il eut terminé de prendre la douleur de l'adolescent, les traits de son visage se détendirent. Néanmoins, sa main ne quitta pas le poignet de Stiles.

- Tu te souviens de ce que je t'ai dit avant que tu t'endormes ? Demanda plutôt le loup.

Stiles eut l'air perdu et réfléchit. Cette moue qu'il affichait était diablement adorable, si bien qu'elle dérida le loup, qui ne remarqua même pas le fil que prenaient ses pensées.

- Je sais pas, oui, peut-être... Enfin... T'as plutôt pas mal parlé alors je suis pas sûr de quelle phrase tu...

- Je t'ai dit, le coupa Derek, que tant que je serai là, plus personne ne pourra te faire de mal.

Le cœur de Stiles rata un bon nombre de battements avant que les paroles du loup ne l'atteignent réellement. Ses yeux se mirent à briller : pas de joie, pas de tristesse non plus. De la... Stupéfaction mélangée à une émotion très forte, peut-être ?

- Tu vas rester ici, Stiles, au moins pour quelques jours, finit par lui indiquer Derek en resserrant légèrement sa main sur le poignet de l'adolescent.

- Quoi ? Mais... Non, je peux pas, souffla Stiles, l'angoisse le gagnant.

La peur affluait à nouveau dans tout son organisme. Il revoyait l'incandescence des cigarettes, le sourire pervers, les yeux cruels.

- Si je rentre pas chez moi vite, il...

- Stiles, calme-toi.

La voix de Derek sortit efficacement Stiles des pensées dans lesquelles il se précipitait. Derek passa son bras libre autour de l'hyperactif... Qui ne semblait plus si hyperactif de ça. Au fil des jours, son trouble semblait disparaître ou du moins, changeait. Il était moins « visible ». Stiles pensait sans doute toujours autant, mais le montrait beaucoup moins. Un hyperactif qui s'abandonnait dans le silence. Et c'était peut-être ça qui faisait si peur à Derek. Il était mieux placé que quiconque pour savoir que le silence était destructeur et c'était sans doute d'autant plus vrai pour un hyperactif comme Stiles.

- Tant que tu resteras ici, il t'arrivera rien. Il ne pourra rien te faire, Stiles.

L'adolescent avait beau ne pas être un loup, il sentait la sincérité dans sa voix et ne pouvait en douter à aucun moment. À cet instant-là, ses précédents doutes disparurent. Non, il n'avait pas rêvé de leur conversation, non, il ne devenait pas fou, oui, ils étaient allés chercher ses affaires ainsi que son téléphone. Fatigué mentalement, Stiles laissa sa tête tomber sur l'épaule de Derek et ferma les yeux.

- Tu sais pas dans quoi tu t'embarques, Sourwolf, lâcha-t-il en posant sa main sur celle de Derek, qui étreignait toujours son poignet.

Ce surnom qui autrefois l'agaçait au possible, fit esquisser un léger sourire au lycan. Stiles était toujours là et le voir céder peu à peu calmait progressivement la colère en lui. Le contact auquel l'adolescent consentait et répondait lui faisait quelque chose, aussi.

Ce que ne savait pas Derek, c'était que les derniers mots de Stiles avaient plus de sens qu'il ne l'imaginait. Car en réalité l'adolescent n'avait pas dit cela uniquement par rapport au fait qu'il pouvait potentiellement courir un éventuel danger en le gardant chez lui. Par ces paroles, Stiles consentait à ce qu'il sache. La peur qu'il l'abandonne et ne le croie pas était toujours là, mais bien trop faible par rapport à cet étrange sentiment qui l'étreignait. Derek l'apaisait tout autant qu'il le remuait. Avec lui, il se sentait vivant. Il avait l'impression... Qu'il finirait par réussir à avancer et qu'avec un soutien comme l'ancien alpha, tout était possible.

Et Stiles ne savait pas encore à quel point il allait devoir s'accrocher à cette impression pour ne pas sombrer.

Car en réalité, son cauchemar ne faisait que commencer.

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