Chapitre 2
Je voulais rentrer chez moi quand je sens quelqu'un se poster à côté de moi. Je tourne la tête :
— Salut ! s'exclame une fille.
Je sursaute. Je ne l'ai jamais vue dans le village. Elle a deux longues tresses brunes et des yeux rieurs.
— Bonjour, je réponds.
— Tu ne peux pas savoir à quel point je suis contente de rencontrer quelqu'un de mon âge dans ce village ! Ça fait déjà trois jours que j'ai emménagé ici, et à part un chat, un escargot et un lapin, je n'ai croisé personne ! En plus, j'ai peur des chats, des escargots et des lapins, donc imagine un peu la peur que j'ai eue quand j'ai appris que j'allais devoir cohabiter avec ces petites bêtes ! Beurk ! Sinon, tu t'appelles comment ?
Je l'ai regardée sans rien dire. Je suis impressionnée par la vitesse à laquelle elle a dit tout ça. Un vrai moulin à paroles.
— Alice, je réponds au bout de quelques instants.
— Enchantée Alice ! Moi je m'appelle Coquelicot !
— Coquelicot ? je dis d'un air étonné.
— Non, je plaisante ! C'est parce que j'ai vu un coquelicot, là-bas ! s'exclame-t-elle en gloussant. Tu trouves pas ça bizarre un coquelicot en hiver ? Enfin bref, je m'appelle Dao.
— Dao ?
— Oui, c'est thaïlandais. Ça signifie « étoile ». Ne t'inquiète pas, ça fait 13 ans que j'ai ce prénom et treize ans que je trouve ça bizarre, mais on s'habitue.
Une nouvelle bourrasque de vent souffle dans mes cheveux. Il faudrait vraiment que je rentre.
— Tu la connais, Polly Brown ? me demande Dao en désignant la tombe devant laquelle nous sommes. C'était quelqu'un de ta famille ?
— Non, moi je viens pour ma mère, je dis en montrant la tombe d'à côté.
— Ah, d'accord. Moi c'est pour mon arrière-grand-père. Je ne l'ai jamais vu, mais ma mère a voulu qu'on emménage ici pour être plus près de lui. Tu viens souvent ici ?
— Tous les matins, je réponds. Mais j'ai froid, je vais rentrer chez moi.
— Oui, bien sûr, dit-elle. Moi aussi. En tout cas, je suis contente d'avoir trouvé une amie.
Je m'arrête et me tourne vers elle.
— Nous ne sommes pas amies, je dis fermement.
— Peut-être pas encore ! répond-elle en souriant.
— On ne sera jamais amies.
Ses yeux rieurs deviennent soudain tristes.
— Mais pourquoi ?
— Parce que.
Je me retourne et je sors du cimetière. Je ne veux pas être amie avec Daho, ni avec qui que ce soit. Et si je lui disais pourquoi, elle ne comprendrait pas.
Une fois rentrée chez moi, j'enlève mon manteau, mon écharpe et mes bottes et je monte dans ma chambre. Elle n'est pas très grande, mais je l'aime bien. J'ai un petit lit confortable avec plein de coussins et de couvertures, une guirlande lumineuse, une bibliothèque remplie de livres, et puis ma fenêtre donne sur le village. Vu de haut, je le trouve joli et mignon, mais quand je m'aventure dans les ruelles, je le trouve triste et vide.
Je m'assois sur mon lit et je m'enveloppe dans une couverture. Puis, mon regard se pose sur une feuille à carreaux scotchée au mur, en face de moi. Je l'ai faite juste après la mort de ma mère, et je me souviens l'avoir mise là pour la voir tous les soirs, avant de dormir. Je l'ai écrite pour ne plus jamais souffrir :
« La liste des choses à ne jamais faire pour ne plus jamais souffrir par Alice Tilleul, neuf ans.
• Ne jamais avoir de rêves (de toute façon, ils ne se réalisent jamais !)
• Ne jamais s'attendre à quoi que ce soit de la part de qui que ce soit (ça évitera les mauvaises surprises !)
• Ne jamais se comparer aux autres (on trouve toujours les autres mieux que soit-même, alors autant ne pas perdre de temps !)
• Ne jamais regarder en arrière (l'avenir, c'est ce qu'il te reste à vivre, alors ça ne sert à rien de regarder le passé !)
• Ne jamais tomber amoureuse (dans tous les cas, on souffre, c'est bien connu !)
• Et surtout, ne jamais avoir d'animaux de compagnie, ni d'amis ! (ils vont tous mourir un jour de toute façon, alors il ne faut pas s'attacher pour ne pas souffrir !) »
Voilà la liste que j'ai écrite au feutre rose avec mon écriture d'enfant, il y a quatre ans. Non, elle n'a pas bougé depuis, et je l'ai toujours respectée. Voilà pourquoi je ne veux pas être amie avec Dao. Ce serait contraire à mes principes, et puis croyez-moi, c'est mieux comme ça. Je n'ai pas besoin d'amis. Cette liste est parfaite, depuis que je l'ai écrite, je n'ai pas souffert une seule fois ! Enfin, sauf si on compte la fois où je me suis cassé le bras à la patinoire, mais ce n'est pas la même souffrance.
Je me sens plus forte maintenant, je mène ma vie sans me soucier de celle des autres. Je me concentre sur mon avenir, donc je travaille beaucoup à l'école, et mes résultats le prouvent bien.
Mais bien que la liste soit parfaite et fonctionne parfaitement, je ne peux pas m'empêcher de me sentir un peu plus seule chaque jour.
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