Chapitre 9
Le cheikh avait quitté la chambre de la jeune femme peu après minuit. Il ne savait pas exactement combien de temps il était resté assis dans ce fauteuil mais cela se comptait en heures. Il s'agissait pour lui d'une expérience nouvelle. Resté assis sans bouger en face d'une étrangère apeurée à la simple idée de s'endormir lui avait fait réaliser que la situation allait bien au-delà d'une simple envie de vengeance.
" Je ne vous rendrai à personne, pas même au reste du monde "
Cette phrase avait quitté les tréfonds de sa gorge avec une détermination qui l'avait surpris lui-même.
Au-delà de ça, Nazir avait anticipé la réaction de la jeune femme. Alors il avait fait semblant de partir et il l'avait regardé se battre avec un autre sursaut de peur. Puis elle avait tenté de se lever dans l'idée folle de s'enfuir.
Il ne pouvait lui en vouloir car ces mots revenaient à dire qu'elle ne quitterait jamais le pays.
Cette décision était à ce jour la seule qu'il refusait de remettre en question.
Pourquoi ?
Il l'ignorait encore.
L'eau coulait sur sa peau frappée par la guerre alors qu'il réfléchissait sans cesse à ce qu'il devait faire dans les prochaines jours. Plusieurs options s'offraient à lui mais une cependant restait indiscutable, songea-t-il en quittant la cabine de douche.
- Vous comptez la garder ? S'enquit Amadh qu'il venait de rejoindre dans une pièce adjacente à son bureau.
- As-tu une autre option mon ami ?
- Non, mais je pensais qu'une fois que son implication dans cette affaire serait réglée et qu'elle serait en mesure de revoir vous la laisseriez partir.
- C'est trop dangereux, pas pour nous mais pour elle. Dixon est le seul pour l'instant que je peux poursuivre et tuer en toute légalité parce qu'il est entré illégalement dans le pays. Paolo Russo lui, s'en sort avec le fait qu'il n'a pas violé la loi de ce pays. Ce qui veut dire que tant qu'il n'a pas fauté sur mon territoire cela s'arrête à une simple poignée d'argent. Si je la fais monter dans un avion pour New York il ne mettra pas longtemps à la récupérer.
Nazir se retourna avec le regard froid.
- Elle a été utilisé comme monnaie d'échange et se faisait déjà battre par son frère avant que Dixon ait la main sur elle.
Amadh qui n'était pas encore au courant de cette information écarquilla les yeux l'air ébranlé.
Nazir dont l'expression demeurait glacial poursuivit :
- Il la veut tout autant que Dixon, d'ailleurs il était prévu qu'elle lui soit redonnée s'il avait réussi à m'avoir avec ce contrat.
- Dans ce cas que faut-il faire ? Cette jeune femme ne pourra pas indéfiniment rester ici, ce n'est sûrement pas ce qu'elle veut.
- Ce qu'elle veut Amadh, commença-t-il d'une voix amère, c'est mourir. Cette jeune femme aurait préféré que je la laisse mourir. Je suis peut-être moi aussi un monstre mais je ne peux rester impassible devant une telle détresse. Elle restera ici aussi longtemps que je l'aurai décidé.
Amadh inclina respectueusement la tête pour lui témoigner son plein soutien devant cette décision difficile.
Car oui elle l'était.
- Je lui fais peur, mais je préfère qu'elle tremble devant moi que de la laisser entre les mains de ces hommes. Elle ne pourra y survivre, j'ai le pressentiment qu'elle ne m'a pas tout dit.
Nazir combla l'espace que les séparait en inspirant profondément.
- J'ai pour espoir que Raya puisse...
Il s'interrompit les dents serrées en refoulant un accès de colère.
- J'aimerai que Raya tente de savoir si elle a été abusée sexuellement. Je ne peux rester encore plus longtemps sans savoir si je me trouve devant une autre difficulté.
Conscient qu'il s'était adressé à lui avec un ton impérieux et que cela n'avait plus rien d'une requête, mais d'un ordre, Nazir détourna les yeux afin qu'il ne puisse pas voir l'éclat noir qui le rendait parfois monstrueux et crains.
- Raya semble avoir obtenu un peu de sa confiance, je vais lui en parler.
- Merci mon ami, murmura-t-il en s'éloignant vers la fenêtre. Il est temps d'aller dormir, nous avons beaucoup à faire demain.
Lorsqu'il fut seul, Nazir prit une grande respiration en serrant ses mains derrière son dos, déterminé à obtenir plus qu'une vengeance.
Le lendemain et en dépit du temps passé à craindre la présence du cheikh, c'est perdue mais reposée qu'elle se réveilla toujours dans l'obscurité. Une main apaisante caressait ses cheveux et elle reconnut aussitôt la paume chaude de Raya.
- Bonjour mon enfant, lança-t-elle en touchant son front.
" Je ne vous rendrai à personne, pas même au reste du monde "
Kate s'était endormie avec cette phrase en tête et avec celui qui l'avait prononcé non loin d'elle. Elle sanglota mais se raccrocha à la présence de Raya qui était bien différente de celle qu'elle avait connue jusqu'ici.
Elle émit un son de douleur en essayant de se mettre sur le dos tout en portant machinalement ses mains sur le bandage.
- Comment s'est passé votre première nuit ici ? Est-ce que la douleur est supportable ?
Avant de répondre à ses questions Kate tourna son visage vers la gauche en essayant de se connecter à cette aura sombre qui ne l'avait pas quittée jusqu'à ce qu'elle s'endorme.
- Son altesse est en réunion, le cheikh n'est pas ici, l'informa Raya en l'aidant à se redresser sur le lit.
- Comment puis-je en être certaine ? Murmura-t-elle d'une voix à peine audible.
- Vous le savez j'en suis certaine, chuchota Raya en glissant un verre dans sa main, buvez un peu ça vous fera du bien.
Avec hésitation Kate porta le verre à ses lèvres et sentit sur sa langue un goût sucrée. Dictée par la soif et le goût désagréable qu'elle avait dans la gorge, elle termina le verre puis le serra dans sa main.
- À présent il faut manger, lança Raya d'une voix plus ferme.
Hélas, Kate ne pouvait rien avaler. La peur qui n'avait de cesse de grandir l'empêchait d'avoir de l'appétit. Ajouté à cela, de sombres souvenirs vinrent aussitôt la hanter tout comme les coups qu'elle avait l'impression de sentir s'abattre sur elle.
- Je n'ai pas faim, murmura-t-elle en réprimant avec peine les sanglots qui se formaient dans sa voix.
- Il faut vous forcer un peu, insista Raya en posant quelque chose sur ses jambes.
Il s'agissait d'un plateau et l'odeur qui lui montait au nez semblait appétissante mais très vite, elle fut arrachée au présent pour la ramener à ce passé encore récent et une peur terrible lui coupa l'air.
- Non, je ne veux pas manger.
Raya avisa les mains tremblantes de la jeune femme et comprit aussitôt qu'elle était sur le point de faire une crise d'angoisse. Alors elle s'empressa de retirer le plateau et s'installa sur le rebord du lit avec l'espoir insensé qu'elle puisse obtenir des réponses à la douloureuse requête de son roi.
Nazir termina la réunion d'urgence comme il l'avait commencé. C'est-à-dire dans une humeur écrasante. Les journaux officiels rapportaient désormais ce qu'il voulait que le monde sache. Tout semblait marcher comme il l'avait souhaité à un détail près...
Kate Russo suscitait l'intérêt de son peuple car elle était la seule et unique prisonnière étrangère que le pays connaissait jusque-là. Même pendant la guerre il ne s'était pas permis d'enfermer des traîtresses qui elles...l'avaient méritées. Nazir referma aussitôt cette parenthèse car elle ne faisait pas partie de ses priorités.
Le conseil et avec une majorité absolue était de son côté, le pressant même à faire une première déclaration officielle dans les prochaines jours. L'hostilité à l'égard des pays voisins n'était pas une nouveauté pour lui. Certains de ses conseillers gardaient encore une haine vorace contre leurs ennemis d'autrefois.
- La fille représente-t-elle un danger pour vous votre Altesse ? Osa demander l'un d'entre eux quand la réunion fut terminé.
Le seul danger que représentait la fille c'est la culpabilité qu'elle nourrissait en lui.
- Elle est en danger Jamad, c'est là toute la différence, il faut la protéger. Je suis coupable de négligence.
Jamad insistait de peur que la jeune femme puisse un jour parler du traitement qu'il lui avait réservé avant que la vérité le frappe. La peur que cela ternisse son image semblait inquiéter les conseillers.
- Elle est apeurée et en détresse absolue, la seule et unique chose qui pourrait ternir mon image c'est qu'on apprenne que nous aurions pu éviter sa mort.
Jamad baissa la tête avec un air désolé.
- Imagine une seconde qu'il ait pu s'enfuir avec elle et que je fasse remonter l'affaire à l'international sans savoir une seconde que j'avais la possibilité de la sauver. Imagine la responsabilité qui m'aurait incombé sur la scène politique.
- Son altesse a raison, intervint Amadh en regardant tour à tour les hommes autour de la grande table ronde. Nous dominons nos alliés mais ce genre de situation aurait pu affecter l'image de notre chef de guerre ici comme ailleurs.
Les conseillers s'inclinèrent avant de s'effacer pour rejoindre leur poste respectif.
- Le peuple peine à comprendre les raisons de sa captivité.
- Et ils resteront dans l'ignorance jusqu'à ce que j'en décidé autrement. Ma plus grande préoccupation là tout de suite c'est de savoir si Raya va revenir avec les réponses à mes questions.
Pratiquement au même moment, quelque coups timides résonnèrent contre la porte.
La porte s'ouvrit sur Raya qui avait les yeux baissés et le teint livide. Nazir serra les mâchoires férocement, le regard noir.
- À en juger l'expression de ton visage, tu es sur le point de m'apporter la pire des réponses n'est-ce pas ? Siffla-t-il entre ses dents.
- Non votre altesse, s'empressa de dire Raya en inclinant la tête. Je suis simplement bouleversée de l'avoir poussé à se confier. C'est terrible pour elle, je ne veux plus jamais devoir faire cela.
Le visage de Nazir s'adoucit aussitôt mais avec quelques réserves.
- Tu as ma parole Raya, lui dit-il en restant derrière son bureau.
Raya rejoignit son mari en redressant la tête. Une expression amère sur le visage elle déclara :
- Cet homme n'avait pas le droit de dépasser cette limite, commença-t-elle avec difficulté. Il s'est cependant amusé à la toucher mais cette chose horrible à laquelle nous avons tous pensés ne s'est pas produit.
Nazir dont le visage était fissuré par une noirceur égale à la tenue qu'il portait resta muet sans quitter des yeux Raya. Il l'avait touché, mais n'avait pas abusée d'elle. Est-ce que cette information suffisait à pousser un soupir de soulagement ?
Non.
Car Raya n'avait pas terminé.
- Ce droit lui était réservé seulement après la réussite du...contrat, ajouta-t-elle d'une voix tremblante et bouleversée. C'était l'ultime récompense ensuite elle...
- ...devait revenir à son frère, conclut Nazir d'une voix désarticulée par la rage qu'il maintenait difficilement hors de la surface. Assez désormais, nous avons suffisamment d'informations à notre disposition.
Il contourna la grande table ronde en se passant une main dans sa barbe. Si un autre que lui était tombé dans ce piège et avait signé ce contrat frauduleux, la jeune femme aurait alors subie la dernière étape de l'horreur.
- Elle refuse de manger, déclara Raya en regardant Amadh l'air désespéré.
Nazir manquait d'air et se sentait à deux doigts d'écraser son poing contre la table pour soulager ses désirs d'avoir le sang de Dixon sur les mains.
Il rugissait intérieurement de rage et sentait que le contrôle était en train de lui échapper. En dépit de la présence d'Amadh et de sa femme, Nazir écrasa son poing sur la table sans ressentir la moindre douleur et rafla les feuilles éparpillés sur celle-ci d'un mouvement hors de contrôle. La respiration saccadée par la fureur il tenta de réprimer l'effroyable besoin de tuer quelqu'un pour apaiser ses nerfs et ferma les yeux. Nazir n'avait jamais réagi ainsi parce que jamais...il n'avait été confronté à ressentir une aussi grande culpabilité.
- Votre Majesté...
- Elle mangera avec moi ce soir, annonça-t-il fermement sans savoir si cette décision était à ce jour la plus raisonnable.
Mais avait-il le choix ?
- Vous êtes certain que c'est une bonne idée ? Osa demander Amadh.
- Elle dinera avec moi ce soir, dit-il avec autorité en quittant la salle de réunion déterminé à gagner la confiance de la jeune femme avant que celle-ci puisse voir son visage qui était d'une certaine façon... tout aussi semblable que le timbre de sa voix...
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