Chapitre 8
Kate n'avait d'autre choix que de rester dans ce lit et de prier pour que sa prise de parole ne la conduise pas vers d'autres ténèbres. Lorsqu'elle avait entendu le petit hoquet de Raya, elle avait immédiatement compris qu'elles n'étaient plus seules dans cette chambre. L'air s'était alors épaissi, et elle avait senti autour d'elle une lourde présence entourée d'une aura froide. C'est alors terrorisée qu'elle s'était glissée dans le lit en devant lutter contre de violents tremblements. Puis Raya l'avait quitté.
Maintenant, elle était seule avec cet homme sans visage mais dont la voix indiquait clairement qu'il ne connaissait pas la douceur.
- Je ne vous aurai pas laissé mourir, et vous ne devriez pas y songer de la sorte.
Qu'aurait-il pu dire d'autre ? Songea-t-elle en inspirant difficilement.
- Vous ne pouvez pas...
- Comprendre ? La coupa-t-il alors qu'elle entendait ses pas se rapprocher. J'aimerai comprendre mademoiselle Russo, j'aimerai connaître votre histoire.
Kate eut un mouvement de recule incontrôlable à l'écoute de ses pas qui continuaient de se rapprocher et ils cessèrent sur l'instant.
Nazir resta à quelques mètres du lit avec une sorte d'amertume dans la gorge. Savoir qu'elle attendait que la mort vienne la chercher lui pinça le cœur malgré sa volonté de l'ignorer.
Combien d'ennemi l'avait supplier de rester en vie ?
Des centaines.
Aujourd'hui cette jeune femme aurait clairement voulu mourir plutôt que de rester en vie. Le point final d'une lutte qui avait connu l'épuisement et le désespoir. C'était terrible à entendre tout comme il lui était insupportable de voir ces larmes ruisseler sans cesse sur ses joues qu'il devinait froides.
Pour la première fois depuis qu'il était en capacité de se servir des armes les plus dangereuses jamais il ne s'était senti aussi démuni devant une tragédie telle que celle-ci. Ajouté à cela le fait qu'il s'agissait d'une femme.
Il ignorait comme réagir car d'ordinaire il faisait face à des femmes de son âge, armées d'une capacité à séduire sans vaciller. D'autres donnaient toutes leurs énergies à se faire remarquer, d'autres l'avaient crains mais sans jamais se détacher de cette oisiveté qu'il méprisait tant. Kate Russo ne faisait pas partie de ces catégories et encore moins celle de son âge. Celle où les jeunes femmes sortent entre filles, s'enivrent jusqu'à l'aube ou bien passent la plupart de leur temps à étudier ou à vivre pleinement de leur passion.
Kate Russo était dans aucune de ces catégories. Elle était tristement unique.
Comment lui parler sans que sa voix naturelle ne la fasse craindre davantage pour sa vie ? Comment devait-il réagir devant cette fragilité, cette douleur constante qui animait ce corps frêle et abîmé ?
- Je sais désormais qui vous êtes, je connais des détails sur ce qui vous est arrivée mais je suis certain de pouvoir vous aider davantage si vous acceptez de me parler.
- M'aider ? Répéta-t-elle d'une voix éraillée. Vous ne pouvez pas m'aider. Est-ce que...est-ce que vous allez me garder longtemps ?
- Aussi longtemps qu'il sera nécessaire de vous garder, répondit-il sur un ton impérieux qu'il regretta aussitôt.
Une moue proche de la peur se forma sur ses lèvres rouges sang.
- Pour quel motif ? Demanda-t-elle d'une voix tremblante.
- Vous le connaissez, c'est pour cette raison que vous devriez me parler. Vous n'avez rien à craindre de moi.
- Pourtant...
- Ma fureur m'a poussée à réagir d'une manière que j'aurai dû réserver à l'ennemi, la coupa-t-il sur un ton plus amène et détendu bien qu'hélas sa voix ne lui apportait aucune faveur. Je n'aurai jamais dû user de cette brutalité et encore moins vous enfermer dans la prison réservée aux hommes. Sachez que je le regrette et que ça ne se reproduira plus.
Elle serra le drap blanc entre ses doigts tremblants et Nazir décida d'user du silence pour la laisser prendre d'elle-même la décision de lui parler ou non.
Cependant il rajouta :
- Je suis loin de vous, près du fauteuil, je n'ai pas l'intention d'avancer.
Allait-elle lui narrer sa terrible histoire ? Méritait-il de la connaître ?
Nazir avait besoin de toutes les pièces du puzzle pour mieux anticiper les craintes de la jeune femme.
- Qu...que voulez-vous savoir ? Dit-elle enfin la tête légèrement penchée sur le côté.
- Pourquoi votre frère vous a donné à Finn Dixon ?
Cette simple question aspira la jeune femme dans une peur totale qui se traduisait par les mêmes tremblements répétés qui ne semblaient plus vouloir la quitter.
- Paolo avait besoin d'argent, je...crois qu'il a accepté un accord avec Finn pour...
Elle s'interrompit littéralement effrayée.
- Je ne vais pas vous faire du mal, répéta Nazir sur ton le plus doux possible.
- Ils employaient eux aussi la même intonation de voix pour me dire que je ne risquais rien. Finn m'a dit et répété cette phrase une bonne dizaine de fois et quelques minutes plus tard...j'ai eu très mal au visage et ça ne s'est plus arrêté.
Nazir dont l'expression s'était fissurée avait vu juste lorsqu'il avait décidé d'agir avec fermeté lors de sa crise de panique.
Cette jeune femme avait été moquée par des phrases doucement glissées afin qu'elle s'y raccroche pour mieux lui faire du mal.
C'est donc pour cette raison invraisemblable qu'elle s'était calmée lorsqu'il lui avait annoncé sur un ton impérieux qu'elle ne retournerait pas là-bas.
Nazir comprit alors qu'il marchait sur un fil plus fragile qu'il le pensait, car il allait devoir allier sa dureté à une douceur qu'il ne connaissait pas pour gagner sa confiance.
Lui répéter inlassablement qu'il ne lui ferait aucun mal sur un ton rassurant avec cette voix douce l'a ramené cruellement à revivre ces instants douloureux et à la faire douter de sa parole.
- Je ne suis pas ces hommes, lui dit-il fermement en guettant sa réaction.
Elle resta silencieuse mais les tremblements sur ses lèvres se mirent subitement à ralentir.
- J'ai pleinement conscience que c'est difficile pour vous et c'est pour cette raison que je pense qu'il serait bon que je pose des questions et que vous soyez aussi brève que possible. Répondez par oui ou par non autant de fois que vous le voulez.
Kate s'accrochait à cette voix sombre avec des frissons partout sur le visage.
- Est-ce que Paolo savez pour les manigances de Dixon ?
- Oui, murmura Kate non sans trembler, ils n'arrêtaient pas de parler d'un gros contrat, depuis plusieurs mois. Paolo était pressé et nerveux mais pas Dixon.
- Est-ce qu'il y a un lien entre vous et ce contrat ?
La jeune femme ferma ses doigts sur les couvertures avec une nervosité semblable à celle d'une personne hésitant à dire la vérité.
- Je ne sais pas, murmura-t-elle enfin.
Nazir décida qu'il ne valait mieux pas insister.
- Depuis combien de temps avez-vous été donné à cet homme ?
- Onze mois.
Onze mois de trop, songea-t-il en se redressant sur le fauteuil pour détendre ses nerfs noués par une colère silencieuse. Nazir se racla la gorge sans la quitter des yeux alors qu'elle n'avait de cesse de tourner la tête à l'inverse de lui...comme si elle voulait le fuir. Nazir devait l'accepter. Il venait d'ouvrir une brèche et c'est petit à petit qu'il devait obtenir sa confiance.
Cependant Nazir avait bien du mal à contenir cette question délicate qui lui brûlait les lèvres. À la simple pensée qu'elle ait pu endurer des violences sexuelles le rendait encore plus déterminé à torturer cet homme avant de le tuer.
- Je devais revenir à Paolo après ce contrat, dit-elle soudain et son plus grand étonnement.
Il resta silencieux dans l'espoir improbable qu'elle se confie à lui sans qu'il soit obligé de la pousser à le faire.
- L'argent de ce contrat devait servir à rembourser la dette de Paolo, j'étais juste une garantie. C'est tout ce que je sais je vous le promet.
Nazir la croyait, elle n'avait aucune raison de mentir sur un sujet aussi grave.
Le résumé de cette sordide histoire était assez simple. Cette jeune femme avait été vendu dans un accord sordide et il avait été la cible d'un achat qui en réalité dissimulait une grande escroquerie. Bien sûr ces deux amateurs n'avaient pas imaginé que leur scénario bien pensée soit écrasé d'une main de fer.
- Assez pour aujourd'hui, décréta Nazir en se levant. Merci pour vos réponses, et je regrette de vous y avoir...en quelque sorte forcé. Je n'imagine pas à quel point c'est difficile pour vous. Soyez tranquille désormais.
Kate n'osait pas faire le moindre mouvement. À la vérité elle était pétrifiée par cette voix sombre et dure, mais à force de l'entendre elle avait fini par noter qu'elle était naturellement sombre. Cela faisait partie de lui.
L'obscurité l'empêchait de mettre un visage sur ce cheikh et c'est aussi pour cette raison qu'elle le craignait autant.
- Que vais-je devenir ?
Ses pas frappant le sol comme des coups de tonnerre répétés cessèrent brusquement. C'était désormais difficile pour elle de connaître sa position dans cette pièce dont elle ignorait tout. Son avenir était incertain. Son corps épuisé et douloureux avait désespérément besoin de savoir ce qu'il allait devenir. Était-elle une monnaie d'échange ? Allait-il la rendre à son frère ?
Jugé impitoyable, le cheikh n'avait pas l'air d'être un homme à perdre son temps à s'émouvoir sur le sort d'une étrangère. Sa voix d'une dureté effrayante le confirmait.
Allait-elle être libérée dans la nature une fois qu'elle serait en mesure de revoir ?
Kate avait peur de l'inconnu mais espérait secrètement qu'il choisisse cette option.
Survivre seule dans New York était le seul espoir avant la mort qu'il lui restait.
L'idée qu'il puisse s'emparer seulement de Dixon et laisser son monstre de frère s'en tirer signifiait une mort lente et douloureuse pour elle. Kate savait ce qui l'attendait là-bas, Paolo lui aussi le savait, tout comme Estella sa fiancée qui détenait les commandes d'un autre enfer auquel elle ne pourrait survivre.
Son corps se mit à trembler, et les larmes tombèrent sur ses joues.
Le plus terrifiant fut le silence du cheikh.
Si elle connaissait ce qui l'attendait là-bas, ici son avenir était aussi noir que l'obscurité dans laquelle elle essayait de survivre. Cet homme qui se trouvait dans la pièce allait-il ressentir assez de pitié pour elle au point de la libérer ?
- Vous allez rester ici, répondit-il enfin.
Cette réponse tardive avait des échos d'un mystère volontairement affiché.
- Est-ce...est-ce que vous allez me rendre à mon frère ?
Un autre silence s'ensuivit mais cette fois-ci bien plus inquiétant.
- Je ne vous rendrai à personne, pas même au reste du monde, acheva-t-il de dire sur ton indiscutable qui l'empêcha aussitôt de respirer.
- Essayez de dormir un peu, le repos est indispensable à votre guérison, ajouta-t-il avant qu'elle entende la porte se fermer.
Plongée dans un autre silence, Kate tourna la tête vers le bruit de cette porte se refermant sur le cheikh avec le cœur battant.
Que voulait-il dire ?
Frissonnante de la tête aux pieds elle tenta d'ouvrir les yeux sous le bandage mais les referma très vite. Un sanglot lui noua la gorge alors qu'elle répétait en boucle dans sa tête la réponse de cet homme afin d'en comprendre le sens.
Hélas le sens était précis et redoutable. Kate se redressa lentement en grimaçant de douleur avec la sensation que l'aura puissante de l'homme se trouvait encore là.
Elle avait l'impression d'être happée par une force méconnue jusqu'à ce que cette impression devienne réelle quand deux mains à la fois dominantes et prudentes se posèrent sur ses épaules afin d'éviter qu'elle fasse ce que son instinct de survie voulait la pousser à faire.
Fuir à nouveau.
Délicatement, ces mains ferment se mirent à exercer une pression pour qu'elle se rallonge alors qu'une odeur virile lui montait au nez.
Kate trembla, se mit à frissonner mais se laissa faire tout en attendant le moment où elle serait punie pour avoir voulu tenter ce qu'il semblait impossible.
Rien ne se passa.
Elle entendit seulement le bruit d'une lourde respiration puis les pas s'éloignèrent à contresens de la porte. Elle comprit alors que le cheikh avait repris sa place dans le fauteuil et qu'il resterait ici.
Combien de temps ?
Ça elle l'ignorait...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top