Chapitre 45



Kate ne sentait plus la chaleur écrasante de l'extérieur. Les cellules de la prison étaient particulièrement froides et elle frotta ses bras pour se réchauffer. Elle ignorait depuis combien de temps elle était enfermée ici et n'avait pas connaissance de ce qu'il se passait. Pendant une seconde elle se surprit à penser que Nazir l'avait peut-être piégée en l'enfermant ici afin qu'elle se tienne éloignée du pire.

" Fais-moi confiance "

Elle se raccrochait à ces mots pour ne pas tomber dans le piège de ses propres pensées. Si c'était aussi long c'est qu'il devait bien avoir une raison valable, songea-t-elle en fixant le couloir de la prison.

Alors elle inspira profondément et s'installa sur le même banc en pierre qui signifiait beaucoup pour elle.

Elle toucha le mur effrité en priant pour que le bonheur qu'elle sentait prendre possession de sa douleur revienne enfin et à jamais...

Dans un silence glaçant, Nazir passa ses mains ensanglantées sous l'eau en comptant les minutes qu'il lui restait devant lui. Le plan marchait à merveille à quelques exceptions près. Paolo Russo était effectivement arrivé près du palais mais pas tout seul.

En plus des hommes payés pour le tuer, le frère de Kate avait pris comme garantie une enfant de sept ans avec lui.

Nazir avait dû très vite agir et mettre en action son plan.

La petite fille terrifiée avait fini par être relâchée et Raya prenait soin d'elle dans une aile sécurisée du palais. Ce contretemps qui aurait pu tourner au drame renforçait son désir de lui arracher la tête, mais il devait se montrer patient. Prétextant un coup de téléphone urgent, usant de son air diabolique, Nazir avait pu s'éclipser du salon privé pour faire son devoir.

Amadh avait eu pour recommandation de le divertir le temps pour lui de tuer avec l'aide de ses gardes, les dix-sept hommes engagés par Paolo.

Nazir avait étudié leur position au alentour du palais pour les piéger et désormais Paolo était seul...enfermé dans cette folie digne d'un vrai psychopathe.

Il jeta la serviette sur la table et s'empressa de rejoindre le salon privé avec une seule obsession en tête.

Kate.

La pauvre était enfermée dans cette cage comme un animal et il se maudissait pour toutes les douleurs que cet endroit était sans doute en train de lui infliger.

Il fallait en finir au plus vite.

- Ah votre Altesse ! S'exclama Amadh en forçant une bonne gaité. Nous étions justement en train de nous demander où vous étiez passé.

Caché derrière son keffieh noir, Nazir limitait la visibilité de ses expressions digne des ténèbres.

- Cet appel a été plus long que prévu je vous prie de m'excuser, dit-il en revenant s'asseoir dans son fauteuil.

Pour gagner la confiance de Paolo, il l'avait autorisé à entrer avec son arme qu'il tenait précieusement. À force de le regarder, Nazir pouvait décrire un homme pitoyable et drogué. C'était facile à déterminé car l'Italien était pris par des tics réguliers et n'arrêtait pas de se frotter le nez comme si le manque devenait insupportable. Cheveux coupé court, brun, il avait le profil typique d'un homme qui n'a pas l'habitude de se salir les mains. Nazir avait beau chercher, il ne trouvait aucun trait de famille avec Kate. Paolo Russo était en réalité le portrait craché de son père.

- Alors, où se trouve ma très chère petite sœur ?

Sa voix impatiente ne laissait aucun doute quant à sa détermination à la voir. Nazir tenta au mieux de contrôler son côté bestial.

- Dans les prisons du palais, là où est sa place, répondit Nazir en continuant le rôle du geôlier aussi cruel que l'était son ennemi.

L'italien éclata d'un rire diabolique en sortant quelque chose de sa poche.

- Et moi qui pensais que vous étiez tombé en amour pour elle, commença-t-il en traçant une ligne droite sur le dos de sa main pour ensuite la porter à son nez. Vous voyez ce que je suis obligé de faire pour calmer mon état ! Poursuivit-il en frottant son nez. Depuis que vous l'avez avec vous je tombe dingue.

Nazir resta impassible et concentré sur cet homme qui à lui seul, racontait l'enfer que Kate avait dû subir.

- Votre...ami était rentré illégalement sur mes terres pour me piéger, il me fallait une garantie. Alors j'ai capturé votre sœur et j'ai fait d'elle ma prisonnière.

- Donc cette histoire de mariage c'est juste un leurre pour la presse ?

- Pour que la presse se calme car elle craignait que cette captive amène les américains à nous menacer.

- Très astucieux de votre part, dit-il avec un sourire complice. Et donc elle ne vous a pas trop posé de problèmes ?

- Non, elle a été disons...docile...

Nazir usait de mots stratégiques qui animaient très clairement la perversité de l'homme qui aussitôt, esquissa un lent et large sourire.

Comme s'il se félicitait d'en être l'auteur.

Il ramena le canon de son arme à sa tempe pour la gratter avec un rire faible.

- J'aimerai savoir quels sont vos arguments pour la récupérer ? Hormis le fait que c'est votre...sœur, lança soudainement Nazir en serrant les accoudoirs du fauteuil.

Il haussa des épaules en le regardant droit dans les yeux.

- Vous n'allez pas vous alourdir d'un fardeau aussi important et inutile pour le reste de votre vie, expliqua-t-il en perdant son sourire devant le sérieux impitoyable du cheikh.

Car malgré l'effet incontestable de la cocaïne qu'il avait pris, et derrière ses pupilles dilatées, Nazir voyait une peur étouffée par le monde parallèle dans lequel il était enfermé.

Cette peur se réveilla quand tout à coup, Nazir se pencha en avant pour poser ses coudes sur ses genoux.

D'instinct son ennemi resserra les doigts sur son arme et recula contre le dossier du fauteuil.

- Ce n'est pas un argument suffisant monsieur Russo.

- C'est ma sœur, j'ai autorité sur elle et il serait imprudent de la garder ici avec ce faux mariage qui n'en ai pas un. C'est un poids mort pour vous, expliqua-t-il en étouffant un rire. Quoi ? Vous voulez que je vous l'achète ? Ajouta Paolo en les regardant tour à tour. Trois millions de dollars ?

Nazir vit rouge et le contrôle commençait à lui échapper. Il pouvait sentir Amadh se raidir dans son fauteuil, il pouvait sentir l'atmosphère se tendre. Il parlait de Kate comme une marchandise et aucune émotion animait ses yeux quand il parlait d'elle.

L'excitation était présente, l'impatience aussi mais rien d'autre...

- C'est intéressant, glissa Nazir en se calant à nouveau dans le fauteuil.

Amadh qui gardait le silence savait que tout allait se finir ici, dans ce salon privé. Kate ne sera jamais face à son frère. Il le savait car les yeux de son roi commençaient à se remplir d'une noirceur digne des ténèbres.

Plus ce monstre parlait plus la mort se rapprochait.

Ses pensées se tournèrent vers la jeune femme, seule, alors que la nuit était totalement tombée. Elle attendait quelque chose qui ne viendrait pas et c'était probablement mieux ainsi...

- J'ai l'habitude de la négocier, répondit Paolo avec en esquissant un sourire lubrique. Dites-moi votre prix tout ce que je veux c'est la récupérer.

- Et ensuite ? Qu'allez-vous faire d'elle ? Je suis curieux de le savoir.

Amadh tourna furtivement la tête en direction du cheikh qui avait repositionné ses mains sur les accoudoirs pour les broyer.

Paolo dévisagea le cheikh sous un silence écrasant, puis il déclara :

- Vous savez, c'est à cause d'elle que mon père est mort, commença-t-il avec un goût d'amertume dans la voix. Ma garce de mère l'a tué pour elle, pour sa pauvre petite fille. Aucune des deux n'étaient capable de faire preuve de discipline. Mon père était un homme qui aimait la discipline, l'autorité, et ma mère n'a jamais été capable d'apprendre à obéir.

Il émit un rire diabolique en secouant la tête.

- Kate est la cause de sa mort, si elle n'avait jamais été là, mon père serait encore en vie. Alors j'ai décidé de faire ce que mon père aurait voulu que je fasse tout simplement.

- En la brutalisant ? C'est ça l'avenir que vous comptez lui offrir ? Une vie de discipline ? Lança Amadh incapable de contenir la colère qui montait en lui.

Néanmoins il était capable de la dissimuler derrière un ton diplomatique.

- Elle m'appartient, je fais ce que je veux d'elle, mais si vous tenez tant à le savoir, une fois que je l'aurai récupéré, elle restera avec moi aussi longtemps que je le voudrais puis ensuite...

Il fit un geste de la main évasif avec un sourire lubrique.

- Ensuite peut-être que je retenterai l'expérience d'une garde partagée.

Tout ce passa très vite, beaucoup trop vite.

Amadh resta prostré dans le fauteuil, n'osant plus bouger. Le lion venait de bondir sur sa proie et l'odeur de sang commençait à s'étendre dans la pièce. Un cri de douleur s'étrangla dans le silence alors que la lame aiguisée du sabre continuait lentement de suivre la trajectoire voulu par celui qui la tenait. Le fauteuil se renversa en arrière emportant le lion et la proie dont la poitrine s'écartait comme un dépeçage à la découpe parfaite.

Amadh voulut arrêter le lion, mais c'était trop tard. Un coup de feu se mit à retentir mais celui-ci s'effaça dans le mur comme un acte isolé sans importance et le monstre qui gisait dans une marre de sang les yeux exorbités faisait face au lion qui lui, glissa d'une voix rugissante.

- Elle est à moi.

Amadh se leva, quand la fin fut prononcée par le conquérant extirpant la lame des entrailles de la proie.

L'odeur de fer était prenante mais Amadh l'affronta. Le cheikh se releva lentement, exposant ses vêtements ensanglantés, mais plus important encore, son regard obscur fragmenté par des ruissellement de gouttes de sang qui tombaient sur son keffieh. La mort. Seule la mort habitait son regard au-dessus du corps sans vie du monstre.

- Votre Majesté ? L'appela Amadh d'une voix prudente.

Il lui répondit par l'éloignement de ses pas rapides et déterminés à retrouver sa femme...

Kate se passa les mains sur le visage et sursauta lorsqu'un nouveau bruit traversa la prison. Les lumières très chaudes au plafond donnait à la prison un style médiéval effrayant. L'inquiétude la rongeait de l'intérieur car le temps semblait trop long...beaucoup trop long.

Personne n'était venu à elle, aucune information lui était parvenue et elle était frigorifiée.

Elle se leva pour agripper les barreaux, et lança d'une voix éraillée un appel de détresse. Enfin, sur les murs au loin, elle vit une silhouette se projeter comme une ombre qui avançait vers elle. Son cœur cessa de battre pendant une seconde. La silhouette s'avança sans qu'elle puisse la distinguer clairement. Il ne s'agissait pas de Nazir qui était nettement plus grand.

- S'il vous plaît est-ce que vous avez des nouvelles ? Lança-t-elle à l'adresse du garde.

Hélas la seconde suivant, elle réalisa qu'il ne s'agissait pas d'un garde mais d'un homme armé, le canon pointé vers elle. Kate se recula en exhalant un souffle tremblant.

- Apparemment morte ou vivante cela ne fera aucune différence pour récupérer l'argent qui m'a été promis, déclara-t-il en saisissant son poignet avant qu'elle n'est eu le temps d'enlever ses mains des barreaux.

Il tira sur son poignet pour la plaquer contre la grille en fer et son front heurta l'un des barreaux.

Sonnée, Kate porta sa main libre sur sa tempe puis jusqu'à l'endroit impacté en se laissant glisser à terre. La vision troublée, elle sentit une pression terrible sur son poignet que l'homme tenait toujours et leva son regard vers lui. L'image n'était pas nette mais elle pouvait voir l'arme qu'il pointait sur elle avant que la douleur cesse brutalement. Des coups de feu se mirent à retentir l'obligeant à se protéger du bruit de cette rafale de balles.

Puis tout s'arrêta et le silence tomba dans la pénombre.

Kate porta son poignet douloureux contre sa poitrine, la tête baissée, la vision brouillée par le choc et sentit des bras la soulever. Elle lutta, s'accrochant à Nazir qu'elle avait identifié grâce à son visage masqué et se cramponna à lui, une nausée dans la gorge.

L'odeur était forte et composée de rouille et de fer mêlés. Elle sentit sur ses doigts agrippés aux épaules du cheikh quelque chose d'humide et quand l'éclairage fut plus intense elle découvrit du sang.

- Chuttt...c'est fini, tu entends c'est terminé...

Nazir l'allongea dans la première chambre qu'il trouva à porté de main et examina l'entaille sur son front.

- Le médecin Amadh ! Vite !

- Je m'en occupe, allez vous changez votre Altesse, intervint Amadh.

- Non, je m'en charge, il faut...

- Croyez-moi fiston, il vaut mieux m'écouter, le coupa-t-il en posant une main sur son épaule.

Nazir releva la tête peu préparé à faire face à son propre reflet renvoyé par le grand miroir placé au-dessus du lit.

C'est à ce moment-là qu'il réalisa qu'il était couvert de sang et que plus il touchait Kate plus il lui en mettait partout.

Ses mains, son visage, sa robe...le lit...

Alors c'est à contrecœur qu'il se leva pour s'écarter d'elle, la respiration erratique encore sifflante de rage.

Il s'éloigna alors, tel un monstre enragé mais amoureux...

À tel point qu'il sentit une larme solitaire se former au creux de sa paupière.

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