Un grand dilemme s'opposait à Kate et elle ne savait pas quel chemin prendre. Nazir était dépourvu d'émotions et ne la regardait même plus dans les yeux comme s'il essayait de lui cacher son visage déformé par une froideur glaciale. Pourtant, il fallait à tout prix qu'il l'écoute avant de faire un choix qui pourrait les mettre en danger. Bien pire. Kate connaissait son frère et sa détermination animée par son égo surdimensionné était dangereuse. Kate craignait qu'il puisse s'en servir et blesse n'importe qui pour l'avoir.

Au plus profond de son cœur, Kate savait que Nazir était bien trop fort et bien plus tactique que son frère mais là n'était pas la question.

Car ce soir d'hiver, dans une tentative désespérée de lui échapper, Paolo l'avait retrouvé près d'un magasin de jouets complètement frigorifiée et ce soir-là c'est avec un petit garçon dans les bras qu'il s'était agenouillé pour la confronter le long de ce trottoir à peine animé.

Ce soir-là, il n'avait pas usé de la violence pour qu'elle rentre avec lui. Non. Il s'était servi du petit garçon pris au hasard dans la rue pour la menacer que plus jamais il reverrait sa maman si elle osait encore le défier.

Âgé à peine de trois ans, elle se souvenait des grands yeux marron de ce petit garçon et de son prénom crié par sa mère non loin de là.

Léo...

Ce chantage terrifiant l'avait brisé et elle se souvenait encore de l'avoir supplié à genoux pour qu'il le rende à sa mère. Alors Paolo avait prétexté à la mère de l'enfant l'avoir retrouvé près du magasin, passant pour le héros.

Aujourd'hui, Kate craignait qu'il puisse utiliser les mêmes tactiques émotionnels pour la faire plier. De plus, deux villages étaient à proximités du palais.

Kate ne supportait pas qu'il puisse éventuellement recommencer.

- Il faut impérativement changer de stratégie Nazir.

- Kate ne recommence pas s'il te plaît, dit-il froidement en bouclant sa valise.

- Je n'irai nulle part Nazir, pas tant que tu ne m'auras pas écouté.

Son visage glacial se tourna enfin vers le sien.

- Le soleil ne va pas tarder à se coucher et j'ai un combat à préparer. Kate ne m'oblige pas à recourir à la force.

- Justement c'est précisément là que je veux en venir. Tu n'as peut-être pas besoin de recourir à la force pour l'attraper. Je t'en supplie écoute-moi ! S'écria Kate quand il leva sa main pour la faire taire. Tu as dit que tu ne voulais pas d'une femme robotisée et j'applique tes conseils à la lettre.

- Le temps presse et il faut que je te mette à l'abris.

- C'est une mauvaise idée de se séparer, tu as entendu ce que j'ai dit tout à l'heure ? Paolo est guidé par sa soif d'égo, il a peut-être plus d'un tour dans son sac. Je le connais Nazir.

- Et tu sembles ne pas me connaître, dit-il d'une voix sombre en s'approchant dangereusement.

- Bien sûr que si ! Je te connais et je sais que je n'ai pas en face de moi l'homme qui me caresse les cheveux et me murmure que tout ira bien. J'ai en face de moi le guerrier sans âme et je lui demande de m'écouter.

Une lueur orageuse s'alluma dans ses yeux mais il consentit à l'écouter enfin.

- Je ne veux pas que des personnes soient blessées et je sais comment Paolo fonctionne. Il usera de n'importe quel moyen pour me faire plier. Il l'a déjà fait par le passé. Je ne serais jamais en sécurité loin de toi Nazir. Imagine une seule seconde qu'il soit au courant pour la demeure près de la mer ?

- Et comment le peut-il le savoir ?

- Tu as entendu Amadh ? Il a dit que Damon Kyovasko allait le recontacter. Je le connais c'est un tacticien comme toi et s'il a dit ça c'est que peut-être...

- Habibti, je sais ce que j'ai à faire pour te protéger.

- Tu es un tacticien redoutable Nazir, je t'en prie, je t'en supplie, ne soit pas seulement guidé par l'envie de vengeance au risque que quelqu'un soit blessé.

Les larmes aux yeux, Kate posa ses mains sur son torse dur comme de la pierre et remonta sa main droite jusqu'à sa cicatrice qu'elle effleura du bout du doigts.

- Est-ce que..est-ce qu'il y a une chance que tu m'aimes ? Lui demanda-t-elle d'une voix brisée. Parce que si c'est le cas, je t'en supplie ne me laisse pas partir.

Nazir ne montra rien du choc qu'il venait de recevoir en plein visage.

La dureté dont il faisait preuve depuis qu'il savait que son ennemi se rapprochait de ses terres se fissura.

" Est-ce qu'il y a une chance que tu m'aimes ? "

On frappa à la porte, laissant ce moment à l'arrêt et les larmes de Kate lui déchira le cœur. Il aurait dû lui répondre, il aurait dû lui expliquer qu'il commençait à connaître l'amour grâce à elle et que la seule façon pour lui de lui montrer c'est en faisant couler le sang.

Ce n'est pas ce qu'elle voulait...

Du moins elle le craignait au point d'en pleurer...

- Je viens d'avoir Damon Kyovasko au téléphone, commença Amadh en se tenant à distance, voyant bien qu'il venait d'interrompre un moment délicat.

- Alors ? Qu'a-t-il trouvé ?

- Comme je vous l'ai dit monsieur Kyovasko a trouvé Estella au sud de New York dans une zone isolée est...

- Elle est dans le coup c'est ça ? Coupa sa femme en sanglotant. C'est pour ça que Damon a dit qu'il fallait se méfier comme j'arrête pas de te le dire.

Désespérée elle lui lança un regard indescriptible et se retourna au ralenti pour gagner l'un des fauteuil.

- Elle est dans le coup ? S'enquit Nazir à l'adresse d'Amadh.

- Monsieur Kyovasko a intercepté le plan initial mais elle avait un rôle à jouer et elle l'a joué à merveille.

Nazir écarta ses doigts pour les fermer en poing.

- Qu'a-t-elle fait ? Siffla-t-il entre ses dents.

- Elle avait son portable sur elle, et pendant qu'elle jouait la victime de mon frère elle a sûrement dû nous entendre parler de l'endroit où tu voulais m'emmener est-ce que j'ai raison ?

Amadh eut un bref mouvement de tête pour confirmer les dires de Kate.

- Et puis-je savoir où elle se trouve en ce moment ?

- J'ai donné l'ordre aux autorités d'Hizhrah de la conduire dans les prisons du centre-ville, le temps pour vous de décider de son sort.

- C'est entièrement de ma faute, glissa la jeune femme depuis le fauteuil, l'air coupable, le teint pâle. J'aurai dû vous avertir de vous méfier, je connais Estella, j'aurai dû comprendre qu'elle jouait un rôle. Même moi j'y ai cru pendant une seconde.

- Rien n'est de ta faute, répliqua Nazir fermement. Mais maintenant j'ai compris, j'ai compris ce tu tentes de me dire depuis des heures maintenant.

Elle releva ses beaux yeux verts sur lui, et il put même déceler qu'elle venait de retenir son souffle.

Sa stratégie d'attaquer et faire couler le sang n'était pas ce qu'il devait faire pour attraper son ennemi. Kate avait raison.

- Il faut trouver un moyen de le piéger autrement, lâcha-t-il à la plus grande surprise d'Amadh.

Sa femme elle, se redressa sur le fauteuil, les yeux animés par une faible lueur d'espoir.

- Tu restes avec moi, ajouta-t-il d'une voix gutturale.

Sa réaction fut telle qu'il l'espérait. Elle se précipita dans ses bras, un sanglot dans la gorge qui éclata lorsqu'elle posa sa joue contre son torse. Nazir la serra contre lui en espérant que cette prise possessive soit suffisamment parlante pour qu'elle puisse lui pardonner.

- Je ne comprends pas votre Altesse, lança Amadh l'air incrédule.

Nazir s'écarta de Kate pour lui exposer son plan.

- Kate a raison, elle le connait plus que n'importe qui dans ce palais. Maintenant que sa traîtresse de femme a parlé, emmener Kate dans ma demeure est trop dangereux.

- Vous semblez oublier qu'il s'agit de la reine, si elle reste ici pendant l'attaque cela mettra sa vie en danger, précisa Amadh très inquiet.

- Pas si elle est ma prisonnière, répliqua le cheikh en aiguisant l'incompréhension de son bras droit.

Une onde d'inquiétude se propageait autour de lui et elle provenait de sa femme. Il s'empressa de lui prendre la main sans lâcher le regard d'Amadh.

- Paolo marche avec son égo, alors je crois que la meilleure stratégie à adopter c'est de faire croire que je suis de son côté.

- Vous voulez dire que...

- Je veux dire lui faire croire que Kate n'est ni plus ni moins qu'une prisonnière à mes yeux. Cela renforcera son idée qu'elle lui appartient toujours et que nous sommes simplement deux monstres qui s'arrachent la même proie. Je rentre dans son jeu, je le laisse croire que j'abandonne les armes et qu'elle est de nouveau à lui.

Amadh jeta un regard septique en direction de Kate qui de son côté, tentait d'assimiler les informations les sourcils froncés.

- Et ensuite ? S'enquit Kate après un long silence.

- Ensuite je lui arrache la gorge, articula-t-il froidement.

Elle hoqueta, visiblement peu préparée à cet épilogue sanglant.

- Je vous offre la version la moins terrifiante, c'est à prendre ou à laisser, déclara-t-il sombrement. Si vous voulez la version initiale elle s'avère bien plus ensanglantée. Il sera accompagné d'hommes prêts à tout pour toucher un butin. Les gardes s'en occuperont pendant que je m'occupe de lui.

- Et Kate ?

La gorge nouée Kate était profondément reconnaissante qu'il l'ait écouté attentivement. En refusant de faire un bain de sang il se prouvait à lui-même qu'il était capable de maîtriser le côté le plus sombre de sa personnalité.

Mais pour combien de temps ?

Allait-il vraiment tenir bon quand les hommes de Paolo prendront d'assaut les alentours du palais ?

Kate l'ignorait et tout ce qui comptait pour elle à ce moment-là c'est de savoir qu'ils ne seront pas séparés.

- Je vais l'endormir pour qu'elle n'ait pas à assister à tout cela et ensuite nous continuerons nos vies comme si rien ne s'était passé.

- M'endormir ? Mais je ne veux pas dormir Nazir ? Je veux...

- Que veux-tu Kate ? Affronter ton frère et repartir de zéro ? Après le travail que nous avons accomplis ensemble ?

- Justement, répliqua Kate en affrontant son regard aiguisé. Si je veux être totalement libre je dois affronter ce monstre. Je veux pouvoir le regarder une dernière fois dans les yeux et lui dire que j'ai choisi la vie plutôt que la mort et qu'il n'a pas gagné.

Le menton tremblant, Kate devait désormais affronter le silence étouffant qu'elle avait elle-même provoqué.

- Tu es sûre que c'est ce que tu veux ?

- Non, elle n'est pas sûre du tout c'est de la folie ! Intervint Amadh en haussant le ton. Si jamais il la blesse personne dans cette pièce pourra se le pardonné.

- Il ne m'arrivera rien parce que...je suis entre les mains du meilleur des hommes même si lui-même en doute.

Les larmes aux yeux, Kate inspira imperceptiblement en fixant la réaction du cheikh.

Elle l'aimait mais avait trop peur de lui dire. Alors elle tentait désespérément de lui faire comprendre d'une autre manière.

Hélas le soleil ne lui laissa pas l'opportunité de connaître sa réponse. Deux gardes entrèrent pour les informer de la situation et tout se passa très vite.

Nazir la conduisit là où il voulait qu'elle soit pour que le plan fonctionne. L'endroit lui raviva des souvenirs douloureux mais elle les balaya de son esprit et attrapa les barreaux froids et rouillés. Ses mains puissantes entourèrent les siennes alors que des lueurs sombres gagnaient son regard.

- Fais-moi confiance, chuchota-t-il en passant sa main entre les barreaux pour caresser sa joue. Essaye d'avoir l'air effrayé par moi.

- Ça ne risque pas d'être difficile, murmura-t-elle en esquissant un faible sourire.

Il lui rendit le même sourire puis crocheta ses mâchoires pour qu'elle avance son visage près des barreaux et embrassa sa bouche sèche.

- C'est bientôt fini je te le promets, murmura-t-il avant de disparaître en la laissant à l'endroit où tout avait commencé...