Chapitre 32
- Raya ? Je peux vous poser une question ?
- Oui bien sûr, je vous écoute ?
Tendue, Kate tira à nouveau les rideaux du salon privé de sa Majesté et une boule d'angoisse se forma dans son estomac. Depuis deux jours, un véritable raz-de-marée de journalistes était campé devant le palais et depuis ce jour, Kate était tenue dans l'ignorance.
Elle avait l'impression que sa vie entière avait basculé sans qu'elle connaisse réellement le chemin qu'elle avait pris. Le puissant cheikh semblait l'avoir choisi pour elle et même si elle lui avait donné sa confiance, Kate n'en demeurait pas moins sur ses gardes.
- Que se passe-t-il dehors ? Cela fait deux jours que je pose cette question et personne ne semble vouloir me répondre.
Kate relâcha les rideaux pour se tourner vers Raya qui se mit à tourner les pages de son livre nerveusement en feignant de les survoler.
- Vous avez raison, il y a un peu d'agitation en ce moment mais rassurez-vous ils vont finir par partir.
Cette réponse écourtée était la même qu'elle entendait depuis quarante-huit heures.
Kate se mit alors à craindre le pire.
Et si c'était elle la coupable de toute cette agitation ?
Et si depuis le début sa présence ici apportait plus d'ennuis que laissait croire le cheikh ?
À leur yeux elle était une prisonnière étrangère et ce genre de problème ne plaisait pas au peuple. Une violente panique l'empêcha de respirer et tout se mit à se mélanger dans son esprit.
- C'est moi qui ait provoqué ça, lui dit-elle en esquissant une grimace douloureuse. Je ne devais pas être ici et je le sais.
Raya ferma le livre et se leva pour la rejoindre.
- Vous n'avez rien provoqué du tout, votre présence ici n'est la source d'aucun problème, lui assura Raya en lui prenant les mains.
- Dans ce cas que se passe-t-il réellement ? Pourquoi tant de secret ?
Raya se racla la gorge tout en fuyant son regard. L'expression de son visage indiquait des signes de nervosité.
- J'aimerai être seul avec Kate si cela ne vous ennui pas Raya, déclara une voix familière derrière elle.
Un frisson d'anticipation courut sur ses joues alors que Raya lui avait lâché les mains pour faire face au roi et à sa demande. Kate n'osa pas se retourner parce qu'elle craignait qu'il ait pu entendre sa demande.
Elle ferma les yeux en se maudissant tout en ramenant ses mains près de son ventre. Ce fut seulement lorsque Raya quitta la pièce qu'elle entendit ses bottes de cavalier frapper le sol, d'une démarche délibérément lente.
- Cessez de vous faire du soucis avec les journalistes qui campent dehors, cela n'a absolument aucun rapport avec vous, déclara-t-il d'une voix sombre mais calme.
Kate se retourna pour constater avec un hoquet qu'il se tenait là, tout près d'elle si bien qu'elle effleura son torse.
Ses yeux verts se mirent à danser sur sa chemise noire, révélant un fragment de la pilosité de son torse massif puis les releva précipitamment.
Son cou était en faiblesse permanente lorsqu'elle devait lever son regard dans le sien, mais Kate rejeta la tête en arrière pour tenter de savoir ce qu'il se cachait derrière ce reflet mordoré.
L'énigme était aussi percutante que les traits rudes de son visage.
- J'ai l'impression que vous essayez de me préserver de quelque chose, osa-t-elle dire avant d'en être incapable.
- Peut-être que vous avez raison, peut-être qu'en effet je vous préserve de quelque chose mais tout cela est dans votre intérêt, répondit-il avec une franchise surprenante.
Ses yeux noirs la dévisageaient avec une telle intensité qu'elle avait l'impression de la ressentir partout en elle.
Perdue, elle baissa les yeux en inspirant profondément.
- Ne vous inquiétez pas, ajouta-t-il en saisissant sa main avec une force qui la fit ciller. N'oubliez pas que vous m'avez offert votre confiance.
C'était le cas, seulement le cheikh ignorait un détail. Les souvenirs douloureux étaient encore en surfaces et elle n'arriverait pas du jour au lendemain à les faire disparaître.
- Le jour où Paolo m'a donné à cet homme, il n'arrêtait pas de me dire de lui faire confiance et je pensais cruellement qu'en quittant sa maison, quelque chose de plus lumineux et rassurant m'attendait. J'ai eu tort mais je me raccrochai à l'espoir que rien ne pouvait être pire que d'être enfermé dans le noir à attendre la prochaine colère de mon frère...la prochaine humiliation.
Sa voix s'était éraillée en narrant ce souvenir, et son regard s'était effondrée sur les tapis persans.
Elle aurait voulu crier, sangloter, mais ne fit rien d'autre que d'attendre une réponse du cheikh.
- Je suis désolée, s'empressa-t-elle de dire au moment où il s'apprêtait à parler. Je sais...je sais que vous n'êtes pas...enfin je veux dire.
- Chaque fois que vous me donner un fragment de ce que vous avez endurer, je constitue mon puzzle et quand il sera achevé, je ferai ce que je sais faire de mieux, la coupa-t-il en articulant avec force tout comme l'était sa voix inflexible.
Kate renifla, se pinça les lèvres et à nouveau se sentit en sécurité.
- Ou...oui d'accord, bégaya-t-elle sans trop savoir quoi dire.
Elle releva plusieurs fois les yeux de façon furtive sans être capable de décrire les lueurs dans ses yeux.
- Venez, allons faire une balade.
Ce n'était pas une demande ni même une proposition mais un ordre auquel elle se plia.
- Vous n'avez pas de travail ?
- Une chose essentielle à savoir sur moi c'est que je suis très organisé, expliqua-t-il en l'entraînant dans le couloir. J'ai un mois d'avance sur mon emploi du temps. Autrement dit la charge de travail que j'ai effectué ce matin est celle que quelqu'un de normal aurait fait trois semaines plus tard.
- Est-ce que...cela vous arrive de prendre des vacances ?
Kate vit ses sourcils se froncer légèrement.
- Je n'ai pas le souvenir d'avoir un jour pris des vacances sauf quand j'ai été forcé au repos.
Immédiatement le regard de Kate tomba sur les brûlures sur son cou.
Il pressa ses doigts sur sa main tout en continuant de progresser vers le corridor extérieur. Kate se mit à ralentir.
- Attendez stop, et si les journalistes...
- Alors qu'il en soit ainsi, la coupa-t-il en la forçant à reprendre une marche normale.
Refoulant un sombre désir qui entamait déjà ses veines, Nazir l'aida à descendre les marches. S'il voulait tant sortir avec elle dans les jardins c'était précisément pour montrer aux journalistes la preuve que ce mariage n'était pas une pure fiction.
En effet, les journalistes les plus téméraires soupçonnaient le palais de mentir pour apaiser le peuple qui espérait ce mariage depuis des années. De plus, le fait d'avoir officialisé par communiqué de presse sans offrir au pays un mariage festif donnait plus de poids aux soupçons.
Alors Nazir devait montrer au pays sa femme qui n'était pas au courant qu'elle l'était. Pourtant la jeune femme à la candeur fascinante n'était pas aussi naïve qu'il le pensait. Son observation depuis le salon privé avait augmenté ses soupçons et elle savait dans son for intérieur qu'il se passait quelque chose.
Seulement il était trop tôt pour lui dire la vérité. Malgré le courage dont elle faisait preuve, la jeune femme n'était pas encore prête pour cette réalité. Sa fragilité était instable, comme un château de cartes qui pouvait s'effondrer à tout moment. Son traumatisme était encore si vif que la nuit dernière depuis son fauteuil, Nazir avait été contraint de la regarder se débattre dans son sommeil luttant contre cette peur qui continuait de la dévorer. Elle ne dormait jamais sur le dos ou sur le ventre, mais recroquevillée sur elle-même comme si elle cherchait à protéger son corps.
Amer, Nazir contourna la fontaine et l'entraîna dans les vastes jardins.
- Vou...vous êtes tendu...
- Oui je le suis, confirma-t-il en s'arrêtant pour se mettre en face d'elle. Je suis constamment tendu en ce moment.
- Par ma faute ?
- Non, vous êtes au contraire une sources d'apaisement Kate.
Nazir plongea son regard dans le sien et dut à nouveau refouler un autre désir mais cette fois-ci indomptable.
- J'aimerai pouvoir l'être aussi, j'aimerai être apaisé mais j'ai peur que si jamais je m'autorise un seul sourire, celui-ci pourrait me coûter très cher.
- Est-ce que cela veut dire que vous vous sentez heureuse ici ?
- Je ne sais pas ce que c'est d'être heureuse votre Altesse mais...je...me sens mieux.
" Je ne sais pas ce que c'est d'être heureuse "
Cette phrase lui serra le cœur mais le rendit amer car il n'était pas l'homme qui serait en mesure de lui donner ce qu'elle cherchait. Mais pour l'heure, elle demeurait sa femme et même si l'avenir semblait incertain, Nazir voulait la guérir, la sauver.
- Vous continuerez à vous sentir mieux chaque jour qui passera, je vous en fais la promesse.
Nazir n'était pas doué avec les femmes depuis la trahison de Jamila qui pourtant, était tombée en amour pour lui pendant son jeu manipulateur. Il connaissait que la brutalité et l'effusion de sang. Seulement cette douceur qu'il ne connaissait pas et qu'il ne maîtrisait pas commençait à naître. Seulement pour Kate. Quelques actes de tendresse valaient parfois plus que des mots.
C'était sa femme, et ce jusqu'à ce qu'a ce que ses ennemis tombent et qu'il décèle en elle, la guérison et la paix.
- Et vous ? Demanda-t-elle timidement. Est-ce que vous, vous sentez mieux ?
Sa question pure et innocente montrait une qualité chez la jeune femme qu'il avait pu observer depuis plusieurs jours maintenant.
Elle se souciait des autres et de leur bien-être.
- Raya aurait-elle été trop bavarde ?
- Oui, un peu, avoua-t-elle en baissant les yeux. S'il vous plaît, essayez de ne pas lui en vouloir, c'est moi qui voulait connaître l'histoire du pays.
- Dans ce cas vous comprenez pourquoi il m'est si difficile d'en finir avec votre frère et son associé, répliqua Nazir en réprimant sa frustration de ne pas pouvoir les tuer tout de suite.
- Oui, Raya m'a expliqué.
- Cette guerre est finie, mais pour moi, il me reste quelque chose à achever, lui dit-il en essayant de se nourrir de son innocence pour calmer l'amertume qui gagnait sa gorge.
- Je sais, lui dit-elle d'une voix douce et à peine plus haute qu'un murmure.
- Je n'aurai pas la paix tant qu'il sera en vie, conclut-il si férocement qu'elle tenta de détacher sa main de la sienne.
Nazir posa sa main libre sur son poignet afin qu'elle se rapproche de lui.
- Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous effrayez, parfois j'oublie que j'ai l'apparence d'un monstre enragé.
Elle se détendit, ses yeux verts brillants dans la clarté enflammée du soleil.
- Vous n'avez pas choisi d'être un monstre, vous avez été forcé de l'être pour protéger votre pays, c'est là toute la différence que vous ne semblez pas voir.
Cette réponse griffa la pierre froide dressée autour de son cœur. Elle s'effrita, offrant à la jeune femme l'honneur secret d'avoir atteint là où personne n'avait jamais réussi à pénétrer.
- C'est ce que vous pensez ?
Elle hocha de la tête timidement pour réaffirmer ses dires.
Il lui fut alors difficile de combattre cette sensation qu'il ressentait et qui semblait croître de jour en jour. Seulement très vite et chaque fois que cette sensation voulait le faire vaciller, Nazir savait se rappeler que sa femme avait été autrefois promise à la torture physique et émotionnelle.
Ce soir, et alors que le pays s'apprêtait à ouvrir deux jours de festivités pour célébrer son mariage, Nazir lui, allait devoir combattre les démons de la jeune femme pour regagner son lit.
Avec elle à ses côtés...
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