Chapitre 31



Kate se tenait contre le pilier du corridor depuis plus d'une heure. La détermination du cheikh n'avait pas fléchi et elle constatait peu à peu qu'elle était dans l'ignorance la plus totale. En revanche, ce qu'elle savait c'est qu'une horde de journalistes était massée près des hautes grilles du palais et plusieurs sujets de sa majesté étaient également présent. Une lourde inquiétude s'emparait d'elle, la même qui l'avait foudroyé dans la voiture dans laquelle le cheikh l'avait arraché de force.

Elle ignorait pour quelle raison il y avait cet attroupement et plus les seconde passaient plus il grandissait tout comme l'angoisse logée dans son estomac.

Une brûlure fantôme lui fit lever la main sur l'une des cicatrices qui reposait sur son épaule droite. Du bout du doigt elle sentit sa peau en relief et le souvenir de cette cigarette creusant sa peau remonta violemment. La panique afflua, si grande qu'elle entendit ses oreilles bourdonner. Les larmes montèrent sans qu'elle puisse les arrêter. Désespérée elle quitta le pilier pour se réfugier ailleurs et se mit à courir à contresens du palais. Elle descendit des escaliers en pierre, perdant au passage son chapeau. Sa course folle s'arrêta lorsqu'elle touche le mur froid et effrité. La respiration saccadée, elle ferma les yeux en appuyant son front contre le mur et une odeur familière lui monta au nez. Elle ouvrit les yeux péniblement et tourna la tête vers un seconde dédale de marches. Poussée par un douloureux souvenir, Kate s'engagea dans ces marches périlleuses. Son cœur rata quelques battements alors qu'un froid particulièrement glacial remonta sur son échine. L'endroit était fait de pierre couleur sable, et semblait ancien, le toit courbé comme une arche. Le soleil se faufilait à travers les fissures, donnant un aspect mystérieux à cet endroit qui pourtant n'avait rien de mystérieux pour elle.

Il s'agissait de la prison du palais, celle où elle avait été enfermée. Son cœur se mit à la défier alors que son regard embué de larmes fixait l'une des cellules tout au fond de ce long couloir silencieux. Elle s'entoura de ses bras, pour se réchauffer car creusée dans les sols de cette terre aride, la prison était comme un sous-sol froid et humide.

Arrivée devant la cellule, Kate agrippa l'un des barreaux de la porte et celle-ci grinça quand elle la poussa. Aussitôt elle reconnut ce banc froid qui l'avait accompagné tout le long de cet enfer obscur. Elle toucha la pierre et celle-ci s'effrita contre ses doigts.

C'était le passé, une erreur que le cheikh en personne avait reconnu, songea-t-elle pour tromper les douloureux souvenirs qui voguaient dans son esprit comme des âmes mortes.

Elle ferma les yeux pour effacer ces souvenirs et les remplaça par d'autres, notamment un qui n'avait de cesse de la hanter depuis la veille.

Le cheikh posant sa bouche cruelle sur son front.

Dans un moment d'inattention, alors qu'elle essayait de se constituer d'autres souvenirs Kate se recula et buta contre la porte de la cellule. Un bruit de rouille se mit à grincer suivi par un son métallique terrifiant. Kate se retourna pour agripper les barreaux de la cellule qui s'était refermée par sa faute mais n'eut pas le temps de réagir car une haute silhouette ombragée se tenait de l'autre côté de la porte fait de fer. Elle serra les barreaux, un hoquet de peur s'échappant de ses lèvres entrouvertes. Lentement, très lentement elle leva les yeux sur l'homme qui se tenait devant elle et accrocha le regard sévère du roi.

Son cœur se mit à frapper ses tempes et ce fut pire quand ce dernier posa ses mains sur les siennes, refermant ses doigts sur les siens avec une forte pression.

- Ce n'est pas le meilleur endroit pour vous enfuir, vous n'êtes pas d'accord ? Glissa-t-il d'une voix rocailleuse mais étrangement calme.

- Je ne cherchais pas à fuir, souffla-t-elle la respiration tremblante.

- Je vous ai vu courir, où comptiez-vous aller ? Que s'est-il passé ?

Sa voix impérieuse lui ordonnait tout simplement de répondre mais elle en fut incapable et dut déglutir à plusieurs reprises.

- J'ai été prise de panique.

- Pourquoi ? S'enquit-il en détachant ses doigts des siens.

Kate était trop effrayée pour combattre ce guerrier insensible à la pitié. Elle s'était enfermée dans cette cellule et le cheikh en personne ne semblait pas apprécier cette situation mais semblait l'utiliser pour qu'elle s'ouvre à lui.

- J'ai touché l'une de mes cicatrices et j'ai...je me suis souvenue, murmura-t-elle les yeux baissés. J'ai paniqué et je...

La grille s'ouvrit, l'obligeant à ôter ses mains des barreaux. Le cheikh entra dans cette cellule froide et étriqué, la forçant à reculer contre le mur.

Il posa sa main sur la pierre froide au-dessus de sa tête, la dévisageant armé de son regard à la fois impénétrable et dur.

- Alors vous vous êtes enfuie ici par mégarde ?

- Oui, s'entendit-elle murmurer en rejetant la tête en arrière pour affronter ses yeux aux lueurs énigmatiques.

- C'est ici que je vous ai enfermé, avec la certitude que vous étiez la complice de Dixon. C'est ici, que je vous ai laissé moisir dans l'obscurité.

- Je sais mais c'est fini maintenant, lui dit-elle le menton tremblant.

- Cet endroit a dû forcement vous faire remonter des souvenirs effrayants dont je suis l'auteur, je ne suis pas certain que ce soit fini Kate.

Ses traits ciselés se creusèrent et le remord s'afficha avant de disparaître rapidement comme s'il ne voulait pas qu'elle puisse voir ses émotions.

- C'était une erreur de jugement, vous m'avez sauvé la vie par la suite, murmura-t-elle en peinant à soutenir son regard.

- Est-ce suffisant pour vous ? Pour effacer ce que je vous ai fait en vous traînant ici de force tout en vous traitant comme une bête sans valeur ?

Kate cilla, puis fronça des sourcils en dévisageant l'homme au regard fissuré. C'était comme s'il cherchait à obtenir son pardon mais de la mauvaise manière.

- Croyez-moi, je sais ce que c'est d'être une bête sans valeur et ce n'est pas dans cette cellule que je l'ai ressenti, parvint-elle à dire les larmes aux yeux. Ce que j'ai ressenti c'est la peur.

Kate cessa de respirer, alors que le cheikh se mit à la dévisager à son tour, sans laisser la moindre émotions le trahir.

- Est-ce que je vous fait peur ?

- Oui, admit-elle, mais...je...

Ses lèvres devinrent sèches et elle se mit à fuir son regard.

- Mais ? Répéta le cheikh en glissant ses doigts sous son menton, la forçant à planter ses yeux dans les siens.

- Mais je me sens en sécurité, parvint-elle à dire dans un souffle tremblant.

La réaction du roi fut d'expirer par nez, dévoilant une satisfaction qu'il voulait garder silencieuse et qui pour lui n'avait pas besoin de réponse de sa part.

Au lieu de ça, il caressa furtivement ses cheveux et prit sa main dans la sienne.

- Sortons d'ici, dit-il avec humeur en l'entraînant avec lui hors de la cellule. Vous devez me faire la promesse de ne plus jamais revenir ici.

- Je vous le promets, murmura-t-elle d'une voix altérée par les émotions contradictoires qui vacillaient au plus profond de son âme.

Il ramassa son chapeau et lui posa sur la tête.

- À partir de maintenant, les choses vont radicalement changer, et j'ai besoin de votre confiance pour certains détails que je tiens à garder secret.

Dans l'inconfort, Kate fronça furtivement des sourcils alors que le cheikh restait impassible, ne laissant aucune information filtrer sur son visage.

- Jusqu'ici j'ai toujours tenu ma parole, ce n'est pas le moment de la remettre en doute.

- Oui, c'est vrai mais je...je ne veux pas être tenue dans le secret si...

- Faites-moi confiance.

Le cheikh gagna son espace déjà réduit et posa ses doigts sur sa peau...précisément à l'endroit où reposait l'une de ses cicatrices.

Kate frissonna si fort qu'elle dressa ses épaules avant de les faire retomber.

- Faites-moi confiance et je vous promets que tout ce qui vous a fait du mal disparaîtra bientôt.

Ses mots se mirent à résonner en elle comme un espoir d'oublier cette douleur qui étrangement disparaissait devant ce monstre si particulier.

Alors sans même s'en rendre compte, Kate hocha de la tête, lui donnant ainsi la confiance qu'il voulait d'elle.

Jamais elle ne lui aurait offert aussi facilement s'il ne lui avait pas prouvé qu'elle pouvait lui faire confiance. Néanmoins, à cet instant, elle avait l'impression de basculer dans l'inconnu et cette impression devint réelle quelques minutes plus tard.

Assise autour d'une immense table, Kate était confronté à une flopée d'hommes habillés de leur traditionnel vêtement et qui avaient tous leur regard rivé dans sa direction.

Le cheikh se tenait derrière elle, les mains posées sur le dossier de sa chaise. Cette langue arabe redoutable et qui n'avait de cesse de la faire frémir gagna la grande salle.

- Je ne comprends pas, murmura-t-elle d'une voix si basse qu'elle avait espéré que personne ne puisse l'entendre.

- Nous sommes sur le point de signer un papier officiel, expliqua la voix qui se tenait derrière elle.

Elle décela dans sa voix de la tension et de la dureté mêlées.

Kate essaya de ne pas s'alerter mais plus les secondes s'écoulaient plus c'était presque impossible de ne pas paniquer.

Nazir détenait le conseil, il était le commanditaire, l'homme de loi, mais il refusait de les écarter depuis la guerre comme son père l'avait fait en le supprimant afin d'écraser son pouvoir sans être inquiété.

Pour lui, le conseil était essentiel au bon fonctionnement du pays. C'est principalement eux et Amadh qui étaient en charge de lui rapporter l'humeur du peuple concernant divers problèmes.

Aujourd'hui, Nazir venait de leur expliquer ses plans. Tous autour de la table savait ce que la jeune femme avait dû traverser. Ils éprouvaient tous du chagrin pour cette étrangère au point d'acquiescer sa décision sans même hésiter un seul instant.

Seulement il détail bloquait l'accord final.

Pour le conseil, il était hors de question que ce mariage finisse en divorce sans que naisse son héritier.

Pour lui, c'était une limite qu'il refusait de franchir pour plusieurs raisons mais face aux conseillers inquiets pour l'avenir du pays, Nazir accepta d'y réfléchir.

Bien sûr il s'agissait d'une stratégie pour être en paix car dès lors que son regard se posa sur la jeune femme frêle et encore traumatisée il ressentit un dégoût de sa propre personne.

- Un papier officiel ? Répéta-t-elle d'une voix hésitante.

- Souvenez-vous Kate, faites-moi confiance.

- Ou..oui...

La confiance ?

Qu'est-ce que la confiance alors qu'il était en train d'officialiser leur mariage sans qu'elle le sache ?

Pourtant, Nazir n'eut aucun remord à le signer le premier puis lui passa le stylo. Ses yeux se perdirent sur les écritures arabes puis elle signa sans savoir qu'elle venait de sceller son destin au sien.

Et alors qu'il pensait que cette officialisation ne lui ferait rien, Nazir sentit une sensation méconnu gagner son être tout entier. Il serra le poing contre sa cuisse pour endiguer l'effusion de lave qui coulait dans ses veines alors qu'il avait le regard braqué sur le teint rose de la jeune femme qui perdue, reposa le stylo et abaissa ses deux mains sur ses cuisses, la tête baissée pour échapper aux regards posés sur elle.

Nazir comprit alors ce qui la rendait si différente.

Cette jeune femme brisée avait en elle quelque chose de précieux.

Et il était maintenant le seul à le posséder.

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