Chapitre 29




Kate devait obéir aux ordres du cheikh, et pourtant, chaque fois qu'elle tendait l'oreille, le bruit de fond qui rassemblait à un concert de bavardages attirait son attention. Malgré la tentation, Kate continua son livre et ramena les couvertures sur elle. Sa lecture passionnée n'arrivait pourtant pas à l'éloigner de l'histoire précédemment narrée par Raya.

Son cœur se mit à tambouriner dans sa poitrine et son visage se mit à fourmiller alors qu'elle continuait à se refaire le récit de Raya dans son esprit. Maintenant tout semblait limpide, tout semblait plus vivant que jamais. Le cheikh portait sur ses trait son histoire et elle était féroce, impitoyable.

La peur continuait sans cesse de la tenailler, car en dépit de ces jours passés sans connaître la moindre douleur physique qu'aurait pu lui infliger ce geôlier si énigmatique, Kate craignait cet homme autant qu'elle se sentait en sécurité dans son palais.

Elle prit une inspiration profonde en refermant le livre et se leva du lit pour rejoindre le balcon. Telle fut sa surprise de le trouver fermer avant de se rappeler que cet homme au regard dur avait son destin entre ses mains et qu'elle demeurait toujours sa prisonnière. Quand avait-il condamné les fenêtres ?

Kate passa une main dans ses cheveux en fixant la porte de la chambre avec le sentiment qu'elle était également condamnée.

C'était le cas, avait-elle pu constater en actionnant la poignée.

Le plus terrifiant c'était de réaliser qu'il n'avait pas totalement confiance en elle.

La respiration soudainement saccadée, Kate releva précipitamment la tête lorsqu'un bruit de l'autre côté de la porte attira son attention. Instinctivement, elle cessa de respirer et recula.

Sous la porte, le dédale de couloirs était sillonné par des flammes vacillantes perchés en hauteur. Des ombres se formaient, Kate les avait longtemps étudier depuis son lit. Seulement ce soir, il s'agissait d'une ombre différente, comme le relief d'une paire de chaussures.

Tétanisée, Kate éteignit la lampe et se coucha au sol pour regarder sous la porte.

Au même instant, la poignée s'actionna à plusieurs reprises, cherchant à entrer.

Sa respiration devint pénible, ses yeux embués de larmes figées. Ce n'était pas son geôlier, c'était un inconnu et les ombres de cette paire de chaussures ne semblait pas vouloir reculer.

Effrayée, Kate marcha à quatre pattes de l'autre côté du lit alors qu'elle n'arrivait plus à contrôler cette crise de panique qui l'empêchait de respirer...

Nazir braqua son regard vers le couloir qui menait au grand escalier les mâchoires serrées. La fureur dans les yeux, il se leva du trône sur lequel il demeurait depuis le début de ce gala et traversa la salle de réception sous quelques regards interpellés. Les yeux noirs, il gagna l'escalier et le grimpa, persuadé que l'une des prétendantes qu'il connaissait depuis longtemps avait désobéi aux règles. Il maudissait Amadh pour lui avoir infligé une telle épreuve ennuyante. Toutes ces femmes l'avaient rendu fou de colère et il avait dû prendre sur lui pour ne pas ordonner l'arrêt total du gala. Comme il l'avait prévu, Nazir avait passé une bonne partie de la soirée à serrer des mains et à écouter son émissaire annoncer les invités tour à tour. Ensuite, la foule s'était dispersée pour des bavardages incessants, et aucun d'entre eux éprouvait un réel intérêt à la charité. Seule une dizaine de convives avait relevé l'honneur bafoué par l'opulence et le prestige après avoir fait quelques dons.

Saisi par l'agacement, il avait comme promis accueilli ces femmes que son fidèle bras droit voulait tant lui présenter. Tour à tour, elles s'étaient présentées à lui comme s'il s'agissait de déposer une candidature pour gagner un post de haute qualité.

C'était grotesque, et Amadh lui-même le savait mais persistait à être le porte-parole de son peuple qui d'après les rumeurs persistantes, attendait désespérément l'héritier du roi.

Nazir fit craquer sa nuque, les dents serrées alors qu'il montait l'étage où se trouvait la globalité de ses quartiers privés.

Et il trouva cette femme qui sans aucune honte, tentait d'ouvrir la porte qui renfermait sa jeune captive. Une colère profonde entama son visage alors qu'il fonçait droit sur elle, le poing serré le long de sa cuisse tendue.

- Que faites-vous ici ! Tonna-t-il si fort que sa voix résonna dans le couloir silencieux.

L'intruse sursauta en reculant, posant d'une manière théâtrale ses mains sur sa poitrine.

Nazir n'était pas d'humeur à flirter et réitéra sa question une nouvelle fois.

- Je le répète, que faites-vous dans ce couloir privé Zafina ?

- Oh mais rien votre Altesse ! Répondit-elle en esquissant un sourire forcé. En réalité, je me suis perdue.

- À la vérité, vous n'auriez jamais dû monter cet escalier, articula-t-il froidement en la dominant de toute sa hauteur.

- Vous avez raison, je n'aurai jamais dû mais...

Elle se mordit la lèvre et fit un pas audacieux en avant.

- J'avais espoir que l'on pourrait peut-être se retrouver seul à seul.

Rictus aux lèvres Nazir la dévisagea avec un mépris qui aurait dû la faire reculer. Seulement il s'agissait de Zafina, fille d'un homme d'affaires richissime qui à mesure du temps avait fini par être aspirée par l'argent jusqu'à en oublier ses valeurs et son honneur.

- Il n'y a aucune chance que cela se produise madame, répliqua Nazir d'une voix basse et implacable.

- Ce n'est pourtant pas ce que j'ai entendu, insista-t-elle en minaudant. D'après les rumeurs, vous...

- Des rumeurs infondées, la coupa-t-il froidement. Je n'ai rien à vous offrir, je n'ai rien à offrir du tout.

Sa froideur la fit reculer, mais pour garder de sa prestance et un semblant de fierté elle exécuta une révérence avant de s'éloigner d'un pas rapide voire effrayé.

Les yeux noirs, Nazir attendit qu'elle disparaisse pour déverrouiller la porte qui renfermait la jeune femme.

Plongée dans l'obscurité, la chambre fut éclairée par les vacillements des lumières provenant du couloir.

Ses yeux d'aigle se posèrent aussitôt sur le lit qui était vide. Une émotion irrationnelle s'empara de lui car c'était impossible qu'elle ait pu disparaître et pourtant...Nazir fouilla les recoins de la chambre dans la pénombre jusqu'à ce qu'il tombe sur une silhouette recroquevillée de l'autre côté du lit.

Nazir se précipita vers la silhouette frêle, posant un genoux à terre pour saisir son bras. Elle sursauta, écarta son bras en poussant un sanglot.

Nazir força le contact malgré la panique qui affluait dans les yeux de la jeune femme et l'attira vers lui.

- C'est moi, c'est Nazir, tout va bien, murmura-t-il en la forçant à nicher son visage dans son épaule.

Il n'avait pas besoin d'explication pour comprendre les causes de cette crise. En essayant de pénétrer dans cette chambre, Zafina avait déclenché les pénibles souvenirs de la jeune femme. Nazir fut pris de remord alors qu'une colère sourde grondait en lui.

- Vous êtes en sécurité, souffla-t-il doucement dans ses cheveux.

Nazir huma l'odeur délicate de la jeune femme, mâchoires serrées et se surprit à caresser ses cheveux. Contre ce bras qui enroulait sa taille, il pouvait sentir ses tremblement et la peur qui se diffusait dans son corps.

Pour la première fois depuis qu'elle était ici, sous sa garde, la jeune femme avait crocheté ses doigts sur sa tenue pour l'agripper désespérément. Nazir la souleva pour l'allonger sur le lit, prenant soin au passage de rabattre les draps sur elle.

Il alluma la lumière pour que les faisceaux lumineux se glissent sur son visage. Il était pâle, traversé par une peur indicible mais peu à peu, elle reprit des couleurs et une respiration plus apaisée.

- Je suis sincèrement désolé, cette femme n'aurait jamais dû se trouver ici, lui dit-il en s'installant sur le rebord du lit.

Nazir ne put s'empêcher de reposer le plat de sa main sur ses cheveux et alors que son regard se perdait sur le plafond elle glissa ses yeux vers les siens en ayant un furtif mouvement de recule.

Nazir continua malgré tout à lui caresser les cheveux jusqu'à ce que les lueurs effrayés dans ses yeux disparaisse.

- Ça va mieux ? Demanda-t-il quelque minutes plus tard.

Elle hocha de la tête, les yeux crochetés aux siens. Un sentiment empoigna sa gorge, une émotion particulièrement intense le gagna. Nazir ôta alors sa main, fixant les reflets de cette paire d'yeux vert si délicate et timide.

- Essayez de dormir un peu.

- Pitié ne m'enfermez pas je serais sage, le supplia-t-elle dans un murmure tremblant.

- Je ne vous ai pas enfermé parce que je n'ai pas confiance en vous, répondit Nazir en se penchant vers elle. Je n'ai pas confiance en ceux qui sont ici.

Malgré ça, la peur commençait à ressurgir dans ses yeux.

- Ne me laissez pas ici toute seule, le supplia-t-elle les yeux larmoyants.

Ce supplice était trop pénible à regarder, et son appel à l'aide une blessure au cœur. Lui, qui d'ordinaire n'éprouvait rien, sentit quelque chose de puissant grandir en lui. Alors il la souleva brusquement et elle se laissa faire, accrochant désespérément sa chemise.

Les yeux noirs il gagna le couloir et vit Amadh qui s'avançait dans sa direction. Les yeux noirs, il ne répondit pas tout de suite à son regard alerté et rejoignit ses appartements. Ce qu'il s'apprêtait à faire était contraire à ses propres règles mais le fit quand même.

En trente-quatre d'existence, ce jour signait la fin d'un tableau figé. Nazir déposa la jeune femme sur son lit.

- Ici, vous êtes en sécurité, déclara-t-il avec force tout en gardant une voix basse. Je laisse les lumières allumées, essayez de dormir maintenant.

Le visage tremblant, les yeux humides, elle pencha la tête sur le côté en fermant les yeux.

- Que faites-vous votre Altesse ? S'enquit Amadh quand il eut fermé les portes de ses appartements privés.

- Ce que mon instinct qui ne m'a jamais trompé me dit de faire.

- Vous savez ce que sa signifie ? S'étrangla-t-il en écarquillant les yeux. Si jamais quelqu'un apprend qu'elle...

- Zafina s'est acharnée sur sa porte verrouillée, le coupa-t-il la respiration lourde d'une rage enfouie. Je l'ai trouvé tétanisé derrière le lit. Je t'avais pourtant dit que ce gala était une mauvaise idée.

- Je l'ignorais votre Altesse, mais vous connaissez Zafina, cette femme vous court après depuis longtemps. Comment va Kate ?

- Elle se porte aussi bien qu'une personne hantée par des douleurs fantômes.

Amadh jeta un regard attristé vers les portes.

- Je vais écourter la gala, vous avez raison, je ne peux vous forcer à prendre une épouse. C'est égoïste de ma part, après tout ce que vous avez fait. Je sais à quel point vous êtes méfiant et je...

- Je ne méfie pas des femmes mon ami, je sais ce qu'elles veulent au plus profond de leur âme dévorée par les péchés.

- Ce n'est pas seulement l'argent qui les intéressent et vous le savez, répliqua Amadh. Ne faites pas semblant de ne pas voir ce que vous regarder chaque matin dans votre miroir.

- Je vois un homme qui n'éprouve pas le besoin d'avoir une femme telle que Zafina dans sa vie.

Son bras droit acquiesça, vaincu, et Nazir lui, dressa son menton volontaire satisfait d'avoir gagné ce duel.

- Et pour Kate ? Qu'allez-vous faire ? Si jamais l'un des gardes l'aperçoit dans votre espace privé les rumeurs vont s'accroître.

- Que veux-tu dire par-là ? S'enquit Nazir les sourcils froncés.

- Les rumeurs au sujet de Kate continuent de gronder et ne vont pas s'arrêter si jamais...

- Je me suis promis de la protéger, c'est exactement ce que je fais, le coupa-t-il fermement. Cette jeune femme a besoin de moi et pour la première fois de ma vie, je sens que c'est réciproque.

Amadh releva précipitamment les yeux.

- Que voulez-vous dire par-là ?

- Je veux tout simplement dire que je dois faire ce que mon instinct me dit de faire et il ne m'a jamais trompé jusqu'ici. J'ai pris cette décision il y a exactement dix minutes et je ne reviendrai pas dessus.

- Mais...attendez ! Je ne comprends pas votre Altesse vous venez de me dire que vous n'aviez pas besoin de femme dans votre vie.

Nazir, mâchoires serrés déclara :

- J'ai dit, que je n'éprouvai pas le besoin d'avoir une femme telle que Zafina dans ma vie...

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