Chapitre 28




Une expression glaciale passa sur le visage de Nazir lorsqu'il ouvrit à nouveau l'enveloppe alors qu'il avait convoqué Amadh en urgence.

- Je peux savoir ce que c'est ? Demanda-t-il à peine la porte du bureau refermé.

Après le malaise de la jeune Kate, il l'avait ramené dans sa chambre et veillé sur elle pendant dix bonnes minutes jusqu'à ce que la fatigue l'emporte.

Maintenant il faisait face à son conseiller qui sereinement s'approcha pour visualiser le carton qu'il tenait dans sa main.

- Il s'agit là de la confirmation de l'un des invités qui sera présent ce soir, au gala de charité organisé comme chaque année.

- Je croyais pourtant avoir été limpide à ce sujet ! S'emporta Nazir en jetant le carton officiel sur son bureau. Je ne veux plus faire ce gala qui n'a rien de charitable. J'avais ordonné son annulation.

- Oui c'est exacte votre Majesté, mais les œuvres de bienfaisance n'auraient pas compris l'annulation de cet événement qui est si important pour eux.

- Je ferais des dons comme je te l'ai dit, répliqua Nazir en dévisageant Amadh tout en le soupçonnant d'avoir une autre intention caché. Nous savons l'un comme l'autre pour quelle raison tu ne l'as pas annulé.

Amadh ne tenta même pas d'émettre une objection, ce qui confirma l'évidence et les raisons pour lesquelles il insistait tant pour que ce gala perdure année après année.

Il poussa un rire amère en se laissant tomber dans son fauteuil pour y agripper les accoudoirs.

- Je t'écoute Amadh, j'ai hâte de connaître tes explications.

- Ce gala est un cirque d'opulence, je vous l'accorde et je sais également que les personnalités qui se présentent à cet événement ne sont pas réellement là pour faire la charité mais...

Amadh s'interrompit pour se racler la gorge, indiquant des signes de nervosité.

- Mais c'est toujours un bon moyen de faire des nouvelles rencontres, termina-t-il en passant les mains derrière le dos.

Un silence s'ensuivit...un silence dans lequel Nazir sentit ses lèvres trembler de colère.

- Tu sais ce que je pense de ça, déclara-t-il froidement.

- Vous ne pouvez pas rester indéfiniment sans conjointe votre Altesse. Avec tout le respect que je vous porte, le pays commence à se demander si un jour vous donnerez au peuple la dernière chose qu'il réclame d'un roi.

- Il n'y aura pas de reine, il n'y aura pas de femme sous mon toit tant que je serais le souverain ! Articula-t-il froidement.

- Et après vous il n'y aura pas de souverain, fit valoir Amadh en dépassant les limites autorisées. Le peule sait qu'après vous, s'il n'y a pas d'hériter alors tout ce que vous avez fait n'aura servi à rien. Vous avez bientôt trente-cinq ans.

- Je t'ai déjà exposé mon plan, quand je serai prêt pour avoir un héritier alors j'aurai recours à une mère porteuse. Tu sais que tout est déjà prévu et depuis longtemps. Ma clinique privée possède ce dont ils ont besoin pour procéder à la fécondation.

- Ce n'est pas ce que votre peuple veut, insista Amadh en prenant possession d'un rôle proche de celui d'un père cherchant à raisonner son fils. Est-ce que c'est vraiment la vie que vous voulez ? Une vie sans une épouse ? Élevant votre enfant seul ?

- Oui, confirma Nazir en se levant brusquement pour rejoindre les fenêtres.

- Ce n'est pas réellement ce que vous voulez c'est impossible.

- Je n'ai rien à donner, absolument rien, dit-il entre ses dents serrées.

- Ce qu'il s'est passé avec Jamila...

- Ne parle pas de cette....catin en ma présence ! Rugit Nazir avec rage en lui faisant face.

- C'est du passé, et toutes les femmes ne sont pas comme ça, poursuivit Amadh en s'approchant pour affronter le lion. Je suis le porte-parole de votre peuple et il est de mon devoir de vous avertir qu'ils n'accepteront jamais cette situation encore moins un héritier conçu de la sorte.

Rictus aux lèvres Nazir ravala le flot de rage qui le consumait par crainte de le regretter par la suite.

- Essayez au moins ce soir, vous n'imaginez pas le nombre de prétendantes qui attendent ne serait-ce qu'un regard de vous. Je ne vous demande pas d'annoncer la future reine ce soir, je vous demande d'écouter votre pays et si vous refusez d'imaginer une seule seconde éprouver des sentiments pour une femme, alors il faudra songer à un mariage arrangé.

- C'est moi qui décide Amadh, conclut Nazir avec autorité. C'est moi le seul commandant dans ce palais. J'ai écouté attentivement ce que tu avais à me dire, mais au terme de cette soirée, je resterai le seul à décider.

- Bien évidemment votre Altesse.

Nazir inspira profondément en fixant avec froideur son fidèle bras droit.

- Je n'ai rien a offrir, je suis qu'un bloc de pierre sans cœur, je refuse toute présence féminine à l'exception de ta femme et de ma captive. Mais si ça te fait plaisir, alors je tiendrai ce gala, et je ferai en sorte de rendre hystériques mes prétendantes jusqu'à l'aube.

- Elles ont toutes la trentaine, et viennent toutes de bonnes familles, essayez votre Altesse, c'est tout ce que je vous demande, dit Amadh en inclinant la tête respectueusement avant de se retirer.

Ce fut seulement lorsqu'il fut seul qu'il laissa éclater sa colère.

Amadh n'avait pas totalement tort sur tout ce qu'il venait de soulever mais pour lui, sa décision était prise et il n'avait pas l'intention de revenir dessus.

Pour une fois, il voulait profondément se montrer égoïste. Il n'avait rien à offrir et aucune femme était capable de lui offrir ce qu'il avait un jour désiré...

Après s'être reposée, Kate s'était levée du lit plus tard dans la soirée et des bruits extérieurs attirèrent son attention.

Elle s'avança vers les fenêtres et ouvrit l'une d'entre elles pour gagner le balcon.

Un souffle tremblant s'échappa de ses lèvres lorsqu'elle s'approcha jusqu'au rebord du balcon.

Plusieurs voitures progressaient à l'intérieur de la cour et d'instinct elle se recula pour ne pas être remarquée.

Quelque chose se noua dans son ventre alors qu'une foule semblait se former.

- Chaque année, un gala de charité se tient au palais.

Kate se tourna en direction de Raya.

- Est-ce que...Est-ce ma présence...

- Ne dites pas n'importe quoi mon enfant, la coupa Raya la rejoignant. Vous savez le cheikh n'aime pas organiser ce genre de soirée. D'ailleurs c'est mon mari qui a insisté pour que ce gala ait lieu.

Kate reporta son attention sur ces hommes et ses femmes qui formaient une foule prête à s'engager dans le palais.

Pendant une brève seconde elle se sentit hors de ce temps car elle observait ce spectacle comme une enfant qui n'avait jamais rien vu de sa vie.

Et c'était le cas, songea-t-elle en baissant les yeux.

Une immense tristesse s'empara d'elle. Alors elle s'éloigna du balcon pour rejoindre la chambre. Les mains jointes devant son ventre elle survola les décors sur les murs en inspirant difficilement puis se laissa choir sur le rebord du lit.

- Raya est-ce que je peux vous poser une question indiscrète ?

- Essayez toujours, répondit Raya en esquissa un léger sourire. Venez donc vous asseoir ici, je vais vous coiffer.

Kate se leva pour rejoindre la chaise qu'elle venait de tirer.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé dans cette chambre pour qu'il ne veuille pas que j'y reste ? Se lança-t-elle en guettant la réaction de Raya dans le grand miroir.

Celle-ci ne réagit pas, du moins pas tout de suite. Elle prit la brosse et commença à la coiffer.

- Quatre mois avant la guerre, lors de ce même gala, une femme prénommé Jamila s'est présentée à sa majesté et a tout de suite réussi à se démarquer des autres. Déjà à l'époque, malgré son jeune âge, Nazir Al-Hassan était connu pour être fin stratège implacable mais surtout remarqué pour son désintérêt total pour les femmes.

Raya émit un petit rire en secouant la tête.

- Un si bel homme, c'était presque inconcevable pour les sujets du palais qu'aucune femme puisse lui plaire. C'était le prince, celui qui un jour prendrait la relève du pays. Son mariage était attendu comme l'événement qui ferait basculer l'avenir du pays.

Kate garda les lèvres scellées, le regard fixé sur le reflet de Raya dont l'expression joyeuse s'effaça.

- Jamila était une jeune femme très attirante et avait les mêmes centre d'intérêts que le prince. Immédiatement, il a été attiré par la différence qu'il y avait entre elle et les autres. Alors il a décidé de lui donner le statut de favorite et l'a installé dans cette chambre. Le mariage a été annoncé deux mois avant la guerre.

- Mais alors que s'est-il passé ? Demanda Kate en fixant le regard attristé de Raya qui très vite, se métamorphosa en une colère glaciale.

- Ce qu'il s'est passé, c'est que nous avons savions pas qui était réellement Nazir Al-Hassan, moi la première. En se dirigeant vers les villages les plus inaccessibles du pays, Nazir à découvert des charniers, des habitations décimées et a tiré sur l'ennemi qui se trouvait encore là. Sa majesté à l'époque encore prince a réalisé que les manigances de son père qu'il surveillait depuis des années allaient au-delà qu'une simple question d'argent. Kamal Ozir un chef rebelle longtemps opposé à son père avait secrètement traité avec le père de Nazir. Ce chef rebelle était connu pour crimes contre l'humanité et l'ancien roi lui avait promis le trône en échange d'un soutien financier.

- Un soutien financier ? Répéta Kate en fronçant des sourcils. Je pensais que les personnes issues de la royauté étaient riches.

- Il l'était, le pays l'était avant qu'il le vende au américain, trahissant son propre pays en jetant son argent dans des accords secrets qui n'ont jamais vu le jour. L'ancien roi savait que si jamais le peuple apprenait cette trahison, le pays dans son ensemble allait se retourner contre lui. Alors pour éviter l'exil, il voulait que Kamal renverse le pays, tue Nazir et qu'il prenne le trône. En échange, l'ancien roi allait recevoir une immense sommes d'argent provenant de ses soutiens en Amérique et de Kamal. Ses soutiens au États-Unis ne pouvaient pas se permettre que leurs accords soient révélés au risque de faire éclater un scandale d'État.

- Mais ça ne s'est pas passé comme ça ?

- Abdul Al-Hassan a en effet oublié un détail, il ne connaissait pas son fils et ne l'a d'ailleurs jamais connu. Nazir Al-Hassan manipulait tout et n'importe qui jusqu'à son père. Il prenait l'attitude d'un prince passif, et peu concerné par le pays. Seulement lorsque les personnes qu'il manipulait n'étaient pas autour de lui, Nazir plaçait ses pions. Un jour il a attiré l'attention de mon mari et Amadh a tout de suite compris que ce prince que l'on croyait passif et dans l'attente de suivre son destin l'avait en réalité déjà en main.

Kate frissonna, complètement happée par l'histoire du roi qui se révélait à la fois fascinante et terrifiante.

- Après avoir riposté sur les hommes de Kamal, le jeune prince est revenu au palais, le visage ensanglanté et à fait face à son père en révélant sa trahison devant tous. Les plans de son père se sont alors effondrés. Abdul a alors déclaré la guerre à son propre fils car il n'avait pas le choix que d'honorer sa promesse fait à Kamal. Et c'est là que le véritable Nazir s'est révélé devant tous. Il a attrapé son poignard et avec force et agilité, il a lancé le poignard en direction de l'un des traîtres du palais. Ce dernier s'est effondré aux pieds de l'ancien roi destitué et Nazir a dit : Prépare-toi à perdre cette guerre et je te fais la promesse qu'elle sera impitoyable.

Kate frémit, la respiration haletante comme si elle était plongée au cœur de l'histoire.

Raya planta son regard dans le sien tout en caressant ses cheveux.

- Abdul pensait que divertir son fils serait suffisant pour qu'il ne se doute de rien, acheva Raya.

Kate comprit et déglutit en secouant légèrement la tête.

- Jamila était là pour divertir le prince, murmura Kate en baissant les yeux furtivement.

- Jamila était effectivement là pour le divertir mais elle ignorait comme nous tous que le cheikh le savait depuis le début.

- Il le savait ?

- Personne ne savait qu'il aimait la littérature anglaise sauf celle qui l'avait initié à ça par le passé. Sa mère. Farah est décédée d'une forte fièvre qui l'a emporté quand Nazir n'avait que quatorze ans. Nazir a toujours secrètement accusé son père de ne pas avoir agit tôt pour la sauver. Il pensait que Farah faisait une comédie pour ne pas se rendre en France pour une visite officielle. Le temps qui s'est écoulé avant qu'elle soit prise au sérieux lui a été fatal.

Cette partie de l'histoire était sans doute la plus triste et la plus douloureuse à entendre.

- Abdul n'a jamais approuvé la décision de sa femme concernant l'apprentissage de Nazir à la littérature anglaise, et Abdul avait honte que quelqu'un puisse en avoir connaissance. Quand Jamila s'est vantée d'aimer la littérature anglaise, Nazir lui a révélé ses deux auteurs préférés mais aucun des deux n'existaient réellement.

- Il a inventé des noms d'auteurs pour la prendre à son propre piège ?

- En effet, et c'est là qu'il a comprit. Entre temps, Jamila est tombée sous le charme du cheikh mais lui, a été intransigeant avec cette femme qu'il a qualifié par la suite de catin au service de Kamal et payé par son père pour le séduire.

Ainsi maintenant elle comprenait les raisons pour lesquelles il maudissait cette chambre.

- P...pourquoi est-ce que vous maudissez mon pays ? Osa-t-elle demander.

- Abdul a réalisé trop tard qu'il avait sous-estimé son fils. Alors pour tenter de sauver la face, il a tenté de faire croire aux américains que Nazir avait enlevé un groupe de bénévole étrangers. Les américains ont tout de suite voulu entrer dans le conflit et deux jours plus tard l'information a été démentie. Seulement dans l'esprit de Nazir, l'idée que les États-Unis ait eu envie de rentrer dans cette guerre en prenant le parti de l'homme qui était en train de décimé son propre peuple a été la trahison de trop.

- Est-ce qu'ils...sont tous morts ?

- Kamal a été exécuté en dernier, Jamila a été forcé à l'exil elle et sa famille, quant au père de Nazir, il a été extradé dans une prison à New-York pour abus de pouvoirs et escroquerie politique après avoir tenté de fuir Hizhrah. C'est pour cette raison que le cheikh ne mettra jamais un pied au États-Unis et c'est aussi pour cette raison que le gouvernement américain ne le souhaite pas car je ne pense pas que sa majesté résistera à l'envie de finir ce qu'il n'a jamais pu terminer.

Kate exhala un soupir tremblant et sentit des frissons parcourir sa nuque.

L'histoire du cheikh se révélait bien plus terrible qu'elle l'avait imaginé mais aussi fascinante.

- Est-ce que tout va bien ?

Seulement Kate n'eut pas le temps de s'en remettre car le personnage principal de cette histoire émergea de nulle part, plantant son regard dans le miroir pour capter le siens.

Kate avait l'impression qu'on lui avait coupé l'air.

- Oui votre Altesse, nous étions en train de bavarder entre filles, répondit Raya.

Le seigneur de cette guerre impitoyable resta de marbre et s'approcha sans quitter son reflet des yeux tout comme elle ne quittait pas le sien.

- Pour votre sécurité, je vous interdis de sortir d'ici jusqu'à ce que je vous informe du contraire.

- Oui, s'entendit-elle murmurer alors que l'histoire narrée par Raya continuait de gronder dans son esprit.

- Dans ce cas, je vous laisse retourner à vos bavardages.

Il inclina la tête et s'effaça en laissant derrière lui, les traces de son passage.

Mais aussi l'empreinte féroce de son regard sur le sien...

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