Chapitre 24




À la fin du repas, Kate s'était glissée dans la salle de bains pour se laver le visage mais aussi pour changer sa tenue beaucoup trop chaude pour ce genre d'endroit. Elle passa un caftan bleu nuit que Raya avait glissé dans son bagage et releva ses cheveux en chignon. Elle aurait voulu éviter son reflet dans le miroir, mais hélas chaque fois qu'elle tentait de l'esquiver, son esprit torturée l'a forcé à regarder la réalité en face. Elle leva ses doigts tremblants à ses joues encore creusées, mais aussi sur ses paupières qui ne portaient plus les traces de l'enfer que lui avait fait vivre Finn. Son cœur se mit à battre contre ses tempes lorsqu'elle se rappela qui l'avait sauvé. Elle abaissa alors ses mains, secrètement bouleversée de ce que sa vie était en train de devenir. C'était comme marcher dans l'inconnu sans savoir quel chemin emprunter.

Elle quitta la salle de bains les yeux baissés sur le lit dans lequel elle dormirait avec l'appréhension qu'il puisse se passer quelque chose pendant la nuit.

C'était peut-être stupide, mais elle craignait l'inconnu qui constituait le cheikh au regard tranchant et énigmatique.

Elle entendit le bruit lourd de ses bottes de cavalier et rompit sa respiration quand il émergea depuis les tentures écartées et accrochées sur les côtés.

Ses yeux noirs se posa sur elle, dardant sur elle un regard qu'elle ne sut interpréter.

- Vous pouvez allez dormir si vous le souhaitez, déclara-t-il sur ton rocailleux en désignant le lit du menton.

- Que va-t-il se passer demain ?

- Nous allons reprendre la route jusqu'au village.

Ses explications étaient hélas insuffisantes pour elle. Du moins pas assez détaillées pour se faire une idée sur ce qui l'attendait concrètement. Il le remarqua et reprit en faisant un pas vers elle.

- C'est un village isolé, je m'y rend chaque mois pour suivre les avancés des travaux qui permettra au réseau de circuler.

- Il...il n'y a pas de réseau ?

- Non hélas, du moins pas encore, c'est pour cette raison que je veille personnellement à constater de moi-même les installations en cours mais aussi si le village ne manque de rien.

Kate se sentait à la fois soulagée et un peu inquiète. Aucun réseau voulait dire aucune communication avec l'extérieur du village.

- Vous devriez aller dormir, il se fait tard, lui conseilla-t-il avec une note exigeante dans la voix.

Ce n'était pas un conseil mais plutôt un ordre. Cette évidence se confirma lorsqu'il écarta le drap immaculé comme un père désireux de border son enfant. Kate comprit secrètement qu'il voulait simplement l'aider à surmonter son hésitation à se glisser dans ce lit.

Elle s'allongea, évitant soigneusement son regard penché au-dessus d'elle. Il se contenta de rabattre le drap blanc et fit un pas en arrière.

- Bonne nuit Kate, lui dit-il avant de disparaître derrière les tentures.

Le cœur battant à la chamade elle prit les bordures du drap pour le remonter jusqu'à son menton en penchant la tête sur le côté afin d'avoir un visuel sur l'autre pièce. Elle se référait à ses pas frappant la sol avec cette fois-ci une lenteur délibérée. Probablement qu'il ne voulait pas la déranger, songea-t-elle en sentant sa respiration devenir erratique.

Elle se concentrait sur ses pas...

C'était le seul bruit auquel elle pouvait se raccrocher depuis ce lit qu'elle ne connaissait pas. Elle avait l'impression qu'une tension silencieuse était en train de monter dans cette atmosphère pourtant si calme. Les yeux grands ouverts, elle fixait l'ouverture qui séparait la chambre du salon avec nervosité. Elle vit une ombre vaciller sur les tentures orangées. C'était la sienne, grande, énigmatique et terrifiante.

Devait-elle dormir ?

Est-ce qu'elle risquait quelque chose si elle fermait les yeux ?

Nerveuse, elle inspira profondément en fermant les yeux. Ses doigts ne lâchaient pas le drap, tout comme son ouïe ne lâchait pas les pas du cheikh qui continuait à s'affairer derrière la cloison.

Seulement la fatigue semblait plus forte, et sa lutte à rester éveiller commençait à vaciller. Le sommeil l'emporta sans qu'elle l'en empêcher.

Nazir était sorti temporairement de la tente pour mettre en confiance la jeune femme. Il espérait que sans sa présence dans la tente elle puisse trouver le sommeil rapidement. Alors qu'il affutait son couteau près du feu Nazir songeait encore à la conversation qu'il avait eu avec la jeune femme mais aussi l'élément qu'il avait pu récupérer lorsqu'il avait senti une nouvelle crise émerger.

Le fait d'avoir compris de lui-même ce qu'elle avait eu tant de mal à lui dire l'avait envahi d'une rage qu'il avait dû garder silencieuse.

D'un mouvement sec il aiguisa son couteau en fixant les flammes qui vacillaient tout aussi dangereusement que les lueurs dans ses yeux.

Il espérait que son fidèle bras droit puisse récupérer un maximum d'informations sur le frère de la jeune femme. Amadh était pour l'instant la seule personne à pouvoir se rendre en Amérique sans être inquiété ni même repéré. Cela rendait la mission encore plus savoureuse car il devinait aisément les renseignements américains dans l'ignorance la plus totale.

Ce fut seulement lorsque le feu commença à perdre de sa luminosité intense qu'il se leva pour rejoindre la tente. Il referma les tentures puis se rendit discrètement dans la partie où la jeune femme devait surement dormir maintenant.

Son regard n'aurait jamais dû se poser sur elle, mais il ne put s'en empêcher. Le vacillement lumineux des lanternes accrochées lui permettaient de voir son visage dans ces douces lueurs chaudes de lumière.

Ses petits poings étaient crispés sur le drap blanc et son regard penché sur le côté semblait apaisé. Nazir se surprit à la regarder plus longtemps qu'il l'aurait dû et eut l'impression d'être un barbare sur le point de saisir sa proie endormie. Il détourna les yeux, poussant un juron dans le silence puis gagna le divan pour si allonger.

Il ferma les yeux en espérant trouver le sommeil mais bientôt un parfum sucré l'en empêcha et ce jusqu'à l'aube...

Kate se réveilla sous une couleur orangé projetée dans la tente sans doute à cause du soleil écrasant du désert. Elle ouvrit les yeux péniblement, regardant instinctivement l'endroit où le roi avait dû passer la nuit.

C'était vide, il n'était pas là.

Mais sa voix rocailleuse elle, semblait s'élever de part et d'autre de la tente comme si celle-ci résonnait fortement tout en paraissant si loin.

Kate se redressa en se frottant les yeux et se leva du lit en écoutant les intonations désarticulées du cheikh se faire de plus en plus durs. Le cœur battant sauvagement dans sa poitrine elle avança jusqu'à l'ouverture de la tente, éblouie par le soleil et l'aperçut près de la voiture. Il s'agissait d'une conversation téléphonique sans doute privée. Il lui tournait le dos mais quand il fit volte-face, Kate manqua de justesse de crier tant son visage était déformé de colère. Son dialecte arabe était aiguisé d'une façon si sombre qu'elle se recula pour mieux s'effacer dans la tente.

Son ventre se noua, son visage se mit à fourmiller alors qu'elle ne savait pas où aller.

Ce fut trop tard.

Les deux pans de tentures s'écartèrent violemment, la faisant ainsi sursauter et le lion entra dans sa tanière sans même la remarquer jusqu'à ce qu'il redresse la tête et croise son regard apeuré. Ses traits tentèrent aussitôt de se détacher de cette colère bestiale et son torse qui se soulevait d'énervement se mit à ralentir.

- Vous avez bien dormie ? Demanda-t-il simplement alors que sa voix trahissait ses efforts à lui cacher le feu de sa colère.

- Ou...oui et vous ?

- Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit, répondit-il en toute franchise.

- À cause de moi ?

L'innocente question de la jeune femme l'obligea à ravaler cette rage qui lui brûlait les veines. Il n'avait pas fermé l'œil de la nuit pour plusieurs raisons. Notamment parce qu'il n'avait eu de cesse d'être troublé par sa présence, l'écoute de sa respiration lente ainsi que les odeurs qui découlaient de cette peau sensible et diaphane. Ajouté à cela, Amadh venait de le contacter pour lui faire part d'informations qu'il avait récolté auprès d'un homme d'affaires travaillant pour une organisation qu'il connaissait bien.

- Non, ce n'est pas à cause de vous, soyez rassurée, lui dit-il au bout de ses pensées. Est-ce que vous avez faim ? Nous devons prendre la route dans trente minutes.

- Est-ce qu'il y a quelque chose qui ne va pas ? Demanda-t-elle toute timide les mains derrière le dos.

Nazir enfonça sa paire d'yeux qu'il savait menaçante dans la clarté de son regard et se retint de justesse. La derrière chose qu'il devait faire là tout de suite c'est de lui parler des dernières avancées de son enquête.

- Des affaires externes, rien de plus, répondit Nazir en lui versant du thé dans une tasse qu'il lui tendit aussitôt.

Ses doigts fins hésitèrent mais elle finit par s'en emparer.

Trente minutes plus tard, Nazir attendait à l'entrée de la tente qu'elle sorte de la chambre tout en caressant le tissu beige qu'il faisait glisser entre ses doigts depuis plusieurs minutes. Lorsqu'elle sortit enfin, elle paraissait encore plus jeune que lors de sa captivité. Son teint frais avait reprit des couleurs rosées et elle portait un caftan tirant sur des nuances taupes.

- Je vais m'approcher pour vous mettre ça sur la tête, annonça-t-il en s'avançant prudemment. Le village est très conservateur, c'est mieux si vous portez ceci.

Elle eut un faible mais visible mouvement de recule quand il posa le tissu sur le haut de ses cheveux pour laisser le reste tomber comme un châle sur ses épaules.

- Vous êtes prête maintenant, venez il est temps de prendre la route, déclara-t-il brusquement.

Elle le suivit jusqu'à la voiture en silence et s'installa sur le siège avec un soupir tremblant. Nazir avait conscience qu'à cet instant il ne l'aidait en rien à se détendre mais comment pouvait-il faire fi sur ce qu'il venait d'apprendre ?

- Est-ce que c'est possible de rester dans la voiture ? Demanda-t-elle lorsqu'ils furent arrivés à l'entrée du village.

- Vous ne craignez rien ici, ce sont des gens braves et très accueillants.

- Cela n'a rien à voir avec eux mais avec moi et ma capacité à supporter ce qu'il se passe devant moi à cet instant précis.

Nazir n'avait pas besoin de tourner la tête en direction du pare-brise pour comprendre ce qu'il se passait.

Les villageois étaient déjà en train de se regrouper par dizaine à quelques mètres de la voiture.

- Non, je vous en prie, je préfère rester ici, il y a beaucoup trop de monde.

Sa voix était suppliante mais lui serait intransigeant. Il était hors de question qu'elle reste dans cette voiture. Alors il y avait qu'une seule et unique solution.

Il quitta la voiture en claquant la portière et fit le tour pour ouvrir la sienne. Ses yeux brillants l'imploraient en silence tandis que quelques mèches de ses cheveux virevoltaient autour de ses joues pâles.

- Faites-moi confiance, lui dit-il en prenant sa main sans lui laisser le choix.

Nazir ne l'aurait jamais fait dans les grandes villes du pays car ce geste signifiait beaucoup plus que de lier simplement ses mains l'une à l'autre. Le village était le plus discret d'Hizhrah, autrement dit aucune de ces personnes présente informera quiconque sur ce qu'il pourrait voir ou entendre sur le roi.

Bien sûr il savait que dans l'esprit collectif, le voir apparaître avec une femme qui plus est main dans la main serait perçu comme l'éventualité ou la perspective d'un jour heureux. Seulement Nazir savait qu'il ne possédait pas que cette hypothèse, car l'esprit collectif savait aussi qu'une jeune femme reposait au palais sous sa garde et désignée comme captive. Alors quand il s'approcha des villageois, Nazir qui tenait la fine main de la jeune femme d'une poigne assez ferme, savait que l'hypothèse numéro deux serait dominante, espérant ainsi écarter des esprits l'idée qu'elle puisse être la favorite...

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