Chapitre 23




Nazir récupéra les sacs sans quitter des yeux l'entrée de la tente. Il craignait une tentative de fuite mais elle ne fit rien qui aurait pu secrètement le contrarier. Ce n'était pas un hasard s'il avait décidé de s'arrêter ici pour la nuit. Cet endroit était connu pour être particulièrement effrayant. La tanière du roi, murmuraient les journalistes pour décrire ce lieu si important à ses yeux. C'était l'endroit où il aimait se ressourcer, et acquérir le self-control qui lui manquaient tant pour affronter ce genre de situation totalement inédit.

La jeune femme avait peur de lui et il devait tout faire pour que cette peur lui soit bénéfique afin qu'elle comprenne qu'il était le seul à pouvoir la protéger.

Il pénétra dans la tente en prenant soin de refermer les tentures pour empêcher le vent de passer.

La jeune femme n'avait pas bougé de place, les mains jointes devant son ventre, le regard perdu sur les tapis du sol.

Nazir se surprit à étendre son regard sur ses longs cheveux qui cascadaient sur ses épaules.

Il se surprit aussi à fixer son nez et sa bouche pleine, légèrement tremblante.

Il inspira profondément en posant les sacs sur le côté et s'approcha en ôtant son keffieh. Enfin son regard se posa sur lui. Apeurée certes, elle baissa aussitôt les yeux puis les releva lentement.

- Vous pouvez enlever votre veste pour être plus à l'aise.

Elle ne bougea pas, totalement immobile, et le regard toujours aussi perdu. Nazir décida de la laisser faire d'elle-même et de ne pas la bousculer. Il s'enfonça dans les profondeurs de la tente pour remplir la bassine en cuivre d'eau fraîche et la posa sur la table. À l'aide de son regard aiguisé, il la vit ôter sa veste timidement et la plier soigneusement.

- Est-ce que je vais dormir à même le sol ? Demanda-t-elle sans quitter sa position, tout près de l'ouverture de la tente.

- Non, répondit-il en contournent les coussins pour la rejoindre. Venez, je vais vous montrer.

Nazir écarta une autre tenture pour lui montrer où elle allait dormir. Il s'agissait de son lit mais bien sûr il n'avait pas l'intention d'y dormir cette nuit.

- Vous dormirez ici, moi sur le divan, expliqua-t-il en s'écartant pour la laisser passer.

Kate faillit trébucher en pénétrant dans cette partie de la tente. Il s'agissait d'une chambre composée d'un lit très proche du sol mais qui avait l'air confortable.

L'ensemble de cette tente était spacieuse et remplie de richesses. Avec hésitation elle leva son regard sur lui et frissonna. Son cœur se mit à accélérer, ses mains devinrent moites, et ses lèvres devinrent sèches. Cette force peu commune qui émanait de lui était si puissante qu'elle avait l'impression d'être ôtée de toutes ses facultés à réagir. Il ressemblait à un lion conquérant, capable de tuer ses ennemis d'un seul regard. Elle ignorait précisément son âge mais lui donnait une trentaine d'années, seulement ses traits très ciselés lui donnaient la virilité d'un homme plus âgé. Sa barbe également.

- Est-ce que cela vous plaît ? Demanda-t-il en allant au fond de la tente pour ouvrir une petite porte en bois. La salle de bain est ici, vous pourrez vous changer en toute sécurité et intimité.

- C'est très grand, je ne pensais qu'une tente pouvoir être aussi grande.

- J'en possède une plus rudimentaire que celle-ci, seulement elle n'est pas adaptée pour une femme.

Kate aurait voulu lui rétorquer qu'elle avait été forcé de dormir dans des conditions aussi rudes que la présentation de sa deuxième tente mais décida de le garder pour elle.

- Est-ce que ça vous convient ? Ajouta-t-il en s'écartant de la porte pour qu'elle découvre la salle d'eau.

Timidement, Kate s'avança jusqu'au lion conquérant avec le visage étouffé par une vague de frissons.

Elle jeta un rapide coup d'œil et se contenta d'acquiescer. Ce n'était pas tant le partage de cette salle de bains qui la rendait anxieuse mais le partage de cette chambre.

La dernière fois qu'elle s'était retrouvée à proximité d'un homme c'était avec Finn, dans sa chambre, l'obligeant à dormir sur le sol, à côté de son lit comme un animal de compagnie obéissant.

Ce souvenir la fit sangloter et sans crier gare alors qu'elle sentait ses lèvres trembler comme pour annoncer le début d'une nouvelle crise, deux doigts accrochèrent son menton tremblant.

Ce contact la fit trembler mais sa prise sur son menton l'empêchait de bouger.

- Regardez-moi, ordonna-t-il en exerçant une légère pression sur son menton pour qu'elle incline sa tête en arrière.

N'ayant d'autre choix que de le regarder dans les yeux, c'est avec un sanglot logé a fond de la gorge qu'elle leva lentement son regard vers le sien.

La lueur logée au fond de son regard était tout aussi énigmatique que l'était les traits de son visage.

- Que s'est-il passé ? Demanda-t-il d'une voix encourageante. Dites-moi quelle pensée vous a submergé afin que je puisse vous aider.

Trop honteuse, Kate resserra ses lèvres comme si elle voulait les sceller à jamais.

C'était tellement humiliant qu'elle refusait d'en parler mais sous la pulpe rêche des doigts du cheikh elle sentit son impatience.

Pouvait-elle lui dire sans avoir l'impression d'être humiliée ?

- Il n'est pas ici, il n'y a que moi ici, ajouta-t-il d'une voix basse mais aux intonations puissantes.

Kate essaya au mieux de retenir les larmes qui lui montaient aux yeux en ayant un bref mouvements de tête.

- Vous avez fixé le lit, c'est à propos du lit ? Insista le cheikh en détachant ses doigts de son menton.

Il essayait de deviner et Kate se demandait si ça ne serait pas plus facile pour elle qu'il devine de lui-même. Hélas c'était bien trop profond pour qu'il puisse connaître la profondeur de ces plaies intérieurs qui ne voulaient pas cicatriser.

- Oui, s'entendit-elle murmurer, j'avais...je n'ai pas...j'avais...

- N'allez pas plus loin, la coupa-t-il les sourcils légèrement plissés, je crois que votre regard rivé sur le sol m'est suffisant.

Il s'éloigna au fond de la tente pour atteindre une commode qu'il ouvrit.

- Tenez, le temps de vous réchauffer un peu, lui dit-il en posant un châle épais sur ses épaules.

Kate effleura ses doigts rêches en l'acceptant. Ce fut comme une brûlure, un coup d'électricité qu'elle tenta de réprimer mais c'était comme si une force supérieur l'en empêchait.

- Il n'y a que moi ici, répéta le cheikh d'une voix plus ferme qui la fit frémir.

Kate exhala un soupir tremblant en baissa brièvement les yeux.

- Venez...

Elle inspira son odeur musquée lorsqu'il passa à côté d'elle. Cette tente, bien que spacieuse, le rendait encore plus grand à cause du plafond assez bas. Il ressemblait à un viking sur le point de détruire chaque planche de bois qui maintenait la tente debout.

Son pouls s'accéléra alors qu'elle le suivait comme une souris sur le point de tomber dans les griffes du lion.

- Prenez vos aises sur les coussins, je vais préparer de quoi vous nourrir.

Il lui tournait le dos, occupé à faire chauffer de l'eau et à dresser les deux grands plats disposés sur le rebord de la table.

- Vous...vous venez souvent ici ? Demanda Kate avec l'espoir insensé d'en savoir plus sur cet homme qui demeurait toujours un mystère et une source d'anxiété pour elle.

- Chaque fois que je ressens le besoin de me ressourcer. J'ai trouvé cet endroit pendant la guerre qui m'opposait à mon propre père.

Il se tourna vers elle pour poser les plats sur la table.

- Avez-vous entendu parler de cette guerre ?

- Vaguement, répondit-elle en ramenant le châle sur ses épaules.

- Mon père a trahi son peuple et son propre fils, la guerre impitoyable qui a été mené a renforcé ce que j'ai toujours su de Hizhrah. C'est un pays solide qui mérite d'être reconnu pour sa détermination, ses paysage et ses coutumes.

- Mais...pourtant personne ne peut...

- La haine est encore présente et se révèle impitoyable autant que l'a été nos prétendus alliés de l'époque. C'est pour cette raison que je mets un accent particulier sur ce point précis. Pour quelle raison j'autoriserai les peuples des pays voisins à venir sur ma terre après qu'on lui ai craché dessus ?

Impitoyable, impassible, enfermé dans un masque de fer impénétrable, le cheikh tendit ses paumes de mains ouvertes en l'invitant à tendre les siennes. Terriblement hésitante, Kate finit par lui donner ses mains. Les doigts longs et épais du cheikh se refermèrent sur les siens avant de les plonger dans la bassine en cuivre.

L'eau fraîche n'arrivait en rien à battre le feu de ses mains qui tenaient les siennes.

- Seuls quelques personnes sont autorisées à venir à Hizhrah mais dans une courte période quasiment chronométré, ajouta-t-il en sortant ses mains de la bassine pour les essuyer dans un tissu propre.

Kate se laissa faire, absorbée par ces phénomènes nouveaux dont elle n'avait pas l'habitude. C'était comme s'il voulait prendre soin d'elle ou bien contrôler chaque seconde de ce moment.

- Alors je suis l'étrangère qui aura passé plus de temps ici ?

- Vous êtes effectivement l'étrangère qui a battu le record de sa présence sur mes terres. C'est d'ailleurs pour cette raison que votre présence à fait jaillir des commentaires partout dans le pays. Mais désormais ça c'est apaisé.

- Et mon pays ? Est-ce que...

- Quand j'ai nommé votre prénom, personne n'a été capable de me dire quoique ce soit sur vous. Cela faisait une preuve suffisante pour comprendre que votre frère était parvenu à vous effacer du système. Les autorités Américaine sont certainement en train de trouver une preuve de votre existence pour tenter de comprendre. Je leur ai expressément demandé de ne plus intervenir mais je sais qu'ils feront tout pour déroger à mon ordre afin de sauver les importations qui leur sont si chères.

Autrement dit, Kate était entre les mains d'un homme capable de faire trembler la maison Blanche. Cela voulait surtout dire qu'elle connaissait qu'un fragment de cette guerre. Elle semblait bien plus compliquée qu'il laissait entendre.

- L'homme qui était en charge de me surveiller pendant ce voyage n'arrêtait pas de dire que Finn était fou d'envisager un plan pareil parce que vous étiez beaucoup craint, il a même parler de tuerie sanglante. Finn disait que tout avait été exagéré. Maintenant je réalise qu'il essayait de se rassurer.

- Il a eu la joie de découvrir un morceau de fragment, je doute qu'il soit préparé à découvrir l'ensemble de puzzle qui me constitue, répondit-il d'une voix sombre et sanglante.

Kate laissa sa peur s'exprimer et il lui répondit en prenant son poignet pour guider sa main jusqu'au plat. Ses doigts rencontrèrent le riz chaud.

- Avec vos mains, n'ayez pas peur, vous allez voir c'est délicieux.

Nazir avait toute la peine du monde à rester concentrer sur son objectif principal car la jeune femme timide assise en face de lui, mettait à mal l'acheminement de ses pensées qui pendant des années, étaient fixés sur des objectifs centrés sur son pays. La jeune fille torturée qu'il avait arraché de cette voiture sans savoir qu'elle ne voyait pas, était en train de brouiller des années de sa vie de roi impitoyable n'ayant qu'un objectif, redresser un pays déjà solide et gagnant d'une guerre pour qu'il devienne acier et armé de nouvelles richesses.

Un sentiment empoigna son torse fait de fer quand ses yeux se mirent à fixer sa bouche entrouverte. Elle était courbée en avant, si frêle, timide et impressionnée qu'il ressentit l'envie puissante de la protéger encore plus qu'il tentait déjà de le faire.

Comment ces hommes avaient-ils pu se montrer d'une cruauté pareille avec cette jeune femme à l'âme qu'il devinait pure et sans péché ?

Nazir ne le savait pas encore mais bientôt, un coup de fil précieux d'Amadh missionné à New-York allait répondre à cette question...

Une réponse qui peut-être aiguiserait un peu plus son envie farouche de la protéger.

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