Chapitre 20



Avait-elle au moins conscience dans quel bras elle s'était réfugiée ?

Nazir en doutait.

Elle qui avait tellement peur de lui n'aurait jamais songé une seule seconde à se nicher dans le creux de son bras sauf si son instinct de survie lui avait dicté ce geste désespéré.

Nazir mesurait alors toute la difficulté de cet instant et il savait que le moindre mouvement mal interprété pouvait le rendre encore plus délicat.

Il la retenait prisonnière, ainsi le bras enroulé autour de sa taille si maigre et fragile. Ses doigts fins et encore abîmés par sa fuite dans le désert d'Hamza étaient accrochés à sa chemise. Elle ne bougeait plus mais tremblait encore et encore.

N'ayant plus le choix, il la souleva dans ses bras. Il s'attendait à un mouvement de rébellion, qu'elle tente de s'extirper de ses bras, mais elle n'en fit rien. Elle sanglotait, complément happée par un douloureux souvenir qui avait gâché ce moment où enfin il avait pu créer un premier contact avec elle sans qu'elle veuille le fuir.

- Raya, pouvez-vous préparer un bain de mademoiselle Russo ?

- Oui bien sûr ! S'empressa-t-elle de lui répondre en passant devant lui pour atteindre la chambre avant lui.

Si la jeune femme ne voulait pas voir un psychologue, Nazir allait devoir prendre conseils auprès de l'un d'entre eux pour être préparé à faire face à ce genre de crises.

Il la déposa sur le lit et quand son visage lui apparut, ce dernier était d'une pâleur glaciale.

- Il n'est pas ici, répéta-t-il maintenant qu'il pouvait accrocher son regard humide par un ruisseaux de larmes constant.

Ses lèvres se mirent à trembler et les lueurs dans ses yeux étaient sans vie, complètement vide.

- Vous m'entendez ?

Un faible hochement de tête lui répondit.

Nazir entendait l'eau couler dans la salle de bains et aurait dû partir mais il resta là, le visage penché au-dessus du sien alors qu'il savait à quel point elle était terrifiée.

Cependant il fallait à tout prix qu'elle l'affronte afin qu'elle puisse enfin s'ancrer dans l'esprit que malgré l'apparence, il n'avait aucunement l'intention de la briser plus qu'elle l'était déjà.

- Son bain est prêt, annonça Raya.

- Emmène-là avec toi, je reste ici, ordonna-t-il en se redressant.

Il se retourna pour faire quelques pas vers les grandes fenêtres en se passant une main sur le visage. Une colère gravitait en lui, prenant un malin plaisir à se nourrir un peu plus chaque fois qu'il regardait cette étrangère abîmée dans l'âme.

Quand la porte se referma, il décida d'attendre. Trente minutes plus tard, Raya s'éclipsa à sa demande en inclinant la tête respectueusement et la jeune femme quitta à son tour la salle de bains.

Ses cheveux étaient mouillés, quelques mèches exécutaient de fines vagues sur sa poitrine et d'autres descendaient silencieusement le long de ses hanches.

Nazir agrippa les bras des fauteuils en les serrant aussi fort que l'étaient ses mâchoires fermées.

- Je suis sincèrement désolée, murmura-t-elle en restant dans l'encadrement de la porte comme si elle attendait qu'il la pardonne pour avancer.

- Venez vous asseoir en face de moi.

Elle inspira bruyamment en serrant contre son ventre la serviette blanche. Raya l'avait habillée d'un tee-shirt bleu nuit qui faisait ressortir la pâleur de son visage.

Dur comme de la pierre, connu pour être insensible au sort des étrangers, Nazir était littéralement consumé par le désir féroce de la protéger. Il n'arrivait pas à déterminer comment et quand ce sentiment avait jailli en lui comme la lave incendiaire d'un volcan mais il était là, ancré en lui.

Il la suivit des yeux, conscient que son regard était peut-être aussi glacial que l'Antarctique. Timidement elle avança vers le fauteuil en face du sien et c'est avec le regard toujours baissé qu'elle s'y installa.

Nazir ferma ses poings aussi fort que possible pour réprimer l'envie de glisser son index sous son menton pour l'obliger à le regarder.

- Vous n'avez pas à vous excuser, commença Nazir en baissant sa voix d'un octave qui malheureusement n'empêcha pas un léger sursaut de sa part.

Ses paupières encore rouge se soulevèrent avec réserve mais enfin, son regard trouva le sien.

- Je veux au contraire connaître chacune de vos pensées quand ces dernières sont insoutenables pour vous. Chaque fois que vous êtes hantée par des souvenirs douloureux je veux le savoir.

- À quoi cela pourrait bien vous servir ? Demanda-t-elle tout bas.

- À anticiper, répondit aussitôt Nazir en appuyant ses coudes sur les bras du fauteuil pour ramener ses mains à sa bouche.

Kate avait l'impression d'être embrassée par un regard énigmatique qui la rendait de plus en plus nerveuse. Elle se sentait terriblement honteuse après cette scène dans les jardins du palais. Pendant une seconde qui s'était éternisée, Kate s'était effondrée dans les bras du cheikh sans réagir, sans même réaliser qu'il s'agissait de lui, trop occupée à fuir les images terribles que lui faisait revivre son esprit.

C'est seulement lorsqu'il l'avait soulevé dans ses bras qu'elle avait reconnu son odeur particulièrement virile.

- Si vous ne voulez pas de l'aide d'un professionnel, il vous faudra accepter la mienne, reprit-il en l'arrachant à ses pensées.

Kate avait toute la peine du monde à soutenir son regard mais tint bon, voyant là une opportunité...même infime de savoir si elle pouvait réellement faire confiance à cet homme au regard dépourvu de douceur.

- Je ne pouvais pas sortir, commença-t-elle d'une voix brisée. Un jour...j'ai crû que j'avais le droit après m'être bien comportée pendant une longue et insupportable semaine.

Un silence fendit son récit alors qu'elle pleurait en silence, sans qu'aucun son ne s'échappe de ses lèvres.

- Je m'étais trompée, murmura-t-elle en baissant les yeux.

Un autre silence s'ensuivit mais cette fois-ci il paraissait accompagné de bruits qu'elle ne perçut pas immédiatement.

Ce fut seulement quand brusquement son fauteuil s'avança vers le siens qu'elle réalisa ce qu'il était en train de faire.

À la seule force de ses bras, il avait tiré son fauteuil pour le rapprocher du siens.

Kate sentit son souffle se rompre, et son cœur rater quelques battements. Ses longues jambes forçaient les siennes à les toucher et son genou droit effleurait le sien. Ils n'avaient jamais été aussi proche l'un de l'autre à tel point qu'elle aurait pu décrire les méplats de son visage si elle avait eu le courage de le regarder sans baisser les yeux.

Pire.

Elle n'avait aucune possibilité pour s'échapper.

- Il n'est pas ici, articula-t-il comme s'il voulait que chaque mot s'ancre à jamais dans son esprit. À partir de maintenant je ne veux plus que vous ayez peur de parler. Si jamais une situation vous plonge dans de mauvais souvenirs je veux le savoir.

Il était si proche qu'elle sentait son souffle caresser son visage.

- Si vous n'êtes pas suffisamment en confiance avec moi, Raya sera là pour vous écouter, ajouta-t-il de sa voix rocailleuse qui n'avait de cesse de la faire tressaillir.

Kate acquiesça timidement en serrant la serviette encore humide qui reposait sur ses genoux.

- Je ne peux pas effacer ce que vous avez vécue, du moins pas encore, mais ce que je peux vous affirmer c'est que vous ne le reverrez jamais.

" Du moins pas encore "

Kate se souvint aussitôt de cette affirmation prononcée par le cheikh lorsqu'elle était plongée dans l'obscurité. Cette détermination à vouloir qu'elle n'ait plus que sa voix dans son esprit afin d'effacer celle qui ne cessait plus de la hanter.

Le cœur battant, elle leva son regard vers le sien et frémit.

- Est-ce que vous avez compris ? Insista-t-il en la dévisageant.

- Oui, répondit-elle en peinant à déglutir.

Il bascula son torse massif en arrière pour qu'elle retrouve un peu d'espace mais ne la quitta pas des yeux pour autant.

Pour elle, cet homme représentait l'inconnu et le mystère. Elle avait l'impression de vivre dans un monde différent, comme si le temps était sans cesse figé.

Elle livrait un combat qu'elle-même n'aurait jamais cru vivre un jour. Cet homme à l'armure insaisissable avait toutes les caractéristiques suffisantes pour l'effrayer et c'était le cas. Pourtant, plus elle était à son contact plus l'envie de se recroquevillée dans un coin de le chambre pour pleurer commençait lentement à s'effacer...comme si quelque chose de plus fort luttait à contresens de sa peur et son désir de le fuir.

- Venez, il est temps de mettre vos gouttes, vos yeux sont encore fragiles.

Il recula son fauteuil pour se lever. Kate rejeta la tête en arrière pour atteindre son visage et se sentit pâlir.

- C'est...Raya qui...

- Raya est occupée, la coupa-t-il en s'écartant pour qu'elle se lève.

N'ayant d'autre choix, Kate se leva avec difficulté et alla s'allonger sur le matelas avec une appréhension si vive qu'elle lui nouait la gorge jusqu'à l'empêcher de respirer.

- Essayez de ne pas bouger, lui dit-il d'une voix impérieuse.

Kate retint sa respiration quand elle vit ses doigts épais se rapprocher de son visage. Allait-elle résister ou bien le laisser faire ?

Elle eut un bref mouvement de recule quand son pouce et son index se positionna de façon à ouvrir son œil.

Elle sentit sur sa peau sensible la texture rêche de son pouce et frissonna jusqu'à ce qu'il fasse tomber la dernière goutte dans son œil droit.

La vision assez floue, elle cligna des paupières en écoutant ses pas s'éloigner.

- Vos côtes vous font encore souffrir ?

- Un peu, admit-elle en continuant de battre des paupières jusqu'à ce que sa vision soit nette.

Il s'approcha à nouveau mais cette fois-ci Kate perçut cette nouvelle approche comme inquiétante et un élan de panique la submergea.

- Laissez-moi faire, ordonna-t-il saisissant son poignet avant que sa main atteigne son tee-shirt pour lui faire barrage.

La respiration saccadée, elle lut dans ses yeux noirs qu'il ne lui laissait pas le choix. Était-ce un exercice ? Essayait-il de repousser ses limites ou voulait-il mettre en action ce qu'il voulait farouchement depuis le début ?

S'imposer dans sa tête et même dans ses chairs meurtries.

La panique affluait chaque seconde un peu plus mais fut contrainte de le laisser faire quand il souleva son tee-shirt.

De sa main libre elle tenta de s'interposer mais il fut vif et bloqua son geste.

Il tenait d'une main de fer ses deux poignets et de l'autre, appliqua la pommade sur ses côtes blessées. Il demeura silencieux, les mâchoires tendues et le regard rivé sur les gestes circulaires qu'il exécutait sur sa peau encore bleutée.

Sa prise sur ses poignets était à la fois ferme et mesurée. Pendant toute la durée des soins Kate avait frémi, tremblé, mais avait résisté à se débattre inutilement en acceptant que cet homme aux traits cruels la touche.

- Voilà, c'est terminé, annonça-t-il en rabattant son tee-shirt.

Il libéra ses poignets et se leva brusquement.

Troublée, Kate ne savait ni comme réagir ni même quoi dire.

Elle murmura un " Merci " à peine audible en osant à peine le regarder dans les yeux alors qu'elle avait l'impression de sentir encore ses doigts abîmés sur sa peau.

- J'ai du travail, je vous suggère de vous reposer un peu, ce début de journée a été très éprouvant pour vous.

Sa réponse fut abrupte la poussant à lever son regard vers le sien. Il ne la regardait pas, les sourcils froncés, l'air rembrunit.

- D'accord, dit-elle alors en essayant de comprendre pourquoi il avait l'air si préoccupé et si pressé de partir.

- À ce soir, lança-t-il en disparaissant d'une démarche bourrue.

Le cœur battant douloureusement dans sa poitrine, Kate fixa la porte fermée qui se rouvrit aussitôt sur Raya.

- Est-ce que vous avez besoin de quelque chose mademoiselle ?

- Vous...vous n'étiez pas occupée ? S'enquit Kate en se redressant sur le lit.

- Non, j'étais derrière la porte, j'attendais que son Altesse se retire.

Kate resta muette devant cette réponse qui contredisait l'explication du cheikh qui semblait avoir menti sans qu'elle en connaisse les raisons.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top