Chapitre 18




- Alors ? Est-ce que...enfin, votre rencontre s'est-elle bien passée ?

Assis derrière son bureau, en train de rattraper son retard sur quelques dossiers importants qu'il avait négligé afin de permettre à la jeune femme de s'habituer au palais sans sa présence, Nazir posa son stylo au ralenti sur son bureau tout en se carrant au fond de son siège.

- Eh bien c'était une rencontre assez spéciale si on prend en compte qu'elle était suspendue au balcon avec le fol espoir d'atteindre le mien pour s'enfuir par les escaliers.

Amadh eut une expression horrifiée.

- Rassure-toi, elle va bien, s'empressa-t-il de dire en se caressant pensivement la barbe. J'ai pu la faire changer d'avis avant que ça se termine en drame.

Son bras droit expira un souffle de soulagement tout en l'interrogeant du regard.

- Elle était effrayée quand elle a enfin découvert mon visage si c'est ça que tu désires entendre. Complètement paralysée, tétanisée.

- C'est tout à fait...

- Normal ? Le coupa-t-il en étouffant un rire amer. N'essaye pas dédramatiser la situation mon ami. Si elle brûlait déjà de s'enfuir d'ici avant même de me voir, je prends le pari que désormais elle n'aura qu'un objectif, courir aussi loin que possible.

- Vous en imposez, rétorqua Amadh convaincu de ce qu'il rapportait. On ne peut pas dire que vous passez inaperçu. Ce n'est pas la première fois que vous intimidez une femme et ça ne sera sans doute pas la dernière. Mais avec elle la réaction est démultipliée et nous savons pourquoi.

- Ah oui ? Tu en es certain ? Mon physique n'est pas la seule cause de la peur qui découle dans ses yeux terrifiés. Je l'ai traité comme si c'était un homme, je l'ai brutalité.

- Je vous en prie ! Vous savez très bien que ce n'était pas vous à ce moment-là et quant à votre physique pardonnez-moi mais lorsqu'on voit la carrure de Finn Dixon, je peux comprendre sa réaction. Il s'agit d'un gringalet mesurant à peine un mètre quatre-vingt. Cela explique mieux son besoin de frapper une femme pour se sentir supérieur.

Agacé Amadh se mit à faire les cents pas sous le regard attentif du cheikh.

- Il faut lui donner du temps, je suis certain qu'elle finira par s'habituer à votre physique. Mais il faut la comprendre, je réagirais de la même façon si du jour au lendemain j'étais en face d'un colosse dont la guerre a annihilé toute trace de douceur en lui.

Cette dernière parole heurta Nazir mais il ne le montra pas. Pourtant il avait raison. Avant même le déclenchement de cette guerre, Nazir n'était pas doté d'une grande douceur mais la guerre avait complètement et définitivement absorbé la moindre parcelle de tendresse qui aurait pu lui rester.

- Elle ne voudra pas s'enfuir si on lui donne une raison de rester.

- Même s'il n'y a aucune raison, elle restera, s'enquit Nazir en se levant.

Amadh lui jeta un regard prudent mais ô combien parlant.

- Je suis désolé mon ami, chaque fois que je songe à appliquer un peu de douceur celle-ci est broyée par mon impitoyable dureté. Cependant sois certain que jamais, je dis bien jamais je n'oserai lui faire le moindre mal.

Amadh s'inclina à ces derniers mots prononcés.

- Je n'en ai jamais douté, répondit-il, il lui faut de l'aide, même si elle n'en désire pas, je pense qu'il faudrait le tenter. Elle a besoin d'être entourée par des médecins spécialisés.

Nazir referma les dossiers d'un mouvement agacé et contourna son bureau.

- Je vais tenter de lui en parler, du moins j'espère qu'elle acceptera de déjeuner avec moi.

Nazir quitta son bureau avec pour seul objectif de la convaincre de manger avec lui. Même s'il l'avait déjà informé qu'elle serait conviée à chacun de ses repas, la situation était différente. Elle était en mesure de voir désormais et il n'avait pas le contrôle sur elle comme il l'avait eu ces derniers jours avant que la lumière lui revienne.

En arrivant au pas de sa porte il inspira bruyamment puis l'ouvrit avec un étrange sentiment logé au fond de la gorge.

Hier, tard dans la soirée il avait découvert un visage assombri par la nuit. Aujourd'hui il s'apprêtait à le découvrir dans la lumière du jour.

Il balaya la chambre d'un regard aiguisé et constata avec la naissance d'une colère encore silencieuse qu'elle n'était pas là.

Les mâchoires sévèrement tendues, il marcha d'un pas rapide vers les fenêtres qui donnaient sur le balcon et qu'il avait condamné la veille pour vérifier qu'elles l'étaient toujours.

Les sourcils froncés et alors qu'il s'apprêtait à prévenir les gardes par téléphone, il entendit un grincement de porte juste derrière lui.

Il se retourna aussitôt et vit une silhouette se découper dans l'encadrement de la porte qui donnait sur la salle de bains.

Elle ne l'avait pas vu, du moins pas encore. Alors Nazir en profita pour détailler son visage. Ce dernier demeurait toujours autant attristé et affaibli par une grande fatigue. Cependant Nazir devait l'admettre, la jeune femme était d'une grande beauté. Un beauté fragile et délicate.

Il détourna le regard, rictus aux lèvres alors qu'il se maudissait d'avoir eu une telle pensée.

Une petite respiration aussi semblable qu'un soubresaut l'interpella.

Avec une lenteur délibérée, Nazir accrocha la regard de sa captive totalement terrifiée et qui s'était empressée de baisser la tête.

- Avez-vous bien dormi ? Lui demanda-t-il en faisant un pas vers elle.

Elle releva timidement la tête tout en fuyant son regard. Son expression réservée et prudente ne lui permettait pas de faire la moindre erreur. Alors il resta patient jusqu'à ce qu'elle acquiesce de la tête.

- Je suis venu vous chercher pour le déjeuner, est-ce que vous êtes prête ?

Elle portait un legging noir et une chemise blanche bien trop large pour elle.

- Oui, murmura-t-elle d'une voix à peine audible.

- Dans ce cas allons-y, décréta-t-il en s'avançant prudemment jusqu'à la porte.

Raya lui avait rapporté que la jeune femme n'était pas sortie de sa chambre pendant son absence.

- Si vous le souhaitez, cette après-midi je vous ferai visiter le palais, déclara-t-il en fermant la porte derrière eux.

Elle tortillait ses doigts, ne le regardait pas dans les yeux, et tentait de rester aussi loin que possible de lui. Nazir huma sans le vouloir les odeurs de ces huiles essentielles que Raya aimait tant fabriquer à partir de rien. Une sensation qu'il n'aurait jamais dû ressentir coula dans ses veines et il s'empressa de la balayer pour se concentrer sur sa mission.

- Alors ? Lui dit-il d'une voix patiente.

- Ou..oui...

C'était peu, mais il devait s'en contenter, songea-t-il en marchant à son rythme alors qu'elle baladait son regard sur chaque détail que comportait ce dédale de couloirs.

Lorsqu'ils arrivèrent dans son salon privé, Nazir fit preuve de galanterie en lui tirant la chaise mais elle était trop occupée à contrôler sa peur pour s'en apercevoir.

Pendant un instant il eut l'impression d'être le loup sans pitié prêt à dévorer l'agneau.

- Regardez-moi s'il vous plaît, demanda-t-il sur un ton impérieux.

Elle exhala un petit souffle nerveux en levant ses yeux verts dans les siens. Il pouvait lire dans les lueurs ancrées dans ses prunelles toutes les difficultés qu'elle rencontrait pour exécuter cette exigence.

- Est-ce que vous avez faim ? Demanda-t-il alors sans élever la voix, gardant toujours une intonation encourageante.

- Un peu, murmura-t-elle en abaissant à nouveau les yeux.

- Dans ce cas faites-vous plaisir, n'ayez pas peur.

Elle inspira profondément en déchirant un morceau de pain frais.

Ce n'était pas grand chose mais c'était un début assez prometteur.

- J'ai contacté une psychologue renommée ici, à Hizhrah, je pense que ça serait une bonne idée si vous lui parliez un peu.

Kate osa lever son regard vers ce guerrier au regard plus qu'impitoyable et sentit dans ce timbre gutturale qu'il s'efforçait d'adoucir sa voix. Est-ce qu'il savait au moins que cela ne changeait rien ? Que sa voix ne changeait pas même en essayant de la rendre plus délicate ?

Chaque fois qu'il parlait avec cette accent aiguisée et les féroces notes qui l'accompagnaient, Kate devait lutter contre une marée de frissons.

Il l'a regardé avec le regard d'un faucons survolant sa proie blessée. Sa barbe sombre qui recouvrait une partie de son cou mettait un accent particulier sur l'étendue de sa brûlure qui semblait entamer son épaule. Kate baissa aussitôt le regard tout en décidant de lui répondre car elle ne voulait pas de psychologue.

- Je n'en veux pas, mais je vous remercie pour votre...proposition.

- Pour quelle raison refusez-vous cette aide ? S'enquit-il. Vous savez tout aussi bien que moi que vous ne pouvez pas rester dans cet état et je ne peux pas vous aider comme le ferait un professionnel.

- J'ai déjà eu affaire à l'un d'entre eux par le passé et tout ce qu'ils savent faire c'est vous demander de narrer ce que vous avez vécu comme si ce n'était pas assez difficile de vivre constamment avec. À la fin, je sortais du cabinet avec ma mère sans avoir la moindre impression d'être plus apaisée, c'était tout l'inverse.

Cette longue phrase lui avait tellement coûté qu'elle dut inspirer profondément.

- Regardez-moi, ordonna-t-il à nouveau.

Les mains moites, elle leva les yeux non sans trembler. Son regard ébène se plongea dans le sien et elle crut mourir d'une blessure fantôme tant il irradiait de puissance.

- Ils ne sont pas tous identiques, il s'agit là d'une mauvaise expérience, commença le cheikh d'une voix égale, êtes-vous conscience que je ne peux pas vous aider si vous ne me faites pas confiance ? Si vous refusez toute aide extérieure alors il faudra vous contenter de moi.

- Vous n'êtes pas forcé de m'aider encore moins...me garder ici, je suis plus un poids pour vous que ce que vous laissez penser. Je suis en train de vous attirer des ennuis inutiles, laissez...

- Je n'ai pas pour habitude de me répéter mademoiselle Russo mais vous êtes mon exception. Je vous garderai ici longtemps que je l'aurai décidé et vous n'êtes pas un poids pour moi.

- Une rédemption alors ? Parce que vous culpabilisez de...mon Dieu pardon, je regrette, murmura-t-elle les larmes aux yeux après s'être rendue compte qu'elle avait dépassé une limite que Dixon lui aurait déjà fait payer.

- N'ayez aucun regrets, au contraire, cela vous aidera à mieux comprendre dans quelle paire de mains vous êtes tombée.

Elle l'entendit se redresser sur la chaise puis il reprit :

- J'éprouve rarement voire jamais de la culpabilité mais oui, pour vous j'en ai eu. Cependant si je vous garde ici ce n'est pas pour avoir grâce de rédemption mais tout simplement parce que j'ai décidé qu'il en soit ainsi. Vous n'avez pas de porte de sortie, vous avez la mienne qui vous garanti la protection. Je ne suis pas l'homme le plus délicat que vous auriez pu rencontrer. Je suis fait de pierre, dépourvu de douceur parce que ma vie en a décidé ainsi. Seulement, et malgré tout ce que je viens de vous dire sur moi, je ne laisserai pas une innocente se condamner elle-même à la torture ou à la mort.

Il s'agissait du discours le plus honnête qu'elle ait pu entendre de toute sa vie. Il n'y avait mis aucune douceur ni réserve. Sa voix rocailleuse s'était élevée dans un silence de plomb pour tirer un trait définitif sur ses désirs de partir.

Devait-elle le croire ?

- Je sais que ce que vous avez vécu vous empêche de me faire confiance et j'ai conscience que mon physique n'aide pas à vous rassurer mais je serais satisfait si vous me laissez quelques jours pour vous prouver que vous n'avez rien à craindre.

Kate serra la fourchette entre ses doigts tout en relevant la tête.

- N'essayez pas de vous enfuir, c'est une perte de temps inutile, reprit-il avec un léger avertissement. Faites-moi confiance et peut-être qu'un jour vous comprendrez pourquoi j'ai fait tout ça. Même si je ne recours pas aux méthodes occidentales qui assurément vous aurez conduit dans le couloir de la mort. Nous savons l'un comme l'autre que la police de New-York vous aurez laissé partir avec au mieux une mesure d'éloignement sans aucune garantie qu'elle soit d'une grande aide. Ma méthode est plus radicale, mais au moins vous avez la garantie que personne ne vous retrouvera.

Nazir fixa les yeux de la jeune femme et crut voir dans ce faisceau émeraude une brèche s'ouvrir. Certes infime, cette brèche signifiait que la jeune femme brisée allait peut-être enfin concéder à renoncer à s'enfuir.

C'était peu, mais pour un homme tel que lui, ce regard timide qui s'était levé de lui-même sans qui l'exige était le début d'un nouveau combat qu'il était prêt à gagner.

Mais pourquoi ?

Il aurait pu confier cette mission à Raya ou bien même à Amadh.

Pourquoi était-il si déterminé ?

Nazir l'ignorait.

Du moins pour l'instant...

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