Chapitre 17



Kate avait passé la majeure partie de la journée sur le balcon. Ses yeux encore fragiles avaient souffert du soleil écrasant, mais elle ne regrettait pas de s'être acharnée à observer l'étendue de cette forteresse. C'était stupide, Amadh avait été très clair à ce sujet. Le cheikh n'avait pas l'intention de la laisser partir. Pourtant Kate s'obstinait à tenter l'impossible. Bien sûr elle savait que tout ce que lui avait dit Amadh était réel et qu'il s'agissait de la vérité la plus cruelle à entendre. Personne ne l'attendait dans son pays, personne ne viendrait la sauver. Elle serait seule, sans possibilité de trouver un travail, mais par-dessus tout, elle allait s'exposer à Finn Dixon ainsi que son frère.

Écartelée entre deux choix les plus terrifiants l'un comme l'autre, Kate posa ses mains sur son visage en réprimant un sanglot.

Le souvenir de sa mère surgit alors et toutes ces années de tristesse et de terreur l'empêchaient de voir un quelconque espoir, même le plus infime.

Elle était condamnée quoiqu'il puisse arriver.

Exhalant un soupir qui n'avait jamais été aussi tremblant elle s'avança sur le balcon alors que la nuit était totalement tombée. Seules quelques vasques imposantes et faites de cuivre étaient enflammées d'un feu vacillant au gré du vent.

Elle se rappela alors l'emprise féroce du cheikh sur ses bras et la façon cruelle avec laquelle il l'avait jetée en prison. Puis d'autres souvenirs remontèrent à la surface. Notamment les paroles déterminées de cet homme lui promettant de la venger tout en lui précisant qu'elle demeurera à jamais sa prisonnière.

- Non, murmura-t-elle en secouant tristement de la tête.

Maintenant qu'elle était en mesure de voir, Kate craignait que la situation se renverse. Qui pouvait lui promettre que cet homme cruel n'allait pas changer d'avis ? Qui pouvait être en mesure de lui promettre qu'il n'avait plus de soupçons sur son rôle dans l'arnaque de Finn ?

Et si tout cela était un moyen de la piéger ?

Affolée, alors qu'elle pouvait encore sentir la douleur des brûlures infligée par Finn Dixon avec ses cigarettes, Kate se précipita dans la chambre pour récupérer la cape noire qu'elle avait trouvée dans une malle près du lit et s'empressa de l'enfiler.

Au péril de sa vie elle enjamba la rambarde du balcon pour essayer d'atteindre l'autre balustrade qui donnait sur un escalier de sortie. La hauteur monstrueuse laissait entendre qu'elle se trouvait à sept mètres du sol peut-être plus. Les jambes tremblantes elle étendit sa main dans l'espoir d'effleurer le marbre de l'autre balcon. Ses forces vacillèrent et elle dut agripper à deux mains la balustrade épaisse et large, prise de vertige. La respiration erratique, le cœur battant à la chamade elle tenta de se rapprocher au plus près du balcon voisin et tenta désespérément de l'atteindre. Chaque fois qu'elle tendait sa main, Kate prenait le risque de s'écraser sept mètres plus bas. Ses forces n'avaient de cesse de diminuer, au point qu'elle dut agripper de nouveau le marbre, le corps penché en avant.

Tétanisée par le vide qui semblait de plus en plus profond dans cette nuit noire, Kate sentit une larme de détresse rouler sur sa joue.

- Vos chances d'atteindre ce balcon sont nuls, j'espère que vous en êtes consciente ?

Kate se raidit, et se mit à trembler de manière incontrôlable. C'était lui, Kate avait reconnu sa voix cruelle à la première note sombre.

Terrifiée, Kate n'osait pas relever la tête car cela signifiait découvrir le visage de l'homme qui la retenait prisonnière.

- Votre désespoir vous fait voir la situation sous un angle différent. Votre instinct de survie et votre esprit aussi, poursuivit-il sur un ton grave mais prudent. Regardez bien. Il y a au moins quatre mètres entre ces deux balcons.

Kate serra les rebords du balcon au plus fort qu'elle le put et sentit sa tête trembler alors qu'elle essayait de la tourner vers le vide abyssal qui séparaient les deux balcons.

Pourtant, son esprit s'était forgé une image très précise d'une distance raisonnable qu'elle pensait pouvoir franchir. La réalité fut aussi douloureuse qu'un coup de poing en plein cœur.

- La seule chose qui peut se produire c'est une chute et votre mort, reprit de sa voix rocailleuse. Ce n'est pas réellement ce que vous voulez, sinon vous ne seriez pas accrochée avec autant de force.

Ce qu'elle voulait ?

Kate resta la tête baissée vers la pâleur du marbre mais pouvait entendre ses pas se rapprocher d'elle.

- Je veux partir, s'entendit-elle murmurer comme un cri venant du cœur alors que ses paumes de mains devenaient moites. Il faut que je parte, je vous en prie.

- Non, déclara-t-il sans toutefois élever la voix.

Seulement Kate avait pu saisir dans les nuances de sa voix l'implacable refus de se plier à sa demande.

- C'est trop dangereux et vous le savez, reprit-il toujours sur le même ton. Vous n'avez rien à craindre de moi, mais je ne vous laisserai pas partir. Vous n'avez aucune chance de le fuir si vous posez un pied sur le sol américain. Personne ne viendra vous aider cette fois-ci. C'est ce que vous voulez ?

Nazir marchait dans sa direction avec une prudence inédite pour lui. En pénétrant dans sa chambre pour se révéler à elle, jamais il n'aurait pensé la retrouver perchée sur le balcon, désespérée à l'idée folle d'atteindre le sien.

Maintenant il se trouvait dans une position extrêmement difficile car il ne fallait surtout pas l'effrayer au risque qu'elle chute sept mètres plus bas. Nazir avisa ses mains, plus précisément ses doigts qui peinaient à se retenir à l'épais marbre.

- Ce que je veux n'a pas d'importance, dit-elle d'une voix brisée.

- Au contraire, contrat Nazir en avançant pas par pas. Cessez de vouloir fuir et prenez conscience que personne ici ne vous veut du mal.

- Je n'en crois rien, répondit-elle d'une voix pas plus haute qu'un murmure.

- Je vous l'ai dit, ma parole fait loi, aussi je vous promet que vous êtes en sécurité ici.

Nazir fixa ses mains frêles qui commençaient à glisser alors qu'elle n'avait toujours pas relever la tête.

- Vous avez le choix, soit vous me donnez votre main soit je vous récupère selon mes propres moyens, mais dans les deux cas, je ne vous laisserai pas vous écraser au milieu de mon jardin.

Les cheveux de la jeune femme qu'il voyait pour la première fois détachés flottaient sous les brises du vent, cachant parfois son visage mais il pouvait voir des larmes sillonnaient son visage.

Il combla les derniers centimètres qui le séparait d'elle et tendit sa paume de main ouverte.

Nazir espérait qu'elle s'en saisisse, car il ne voulait en aucun cas recourir par la force, mais la situation commençait lentement à se dégrader. La jeune femme était raide et tétanisée. Et alors qu'il était sur le point de la saisir contre sa volonté, il vit sa main droite se détacher du bord. Celle-ci tremblait mais se rapprochait doucement de la sienne jusqu'à ce que ses doigts frêles touchent sa paume.

Il s'empressa de refermer ses doigts sur les siens pour être certain d'être en mesure de la rattraper quoiqu'il puisse arriver.

Kate ferma les yeux quand elle sentit tout son corps basculer en avant pour être soulevée par la seule force d'un bras. Qu'aurait-elle pu faire d'autre ?

Se laisser tomber dans le vide ?

Oui, cette pensée avait effleuré son esprit avant qu'un sursaut de lucidité l'empêche de le faire.

- Sage décision.

Kate se laissa porter jusqu'à l'intérieur sans résister mais garda tout de même les yeux fermés. La crainte de voir son visage n'avait jamais été aussi réelle qu'à cet instant précis. Il la déposa sur le lit et elle entendit ses pas s'éloigner.

Elle ouvrit les yeux et le distingua près des fenêtres qu'il était en train de condamner.

Elle laissa échapper un hoquet en constatant avec un frémissement qu'il était très grand. Son dos était très large tout comme l'était ses épaules. Enfin, il se retourna et leur regard se croisèrent enfin.

Une peur indicible l'empêcha de réagir alors que lui, s'approchait lentement, donnant l'opportunité aux ombres de jouer avec son visage.

Des yeux noirs aussi glacials qu'un hiver impitoyable, le cheikh aux épaules larges semblait être fait de granit. Son visage couleur bronze aiguisait la virilité de ses traits ainsi que la barbe qui sillonnait sa large gorge meurtrie par des brûlures importantes.

Enfermé dans une chemise noire, celle-ci semblait volontairement large pour faire respirer les muscles qui palpitaient dangereusement à chacun de ses mouvements. Effrayée, Kate remonta son regard sur les lignes de ses mâchoires et sur sa bouche aux plis durs avec l'impression inquiétante qu'avec la seule force de son regard il pouvait la piéger.

Nazir vit dans les lueurs de ses yeux verts qu'elle était en train de subir un choc, mais il était trop préoccupé à balader son regard sur son visage désormais entièrement libéré. Ses grands yeux verts ajoutaient une plus grande pâleur à son visage et renforçait les pigmentations roses de ses joues.

Ses long cheveux bruns s'étendaient sur le lit comme une cascade silencieuse mais sa respiration elle...était désordonnée.

- Les fenêtres resteront fermées pour l'instant, je n'ai pas envie de retenter l'expérience de vous voir suspendue dans le vide.

Kate cligna des yeux pour sortir de cette effrayante torpeur et le vit s'approcher du lit avec une démarche anormale. De près il ressemblait à une massive machine de guerre impitoyable et sans pitié.

- Vous avez mangé pendant mon absence ? Demanda-t-il en la dévisageant, ses épais sourcils noirs froncés.

- Oui, enfin...je crois, balbutia-t-elle dépourvue de ses capacités à réfléchir.

Elle eut un mouvement de recule quand sa main s'approcha de son visage. Il l'ignora et posa sa paume sur son front.

- Raya m'a rapporté que vous avez passé beaucoup de temps sur le balcon. C'est une chance que vous n'ayez pas une insolation, expliqua-t-il en retirant sa main.

Nazir demeura sensible aux craintes de la jeune femme qui défilaient dans ses yeux. Elle enfonça sa tête dans l'oreiller comme si elle voulait à tout prix le fuir.

Il constata également qu'elle portait l'une des capes anciennes qui reposaient dans une malle depuis des années.

Nazir fut tenté de la lui retirer mais se ravisa de peur de l'effrayer totalement.

C'était suffisant pour ce soir, décréta-t-il en ayant toute la peine du monde à la regarder se débattre dans cet oreiller.

- Nous reparlerons de tout ça demain matin, essayez de vous reposer.

Kate aspira un filet d'air en le suivant des yeux alors qu'elle ne parvenait pas à réagir ni même à bouger. Il s'effaça, fermant la porte derrière lui sans toutefois la verrouiller.

Kate comprit alors qu'elle ne pourrait pas échapper à cet homme au regard aussi tranchant qu'une lame à la pointe aiguisée.

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