Chapitre 15



Kate connaissait encore très peu de détails sur le cheikh mais au moins elle savait désormais qu'il avait subi un terrible accident. Son apparence physique en avait-elle payé le prix ?

Au milieu de toutes ses questions Kate ferma le livre qu'elle avait pris au hasard pour jouer avec les pages et surtout imaginer ce qu'il pouvait bien contenir. Après la visite dans l'écurie, l'homme qui la retenait prisonnière l'avait ramené dans sa chambre en prenant le soin de verrouiller la porte. Kate n'avait plus la force de tenter de s'échapper, en tout cas pas tant qu'elle ne serait pas en mesure de voir. Oui, songea-t-elle au milieu de ce silence éprouvant. Elle avait toujours en tête de fuir dans un endroit que ni Paolo ni Finn ne pouvait connaître. C'était son seul moyen d'être certaine qu'ils ne pourront jamais la retrouver. Ce choix malheureux paraissait stupide mais le désespoir était le seul à lui parler parmi toutes ces voix dans sa tête qui lui soufflaient de rester confiante.

La mort ou la fuite étaient ces deux seules options et personne ne pouvait comprendre. Surtout que désormais, elle était entre les mains d'un chef de guerre qui malgré ses efforts à se montrer délicat avec elle, était toujours rattraper par sa véritable nature de souverain aux intonations de voix impitoyables. Kate avait si peur qu'elle priait pour que l'obscurité s'efface au plus vite pour avoir enfin la chance de partir d'ici et avoir le libre choix de rester en vie ou non.

De tout façon, elle était déjà un fantôme. Elle ne possédait plus d'identité et son prénom avait fini par s'effacer des mémoires collectives. Elle était déjà considérée comme morte, et c'était peut-être mieux ainsi.

Maintenant, il lui fallait patienter, jusqu'à ce que la clarté lui revienne enfin.

- Votre Majesté vous en êtes sûre ? Pourtant d'après Raya elle paraît plus calme, s'étonna Amadh.

Les yeux noirs fixés sur l'étendu de ses terres qui le rendaient si fier, Nazir serra férocement les mâchoires.

- Dès lors qu'elle sera en mesure de voir, Kate Russo fera tout ce qui est son pouvoir pour s'enfuir.

- Comment pouvez-vous en être si certain ? S'enquit Amadh troublé.

- Elle me craint tout comme elle craint d'être retrouvée. Je l'ai observé des heures et son obstination à trouver une porte de sortie est pour moi suffisant, expliqua Nazir désincarnée de toute trace de douceur dans la voix. Le médecin m'a informé qu'elle pourra ôter le bandage dès ce soir au plus tard demain matin. Dès lors qu'elle sera en mesure de s'orienter elle cherchera un moyen de partir.

Impassible, le regard rivé sur l'horizon, les bras croisés derrière le dos, Nazir attendait patiemment la réponse tardive de son fidèle bras droit qui à son contraire, allait donner raison au désespoir de la jeune femme.

- Alors laissez-la partir.

- C'est absolument hors de question, articula-t-il d'une voix acerbe pour faire assoir son autorité.

- Si c'est sa...

- ....Sa décision n'a pas de valeur surtout quand celle-ci est dictée par des peurs incontrôlables. Nous savons l'un comme l'autre qu'elle n'a aucune chance de survie. Où est donc passé ta bonté Amadh ?

- Elle ne m'a jamais quitté, seulement nous sommes dans une position difficile. Il s'agit d'une étrangère. La presse Américaine commence à s'enflammer en lâchant des informations complètement erronées.

- Parce que Kate Russo n'existe plus.

- Je vous demande pardon ?

Nazir expira bruyamment par les narines en décidant de pivoter sur lui-même afin de confronter Amadh.

- Peu de temps après qu'elle m'ait dit sa véritable identité , lorsque j'ai contacté l'ambassade des États-Unis pour leur expliquer mes désirs de vengeance, la réponse a été à la hauteur de mes attentes, mais quelques heures plus tard, j'ai été de nouveau contacté. L'homme qui m'a répondu s'est présenté très confus au téléphone en m'indiquant qu'il n'avait trouvé aucun nom correspondant à celui que je leur avait donné.

Amadh fronça des sourcils, l'air incrédule.

- Son frère l'a fait complètement disparaître des fichiers. Ce qu'il a fait est illégal mais faisable avec un peu d'argent sale.

- Où voulez-vous en venir ?

Nazir se passa une main dans la barbe, songeur. Amadh ne semblait pas mesurer l'ampleur de l'enfer dans lequel la jeune femme était plongée. Sans identité, elle n'avait pas les moyens de survivre ni même d'envisager de trouver un endroit où se cacher.

La question qui le taraudait plus que n'importe quelle autre, c'était de savoir si elle le savait. Avait-elle la moindre idée de ce que son frère avait fait ?

- Si je la laisse partir elle ne survivra pas Amadh, elle ne pourra rien faire sans papiers valides, elle a totalement été effacé.

- Si vous la gardez, c'est le pays dans son ensemble qui commencera à se poser des questions. Il s'agit d'une Américaine.

Nazir braqua son regard noir dans celui de son fidèle bras droit et y lut de la frustrations et même un peu de colère. Ce fut seulement au bout de quelques secondes qu'il réalisa que la colère avait pris le pas sur sa sagesse tant admirée au cœur même du palais.

- Je sais que tu gardes un souvenir amer des Américains, concéda Nazir. Moi aussi j'ai réagi avec la même dureté et regarde où cela m'a mené.

- Vous avez raison, veuillez m'excuser c'est...

Amadh s'interrompit en secouant la tête, sans doute hanter par les souvenirs du passé.

- Avons-nous perdu totalement nos âmes au point de faire payer à une innocente les erreurs de nos ennemis disparus ? C'est la seule question que je me pose là tout de suite et la réponse est non.

Amadh acquiesça après avoir récupéré sa légendaire bienveillance qu'il admirait tant.

- D'autant qu'elle cherche à mourir, ajouta Nazir rictus aux lèvres.

Son fidèle bras droit releva précipitamment la tête alerté par cette information.

- Comment pouvez-vous l'affirmer votre Altesse ? Raya m'a dit qu'elle était plus calme et moins angoissée depuis deux jours.

- En apparence peut-être mais il n'en est rien, répondit Nazir en secouant imperceptiblement de la tête. Je peux sentir son désespoir et c'est ce même désespoir qui la poussera à vouloir s'enfuir. Quand elle réalisera d'elle-même qu'elle n'existe plus, que son identité à été complètement effacée depuis plus de deux ans alors elle n'aura plus d'autre alternative que d'en finir et il m'est impossible de l'ignorer.

Nazir marqua une pause dans laquelle il affligea à son conseiller et ami un regard qui valait mille mots.

Demain, tout allait changer et pour y faire face, Nazir allait devoir anticiper plusieurs situations. Notamment celle qui lui paraissait la plus délicate.

Leur rencontre officielle...

Kate se glissa dans le lit avec le sentiment d'être observée. Un frisson parcourut sa nuque alors qu'elle cherchait l'oreiller pour y poser sa joue encore humide.

Elle avait profité de l'absence de Raya pour fondre en larme dans la salle de bains et ses yeux fermés brûlaient silencieusement de douleur.

- Mademoiselle Russo ?

Elle étouffa un hoquet en n'osant plus bouger. Ce sentiment d'être observée était bel et bien réel. Le cheikh était là, quelque part dans la chambre.

- Vous avez besoin de me parler ? Demanda-t-elle en serrant l'oreiller entre ses doigts.

- Je suis venue vous informer que je serais absent demain, Raya sera en charge de s'occuper de vous. Je serais rentré au plus tard dans la nuit.

Sa voix gutturale transperça sa peau au point de la faire frémir d'appréhension. Il ne s'agissait pas d'une simple déclaration, Kate le sentait dans sa voix.

Il y avait des intonations très parlante qui ne trompaient pas. C'était purement et simplement un avertissement.

- Je n'ai pas l'intention de bouger d'ici, je vous...je vous le jure.

Ses pas...ô combien vibrant de dangerosité s'approchèrent et elle eut le réflexe de ramener ses genoux contre son ventre.

- Ai-je votre parole ?

Sa voix s'insinua dans son esprit avec une telle force de puissance qu'il lui arrivait même de ne plus entendre celle de Finn.

- Oui, murmura-t-elle en reniflant contre l'oreiller.

Nazir prévoyait de partir dès l'aube pour ne pas perturber la jeune femme quand elle ouvrira les yeux pour entrevoir son premier filtre de lumière. Il avait convenu avec Amadh qu'il s'agissait de la meilleure solution pour éviter qu'il puisse l'effrayer. Il fallait qu'elle découvre des visages apaisés et qu'elle prenne ses marques dans le palais.

Cependant Nazir n'était pas dupe. Il était presque certain que dès lors qu'elle serait en mesure de voir le premier rayon de soleil, la jeune femme tenterait de partir.

- J'espère que votre parole ne me décevra pas mademoiselle Russo.

Elle fit non de la tête et Nazir n'eut pas la force de lui en vouloir de ne pas se montrer réellement sincère. Qu'aurait-il fait à sa place ?

Il soupira silencieusement en la fixant recroquevillée dans le lit, comme si elle attendait qu'il l'achève d'un coup de poing.

- À présent il est temps de dormir, décréta-t-il pour mettre un terme à cette vision pénible à regarder.

Nazir éteignit la lumière et s'effaça dans cette nuit éclairée par une lune pleine qui baignait la chambre de belles lueurs pâles.

Cette nuit-là, Nazir n'avait pas fermé l'œil de la nuit, hanté par le souvenir de la jeune femme recroquevillée dans ce lit. Bientôt l'aube allait se lever sur les dunes de sable et il allait devoir quitter son palais pour permettre à la jeune femme de le découvrir et peut-être réaliser enfin qu'elle se trouvait en sécurité.

Les yeux rivés sur le majestueux plafond, Nazir décroisa ses mains derrière sa tête et se leva brusquement pour rejoindre la salle de bains.

Une fois préparé, il couvrit son visage puis quitta ses appartements alors que l'aube commençait tout juste à se lever.

Il aurait dû partir mais ne le fit pas tout de suite. Au lieu de s'en tenir au plan, Nazir se dirigea vers la chambre attribuée à la jeune femme et y pénétra sans bruit. Suivant le rythme lent du soulèvement de sa poitrine, Nazir en conclut qu'elle dormait profondément.

Alors il s'approcha et s'installa sur le rebord du lit avec le sentiment d'achever ce premier chapitre douloureux pour cette étrangère qui sans le savoir, avait bousculé tout un pays et son souverain.

Bientôt il allait devoir s'attendre à confronter sa paire d'yeux vert horrifiée, mais sa réaction lui importait peu pour l'instant. Peu importe si elle allait le voir comme un monstre, cela ne changerait rien à sa détermination inébranlable de la garder ici.

Alors c'est avec prudence qu'il glissa son index entre sa peau diaphane et le bandage. Silencieusement, il sortit son poignard et effleura le tissu avec la lame tranchante. Le bandage tomba sur l'oreiller révélant les yeux fermés de la jeune femme. Ils étaient moins marqués par les rougeurs et les tons violacés qu'il avait pu voir quelques jours plus tôt, mais semblaient encore éprouvés par la pénible épreuve qu'ils avaient enduré.

Nazir se leva en fixant ce visage dévoilé dans son ensemble mais encore trop dans l'ombre pour y apercevoir son entière identité. Tout comme elle, Nazir allait devoir patienter avant que leurs yeux se rencontrent pour la première fois. Pour l'heure, il s'effaça, afin de lui laisser le temps de retrouver la clarté qu'elle attendait tant.

Pour le meilleur et pour le pire...

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