Chapitre 14




Devait-elle croire à cette promesse prononcée d'une voix profonde et déterminée ?

Kate ignorait quoi en penser mais ce qu'elle savait en revanche c'est que les doigts de cet homme étaient toujours plantés dans sa peau, précisément à l'endroit où reposait tragiquement l'une de ses cicatrices.

Elle ne voyait pas mais pouvait déceler son souffle aiguisé se poser sur son épaule. Enfin, ses doigts se détachèrent de sa peau, et elle l'entendit se redresser. Ses bottes de cavalier se mirent à frapper le sol et elle entendit une chaise se tirer. Foudroyée par l'angoisse Kate rassembla ses mains tremblantes sur ses genoux désarçonnée par ce nouveau silence. Elle avait le sentiment d'être observée, qu'un lourd et puissant regard était posé sur elle sans qu'elle puisse le fuir.

- J'espère que les mets seront à votre goût, ils sont disposés dans votre assiette.

Kate réprima un sursaut, partagée entre la peur et l'envie de croire au plus profond de son âme meurtrie qu'elle ne risquait rien ici. Seulement cette voix encore plantée dans sa tête n'arrêtait pas de lui souffler d'être méfiante et qu'elle restait prisonnière peu importe qui la retenait.

- Je vous assure que vous n'allez pas le regretter, ajouta-t-il d'une voix encourageante.

Si seulement cette voix n'était pas aussi terrifiante, songea-t-elle avec la furieuse envie de retirer le bandage. Elle se ravisa et leva sa main pour la poser sur le rebord de l'assiette. C'est avec des doigts hésitants qu'elle porta à ses lèvres ce qui ressemblait à un fruit.

- Est-ce qu'il y a des questions que vous souhaitez me poser hormis celles auxquelles j'ai répondu ?

Découragée avant même d'envisager de lui poser ne serait-ce qu'une seule question, Kate secoua négativement de la tête. À quoi bon ?

Elle connaissait l'essentiel.

Elle resterait ici selon sa volonté suprême et il n'avait aucunement l'intention de la laisser partir.

- Je suis certain du contraire, insista-t-il. N'ayez pas peur de me poser les questions qui vous brûle les lèvres sinon, nous serons incapable d'avancer.

- Je vous ai posé toutes les questions qui à mes yeux étaient primordiales et j'ai eu mes réponses, murmura-t-elle en glissant péniblement un autre fruit dans sa bouche.

- Et mes réponses sont loin de vous satisfaire n'est-ce pas, conclut-il d'une voix qui paraissait impassible et dénuée de regrets.

Bien consciente que jusqu'ici elle avait pu s'exprimer sans recevoir une gifle en retour comme le faisait Finn, elle restait prudente. Ce chef de guerre comme le surnommé Amadh avait très certainement des limites à ne pas dépasser.

- Mademoiselle Russo, je n'ai pas la moindre envie d'exiger vous des réponses, je veux qu'elles viennent de vous-même.

Un frisson courut sur son échine alors qu'elle sentait un vent d'impatience se soulever dans cette pièce méconnue.

- Je suis obligée de les accepter, répondit-elle d'une voix qui trahissait les tremblements qu'elle cherchait à masquer.

- Je suis troublé par votre désire imprudent de vouloir risquer votre vie mademoiselle Russo. Qu'attendez-vous de moi exactement ? Que je vous ramène au point de départ ?

Il ne pouvait pas comprendre, se murmura-t-elle à elle-même. Les lèvres tremblantes, elle sentit une larme solitaire rouler sur sa joue.

- Allons, j'aimerai comprendre, ajouta-t-il d'une voix calme...du moins en apparence.

- Vous ne pouvez pas comprendre, murmura-t-elle. Vous ne connaissez pas Finn Dixon, il finira par me récupérer. Il est sournois, narcissique, il adore jouer les victimes et vous lui avez retiré son jouet avant qu'il n'est eu le temps de...

- Assez ! Siffla-t-il entre ses dents ce qui la fit sursauter.

Un horrible silence glaçant s'effondra dans la pièce. Kate baissa la tête en craignant d'avoir cette fois-ci dépassé toutes les limites.

- Vous le connaissez peut-être mais vous ne me connaissez pas, vous n'avez aucune idée à qui vous êtes en train de vous adresser, dit-il d'une voix âpre.

- Non vous avez raison en effet, parvint-elle à dire la tête toujours baissée.

- Ce n'était qu'un bref petit aperçu de ma part.

- Il ne s'arrêtera pas tant qu'il n'aura pas eu ce qu'il veut, insista-t-elle en prenant le risque d'attiser sa colère.

- Je l'aurai tué avant, répliqua le cheikh impitoyable. Désormais, je ne veux plus vous entendre parler de se vaurien. Est-ce vous m'avez compris mademoiselle Russo ?

- Oui, s'entendit-elle répondre en levant une main tremblante pour essuyer sa joue.

- Mangez s'il vous plaît, c'est importante si vous voulez prendre des forces.

Nazir fixa la jeune femme avec le sentiment désagréable que sa mission était loin d'être terminée. Sa nature l'avait rattrapée sans qu'il puisse la réprimer. Avec quelques regrets qu'elle ne pouvait pas voir, il dévia son regard sur la table en appuyant ses mains jointes contre sa bouche dure. Consumé par le feu qui faisait rage en lui, Nazir reporta son attention sur la jeune femme en essayant d'avoir un jugement de sa peur plus raisonnable. En effet, c'était pour ainsi dire la première fois que quelqu'un éprouvait des doutes sur sa parole alors qu'il s'évertuait à lui répéter que personne ne viendrait la reprendre.

Seulement il n'avait pas le droit de l'obliger à chasser ses peurs par l'unique force de sa propre parole. Les cicatrices dans son dos étaient bien plus parlantes que l'expression de visage. Partagé entre deux sentiments, l'un rageur et l'autre plus conciliant, Nazir devait accepter la peur de la jeune femme et s'y habituer car lorsqu'elle sera en mesure de voir, cette peur allait grandir et il n'allait pas pouvoir compter uniquement sur sa parole et sa force de conviction.

Soudain, et alors qu'il ne l'avait pas quitté des yeux pendant le repas, le hennissement de son étalon attira l'attention de la jeune femme. Timidement elle tourna la tête vers les grandes fenêtres ouvertes en tordant ses mains sur la table.

- Vous aimez les chevaux ? Demanda-t-il en voyant là une possible ouverture.

- Je n'en ai jamais vu, répondit-elle d'une voix incertaine.

Perdue, un peu désorientée elle leva sa main pour survoler l'assiette et heurta le verre qui se renversa sur la table. Ce simple accident aurait normalement dû s'arrêter ici, mais la jeune femme fit un bond en arrière, acculée par la panique.

- Ce n'est rien, c'est un simple accident, s'empressa-t-il de dire en faisant le tour de la table pour la rejoindre.

Nul besoin de lire dans ses pensées pour comprendre qu'elle s'attendait à être punie. Nazir serra le poing en franchissant les derniers centimètres qui les séparaient et s'empara de sa serviette pour éponger.

- Quelqu'un va s'occuper de nettoyer, soyez nullement inquiétée, ce n'est pas de votre faute.

Il devait trouver un moyen de la détourner de ses peurs.

- Venez, je vais vous conduire quelque part.

Nazir prit sa main et referma ses doigts dessus avec une légère pression. Quand elle fut debout, il la souleva dans ses bras. Il traversa le balcon et descendit l'escalier sous le soleil brûlant tout en posant un regard sur elle alors que son visage triste était à quelques centimètres du sien. Il reporta son attention sur le chemin qui menait à l'immense jardin et le murmure délicats des fontaines. Étrangement lorsqu'il baissa les yeux sur elle, Nazir fut surprit que ce murmure en particulier attire l'attention de la jeune femme. Malgré la tension qui régnait dans son corps frêle, elle résistait à la peur comme si le simple fait de se raccrocher aux bruits l'aidait à la canaliser.

- Je vous présente Hadar, mon étalon, déclara-t-il en la déposant sur le sol de l'écurie royale.

Elle se recula en buttant son torse massif tout en tortillant ses mains. C'était un tic nerveux qui l'aidait à soigner sa terreur en avait-il conclu à force de l'observer.

Kate entendait le hennissement de ce cheval d'aussi près qu'il était possible de l'être. L'obscurité la rendait nerveuse et encore plus maintenant. Le cheikh à la voix bestiale était son seul repère alors elle s'y accrocha du mieux qu'elle le put.

- Laissez-moi faire, annonça l'homme derrière elle en prenant sa main.

Quelques secondes plus tard, Kate sentit sa paume de main rencontrer le pelage de l'animal. Elle eut un mouvement de recule mais le cheikh le repoussa en posant à nouveau sa main sur le cheval.

- Vous sentez ? Demanda-t-il en guidant les caresses.

Kate refoula la peur qui ne la quittait pas le temps de ce bref instant et sentit sous sa paume des vibrations intenses. C'était comme si les muscles de l'étalon tremblaient à chaque fois qu'elle passait sa main dessus puis peu à peu, ces tremblements disparaissaient à mesure des caresses.

- Il tremble ?

- Oui, il tremble, confirma le cheikh en lâchant sa main.

Kate entendit l'étalon frémir alors qu'elle continuait de le caresser.

- Il...il lui ait arrivé quelque chose ?

- Pendant la guerre, près du village Zayel, nous avons été attaqué par une bombe déposée au pied du village.

Nous avons ?

- Les enfants n'avaient pas compris de quoi il s'agissait réellement et cinq en sont morts. Je n'ai pas pu arriver à temps, malgré Hadar lancé à pleine vitesse. Nous avons été projeté par le souffle de la déflagration et la chaleur qui en émanait. Nous sommes tous les deux ressortis vivants.

Vivants ?

Kate se mit à ralentir le mouvement de ses caresses en essayant de rassembler la moitié manquante de cette histoire.

- Vivants mais blessés ? Osa-t-elle demander.

- Vivants...mais blessés, confirma-t-il d'une voix qui interdisait de s'enfoncer plus loin dans les détails.

- Je suis désolée, murmura-t-elle en sentant l'étalon s'agiter.

- Nous sommes vivants et plus forts, c'est tout ce qui compte, lui dit-il sur un ton étrangement douloureux comme si cette conversation réveillait de lourds souvenirs. Seulement Hadar est encore fragile surtout quand un inconnu l'approche, mais je savais qu'il n'aurait pas peur de vous.

- Parce que je suis blessée ?

- Et qu'il peut le sentir, affirma-t-il en prenant son poignet.

Kate frémit toujours sur ses gardes comme n'importe quelle captive le ferait. Pourtant il se contenta seulement de déposer quelque chose dans sa main puis la guida dans le seul but que l'étalon s'empare de la nourriture posée dans le plat de sa main.

C'est alors qu'elle exhala un soupir tremblant accompagné d'un faible sourire qu'elle s'empressa d'effacer en essayant d'imaginer à quoi pouvaient ressembler les blessures de l'étalon mais plus inquiétant encore...

Celles du cheikh...

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