Chapitre 13
Confuse et esseulée, Kate écoutait depuis le balcon le hennissement d'un cheval qui paraissait très loin de là où elle se tenait. Les bruits en fond sonore devenaient de plus en plus détectable et c'était sans doute la seule chose qui l'aidait à se raccrocher à la vie. Hantée par des souvenirs profondément ancrés dans ses chairs meurtries, Kate n'arrivait pas à se défaire de ses angoisses constantes. La peur qu'il puisse un jour remettre la main sur elle l'empêchait d'espérer un avenir meilleur. Trois jours venaient de s'écouler depuis sa dernière conversation avec le cheikh. Depuis, on l'avait informé qu'il s'était absenté pour affaires. Happée par l'angoisse, Kate avait eu la stupide idée de s'enfuir...encore.
Mais sa tentative avait échouée avant même d'ouvrir la porte. Une porte scellée, des fenêtres verrouillées.
Confrontée au passé, Kate s'était plongée dans de terrifiants souvenirs lorsque Finn Dixon l'obligeait à passer des heures enfermée dans la cave sans eau ni nourriture. Ces moments gravés en elle renforçaient cette crainte que le cheikh puisse faire la même chose. Pourtant, et malgré cette tentative ratée, Kate avait été entourée par des voix protectrices. Celle de Raya en particulier.
- Est-ce que ça vous plaît ? Demanda une voix qu'elle reconnut aussitôt.
Il s'agissait d'Amadh, le plus proche collaborateur de son nouveau geôlier.
- Est-ce que...est-ce que vous lui avez dit que j'avais tenté de m'enfuir ?
Un silence porté par le vent tiède lui répondit, renforçant alors sa crainte d'en payer le prix.
Elle entendit les pieds d'une chaise frotter le sol et en conclut qu'il venait de s'asseoir près d'elle.
- Son Altesse avait anticipé ce que vous auriez pu faire pendant son absence, commença-t-il sur un ton nettement plus doux que son souverain. Je l'ai bien sûr informé mais soyez sans crainte, le principal pour lui c'est que vous soyez encore dans cette chambre.
Kate crispa ses doigts sur le tissu de la tunique que Raya l'avait aidé à enfiler. Une sensation de honte lui monta au visage de s'imaginer aussi peu présentable. Elle n'avait pas le droit de se laver les cheveux pour éviter de refaire le bandage. Elle avait dû montrer son corps nu à Raya pour que celle-ci l'aide à se laver et ça depuis des jours maintenant.
En plus d'être une femme battue et humilier elle avait honte. Profondément honte et ne comprenait toujours pas les raisons qui poussaient ce guerrier à perdre son temps avec une inconnue qui n'aspirait à rien d'autre que d'être en droit de choisir d'en finir avec ce monde si cruel.
- Je n'arrive pas à comprendre pourquoi il veut me garder ici, je suis une perte de temps, vous feriez mieux de me laisser partir, murmura-t-elle en ravalant difficilement le sanglot dans sa gorge.
- La volonté du cheikh fait loi, s'il en a décidé ainsi personne ne peut aller contre. Mon enfant, je n'ose pas imaginer la souffrance que vous avez pu endurer mais croyez-moi, vous êtes plus en sécurité ici que n'importe où dans ce monde.
La voix rassurante d'Amadh n'arrivait pas à lui ôter l'idée que Fini puisse la retrouver un jour. En réalité le cheikh n'avait pas conscience qu'en la prenant captive il venait d'ôter à Finn son dernier droit sur elle.
- Finn Dixon ne reculera devant rien pour obtenir ce que mon frère lui a promis.
- Son altesse royale chef de la plus grande armée secrète ne reculera devant rien pour obtenir sa tête au bout d'une pique, répliqua l'homme sage avec plus de fermeté.
Sa réponse lui glaça le sang.
- Vous n'avez aucune idée de qui est le cheikh Al-Hassan, reprit-il avec une force tranquille. Nazir a combattu bien pire que votre frère et cet homme. La seule chose qui l'a retenu de le tuer tout de suite c'est votre présence.
- Mais...que vais-je devenir ? Demanda-t-elle encore incapable de se dresser un avenir elle-même ayant perdue tout espoir de se reconstruire.
- Votre guérison est notre priorité à tous, répondit-il simplement.
Nazir, murmura-t-elle dans sa tête en sentant de multiples frissons courir sur son visage.
Même son prénom était scandaleusement dangereux.
Soudain, le hennissement d'un cheval se fit plus particulièrement prononcé que ceux qu'elle entendait depuis plusieurs heures. Le bruit précis de coups de sabots montrait que ce cheval galopait dans leur direction. Kate se tendit aussitôt en agrippant les accoudoirs de la chaise. En contrebas elle entendit le son de graviers balayés par le cheval. Le cavalier s'exprima d'une voix solide et impérieuse...du moins suffisamment pour qu'elle reconnaisse à qui elle apparentait.
- C'est lui n'est-ce pas ? S'enquit-elle sans pouvoir refouler un accès de panique.
- Son Altesse est de retour en effet, confirma Amadh en posant une main rassurante sur son épaule.
Kate l'entendit disparaître, l'incitant involontairement à être tentée de soulever son bandage. Ce qui arrêta son geste fut la perspective de revoir bientôt et de pouvoir être enfin en mesure de connaître le visage du cheikh et de toutes les personnes qui l'entouraient.
Telle une biche perdue, Kate exhala un souffle tremblant quand le son qu'elle redoutait se glissa dans ses oreilles. Crispée, elle s'enfonça contre le dossier de la chaise en refermant ses mains sur le tissu en coton.
Les bottes du cavalier avançaient lentement avec un résonnement d'une forte autorité.
- Bonjour mademoiselle Russo.
Kate réprima un sursaut en écoutant ses pas et sa présence devenir de plus en plus proche d'elle.
- Bonjour, dit-elle d'une voix faible.
L'aura sombre l'enveloppa tout entière.
- Comment s'est passé vos quelques jours sans moi ? Demanda-t-il d'une voix qu'elle perçut comme énigmatique.
Espérait-il l'entendre lui dire ce qu'il savait déjà ?
- J'ai tenté de m'enfuir, lâcha-t-elle la tête baissée.
- Oui, j'ai eu vent de cette information, répondit-il sans trace d'une colère dans la voix. Je pensais pourtant avoir été clair concernant les risques d'une telle décision irréfléchie.
- À ma place, vous...vous n'auriez pas tenté ? Osa-t-elle dire enfonçant ses ongles dans les paumes de ses mains tremblantes.
- Certainement, mais les risques m'auraient inévitablement conduits à me blesser davantage, contrat-il de sa voix rocailleuse.
Tendue et angoissée Kate baissa la tête en se mordant la lèvre.
- Je me répéterai autant de fois qu'il sera nécessaire, ajouta-t-il. Vous ne craignez rien ici.
Kate inspira profondément tout en luttant contre une nouvelle montée de larmes.
- Est-ce que Raya vous a parlé de ce médecin que je peux mettre à votre disposition ?
- Oui, dit-elle en jouant nerveusement avec ses doigts.
- Parler à un psychologue pourrait peut-être vous aider.
- Que voulez-vous que je lui confie ? S'enquit Kate d'une voix brisée. Que je me sens sale, humiliée, terrifiée.
- Ce n'est pas de votre faute, répliqua le cheikh d'une voix presque sévère. Vous n'êtes aucunement coupable. Vous êtes la victime.
Éprouvée mentalement, Kate affaissa ses épaules en donnant l'impression d'être vaincue.
- Je mettrai ce médecin à votre disposition seulement si vous le désirez, reprit-il d'une voix plus amène.
L'idée de voir un psychologue l'empêchait de respirer car cela résumerait à lui narrer ce qu'elle avait traversé. Kate n'était pas prête pour ça et ne le sera probablement jamais. La souffrance visible sur son corps allait sans doute lui rappeler sans cesse l'enfer qu'elle avait subi sans avoir la certitude qu'elle n'allait pas le subir à nouveau.
De justesse, Kate s'arracha de ses pensées et sentit sur ses épaules le poids de l'anticipation qui ne l'a quitté jamais. Troublée par le silence du cheikh, elle releva la tête et la tourna sur le côté. L'obscurité était terrifiante mais avait un seul bon côté...
Kate se livrait à une imagination qu'elle n'aurait jamais cru posséder. Elle essayait de lui dessiner sans cesse un visage et pratiquement à chaque fois, le même revenait. Elle l'imaginait grand et fort, le visage sévère et sillonné d'une barbe mal taillée. Ce portrait n'était en rien rassurant mais elle préférait se confronter à la réalité plutôt que s'enfermer dans une désillusion.
- J'ai l'impression d'être un poids attaché à votre cheville, je ne comprends vraiment pas les raisons qui vous poussent à vous...
- Si vous étiez un poids vous seriez déjà loin d'ici, dans un consulat Américain pour vous extrader dans votre pays, la coupa-t-il d'une voix qui ne souffrait d'aucune réplique possible.
- Ça aurait été probablement plus simple pour vous.
- Je déteste la simplicité, j'aime les complications, riposta le cheikh aussitôt. Je préfère vous savoir ici sous ma garde que vous renvoyer dans la gueule du loup.
Kate avait l'impression que sa chaleur était tout près et retint sa respiration.
- Et j'ai l'impression d'être dans la gueule du lion, s'entendit-elle murmurer.
- C'est exactement ça, confirma-t-il en lui prenant la main sans crier gare. Un lion déterminé et farouche à l'opposition. Allons, levez-vous il est temps d'aller vous restaurer.
Nazir ignora les tremblements de sa main et la guida vers les portes coulissantes. Son voyage dans les villages anciens lui avait permis de se ressourcer parmi les bédouins. Ils lui avait permis de ne pas oublier qui il était et ce qu'il avait accompli pour son pays. Bien que prudent, Nazir défia la peur de la jeune femme pour qu'elle sente sa détermination. La tendresse oubliée ne lui était d'aucune utilité parce qu'il ne la maîtrisait pas. En revanche il maîtrisait la force de lutter.
Et c'est exactement le combat que livrait Kate Russo.
- Je n'ai pas faim.
- Je suis navré de l'apprendre comme vous serez probablement navré d'apprendre qu'à partir de maintenant vous serez à ma table chaque jour et chaque heure des repas.
Nazir scruta avec attention sa réaction mais elle resta muette d'appréhension. Mettant de côté le trouble qu'elle faisait naître en lui, Nazir se concentra sur sa seule et unique mission.
Gagner sa confiance avant qu'elle soit confrontée à la clairvoyance. Car dès lors que ses yeux verts survoleront les siens, Nazir avait le pressentiment qu'il allait devoir repartir de zéro.
En l'aidant à la faire choir sur la chaise une odeur particulièrement sucrée lui monta au nez. Peu habitué à humer de délicates odeurs parfumées Nazir se surprit à retarder le moment de se redresser. Accoutumé à l'odeur de sang et de poussière mêlées il traduisait ça comme une petite parenthèse qu'il s'empressa de refermer.
Seulement au moment de se redresser, ses yeux d'une dureté connus de tous se posèrent sur la cicatrice qui marquerait sa peau à jamais. Elle était d'une pâleur froide, une boursouflure marquante qui traduisait la torture qu'elle avait dû supporter sans que personne ne vienne à son secours.
Nazir, bouche crispée en un rictus inqualifiable fut tenté de la toucher avec la naissance de son pouce. Après quelques hésitations et sous le son des respirations irrégulières de la jeune femme apeurée Nazir effleura du bout du doigt ce marquant souvenir douloureux. Elle sursauta comme il l'avait prévu, mais Nazir continua d'effleurer l'une de ses blessures afin qu'elle puisse sentir dans ses gestes une intention tout autre que celle qu'elle redoutait et qu'elle puisse s'apaiser à l'idée qu'il veuille lui vouloir du mal.
Sa peau blanchâtre vivait sous le rythme de frissons, il avait l'impression de pouvoir les sentir. Le regard fixé sur la brûlure, Nazir eut l'impression que son corps se rechargeait d'une énergie jusqu'alors méconnue et déclara :
- Je le tuerai, je vous en fait la promesse...
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