Chapitre 11
Les yeux plissés comme deux fentes impénétrables Nazir tira sur les rênes pour ralentir son étalon lorsqu'il vit un groupe d'hommes massées à l'entrée farouche du désert. Le visage masqué, il ignora les violentes attaques de sable fouettant les sabots de son cheval et s'arrêta à leur hauteur.
Les visages de ces habitants portaient pratiquement tous la même expression. Nazir n'eut alors aucun mal à savoir ce qui les tourmentés à ce point.
- Eh bien mes amis, commença-t-il en s'adressant à l'un d'entre eux qui avait eu le courage d'avancer vers lui. Que se passe-t-il ?
L'habitant du village de Zayel s'inclina respectueusement avant de prendre la parole.
- Nous sommes inquiet par ce qui est rapporté dans la presse votre Majesté, commença-t-il alors d'une voix hésitante. Cela ne ressemble pas aux habitudes du roi. Est-ce bien vrai qu'il y a une captive américaine dans le palais ?
La curiosité de cet homme aurait dû l'irriter mais ce ne fut pas le cas. En effet depuis sa première et brève déclaration, une succession de rumeurs circulait dans le pays et notamment auprès de la jeune génération accrochée à leur réseaux sociaux.
Rencontrer ces villageois était pour lui une chance de déclarer quelques points plus précis.
- En effet mon ami, c'est la vérité, répondit Nazir en sautant de son cheval.
Les hommes se lancèrent des regards étonnés et inquiets.
- Je sais les raisons qui vous poussent à être inquiétés par cette révélation, reprit Nazir en le dominant de par sa hauteur. Mais il est impératif que vous sachiez que la situation est bien différente que lorsque mon...traitre de père a entamé cette guerre il y a maintenant des années.
Nazir savait que les premiers à avoir souffert de ces combats étaient les villages reculés et les mensonges de son père durant cette guerre leur avait coûté femmes et enfants. En effet, à l'aube de perdre une partie de son armée sur le point de déserter les camps, son père avait laissé croire à une poignée de politiciens américain qu'il avait capturé deux hommes appartenant à une équipe de bénévoles. Un mensonge qui avait poussé l'ancien ministre des affaires étrangères à se venger sur les villageois avec l'aide d'une milice dicté par son père. Deux jours plus tard cette information avait été démentie mais avait enflammé sa colère contre l'Amérique. Aujourd'hui, des années plus tard, ces mêmes villageois craignaient que sa captive soit le déclencheur du même scénario.
- Il s'agit d'une affaire privée, cela ne concerne en rien mon peuple où qu'il soit, reprit Nazir sur un ton ferme. Je sais que votre traumatisme vous force à rester méfiant à l'égard de mes propres paroles, mais nous ne sommes plus dans cette époque de trahison. Nous sommes solides, suffisamment armés et le plus important, en possession de réserves dont les autres pays ne peuvent pas se passer.
Le soulagement se mit à éclater dans quelques paires d'yeux.
- La jeune femme que je retiens prisonnière est bien traitée et nous sommes en train de vérifier les preuves de son innocence avant le l'annoncer publiquement. Mais pour l'heure elle demeura ici aussi longtemps que je l'ai décidé.
Bien sûr Nazir avait déjà les preuves de son innocence mais il était primordial de garder le secret et de continuer à faire d'elle sa captive.
- Merci votre Altesse, déclara le villageois en s'inclinant.
Il remonta sur son cheval en survolant d'un regard amical ces hommes.
- Je viendrai bientôt en visite à Zayel, je vous en fait la promesse, annonça-t-il avant de repartir au galop.
Un sentiment puissant s'empara de lui alors que son étalon frappait le désert aride avec autant de force que ses muscles lui permettaient.
Il avait quitté le palais à la hâte après la visite du médecin, ayant besoin d'exprimer sa colère loin de cette jeune femme torturée. Lorsqu'il avait retiré le bandage sur ses yeux Nazir avait dû conjuguer l'autorité et l'envie d'exploser de fureur contre lui et celui qui lui avait fait ça.
Comment avait-il pu rater ça ?
Comment avait-il fait pour ne pas déceler sa souffrance et la rougeur dans ses yeux verts ainsi que ses difficultés à voir.
La jeune femme avait été tenté plusieurs fois de soulever ses paupières et il avait dû l'en empêcher en exerçant sur elle une autorité qui grandissait la façon dont elle l'imaginait.
Comme un monstre.
Si c'était le prix à payer pour qu'elle puisse revoir alors il était prêt. Néanmoins Nazir savait au fond de lui que sa part de responsabilité dans sa souffrance jouait un rôle essentiel dans sa façon d'agir.
Mais plus encore, il avait revu son visage avec plus de netteté et de recul. La vision de ses paupières rouge vif sans doute brûlées par la toxicité du produit que Dixon avait utilisé pour la torturer n'avait pas été suffisante pour le détourner de la frappante réalité...
La jeune femme avait les traits d'une douceur étonnamment indescriptibles. Ses longs cils noirs offraient un contraste saisissant avec la couleur diaphane de sa peau tout comme le faisait la couleur vermeil de ses lèvres.
Nazir gardait cependant l'image sensible de ces larmes roulant derrière ses paupières fermées. Les doigts serrés contre le cuir des rênes, et alors qu'il gravissait la dernière dune, Nazir crispa ses mâchoires en avisant la structure immense de son palais qui se dessinait au loin.
Quelques minutes plus tard il entra dans la grande cour sillonnée d'un jardin végétal qu'il avait mis plusieurs mois à faire naître. Il fut accueilli par Amadh qui l'attendait sans doute pour l'informer sur l'état de santé de la jeune femme.
- Elle s'est calmée, lui annonça-t-il avant qu'il ne saute de son cheval. Le médecin est confiant. Il dit qu'une bonne dizaine de jours seulement sera nécessaire ensuite elle pourra retirer le bandage et espérer que...qu'elle...
- Je suis satisfait de l'entendre.
Nazir confia son étalon à l'un des travailleurs de l'écurie royale et tourna les talons vers le couloir extérieur. C'était d'ailleurs l'une des rares architectures du palais dont il était fier.
- Elle s'est endormie, précisa Amadh en le suivant jusqu'à sa salle d'entraînement.
Cette information n'était pas plus rassurante que de la savoir éveillée et confrontée à ses démons.
- Votre Majesté, je crois qu'il ne faut pas vous en vouloir pour tout à l'heure, je suis...
- Je n'ai aucunement l'habitude de me tenir garant d'une jeune femme et encore quand celle-ci est brisée de l'intérieur. Ma nature est en train de se réveiller et je crains que cela soit dommageable à son bon rétablissement, le coupa-t-il sans le regarder, préférant se concentrer sur ses sabres alignés dont les larmes avaient fortement besoin d'être taillées.
- Elle n'a pas été traumatisée par ce petit déraillement au contraire elle vous a écouté.
- Et ensuite quoi ? S'énerva Nazir en affligeant à son bras droit un regard qu'il connaissait bien. Elle me voit sans doute déjà comme un monstre, et plus j'essaye de la détacher de cette emprise en essayant d'avoir la mienne sur elle, plus j'ai le sentiment que quand elle sera capable de voir clairement mon visage...les choses vont se compliquer.
Nazir jeta son arme sur la table en fer et rajouta :
- De plus tu sais que je ne suis pas le plus adapter pour parler aux femmes, elles sont secondaires à ma vie désormais.
- Je ne suis pas d'accord avec votre façon de penser, osa Amadh en le défiant clairement. J'ai vu ses réactions lorsque vous lui parliez. Dire qu'elle n'a pas peur de vous serait un mensonge mais il se passe quelque chose. C'est comme si vous arriviez à prendre le dessus sur les voix qui semblent continuer de la terrifier.
- Et bientôt ça sera mon visage qui va la terrifier.
- Ne soyez pas défaitiste, votre visage n'est en rien terrifiant il est juste...hum...implacablement dur.
- Eh bien, nous voilà tous rassurés ! Ironisa Nazir en ôtant son keffieh.
- Aux dernières nouvelles ce n'est pas moi qui avait des centaines de femmes prêtent à se bousculer pour avoir votre attention.
- Aux dernières nouvelles tu seras sans doute en mesure de remarquer que ma captive abîmée dans ses chairs n'essaye en rien de capter mon attention, répliqua-t-il froidement. La situation est différente et tu le sais.
Nazir connaissait suffisamment Amadh pour comprendre qu'il faisait tout son possible pour le diriger subtilement vers une tout autre conversation.
- N'essaye pas d'user de la jeune femme pour me poser cette question qui te brûle tant les lèvres. J'ai tiré un trait sur les femmes il y a bien longtemps. Elles me déplaisent autant que leur façon de penser et c'est précisément pour ça que je me retrouve confronté à un problème tel que celui-ci. J'ai perdu toute tendresse pendant la guerre et j'ai cru la retrouver auprès d'une femme, hélas aucune ne m'a donné envie de la récupérer.
La froideur dans sa voix fit reculer Amadh.
- Et aujourd'hui, j'ai entre les mains une jeune fille d'une vingtaine d'années avec laquelle je n'arrive pas à communiquer autrement que comme un sauvage autoritaire alors qu'elle devrait être entourée de tendresse, ajouta-t-il d'une voix froide et austère.
Quelque coups lancés contre les grandes portes mirent fin à cette échange quelque peu tendu.
- Entrez ! Tonna-t-il un peu trop froidement en se retournant face à ses sabres.
- Votre Majesté je suis navrée de vous déranger mais la jeune femme demande à vous voir.
Nazir affina ses traits épris par la rage avant de faire face à une Raya aussi surprise que cette annonce l'avait été pour lui. Les sourcils froncés et s'engagea hors de sa salle d'entraînement pour accéder à la chambre de la jeune femme qui se trouvait trois étages plus haut.
Tout en marchant, Nazir écarta ses doigts avant de les refermer en poing pour ravaler la colère qui circulait comme du poison dans ses veines. Il était primordiale qu'il pénètre dans cette chambre sans lui faire ressentir de l'anxiété affectant celle qui l'animait déjà.
En pénétrant dans la chambre il fut saisi par une sensation jusqu'alors méconnue.
- Vous avez demandé à me voir ? S'exclama-t-il en couvrant un timbre de voix délicat qui malgré ses efforts la fit sursauter.
- Je veux savoir qu'est-ce que je vais devenir quand...quand...si je suis capable de revoir où allez-vous m'emmener ?
Nazir avait déjà répondu à cette question mais les voix qui continuaient de hanter la jeune femme étaient plus fortes...bien plus forte que l'était la sienne.
Du moins pour l'instant...
" C'est comme si vous arriviez à prendre le dessus sur les voix qui semblent continuer de la terrifier. "
Est-ce que dans le fond Amadh avait raison ?
Il inspira profondément et s'avança jusqu'au lit sans quitter des yeux les lèvres tremblantes de la jeune femme qui semblaient se raccrocher de plus en plus au son de ses pas. Prudemment il se pencha au-dessus d'elle comme il l'avait fait la veille et déclara sur un ton égal à la dureté de son visage :
- Je vous l'ai déjà dit, je ne vous rendrai à personne, pas même au reste du monde.
Elle exhala un soupir tremblant en serrant ses mains l'une contre l'autre.
- Ce n'est pas censé me rassurer, je ne...je ne sais qui vous êtes...bégaya-t-elle.
- Il y a qu'une seule chose que vous avez besoin de savoir sur moi, répondit Nazir en fixant les contours de sa bouche délicate un rictus aux lèvres. C'est que je suis l'homme le plus déterminé que cette terre n'ait jamais abritée...
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