Chapitre 10




Kate avait réussi au prix d'un effort surhumain à se lever du lit sans être aidée. Son cœur fit un bond dans sa poitrine douloureuse quand elle leva ses mains devant elle pour tâtonner tout ce qu'il pourrait y avoir sur son chemin. La peur progressait sans cesse jusqu'à son âme meurtrie. Fuir ? Elle savait que c'était inutile mais elle n'avait plus que ça pour se raccrocher à un semblant d'espoir.

Elle regrettait de s'être confiée à Raya car depuis sa terrible confidence sur ce que Paolo avait l'intention de faire d'elle dans l'hypothèse effrayante que ce contrat soit signé, elle ne lui avait plus donné signe de vie. Elle était seule depuis des heures, abandonnée dans le noir.

" Dormez un peu " lui avait-elle dit avant de s'en aller.

Kate avait tout aussi peur de dormir que de rester éveiller. Les jambes tremblantes elle sentit sur sa paume de main un mur plus lisse que celui de cette cellule dans laquelle on l'avait enfermée.

Alors elle glissa sa main dessus pour se guider dans l'obscurité avant qu'un obstacle se dresse sur sa route. Sa main tremblante heurta quelque chose qui se brisa sur le sol. Elle sursauta en posant ses mains sur sa tête, effrayée à l'idée d'en payer le prix.

Perdue dans les ténèbres elle recula d'un pas avant d'en faire deux en avant.

Seulement sous cette afflue de panique Kate n'avait pas entendu la porte s'ouvrir.

Un bras aussi ferme que du granit s'était saisi de sa taille sans qu'elle n'ait eu le temps de crier et elle fut soulevée et écartée vers l'arrière. La douleur fut vive lorsque ce bras rencontra ses côtes abîmées mais très vite ce même bras se détacha de sa taille quand elle fut ramenée jusqu'au lit.

- Un pas de plus et vous auriez pu vous couper les pieds, déclara cette voix qui dominait son esprit torturé.

Des frissons se mirent à courir sur son visage alors qu'elle l'entendait s'agiter autour d'elle.

D'instinct Kate se recula sur le lit alors qu'elle distinguait derrière le bourdonnement dans ses oreilles le frottement de morceaux de verre.

- Où espérez-vous aller mademoiselle Russo, vous n'avez aucune raison de vouloir fuir cet endroit et je vous l'interdit.

Les pas se firent plus sévères contre le sol mais cette voix sombre plus délicate que d'ordinaire.

- Il y des dizaines d'escaliers dans ce palais, des centaines de couloirs, la seule chose que vous obtiendrez à vouloir quitter cette chambre c'est de vous blesser plus que vous l'êtes déjà, ajouta-t-il sur un ton péremptoire.

- S'il vous plaît, je suis désolée, s'entendit-elle murmurer en ramenant ses genoux contre elle.

- Ce n'est rien d'autre qu'un accident, s'empressa-t-il de dire. Cependant ne m'obliger pas à verrouiller cette porte pour être sûr que vous êtes sécurité.

Kate tenta de calmer les tremblements de ses mains sans succès.

- À présent je vais m'approcher pour vous soulever, je dois vous conduire dans mon salon privé, annonça-t-il alors qu'il semblait tout proche d'elle. N'ayez pas peur.

Elle baissa la tête en reculant à son approche qu'elle sentait tout près mais elle s'ordonna d'obéir non sans verser quelques larmes. Il glissa ses mains sur elle, réveillant son besoin désespéré d'anticiper le moindre coup. Elle tenta une bataille perdue d'avance car il la souleva dans ses bras sans perdre un instant. Kate cessa de respirer, n'ayant plus choix que d'attendre ce qui allait suivre en silence. Elle ne s'était pas accrochée à lui, les mains serrées l'une contre l'autre sur son ventre terrassé par la peur. Son ouïe qui était désormais son seul allié dans cette obscurité l'aidait à se raccrocher au moindre son, à la moindre parcelle sonore qui l'aidait à se guider. Le souffle de cet homme sans visage semblait à la fois chaud et glacial. Il marchait rapidement et ne semblait pas souffrir de la porter...bien au contraire.

Elle tenta désespérément de se raccrocher à ses pas et aux sons qui s'animaient autour d'elle. Pendant une seconde elle crut entendre le vacillement d'une flamme avant qu'un courant d'air chaud lui caresse le visage. Cette chaleur s'effaça aussitôt et une porte s'ouvrit sur un silence terrifiant pour elle chaque fois qu'il se liait à l'obscurité.

Le plus éprouvant c'était de ne pas savoir où elle était et à quoi ressemblait l'homme qui la retenait prisonnière. Piégée contre un torse robuste elle tenta de lui dessiner un visage dans son esprit...n'importe lequel mais n'y parvenait pas. Soudain il se pencha en avant pour la déposer sur une chaise.

Libre de ses mouvements, Kate dont la peur n'avait de cesse de s'accroître leva ses mains sur le bandage afin de le soulever.

Deux mains s'empressèrent de l'arrêter en retenant ses poignets dans un étau de fer.

- Ne faites pas ça, s'exclama la voix du cheikh sur un ton inflexible qui la fit frémir. Je sais à quel point vous êtes terrifiée mais si vous faites cela, votre guérisons sera encore plus longue qu'elle l'est déjà.

Les pouces de l'homme se pressèrent dans ses paumes tout en abaissant ses bras. Un sanglot dans la gorge, elle tourna la tête vers la gauche puis la droite puis baissa la tête vers ses mains prisonnières.

- Nous sommes dans mon salon privé, vous n'avez absolument rien à craindre, continua-t-il en l'obligeant à renverser ses paumes sur ce qu'il semblait être une table.

Il la guida vers plusieurs éléments disposés sur la table pour quelle puisse d'elle même les reconnaître. Tendue, la nuque raide et le dos en arrière Kate n'eut d'autre choix que de le laisser faire. Sa voix était proche bien plus proche que lors de leurs précédents échanges.

- Vous n'avez rien manger depuis plus de trois jours, Raya m'a rapporté votre refus de vous nourrir alors il est de mon devoir de rectifier ça.

- Je n'ai pas faim, parvint-elle à dire la voix éraillée.

- Il va falloir vous forcer un peu, et je ne vous laisserai pas mourir de faim, répliqua-t-il fermement.

Il plongea ses mains dans l'eau puis les essuya dans un tissu. Ses gestes autoritaires sur elle étaient quelque chose de terrifiant parce qu'ils lui étaient méconnus. Kate connaissait la violence et l'impact que celle-ci avait eu sur elle pendant des années. Depuis la mort de sa mère elle avait eu affaire à deux hommes et tout d'eux avait la même pratique de violence. Seulement aujourd'hui elle était sous la coupe d'un homme qui agissait différemment. Finn Dixon et Paolo possédaient un visage dans son esprit, elle connaissait leur expression diabolique et pouvait anticiper le moment où la punition allait tomber. Mais pas avec cet homme...ce qui le rendait redoutable.

- Vous avez deux choix, soit vous mangez soit c'est moi qui m'en charge, déclara-t-il toujours sur le même ton. Vous pouvez utiliser vos mains ou les couverts, ça m'est égal ce que je veux c'est que cette nourriture aille dans votre bouche.

Kate resta pétrifiée, la respiration de plus en plus difficile.

- Quelle heure est-il ? Demanda-t-elle en baissant ses mains sur ses cuisses.

- Un peu plus de vingt-heures.

- Ce n'est pas l'heure à laquelle je suis auto...je mange.

Autorisé ?

Nazir comprit alors toute la difficulté de cette épreuve et les raisons qui l'a forcé à ne pas manger. La jeune femme était encore enfermée dans les obéissances de cet homme et non les siennes. Dixon avait encore une emprise réelle sur elle. Cette conclusion anima en lui quelque chose de vorace et d'animal qu'il s'empressa de réprimer. S'il voulait sa confiance il fallait d'abord qu'elle se détache de sa vie passée à obéir aux ordres de cet impétueux de vingt-huit ans qui bientôt...allait goûter son propre sang.

Nazir s'empara alors de la chaise sur la gauche et la tira près de la sienne.

- Votre vie d'avant n'existe plus, commença-t-il gravement. Je veux que vous l'oubliez immédiatement.

La réaction de la jeune femme ne se fit pas attendre. Derrière ce bandage il devinait l'onde de choc qui aurait pu parcourir ses yeux. Sa tête se tourna vers lui telle une biche attirée par les phares d'une voiture. Sa respiration erratique commençait lentement à ralentir et c'est exactement la réaction qu'il voulait voir. Il fallait la détacher de cette emprise forcée afin qu'elle se rattache à la sienne. Nazir éprouva une certaine culpabilité à devoir user de cette stratégie mais qu'avait-il d'autre ? Quel autre choix avait-il ?

S'il parvenait à lui faire comprendre que c'est à lui qu'elle appartenait désormais alors il s'offrait la chance qu'elle lui donne sa confiance. À mesure du temps, elle sera alors en mesure de réaliser qu'elle est en sécurité.

- Est-ce que vous avez compris ? Insista-t-il délibérément. Votre vie est ici maintenant, considérer votre frère et son associé comme morts. Vous ne lui reviendrez jamais.

Pour appuyer ses dires implacables Nazir prit un morceau de poulet et le posa sur ses lèvres fermées. Bien sûr il avait anticipé son petit soubresaut et décida de ne pas la brusquer tout en restant ferme.

- C'est à moi que vous appartenez désormais et je vous ordonne de manger.

Ses yeux noirs fixaient sa bouche en attendant que celle-ci s'ouvre. Ce qu'elle fit enfin non sans difficulté. Nazir n'était pas connu pour être un homme tendre mais ce soir il s'employait à un exercice qui le forçait à repousser sa véritable nature. Il le fallait, songea-t-il en fixant cette jeune femme torturée mentalement et physiquement.

Elle mordilla le morceau au prix d'un effort surhumain, la tête baissée.

Nazir prit sa main en passant outre son sursaut et la guida vers le plat chaud.

- Vous avez le choix de continuer à manger seule ou de me laisser faire, déclara-t-il d'une voix plus délicate.

La jeune femme creusa alors ses doigts fins dans le plat pour se saisir d'un autre morceau.

Était-ce une victoire ?

Non.

Juste le début d'une longue et délicate bataille qu'il refusait de perdre.

Il détacha ses doigts de sa main pour la laisser faire. Une pointe transperça son cœur jusqu'à sa racine asséchée quand il la vit se débattre contre elle-même. Sa main tremblait tellement que c'était une torture de suivre des yeux celle-ci jusqu'à sa bouche. Quelques morceaux de poulet tombèrent sur ses genoux et cette vision lui ordonna l'arrêt immédiat de ce supplice.

- Laissez-moi faire, lui dit-il en l'obligeant à s'arrêter.

Kate versa une larme solitaire tout en se laissant conduire par le cheikh qui venait de lui donner une vision très précise de son nouveau destin.

Il glissa ses doigts entre ses lèvres entrouvertes pour y laisser choir la nourriture. Sa voix était ferme mais contrastait avec l'extrême délicatesse de ses gestes qui étonnement, ne semblaient plus exigeants.

Peut-être était-ce une tactique pour la calmer, songea-t-elle en essayant de lui dessiner un visage le moins monstrueux possible pour apaiser la peur qui ne la quittait pas.

- Le médecin passera demain pour refaire votre bandage, annonça-t-il à la fin du repas.

- Je vais pouvoir revoir bientôt ? Osa-t-elle demander en essayant de suivre ses pas qui s'étaient éloignés d'elle.

- Je l'espère, mais je ne peux pas m'avancer tant qu'il ne vous a pas examiné.

Son nouveau geôlier à la réputation impitoyable revint vers elle et sans crier gare la souleva de nouveau. Kate garda le silence jusqu'à ce qu'elle sente son corps rencontrer le matelas du lit.

- Essayez de dormir maintenant.

Ses pas furent alors rapides alors qu'il s'éloignait vers la sortie. Était-il contrarié ? Avait-elle fait quelque chose de mal ?

- Qu'est-ce qui vous laisse croire qu'il ne reviendra pas me chercher ? Lança-t-elle avant de ne plus pouvoir le dire.

- Il ne reviendra pas ici, à moins de vouloir avoir sa tête au bout d'une pique, siffla-t-il entre ses dents. Je vous le répète Kate, ni l'un ni l'autre n'aura une chance même la plus infime de vous revoir.

Envahie par une vague de frissons elle demeura muette devant cette réponse glaciale et autoritaire prononcée avec son accent aiguisé.

- Je suis un homme impitoyable, et vous, vous m'appartenez peu importe le sens que vous mettrez sur mes mots. Je représente peut-être pour vous un nouveau geôlier, mais je préfère que vous ayez en tête cette vision de moi plutôt que de vous laissez partir d'ici.

Kate exhala un soupir tremblant quand elle sentit subitement qu'il était proche...peut-être même penché au-dessus d'elle. C'était le cas, songea-t-elle en sentant le matelas se creuser.

- Ma parole fait loi, et je n'ai jamais trahi ma parole. Vous êtes en sécuritée et je m'appliquerai chaque jour à vous prouver, tout comme je m'appliquerai à vous défaire de l'emprise de cet homme qui continue à torturer votre esprit.

Il marqua une pause, et son souffle aiguisé se posa sur son visage comme si une sourde colère bouillonnait en lui.

Puis il rajouta d'une voix de gorge :

- Bientôt, et je vous le promets, je serais le seul à nourrir votre esprit, peu m'importe le temps que ça prendra pour y parvenir.

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