Le secret des œufs de Fabergé


-Les œufs de Fabergé sont des objets précieux créés par le joaillier Pierre-Karl Fabergé .

Les œufs les plus célèbres ont été fabriqués pour Alexandre III et Nicolas II de Russie, qui les offraient à leurs épouses respectives, Maria Feodorovna et Alexandra Feodorovna, pour la fête de Pâques.-

Après tout, que pouvais-je bien avoir contre une petite visite chez Fabergé? Je me réjouissais même de sortir de ma routine. Quel genre de fille n'aimait pas les bijoux et l'or? Chez Fabergé il y avait toujours quelque chose à admirer. Pour moi, c'était un peu comme s'il faisait partie de la famille. Durant ces dernières décennies, lui et ses nombreux collaborateurs avaient restauré de multiples pièces de joaillerie à l'Hermitage. C'était le Louvre russe. Il y avait là-bas toujours quelque chose à faire. Fabergé gagna sa renommée déjà bien avant ma naissance, en 1882, lors d'une exposition sur l'art russe où il présenta un vaste panel de ses pièces les plus fantaisistes et extravagantes. A partir de ce moment-là, le simple nom de Fabergé constituait déjà une marque. Son carnet de commandes était bondé sur plusieurs années. Son habileté était reconnue dans le monde entier. Chaque souverain dans ce monde voulait désormais posséder une de ses œuvres d'art. Même la guerre n'avait rien changé à cela. Bien entendu, il avantageait toujours notre famille. Pierre-Karl Fabergé était après tout devenu l'orfèvre de la cour du Tsar et pouvait utiliser ce titre dans la signature de ses œuvres. Ce n'était même pas étonnant que maman m'ait demandé de l'accompagner dans son atelier pour récupérer deux commandes passées il y a peu de temps.

Nous roulions dans une voiture américaine. C'était un cadeau du président et elle était plutôt confortable. Même lors de tout petits voyages, je sentais que l'ambiance en ville s'était dégradée. La si dynamique Saint-Pétersbourg me semblait désormais oppressante et menaçante. Seuls quelques fidèles osaient encore montrer publiquement leur soutient au tsar. S'il y a encore quelques mois la population nous aurait salués au passage de notre voiture, aujourd'hui elle ne jetait plus que des regards pleins de haine sur nous. La famille impériale était tombée en disgrâce. La mort de Raspoutine n'avait fait qu'accélérer les choses. Ses assassins avaient réussi à s'en tirer. Papa s'était montré totalement inoffensif vis-à-vis des coupables qui appartenaient à sa propre famille. Maman ne le lui pardonnait pas. Un mur de glace s'était dressé entre eux. Ce n'était pas pour autant que maman avait abandonné son mari. Elle était toujours la tsarine même si elle défendait de plus en plus ses origines allemandes. Elle voulait certainement nous rassurer nous, les enfants, et nous donner l'espoir qu'un avenir existait hors de Russie. Mais cela nous rendait d'autant plus apeurés.

Je vis un homme en béquilles ramper dans le caniveau. Il avait sans doute perdu sa jambe à la guerre. A la vue de notre automobile, il cracha. Un bruit sourd résonna sur la tôle de notre voiture. Quelqu'un avait vraisemblablement tenté de jeter un caillou sur notre auto. Notre service de sécurité tira un coup de feu en l'air par sécurité pour dissuader toute nouvelle tentative d'attaque. Nous n'étions plus en sécurité dans la capitale. Notre ami Grigori et sa sombre prophétie semblaient avoir raison. La peur emplissait mon cœur.

Maman tira sèchement les rideaux devant les fenêtres.

"Il serait préférable que tu ne regardes pas" m'avertit-elle.

"Ils nous voient comme des Allemands. Tu dois te préparer à toute éventualité. La semaine prochaine, nous quitterons la ville pour rejoindre le plus tôt possible Tsarskoïe Selo. Cela devient trop dangereux ici."

"Oh maman tu exagères toujours. C'est la guerre après tout. Beaucoup de gens meurent de faim et c'est normal qu'ils soient mécontents. Tout va bientôt rentrer dans l'ordre!" la contredis-je. "La guerre prendra bien fin un jour." La vérité me semblait beaucoup trop dure à accepter. J'essayais d'embobiner ma mère avec des belles paroles.

Elle fit mine de rien. Elle réagissait toujours comme cela lorsque son avis différait de celui de son interlocuteur. Elle n'essaya pas de me convaincre du contraire, sans doute car elle n'avait pas besoin de cet avis optimiste et infantile.

Bientôt, notre automobile stoppa sa course et notre voiturier vint nous ouvrir la portière. Devant et derrière se trouvaient les voitures de nos gardes du corps. Nous ne pouvions plus aller nulle part sans eux.

Malgré son âge avancé, Pierre-Karl Fabergé ne loupait pas une occasion d'accueillir ses invités les plus prestigieux sur le pas de sa porte. Sa chevelure était devenue encore plus fine et grisonnante. Sa barbe, au contraire, semblait s'étoffer de plus en plus. C'était exactement comme cela que mon imagination se représentait un véritable artiste: quelqu'un qui se distinguait par ses œuvres et non pas par sa façon extravagante de s'habiller ou de parler. Le célèbre orfèvre n'avait pas besoin de surjouer, de s'inventer une personnalité car une aura flottait autour de lui et faisait ressentir à chacun de ses visiteurs à quel point il était une personne tout à fait exceptionnelle et singulière. Le vieux Fabergé avait les deux pieds bien ancrés dans le sol russe. Son regard chaleureux et curieux se posa sur nous. Son front ridé était le signe de ses nombreuses émotions passées, de ses expériences vécues. Après tout, à 50 ans, chaque homme a le visage qu'il s'est façonné au cours de sa vie. A ce moment-là, Fabergé avait déjà plus de 70 ans. Il portait un costume tout simple, sombre et bien cintré ainsi qu'une cravate assortie et une chemise blanche. Dans cette tenue, il ressemblait plutôt à un apprenti qu'à un maître joaillier. Tout comme nous, il était aussi à moitié allemand. C'était peut-être ce point commun qui nous avait tant rapprochés, lui et notre famille.

"Ma tsarine, vous brillez encore plus que mes chefs-d'œuvre les plus réussis!" la complimenta-t-il galamment. "Quel honneur vous me faites de venir me rendre visite. J'aurai bien évidemment aussi pu me déplacer au Palais."

"Mais non voyons! Un peu de changement ne fait pas de mal!",  le coupa maman. Elle semblait tout à coup si naturelle et décontractée en présence de ce de Vinci de l'or. Sa rigidité et sa froideur semblaient avoir glissé sur elle comme lorsqu'on enlève un manteau. C'était exactement comme cela que je l'aimais.

"Princesse Olga!", Fabergé me baisa la main. "Mon Dieu, vous êtes encore plus belle que lors de notre dernière rencontre!". Il n'avait aucunement peur de côtoyer les grands de ce monde puisque son art l'avait fait un des leurs.

Je lui tapotais gentiment son avant-bras avec mon éventail. L'orfèvre me semblait presque être comme mon grand-père. J'espérais qu'il vive encore longtemps. Je l'appréciais énormément en tant que personne mais j'aimais aussi ses bijoux qui, je le voyais, m'appelaient déjà dans leurs vitrines: Achète-moi!

Un employé tint la porte ouverte. Nous entrâmes.

Mon Dieu, quel monde merveilleux. Pas étonnant que le vieil homme avait l'air si heureux. Il s'était constitué son propre royaume dans lequel ni guerres ni malheurs n'existaient.

Maman et moi déambulâmes dans le magasin. Curieuses, nous prenions dans nos mains une fois tel objet puis tel autre.

"Vous êtes un génie!" s'exclama maman, admirative.

"Eh bien!" répliqua le bijoutier, "le temps apporte l'expérience!" Il était fier de ce qu'il avait accompli sans pour autant être arrogant. Il savait pertinemment qu'il avait réussi et affirmait sa valeur sans fausse modestie.

"Votre commande était un peu... inhabituelle" dit Fabergé pour en arriver au sujet. "D'habitude, vous commandez des œufs uniquement pour Pâques et c'est votre mari, le tsar, qui passe commande."

Avant qu'elle ne réponde, maman regarda autour d'elle et fit signe à notre escorte de quitter le magasin. Personne ne devait l'entendre. Cela me rendait encore plus curieuse. De quoi s'agissait-il exactement?

"Cette fois-ci c'est différent! Où sont-ils?" demanda maman dès que nous fûmes seuls.

"Je les ai derrière dans mon propre atelier pour que je puisse moi-même m'occuper des dernières finitions. Suivez-moi."

Nous lui emboîtâmes le pas. J'étais un peu intriguée.

"Maman?" chuchotai-je doucement.

"Ceci reste entre nous!" m'avertit-elle même si, par expérience, elle savait que je pouvais garder un secret. Nous avions passé de nombreux mois ensemble dans des hôpitaux militaires afin d'y aider des blessés. Cela nous avait énormément rapprochées. Nous nous faisions mutuellement confiance. Nous y avions vécu des choses qu'il ne valait mieux pas que mes plus jeunes sœurs sachent. Elles auraient sinon perdu le reste de leur innocence infantile. 

Sur un établi se trouvaient deux œufs strictement identiques, comme ceux que papa laissait faire à Pâques pour les offrir. Fabergé travaillait seul dans cette pièce. A part lui, personne ne pouvait y pénétrer. Au loin, on entendait ses autres collaborateurs travailler. Rien que dans cette ville, il employait 500 personnes et possédait encore des ateliers à Moscou, Odessa, Kiev, Londres et bien d'autres villes.

"Je les appelle les Jumeaux!" expliqua le maître joaillier.

Il montra du doigt une petite ouverture au milieu du chef-d'oeuvre en or.

"J'ai travaillé le compartiment secret dans la grandeur souhaitée."

Maman sortit de son sac les deux petites capsules qu'elle avait prises en ma présence dans le souterrain secret l'autre jour. Elle me regarda avec insistance. Je savais pertinemment ce que tout cela voulait dire et m'imaginais bien ce qui allait se passer par la suite.

Elle les déposa dans les ouvertures prévues à cet effet. Il avait travaillé l'argent de façon à créer une petite fleur en argent ciselé derrière laquelle on ne pouvait pas s'imaginer un compartiment secret. Tout avait soigneusement été préparé.

"Je dois encore un peu polir cet endroit!" Il effectua ce travail avec une facilité déconcertante. Il ne demanda pas quoi et pourquoi maman voulait cacher quelque chose dans les deux œufs. Il était sans doute habitué à ce genre de demandes extravagantes de la part de ses riches clients. Ses œuvres contenaient donc certainement de nombreux secrets.

Une fois son travail terminé, il déposa chaque œuf dans sa boîte à bijoux respective.

"Cela n'est pas difficile pour vous de vous séparer de vos œuvres?" lui demandai-je avec curiosité.

Il rit. Ma question était-elle trop naïve?

"Dans une vie, on se sépare de nombreuses choses qui nous tiennent à cœur. Je vois ça comme un entraînement. Il me sera ensuite peut-être plus simple de me séparer de ce que je possède de plus cher!"

"Qui serait?" se mêla maman.

Il rit à nouveau.

"Mais voyons! Sa propre vie!"

Il me regarda. Ses yeux me paraissaient un peu tristes : "fais y seulement attention!"

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