L'assassinat impérial dans la villa Ipatiev (1/3)

Cela faisait déjà deux semaines que Iakov Mikhaïlovitch Iourovski décidait de tout ici. C'était un odieux personnage qui nous détestait au plus haut point. Il y avait toujours des restes de nourriture coincés dans sa moustache.

Il avait été nommé commandant par Alexandre Beloborodov, le président du soviet régional de l'Oural.

Maman disait qu'avec lui, on devait s'attendre au pire. Pour dissimuler ses origines, lui, qui était juif, était même allé en Allemagne pour se convertir au protestantisme. Et pour couronner le tout, il était aussi devenu bolchevique. Ce genre de personne, prête à toute infamie, était très dangereuse.

Un jour seulement après son arrivée, il nous obligea à lui donner tous nos bijoux. Le moindre bijou que nous portions dut être déposé devant lui. Il en fit ensuite une liste et plaça les objets confisqués dans une enveloppe scellée. Il disait qu'il garderait cette enveloppe pour nous et qu'il vérifierait tous les jours le sceau par sécurité. Mais nous savions qu'il mentait. 

Cette nuit, nous fûmes brusquement réveillés après minuit et amenés dans la grande pièce à côté du garde-manger dans la cave. A cause des bruits de canon qui s'étaient faits de plus en plus forts et de l'avertissement de papa, j'avais très mal dormi. Des soldats se tenaient dans le couloir, armés de carabines. Cela me faisait peur. Nerveusement, je fixais leurs visages fermés. Certains d'entre eux portaient un uniforme hongrois accompagné des symboles des Rouges. Ils nous regardaient, impassibles. Les autres, en uniforme russe, détournaient le regard. Parmi eux, il y avait aussi Pavel Medvedev, qui, en tant que commandant de la surveillance externe, était celui qui décidait de tout ici après Iourovski. Et dire que hier encore je lui avais proposé un morceau de gâteau.

A la question de papa, qui demandait ce qu'il se passait ici, Medvedev répondit que c'était uniquement pour notre sécurité au cas où les Blancs tenteraient d'attaquer. En disant cela il fit une étrange grimace et ajouta qu'on allait sans doute devoir nous changer d'endroit.

En passant à côté de moi, maman me prit hâtivement la main et y déposa quelque chose tout en me regardant d'un air grave. Je savais pertinemment de quoi il s'agissait et je la regardai apeurée. L'heure était-elle vraiment venue? Mon cœur se mit à battre la chamade. Il s'agissait effectivement d'une des capsules du souterrain secret.

Elle me sourit un court instant, sans doute pour me donner du courage. Il n'y avait plus de doutes. Un froid glacial s'empara de tout mon corps, mes mains, incontrôlables, se mirent à trembler. Le petit récipient avec ce médicament si spécial me glissa presque des mains. J'essayais de serrer mes poings de toutes mes forces pour que les autres ne se rendent pas compte de mon effroi. Oh mes chers frères et sœurs, mes chers parents, que va-t-il advenir de nous? Le sol semblait s'effondrer sous mes pas hésitants. Durant un court instant, je crus m'évanouir. Des sueurs froides parcouraient le long de mon dos. 

Le docteur Botkin, notre médecin personnel, était allé réveiller nos trois domestiques et était descendu avec eux. Seul le nouveau voiturier, Leonid Sednev, n'était pas là. Il avait reçu une permission hier. 

Papa tenait Lyoshka dans ses bras puisqu'il était difficile de descendre ici avec le fauteuil roulant. Tous les deux portaient des chemises d'uniforme ainsi qu'une étrange casquette en fourrure sur la tête. Notre père avait sans doute peur que, si nous sortions dehors, le petit tsarévitch pouvait attraper froid. 

Nous, les filles, avions enfilé nos robes et nos corsets. 

Par-dessous, nous portions des sous-vêtements dans lesquels nous avions cousus les derniers bijoux qu'ils nous restaient et que nous avions réussis à cacher à nos geôliers. Maman avait des larmes pleins les yeux mais elle ne sanglotait pas. Elle ne voulait pas donner cette satisfaction à ses ennemis. Elle se ressaisit et demanda des chaises puisque Lyoshka ne pouvait pas tenir debout. Le petit tsarévitch tenait difficilement sur ses petites jambes fragiles et posa, épuisé, sa tête contre maman comme s'il voulait se cacher. La maladie, l'abdication, la captivité avaient été très dures à vivre pour notre petit préféré. On nous apporta deux chaises. Je savais désormais que maman avait conscience de notre mort très prochaine. Mais je ne voulais pas perdre espoir.

Peut-être allions nous seulement être transférés dans un autre endroit? Peut-être que les craintes de maman n'étaient pas fondées et que Medvedev disait la vérité?

Le dernier cadeau semblait être glacial dans mes mains qui étaient désormais brûlantes. Ce froid faisait du bien et faisait penser mon esprit à autre chose qu'à ce qui allait bientôt nous arriver.

Papa essayait aussi tant bien que mal de paraître courageux. En tant que dernier tsar et chef de famille, il voulait, à cet instant, nous donner du courage et être un modèle. Il enchaînait les signes de croix tout en marmonnant des prières. A quoi cela servait-il?

Si seulement il avait accepté la proposition de l'empereur allemand. J'avais appris de cet épisode que la fierté était un obstacle et qu'elle nous rendait aveugle. On ne devait être fier de rien.

Malgré toute cette agitation, il avait sans doute remarqué que maman m'avait donné quelque chose. Il se doutait de quoi il s'agissait mais ne dit pas un mot et laissa le cours des choses se dérouler. Qu'aurait-il bien pu faire à cet instant de toute façon?

Notre médecin, le docteur Botkin, était debout à côté de papa. Malgré le froid qui régnait dans la cave, de la sueur coulait sur son front. Le peu de cheveux qu'il lui restait y étaient collés. Il étudiait nerveusement et apeuré tous les recoins de la pièce à travers ses lunettes rondes. Sa grande intelligence lui laissait pressentir qu'un grand danger nous guettait. Lorsqu'il croisait mon regard, il tentait de cacher son regard apeuré. Mais cela changeait-il grand chose? Un peu derrière notre docteur et papa se tenait notre cuisinier. Quant à moi, je me tenais dans un des coins de la pièce, à côté de maman et de notre femme de chambre qui tenait un coussin entre ses bras. A ma droite se trouvait Maria. De là où je me trouvais, je pouvais voir tout le monde. Ania Demidova, c'était comme cela que s'appelait la femme de chambre, proposa son coussin à maman pour Lyoshka qui refusa. Elle ne voulait pas lâcher son fils.

Anastasia et Tatiana étaient derrière maman.

Au loin, des tirs de canon se faisaient entendre. Ils firent trembler légèrement les murs de la cave. Ils devenaient de plus en plus forts. Nos libérateurs s'approchaient de plus en plus de notre lieu de détention. 

Nous, les filles, le médecin, nos domestiques, la femme de chambre, le cuisinier et papa étions debout. En tout, nous étions onze prisonniers. Mis à part les deux chaises, il n'y avait pas d'autres meubles dans la pièce. Maman fit s'asseoir le petit tsarévitch sur une des deux chaises et s'assit sur l'autre. Il posa sa tête sur sa poitrine. Papa, qui était debout à côté de lui, lui prit sa main et la caressa tendrement.  


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