Chapitre 1 : Ilona


 J'attrapai la main de Layla. Je sais, je sais, elle n'aimait pas quand je faisais ça, mais je ne pouvais pas m'en empêcher. Je savais pertinemment qu'elle détestait ce moment, et je me devais de lui faire comprendre que j'étais avec elle, même si ça l'embêtait.

Et même si elle me parlait avec froideur, au fond d'elle, elle était heureuse que je sois là. Et c'était réciproque.

Pour moi, c'était le meilleur moment de la journée. Certes, on venait de faire quarante-cinq minutes de bus pour venir jusqu'ici, mais quand même... On rentrait au lycée, et, comme chaque matin, je me dirigeais vers mes amis, qui me saluaient, on se racontait nos aventures de la veille...

Mais Layla, elle, se contentait de s'asseoir par terre, de sortir son carnet de dessin et d'attendre la sonnerie. Je comprenais pourquoi elle n'aimait pas le début de la journée...

J'avais pourtant bien tenté de l'intégrer dans mon groupe d'amis, mais rien à faire : elle était trop introvertie, et eux ne l'appréciaient pas vraiment, du moins en tant qu'amie. Alors malgré toute la peine qu'elle me faisait, je ne pouvais rien faire pour elle.

Nous arrivâmes à l'endroit où, chaque matin, nous nous séparions. Je tournai la tête, je la regardai. Habituée à ce moment, elle fit de même. Et comme chaque fois, mes yeux plongèrent dans les siens. Ils étaient bleus, d'un bleu aussi foncé et profond que la nuit.

Mes yeux aussi étaient bleus, mais clairs. Du genre rivière limpide.

Je ne comprenais pas comment elle et moi pouvions être aussi différentes. Après tout, on était de vraies jumelles, d'après les docteurs ! Et tous les vrais jumeaux se ressemblaient. Alors pourquoi pas nous ?

C'est sûr qu'on ne se ressemblait pas, pensai-je en m'éloignant d'elle pour me diriger vers mes amis. Elle avait les cheveux noirs comme le jais, les yeux bleus sombres, et son caractère s'accordait à son physique : elle était introvertie, mystérieuse et taciturne. Et moi... Moi j'avais des yeux bleu clair, donc, et des cheveux blancs.

Oui oui, blancs. Comme les vieux. Enfin, les miens étaient plus beaux : ils brillaient au soleil, ils étaient très soyeux, là dessus aucun problème. Mais ils étaient blancs. Sérieusement. Et de naissance ! À quel moment on naissait avec les cheveux blancs ? Je n'étais même pas une albinos, puisque, malgré ma pâleur et la couleur de mes cheveux, je n'avais pas les yeux rouges.

Enfin bref. Je suis moi, un point c'est tout. Ilona Wilson, 16 ans, et les cheveux d'une vieille.

Bon.

J'arrivai en souriant derrière Léa, une de mes amies. Je m'empressai de passer mes mains devant ses yeux avant qu'elle ne me voit et de déclarer d'une voix aiguë et nasillarde :

-C'est qui ?

-Je sais que c'est toi, Ilona, rigola ma copine.

Je fis semblant de râler en retirant mes mains de son visage, sous le regard bienveillant de Raphaël, le copain tout récent de Léa. Raphaël et moi nous étions rencontrés en 6ème. Il connaissait déjà Léa, depuis très longtemps, mais ils m'avaient très bien intégrée. Et puis il y avait Mila. C'était en quelque sorte le clown de notre groupe, et elle possédait un humour excellent, avec un talentueux sens de la répartie. Mais aujourd'hui, je ne la voyais pas, alors je perdis mon sourire et demandai à Léa et Raphaël :

-Elle est où, Mila ?

-Elle est malade, me répondit Raphaël. Elle m'a dit qu'elle allait mourir tellement elle était mal, et elle m'a chargé de te dire adieu.

Je rigolai en secouant la tête. Elle n'était pas possible.

Je tournai légèrement la tête, et aperçus ma sœur du coin de l'œil. Elle nous observait. Je la regardai complètement et fronçai les sourcils à son attention, pour lui demander de loin s'il y avait un problème. Elle me contempla encore quelques instants avant de détourner la tête.

Je soupirai, avant de reporter mon attention sur mes deux amis.

Une minute plus tard, la sonnerie retentit. Je me dirigeai vers ma salle de classe tout en continuant de bavarder gaiement avec mon petit couple préféré. Du coin de l'œil, je vis Layla nous suivre sans faire attention à nous : ses yeux étaient rivés sur son carnet de dessin. Si, en marchant, elle ne pouvait pas dessiner, elle m'avait dit que seulement fixer la feuille blanche l'inspirait. Je supposais donc qu'elle était en train de réfléchir à son prochain chef d'œuvre. Car oui, les dessins de ma sœur étaient des chefs d'œuvre. Son outil favori était le crayon gris, mais elle était capable de créer des centaines de nuances différentes avec, et cela s'alliait avec un prodigieux talent pour le dessin. Je l'admirais beaucoup pour ça.

On arriva enfin à la salle de classe. Nous avions maths en première heure, et je m'assis à ma place habituelle, seule à cause de l'absence de Mila. Toutes les deux, nous étions assises à la gauche de la classe, près des fenêtres. Derrière nous, il y avait Layla, éternellement seule. Elle était tout au fond. Et devant nous, évidemment, Léa et Raphaël, qui se chamaillaient gentiment.

Aujourd'hui, comme je n'avais pas ma partenaire pour discuter en attendant notre prof, mon regard fit le tour de la classe. J'avais l'habitude de ce genre de regard. Tout le monde me disait que j'étais très observatrice, et je remarquais généralement pratiquement tout avant les autres. Et puis, sans m'en rendre compte, je pouvais fixer les gens pendant plusieurs minutes sans penser à détourner les yeux. C'était assez gênant quand la personne se rendait compte que je la fixais et me rendait mon regard, mais je n'arrivais pas à m'en empêcher.

Layla, c'était tout l'inverse. Complètement dans la lune, il fallait prononcer plusieurs fois son nom avant qu'elle ne daigne lever la tête.

Enfin bref, aujourd'hui, rien de notable : peu d'absents, et comme d'habitude, les seules personnes vraiment notables dans la classe, si on ne comptait pas Layla, qui elle se faisait remarquer pour des raisons différentes, c'était Brayden et moi, les deux personnes vraiment populaires en seconde. Réunis dans la même classe. Ça ne pouvait que faire du grabuge.

Brayden était un idiot qui, je l'avais appris il y a quelques semaines, en pinçait pour moi. Pourquoi était-il populaire ? Aucune idée, je m'en fichais. Peut être parce qu'il faisait du foot, ou qu'il avait beaucoup de filles à ses pieds, je ne savais pas. Tout ce qui m'importait, c'est que lui, il laissait Layla tranquille, parce qu'il m'aimait et voulait me plaire.

La prof finit par arriver. Je me reconcentrai sur son cours, lassée par la banalité de cette journée. Comme de toutes celles de ma vie, en fait.

Je me mis à la fixer sans vraiment l'écouter. J'étais perdue dans mes pensées. Jusqu'au moment où j'entendis la prof demander à Tom la réponse de l'équation qu'elle avait inscrite au tableau. J'esquissai un sourire en coin. Tom était, en plus d'un ami de Brayden, un total imbécile, et cette question allait juste lui mettre la honte, car il n'avait pas la réponse.

C'est d'ailleurs ce qu'il expliqua à la prof :

-Mais... Madame je sais pas ! C'est trop compliqué, ça ! Personne n'a la réponse ! Enfin, à part la sorcière, mais elle, c'est qu'elle triche !

Je me redressai sur mon siège, furieuse. La sorcière, telle était l'insulte préférée des gens pour Layla.

J'hésitai à répliquer : si je le faisais, je le savais par expérience, les insultes allaient empirer, et les gens diraient de Layla qu'elle était faible et qu'elle se cachait derrière sa sœur. Mais je ne pouvais pas laisser cet affront impuni...

Quand à la prof, inutile d'y penser : elle n'avait jamais tenu tête à aucun de ses élèves. Elle n'était capable que de bégayer jusqu'à ce que le conflit se règle de lui même.

Je réfléchis à une réplique, car je savais très bien que Layla ne se défendrait pas toute seule : elle était plus du genre à ignorer les coups et à faire comme si ça ne l'atteignait pas, alors que moi je savais que ça la blessait profondément.

J'ouvris donc la bouche, prête à sortir une phrase improvisée, mais Raphaël ne m'en laissa pas le temps :

-Bah alors Tom ? On se cache derrière Layla ? Oh mais c'est vrai, t'es trop con pour le comprendre, il va falloir que je t'explique : tu prétends que Layla triche parce qu'elle est plus intelligente que toi, mais ce que tu n'arrives pas à comprendre, c'est que c'est pas dur d'être plus intelligent que toi.

-Que toute la classe, d'ailleurs, renchérit Léa.

-Et toi, en plus, tu t'en prends à ceux qui sont meilleurs que toi parce que t'as besoin de te sentir plus fort que ta fameuse « sorcière », alors que les sorcières elles-mêmes sont plus puissantes que les humains comme toi.

-Et tu vois Tom, déclara mon amie, portant le coup de grâce, c'est parce que nous, on se sait supérieurs à toi, qu'on ne t'insulte pas comme toi tu le fais avec les autres.

Tom ne semblait plus savoir quoi dire, Layla se tassait sur son siège derrière moi et la prof ne savait plus où donner de la tête. Moi, je souriais d'un air satisfait en voyant mes amis se taper dans la main, fiers de leur coup. S'ils ne considéraient pas Layla comme leur amie, ils savaient qu'elle comptait énormément pour moi, et ils étaient capables de la défendre avec autant de véhémence que s'il s'était agit de moi. Et je les adorais pour ça. C'étaient juste les meilleurs amis qu'on puisse avoir.

Tom ouvrit la bouche, sans doute pour dire un truc con ou méchant, ou les deux à a fois, mais Brayden, qui était assis à côté de lui, ne lui en laissa pas le temps. Après avoir jeté un coup d'œil dans ma direction pour vérifier que j'étais bien dans le camp de Layla, qui elle se taisait toujours en faisant semblant d'ignorer la situation, il posa une main sur l'épaule de son pote et dit bien fort, pour s'assurer que je l'entende :

-Laisse tomber, Tom.

Et évidemment, ce dernier, en bon toutou qui léchait les bottes du mec populaire, obéit, baissa la tête, et dit à la prof qu'il ne connaissait pas la réponse à son équation. Celle-ci tenta bien de mettre une heure de colle à Tom, Raphaël et Léa pour les insultes qu'ils avaient proféré, mais Brayden défendit mes amis, et les autres le suivirent aveuglément, sûr que, de sa qualité de mec parfait, il faisait le bon choix. Il prétexta que Léa et Raphaël n'avaient fait qu'aider Layla, alors ce fut Tom qui s'en tira avec la punition pour les trois. Trois heures de colle pour cet idiot, bien fait pour lui.

Je me remis à fixer le vide. Brayden était ainsi protecteur avec Layla depuis que, il y a une semaine, l'un de ses amis était venu me demander ce que signifiait pour moi l'homme parfait. Évidemment, j'avais compris que c'était pour Brayden qu'il posait la question, alors, je l'avoue, j'en avais un peu profité, et j'avais dit qu'il fallait qu'il soit gentil, attentionné, et protecteur envers moi et tous les gens que j'aimais. Et voilà le résultat, j'étais plutôt contente de moi.

Quand retentit la sonnerie, je me levais en silence, et me laissai distancer par mes amis. Ils savaient pourquoi, et avaient l'habitude.

J'attendais Layla. Je savais qu'elle avait besoin, même si elle-même ne s'en rendait pas compte, de savoir qu'elle n'était pas seule. Je savais qu'au fond d'elle, elle avait besoin que quelqu'un lui rappelle qu'elle était Layla. Layla, et pas la sorcière du fond de la classe, Layla, et pas celle dont on prend soin pour s'attirer les faveurs de sa sœur. Layla, une fille qui méritait d'être aimée autant que les autres, Layla, la fille aux talents de dessin incroyables. Layla, la personne que j'aimais le plus au monde.

Évidemment, celle ci me dépassa en m'ignorant, l'air impassible. Comme si rien ne s'était passé. Sa capacité à faire face à tout ça m'avait toujours ébranlée. Elle était si forte... Moi, à sa place, je ne l'aurais pas supporté. Comment est-ce qu'elle faisait ?

-Eh, attends moi ! m'écriai-je en rigolant, avant d'accélérer le pas pour la rattraper.

Elle se tourna vers moi, un mince sourire aux lèvres. Au lycée, elle ne souriait jamais vraiment. Ce n'était qu'une fois à la maison que j'étais gratifiée de ce grand sourire qui dévoilait ses dents blanches, ce sourire que je chérissais tant. Ce n'était également qu'une fois à la maison qu'elle s'autorisait à rire de mes âneries. Je ne savais pas pourquoi le lycée la minait autant. Bien sûr, à cause de cette absence totale de joie, elle ne faisait que renforcer son statut de sorcière, mais cette lueur de tristesse qui brillait dans ses yeux pendant les cours me peinait tellement que je n'osais rien lui reprocher.

Je ne savais pas non plus comment réagir face à son indifférence devant les insultes. Elle n'y faisait jamais référence, et je ne savais pas ce qu'elle ressentait à ce propos. Elle me parlait d'absolument tout, sauf de ça. Et quand j'essayais d'aborder le sujet, elle passait à autre chose, comme si c'était inutile d'en parler. Mais moi, j'avais peur. Peur de ce sentiment que j'avais certains soirs, quand elle ne me répondait pas, ou quand elle ne me souriait pas. Quand elle semblait... comme morte. Et ça me minait, ça m'inquiétait tellement, cette impuissance, ce sentiment de ne rien pouvoir faire pour elle... ça m'arrivait d'en pleurer, dans la pénombre de ma chambre. Parce que Layla cachait en elle une telle peine que j'avais peur de ce qu'elle pourrait faire, si je n'étais pas là. Évidemment, elle m'avait interdit d'en parler à des adultes, et à chaque témoin qui voyait ce qu'elle se recevait dans la figure, elle disait qu'elle gérait, que c'était pour rire, ou bien que c'était en train de s'arranger.

Alors que c'était faux.

Moi, évidemment, je respectais ma sœur et ses choix, bien que je ne les approuve pas, alors je n'en avais parlé à personne. Mais personne ne pouvait l'aider, et moi je vivais dans cette peur constante qu'elle fasse le mauvais choix.

Celui d'arrêter tout ça.



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 Coucou, c'est l'autrice !

 Alors dites moi, que pensez vous d'Ilona ?

Et de sa soeur, que vous allez rencontrer au prochain chapitre ?

 Laissez moi un petit commentaire pour me donner votre avis, et votez si ça vous a plu !

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