3☠️La fille d'Hadès et Perséphone.


MACARIA


— Encore un attentat.

— C'est bon pour nos affaires.

— C'est... oui. Effectivement.

Je laisse glisser les feuilles entre mes doigts, sentant le poids de chaque mot, chaque décision, s'alourdir sur mes épaules. Avec un soupir, je me lève de mon fauteuil en cuir et me dirige vers la grande baie vitrée qui domine le paysage de cet environnement obscur.

De l'autre côté du verre, la pluie et la brume dansent ensemble sous la pénombre éternelle, un spectacle aussi monotone que déprimant.

En haut, le monde des mortels continue sa course folle, ignorant tout de ce qui se trame en dessous. Et en bas, le royaume de mes parents s'étend, majestueux et oppressant. Mon regard se perd sur les méandres du Styx, ce fleuve sinueux et impitoyable, dont les eaux sombres serpentent à travers le paysage jusqu'à disparaitre à l'horizon, là où se dresse la cité d'Hadès et Perséphone.

Des centaines d'années se sont écoulées depuis ma dernière visite en ville. Le flot incessant de cadeaux que mes parents m'envoient à chaque anniversaire ne fait qu'accroître ma réticence à les revoir.

À quoi bon retourner là-bas, pour écouter leurs sermons déguisés en conseils bienveillants, alors que j'ai une société à gérer ?

— Maca ?

La voix d'Eryxis me tire de mes pensées.

Je laisse échapper un soupir, avant de me composer un visage plus distant, et de me tourner pour lui faire face. Eryxis me fixe de son regard perçant, ses iris dorés scintillant d'une froideur calculatrice.

Elle enroule distraitement une mèche de son carré ondulé blond platine autour de son doigt, un geste qui, je le sais, précède généralement une remarque incisive.

— Tu es troublée. C'est mauvais pour le teint.

— Ce n'est pas parce que tu es la responsable de la gestion des Âmes Troublées que tu dois commencer à me psychanalyser, répliqué-je, d'un ton sec. Je vais bien.

— Alors pourquoi tes canines sont-elles acérées ? rétorque-t-elle, un sourire presque imperceptible se dessinant sur ses lèvres.

Je me retourne brusquement vers la vitre, jurant en silence en réalisant qu'elle a raison.

— J'ai fait un cauchemar, avoué-je à contrecœur.

— Oh, vraiment ? s'amuse-t-elle, son intérêt clairement piqué.

— Ça n'a pas d'importance. Revenons à l'accroissement de notre activité ces derniers jours. Avec la fête des morts à la surface, nous allons devoir traiter un gros volume d'âmes, mais de façon optimisée afin que Charon ne soit pas...

— Il s'agit d'un homme, m'interrompt-elle soudainement, son ton plus grave.

Je déteste cette manière qu'elle a de lire en moi, de percer mes pensées les plus secrètes. Elle se place à mes côtés, bras croisés, regard perdu dans la vue sombre qui s'étend devant nous.

Entre nous, les silences sont plus nombreux que les véritables discussions, et cela m'a toujours convenu.

Mais aujourd'hui, quand elle claque la langue, je devine qu'elle va parler et je la devance :

— Un coursier est venu ici récemment, dis-je, ma voix contrôlée malgré la tempête intérieure.

— Un oiseau d'Hermès ? demande-t-elle avec un soupçon de curiosité.

— Il semblerait. Sauf qu'il n'a pas suivi la procédure et...

— Il est coincé, n'est-ce pas ? Ne peux-tu pas faire preuve de clémence, Macaria ?

Mes boucles noires se mettent à flotter tout autour de ma tête alors que mes ongles s'allongent une nouvelle fois.

— À cause de cet abruti d'Hermès, on ne sait où il est caché dans cette tour et il y a un homme qui s'est permis de me toucher la main !

— Cela devait être un accident.

— Accident ou pas, il ne reverra jamais le monde des mortels. Tel est le châtiment ici-bas.

— Désires-tu que je m'en occupe ?

— Fais-le disparaître, oui, dis-je avec une froideur calculée. Donne-le en pâture aux créatures de l'ombre, je m'en moque... Mais je ne veux plus d'homme dans ma demeure. Est-ce clair ?

L'air autour d'Eryxis se raréfie, et je sens la tension monter, m'attendant à une réplique acerbe de sa part. Mais, comme toujours lorsqu'un sujet la contrarie, elle choisit de se taire, masquant son mécontentement derrière son calme glacé.

Alors que je m'apprête à la congédier, un sifflement de serpent résonne derrière moi. Sans un bruit, fidèle à son habitude, Harmonia est entrée dans mon bureau sans que je m'en aperçoive.

— Désolée de vous déranger mais nous avions une réunion, s'excuse-t-elle d'une voix douce comme une caresse.

— Nous avions terminé de toute façon, conclut Eryxis. Bonne fin de journée, mesdames.

Ses talons claquent sur le sol, et lorsqu'elle referme la porte derrière elle, je me sens immédiatement délestée d'un poids.

Je fais un geste pour inviter Harmonia à s'asseoir en face de moi, mais elle refuse d'un signe de tête, tout en grattant la peau écailleuse de son cou.

— Nous n'avions pas de réunion, dit-elle, son regard perçant. En approchant de ton bureau, j'ai perçu une tension entre Eryxis et toi. J'ai pensé qu'il fallait que je te sorte de là.

— Merci, dis-je, sincèrement reconnaissante de son intervention. Mais qu'es-tu venue faire ici ?

Je ne peux m'empêcher d'admirer, même brièvement, la façon dont ses cheveux ondulent, mêlant des teintes de noir et de violet sous la lumière tamisée. Harmonia, avec ses yeux dorés de reptile, a toujours cette présence singulière qui m'apaise et me trouble à la fois.

Elle me regarde avec cette douceur inquiète que je connais bien, et malgré moi, je sens la tension en moi se calmer, juste un peu.

— J'ai fait le tri dans la liste des marionnettes disponibles pour te trouver un assistant compétent. Comme l'a souligné ta sœur à la dernière réunion, tu ne peux pas continuer à tout gérer toute seule. Tu as besoin de quelqu'un pour s'occuper de ton emploi du temps, de tes rendez-vous, de tes repas, et bien plus encore.

— On en revient à cette discussion qui fâche... Harmonia, je ne suis pas intéressée par une marionnette, répliqué-je, le ton tranchant.

— Laisse-moi terminer, s'il te plaît, insiste-t-elle, gardant son calme malgré ma réticence. Écoute, c'est toi qui as créé le système des marionnettes, et tu l'as fait pour une raison précise : pour nous aider. Je pense sincèrement que tu devrais envisager d'avoir un assistant à tes côtés.

— Un homme, c'est cela ?

— Toutes les marionnettes sont des hommes, c'est toi qui l'as ainsi conçu. Mais souviens-toi, ils n'ont pas de cœur. Ils simulent des sentiments, donc peu importe ce que tu fais avec eux, ça n'aura aucune répercussion. Ils sont là pour servir, rien de plus.

Je fronce les sourcils, penche légèrement la tête, attendant qu'Harmonia capte ce que je n'ai pas envie de dire à voix haute. Elle comprend enfin, et je la vois se mordiller les lèvres, hésitante.

— Les marionnettes ne sont pas uniquement conçues pour des besoins sexuels, Maca...

— C'est ainsi que je les ai pensées et que je les utilise, dis-je avec un agacement évident. Pas comme des assistants. Maintenant, changeons de sujet, je sens la colère monter.

Harmonia, malgré ma froideur, ne recule pas. Elle sait qu'elle marche sur une ligne fine, mais elle tente une dernière approche.

— Et si tu faisais un test ? propose Harmonia, sa voix douce mais insistante. Rien qu'une journée. Demain, c'est la Toussaint catholique, et nous allons avoir une affluence énorme. Charon lui-même a prévu de venir nous voir.

— Pour nous surveiller, par Hadès... soupiré-je, sentant déjà la pression monter.

— Si j'arrive à te fournir une marionnette capable d'être l'assistant parfait, est-ce que tu accepterais de prolonger l'expérience ?

Je la fixe, perplexe.

— Pourquoi aller si loin ?

— Parce que je m'inquiète pour toi, Maca. Si tu t'effondres, c'est toute la boîte qui s'écroule. Tu prends tout sur toi depuis des centaines d'années, sans jamais déléguer, et ça te ronge.

Harmonia, malgré sa douceur apparente, sait être inébranlable quand elle pense avoir raison. La gestion de l'Abyssale Purification m'épuise, bien plus que je ne veux l'admettre. Chaque jour, je repousse mes limites, refusant de montrer la moindre faiblesse.

— Une journée, dis-je enfin. Juste une journée. Si cette marionnette parvient à être ce que tu prétends, alors je considérerai l'idée.

Un sourire léger, presque imperceptible, s'épanouit sur les lèvres d'Harmonia. Elle sait qu'elle a gagné une petite bataille, mais elle ne fanfaronne pas.

— Merci, Maca. Tu verras, ce ne sera pas aussi terrible que tu l'imagines, dit-elle doucement, son ton rassurant.

Je me détourne, regardant par la fenêtre, la pluie et la brume couvrant le paysage du Styx. Peut-être qu'Harmonia a raison, peut-être que je peux lâcher prise, juste un peu.

Mais au fond de moi, une partie de moi reste sceptique.

Car dans ce monde, la confiance est une monnaie rare et précieuse, même envers des marionnettes sans cœur.



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