Le gardien du phare regarde, non sans un sourire, la tâche bleue s'éloigner de son protégé. La brièveté de leur discussion et sa manière de s'en aller en disent long sur ce qu'elle pense de lui. Finalement, il n'aura pas à les arracher l'un à l'autre. La jeune fille s'en est elle-même chargée.

              Il doit bien avouer, malgré la méfiance et l'animosité qu'il a à son égard, qu'il y a dans sa démarche fière et sauvage de quoi attirer les jeunes hommes ardents de relever des défis. Avec ce genre de femmes, il ne faut pas vouloir la facilité, car tout le crie en elle : « Je suis compliquée à comprendre, difficile à aimer et encore plus à retenir... Essaye de m'avoir si tu en es capable ! »

               Cette femme ne veut pas être aimée, elle veut être désirée, incomprise mais admirée dans un silence béat. Elle veut se sentir toute puissante, capable de destruction juste en tournant le dos comme elle vient de le faire à l'instant.

                La sirène a fait son œuvre, sauf que cette fois-ci ce ne fut pas un pauvre marin qu'elle a attiré dans ses filets mais un gardien de phare...

                Le vieil homme sourit à nouveau, anticipant déjà ce qu'il va dire à son apprenti, préparant les divers moyens dont il va user pour créer son futur lui... Il retourne dans sa loge, secouant la tête de contentement, l'esprit bercé par le fantasme de sa renaissance.

               Et voilà que lui, homme logique et cartésien se met à croire en la réincarnation ! L'idée de mort a donc ce pouvoir finalement, celui de modeler la vie... Enfin, quand on lui cède et qu'on la craint, alors elle nous arrache au rivage, nous confronte à des vagues bien trop hautes et attend de voir qui aura l'endurance de se maintenir à la surface jusqu'à ce qu'elle nous rende à la terre.