VENDREDI 18 / 16 HEURES 20


 Ninon se tenait devant la porte de l'immeuble, la boule au ventre, le nez glacé. Les beaux jours de novembre – inquiétants, au passage – étaient loin derrière. Décembre avait amené avec lui son lot de rebondissements : les températures en chute libre, le déconfinement et la perspective des fêtes de fin d'année en demi-teinte.

Louis était rentré dans son appartement depuis quelques jours, après avoir passé les dernières semaines dans celui de Ninon. Elle réapprenait petit à petit à combler ses journées sans l'avoir dans les pattes – non pas qu'elle s'en plaignait. Elle avait aussi repris le travail au bureau. Pour l'occasion, Patricia leur offrait chaque jour la vue d'un de ses pulls de Noël collector. Ils avaient fait un déjeuner tous ensemble, le midi-même et elle avait offert à Ninon chandail en laine vert avec un chandelier de Hanoukka dessus.

─ Comme je sais que tu ne fêtes pas Noël.

Ninon n'était pas juive. Elle ne savait pas non plus comment Patricia en était venue à penser qu'elle l'était. Mais pour éviter de blesser sa collègue pleine de bonnes intentions, elle ne dit rien et accepta le cadeau. Avant de partir, elle l'avait glissé dans un sac en plastique ; elle faisait une escale avant de rentrer chez elle et profiter de sa première après-midi de vacances. Elle était d'ailleurs arrivée, avait appuyé sur la sonnette et attendait, gigotant sur place pour se réchauffer et se déstresser.

Le grésillement de la porte lui indiqua qu'elle était déverrouillée. Ninon entra et vérifia le numéro de l'appartement dans le message reçu plus tôt dans la journée. Elle monta les trois étages, les bras le long du corps, incapable de s'accrocher à une rambarde que des dizaines de personnes avaient touché dans la journée. Un instant, elle pensa à faire demi-tour et prendre la fuite. C'était, après tout, son moyen de prédilection pour se sortir des situations embarrassantes.

Non, se raisonna-t-elle. Tu as donné ta parole.

En arrivant devant la porte, les nœuds dans son estomac lui donnaient le sentiment de descendre une montagne russe. Elle frappa, le souffle court, les jambes tremblantes. La clé tourna dans la serrure, l'énorme porte en bois s'ouvrit et son hôtesse l'accueillit d'un sourire rayonnant.

─ Bonjour Ninon ! Vas-y entre.

Sans un mot, Ninon pénétra dans l'appartement. Il sentait l'encens et la cannelle. Plusieurs bougies brûlait, des plantes tombaient des étagères et du plafond, cachant les draperies multicolores accrochées au mur. On s'y sentait bien, dans cet appartement. C'était comme si la pièce nous enlaçait et nous murmurait que tout se passerait bien.

Zia invita Ninon à prendre place sur le canapé, et lui proposa un thé. Ninon accepta, mal à l'aise. Zia disparut dans la cuisine mais continua à combler les blancs, pour qu'aucun silence gênant ne s'installe.

─ Je suis super contente que tu aies proposé qu'on se voit. J'avais envie de te rencontrer depuis un moment.

─ Oui, rétorqua Ninon, se raclant la gorge. Ça me trottait dans la tête, à moi aussi.

C'était arrivé comme ça, au hasard. Louis n'était même pas impliqué dans l'affaire. Un matin, Ninon s'était réveillée avec une demande d'amis sur Facebook. Elle avait accepté, présumant que Zia voulait lui parler. L'ex de Louis n'avait jamais envoyé de message, mais Ninon avait fini par craquer. Après une courte discussion, elles avaient décidé de voir dès que le confinement serait levé. Ninon avait plusieurs raisons : d'abord, elle voulait s'excuser pour le coup bas. Lui piquer Louis n'avait jamais été dans ses intentions, elle espérait que Zia le lui pardonnerait. Ensuite, elle avait l'air d'une chouette fille. Rien que pour ça, Ninon voulait la rencontrer.

Zia revint deux tasses d'eau chaude, une boîte à thé peinte à la main et un bocal avec des sablés de Noël. Cette fille vivait dans une publicité. Ninon aurait tant voulu être comme elle.

─ Au fait, dit Zia en déposant le goûter sur la table basse, je suis désolée pour le message qu'Emma a envoyé. Elle l'a fait dans mon dos.

─ C'est... c'est bon, c'est oublié.

Zia sourit, visiblement soulagée. Elle s'installa en face de Ninon, à même le sol et lui proposa la boîte de thé. Ninon attrapa le premier sachet à sa portée, sans toucher les autres. Qui savait combien de gens avaient farfouiller dans cette boîte avant elle ? Zia la vit faire.

─ J'ai désinfecté les tasses, la prévint-elle.

Cette confession prit Ninon de court. Elle savait que Louis lui avait parlé de leur relation, elle ne s'était pas imaginé jusqu'à quel point. Ninon la remercia d'un sourire contrit. Elle ne parvenait pas à se détendre, malgré l'encens et la musique de relaxation en fond sonore. Un blanc d'embarras s'immisça entre les deux femmes, elles voulurent le briser au même moment :

─ Je...

─ Tu...

─ Vas-y, lui donna la parole Zia.

Ninon prit une longue inspiration pour se redonner du courage.

─ T'es pas obligée d'être gentille avec moi. Tu as le droit de me crier dessus, si t'en as envie. Je suis aussi venue pour ça.

Zia la dévisagea, perplexe, avant d'éclater de rire.

─ Te crier dessus ? Tu serais pas un peu maso, toi. Ninon, je vais pas te crier dessus. Tu n'as rien fait de mal.

─ Je t'ai piqué Louis, lui rappela Ninon.

─ Tu ne m'as pas piqué Louis ! On est tombé amoureuse du même garçon, il a fait son choix et ce n'était pas moi.

Ninon se prit le visage entre les mains et chuchota :

─ Oh putain, t'es vraiment trop gentille, c'est pas un mythe.

Zia rit.

─ Pas vraiment, en réalité. J'essaie juste de me mettre à la place des autres. Et si j'avais été à la place de Louis, j'aurais préféré ne pas recevoir encore plus de reproches de la part de mon ou ma partenaire.

─ C'est donc à ça que ça ressemble, une relation saine, commenta Ninon.

Comment aurait-elle pu le savoir ? Ses parents avaient passé les trente dernières années à se hurler dessus. Aujourd'hui encore, ils s'appelaient toutes les semaines pour se crier des injures. Le père de Ninon reprochait encore à son ex-femme de coucher avec un autre homme, et ça faisait quinze ans qu'ils étaient divorcés !

Zia piocha un sablé et en proposa un à Ninon.

─ Je sais qu'on est habitués à être jaloux des nouveaux copains et copines de nos ex, mais, sache que c'est pas mon cas. Je suis même heureuse que ça fonctionne enfin entre Louis et toi.

Ninon resta silencieuse, émue de la compréhension de cette fille. Zia interpréta son mutisme autrement :

─ Ça fonctionne bien, hein ?

─ Quoi ? Ah, oui, oui, oui. C'est... c'est vraiment cool.

Ninon la poétesse. Elle vivait une histoire d'amour palpitante, et le seul qualificatif qui lui venait en tête était « cool ». Zia n'y fit même pas attention.

─ Génial. Bon, maintenant qu'on a terminé de parler de Louis, parlons de toi. Parce que je ne t'ai pas invité pour qu'on s'attarde sur un mec.

─ Pourquoi alors ?

─ Parce que j'ai la conviction que tu es quelqu'un de bien, et j'aimerais que nos points communs ne se limitent pas à être sorties avec le même gars. Et... pour être honnête, je crois que me faire une nouvelle amie ne me ferait pas de mal. Je n'ai vu personne de tout le confinement, à part mes collègues de boulot. Et ce sont tous des hommes blancs de cinquante ans.

Ninon rit doucement, avant de croquer dans son sablé. Ils étaient délicieux, tout juste sortis du four. La proposition de Zia était une bonne idée. Elle aussi pouvait y gagner à avoir une nouvelle amie. Elle pouvait y gagner à avoir une amie tout court. Louis ne remplissait plus cette seule fonction et Patricia... ne parlons pas de Patricia.

Ninon prit une gorgée de son thé et accepta enfin le confort de l'appartement de Zia. Ici, elle se sentait enfin en sécurité.

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