JEUDI 29 / 15 HEURES 20
Malgré l'attachement qu'il lui portait, Louis commençait à en avoir ras-le-bol du caractère exécrable et de la susceptibilité de Ninon. Soudain, il se rappelait pourquoi il n'avait pas pu la voir en peinture pendant plusieurs mois. Discuter avec Ninon relevait de la haute-voltige, le moindre faux pas vous était fatal. Elle montait dans les tours à la moindre plaisanterie qui n'allait pas dans son sens, et était capable de tenir sa rancune pendant des heures. Comme le silence ne dérangeait pas Ninon, quand elle boudait, c'était pire.
Louis avait eu le malheur de faire une blague sur cette aire d'autoroute, et depuis, il voyageait avec une porte de prison. La dernière fois, il leur avait fallu une semaine pour s'apprécier miraculeusement. Cette fois, une semaine avait suffi pour qu'ils se détestent à nouveau. Louis ne pensait pas que les insultes qu'ils s'étaient balancés à la figure étaient innocentes et complices. Au fond d'eux, ils le pensaient et déguisaient ces reproches sous des vannes. En tout cas, c'était ce que Louis faisait.
Ninon était chiante, voilà, c'était dit. Louis n'espérait qu'une chose : qu'elle ne soit pas si difficile à vivre dans les prochaines semaines. Sinon, ce confinement s'annonçait pire que le premier.
Ils avaient quitté l'autoroute en début d'après-midi. Depuis, ils s'aventuraient dans les routes en épingles de montagnes, où il fallait klaxonner pour s'annoncer, sous risque de croiser une voiture et tomber dans le ravin. Ninon avait branché une de ses playlists à l'autoradio. Elle écoutait de la pop-rock indie-bobo-quinoa-granola, le genre de morceaux qui passaient dans les films quand les personnages contemplaient leur existence assis sur une colline au clair de lune. Louis ne disait rien, de peur de réveiller à nouveau le dragon, mais il trouvait sa musique déprimante à souhait. Elle piocha dans le paquet de bonbons calé dans le cendrier.
En plus, elle mangeait tous les bleus et les noirs, les préférés de Louis. Quelle plaie, cette meuf ! Comment avait-elle pu le mettre en doute par rapport à sa relation avec Zia. Non, Zia était mille, dix mille, cent mille fois mieux ! Au moins, Zia avait de l'humour, et ne se vexait pas quand il avait une réflexion déplacée. Bon, elle lui prenait la tête et lui expliquait par A + B pourquoi sa remarque n'était pas appropriée et qu'elle ne voulait plus entendre de tels mots dans sa bouche, mais elle ne boudait pas. Zia communiquait trop, mais Ninon pas assez.
Ils arrivèrent à la maison de vacances au milieu de l'après-midi. Le trajet avait été ponctué par des ralentissements et des embouteillages, quand ils s'étaient enfoncés dans le massif montagneux, les voitures étaient devenus des souvenirs de plus en plus lointain. Ninon observait le paysage, et Louis s'attendait à des mots d'émerveillement. Il l'emmenait, après tout, dans un cadre splendide. Mais les premiers mots qui sortirent de sa bouche – elle n'avait pas parlé depuis le midi – furent :
─ Il y aura Internet ici ?
─ J'espère, sinon, tu vas être obligé de... me parler.
─ L'horreur.
Louis fut incapable de dire si sa réponse était ironique. Elle devait l'être, non ? Sinon, pourquoi Ninon aurait-elle accepté de le suivre jusqu'ici. Elle aurait pu rester en ville. Bon, même si elle n'avait pas d'appartement.
Louis se gara dans la cour de la grande maison. C'était un bâtiment de ferme que son père avait fait rénover. Là, il y avait passé des étés et des hivers, jusqu'à ce qu'il devienne un ado ingrat qui préférait rester près de ses potes que de profiter des rares vacances avec ses parents. Louis avait toujours les clés avec lui, au cas où lui prenne l'idée de faire une fugue et se réfugier à l'écart du monde. Sa sœur le faisait tous les ans. Ils déchargèrent leurs affaires. En pénétrant dans la maison, Louis frissonna. Les lieux étaient glacés.
Pendant que Ninon finissait de vider le coffre, Louis fit le tour des pièces. Il revint penaud.
─ On a un problème.
─ Quoi ? demanda Ninon.
─ Il n'y a pas de chauffage.
─ Il n'y a pas de chauffage ? Louis, je te préviens, le coup du « On n'a qu'à dormir ensemble pour se tenir chaud » ne marchera pas.
─ Non, non, non ! Enfin, il y a la cheminée ;
Louis remarqua alors le sourire qui traînait au coin de ses lèvres.
─ J'ai pas rêvé, t'as fait une vanne sur le fait que tu crushais sur moi ?
C'était ainsi avec Ninon, il fallait lui laisser du temps pour digérer. Louis était soulagé de savoir qu'elle ne lui tenait plus de rancœur, mais s'il devait attendre trois heures chaque fois qu'il blaguait, les prochains jours risquaient d'être éprouvants. De plus, ça l'énervait quand Ninon lui soufflait le chaud et le froid de la sorte – un coup fâchée, un coup enjouée. Il restait sur le cul, et alors qu'il s'était persuadée qu'elle était la pire des chieuses, elle remontait dans son cœur. Il aurait largement préféré qu'elle soit insupportable sur toute la ligne.
─ Ta gueule, l'arrêta-t-elle.
Clair, net, précis.
─ Bon, la cheminée, très bien. On fera du feu.
─ Je ne sais pas faire de feu, avoua Louis.
─ Tu sais pas faire de feu ? Mais à quoi tu sers ? J'arrive pas à croire que les mecs comme toi soient au sommet de la pyramide sociale.
─ Tu sais faire du feu, toi, peut-être ?
─ Bien sûr.
─ Je te crois pas.
Ninon n'aimait rien de plus que les défis. Elle lâcha son téléphone et son sac et s'avança vers la cheminée, où du bois séchait depuis plusieurs mois. En deux temps, trois mouvements, elle arrangea le petit bois, le gros, fouilla dans le tisonnier et y dénicha des allumettes et des allume-feux. Le feu prenait dans la minute suivante. Louis laissa échapper un murmure émerveillé.
─ Maintenant, donne moi le code Wi-Fi et montre moi ma chambre.
Louis ne pouvait rien faire d'autre que suivre les ordres.
Il la guida à l'étage, la laissa choisir la chambre qu'elle voulait parmi les trois. Ninon s'installa dans celle réservée aux parents, et lui intima de ne pas la déranger pendant les trois prochaines heures. Elle devait bosser, un truc comme ça. Louis se retrouva seul dans l'immense salon et la sensation de vide le surprit. Elle ne l'avait plus habité depuis le déconfinement, en mai. Il s'était arrangé pour occuper son temps chaque seconde de la journée, pour sortir dès que possible ou pour être accompagné en toute circonstance.
Le silence l'angoissait, il n'y avait pas de télévision pour faire un bruit de fond. Louis attrapa son portable, et machinalement, appela sa petite amie. C'était le milieu de l'après-midi, elle était occupée, à tous les coups. Sans surprise, Zia ne répondit pas.
Comme un chat, Louis tourna en rond dans le séjour, s'arrêtant par moments devant la cheminée pour se chauffer les fesses. Il s'occupait tant qu'il pouvait, se demanda s'il ne devait pas aller faire des courses. Mais les placards regorgeaient de pâtes et il avait la flemme de reprendre la voiture après y avoir été enfermé toute la journée. Il n'avait qu'à installer ses affaires dans sa chambre. Louis grimpa sa valise et la déballa. Mais après ça ? Il fit son lit, avec des draps rose à pois déniché dans un placard. Et puis ? Il prit une douche, car il puait la transpiration. Après s'être glissé dans un pyjama propre – qui allait être ses habits des prochaines semaines, il s'allongea sur son lit et traîna sur Instagram, mais même cette distraction ne combla pas son besoin de compagnie.
Une idée lui parvint, il n'avait qu'à être dans la même pièce que Ninon, mais la laisser tranquille. Il ne la dérangerait pas, promis. Il resterait sur son téléphone pendant qu'elle travaillerait. Elle ne pouvait pas le lui refuser. Louis n'était pas compliqué à vivre, il n'aimait juste pas être seul.
Doucement, il frappa à la porte de sa chambre, et ce geste lui rappela toutes les fois où il l'avait fait, à l'époque de la coloc. Aucune réponse. Louis renouvela sa tentative, sans succès. Il se risqua à ouvrir quand même. La vision suivante le déboussola. Ninon ne travaillait pas, elle s'était endormie, tout habillée, enroulée dans la couette nue. Le premier réflexe de Louis fut de refermer la porte aussitôt, pour ne pas la réveiller. Soudain, il suspendit son geste, laissant la porte entrebâillée.
Et puis merde, pensa-t-il. Il était déjà fichu, foutu, perdu pour la France. Il s'était compromis dès l'instant où il avait proposé à Ninon de rester chez lui. Personne ne croyait que ces paroles étaient innocentes, pas même lui, surtout pas lui.
Louis repoussa la porte, et grimpa sur le lit de Ninon. En prenant le soin de ne pas la toucher et de ne pas lui piquer la couette, il s'allongea à ses côtés. Par la fenêtre, le soleil de fin de journée irradiait la pièce, annonçant le crépuscule des fin d'après-midi d'hiver. Ninon occupait les deux oreillers, alors Louis cala ses mains sous son oreille en guise de coussin. Au son de la respiration et au parfum des cheveux de Ninon, il tomba de sommeil en une paire de secondes.
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