DIMANCHE 1 / 18 HEURES


Dans la catégorie lâche, Louis raflait toutes les coupes. Zia lui avait envoyé un message vendredi, il n'avait pas répondu. Elle l'avait appelé samedi, sûrement inquiète, il l'avait encore ignorée. Il n'était pas du genre à se défiler, d'habitude, il était même plutôt bon pour se confronter aux situations inconfortables, mais là... c'était trop. Il n'avait pas encore rassemblé tout son courage.

À la fin de ce premier week-end de confinement, la nuit tombait avec une heure d'avance sur le début de la semaine. Louis s'était posé dans la véranda avec un café. Son doigt flirtait avec le bouton « Appeler » à côté du nom de sa petite amie. Il ne savait pas quoi lui dire. Il pensait avoir pris une décision, mais les doutes l'assaillaient à nouveau. N'était-il pas en pleine désillusion ? Le confinement savait créer une bulle autour des personnes, c'était déjà le cas pour le premier. Ne devait-il pas attendre la fin avant de prendre une décision radicale ? Seulement, voilà, s'il repoussait ce moment, chaque jour de confinement ajouterait à sa culpabilité.

Comme tous les moments d'hésitation, la délivrance venait d'une seconde d'inattention, quand votre cerveau cessait de fonctionner et que votre pilote automatique prenait le dessus. Louis ne réalisa qu'il appelait Zia qu'au moment où la ligne sonna. Il porta le téléphone à son oreille, un nœud dans l'estomac. Si elle ne décrochait pas, il ne la rappellerait pas. Mais Zia décrocha ; dimanche soir, 18 heures, elle n'était pas occupée.

─ Coucou, attends, attends, on passe en Facetime, j'ai envie de te voir.

Elle raccrocha, laissant un Louis désarçonné. Quand le nouvel appel entra, il se redressa sur sa chaise, histoire d'être présentable. Il sortait de la douche, ses cheveux séchaient sous sa capuche. La lumière jaune de la véranda n'était pas non plus à son avantage. Rien à voir avec Zia, qui était toujours belle, peu importe l'endroit ou le moment. Ou peut-être était-ce ses yeux à lui qui la trouvait magnifique en toute circonstances... À la vue de son petit ami, Zia sourit jusqu'aux oreilles et son visage rayonnant arracha un pincement au cœur à Louis. Merde, il allait faire une grosse connerie.

─ Coucou !

─ Sa...

Sa voix s'érailla, il se racla la gorge.

─ Salut. Ça va ?

─ Moi oui, mais, et toi ? Je t'ai envoyé des messages et j'ai rien reçu. T'as pas de réseau dans ton trou ?

─ Euh, ouais... Ouais, le réseau déconne pas mal.

Quand il commençait à mentir, c'était la fin. Louis ne pouvait plus faire marche arrière.

─ Je suis contente de te voir, dit Zia. J'ai plein de trucs à te raconter. Tu permets que je parle de moi d'abord ?

─ Je t'en prie.

Ça ne pouvait pas tomber mieux. La vidéo de Zia remua dans tous les sens, le temps qu'elle s'installe dans son canapé. Le même canapé où ils avaient parlé de leurs rêves et de leurs peurs.

─ Alors... commença-t-elle d'un ton enjoué. Tu sais que vendredi, il y avait une grosse réunion d'équipe au bureau, et ils devaient faire des annonces. Eh bien, figure-toi que dans le lot, ils ont annoncé qu'il créait deux emplois pour juillet. Et ils voudraient me prendre après mon diplôme. Loulou, tu te rends compte, j'ai une promesse d'embauche !

─ C'est... c'est cool. Je suis content pour toi.

Le visage de Zia se décomposa.

─ Tout va bien ? demanda-t-elle.

─ Ouais, pourquoi ?

─ Parce que j'ai interrogé mon tarot pour toi ce matin et il m'a dit que tu allais passer une mauvaise journée...

Louis se redressa, intrigué.

─ Ah bon ?

─ Non, banane, parce que je viens de t'annoncer une super nouvelle et tu as à peine réagi. Qu'est-ce qui ne va pas ?

Le poids contre la poitrine de Louis devint plus lourd. Il posa son téléphone contre sa tasse pour croiser les bras. Zia devait déjà deviner ce qui l'attendait, rien qu'au langage de son corps. D'une voix grave, le jeune homme dit :

─ Il faut qu'on parle.

C'était la pire phrase de la langue française. Il avait honte de la prononcer.

─ Oh... souffla Zia.

Elle avait compris. Il ne fallait pas être mentaliste pour savoir ce que Louis cachait. Zia posa à son tour son téléphone, mais cette fois, sur une table. La vidéo montra le plafond. Louis ne lui en voulait pas de se cacher, même s'il aurait préféré lire son regard. Le silence s'éternisa, Louis aurait dû parler, mais une boule dans sa gorge l'en empêchait. Zia le devança :

─ C'est à propos de Ninon ?

─ Oui...

Il percevait le tremblement de sa voix et l'effort qu'elle mettait à le masquer.

─ Vous vous êtes embrassés ? Ou plus ?

─ Non. Non, bien sûr que non. Ninon n'est pas comme ça, tu sais.

─ Oui, j'ai cru comprendre que c'était quelqu'un de bien.

Il n'y avait aucune malice ou cynisme dans son ton. C'était le problème avec Zia, elle ne jugeait personne, pas même ceux qu'elle aurait toutes les raisons de détester. Louis sourit d'embarras. Quelle ironie que la première fois qu'il sourit de la conversation soit à la mention de Ninon !

─ Elle ne l'est même pas, en plus, se défendit-il. Enfin, si, mais elle est bien plus compliquée que toi.

─ Mais t'es amoureux d'elle.

Louis s'allongea à moitié sur la table, le menton sur ses bras.

─ Ouais, ouais, peut-être bien. J'en sais rien. Peut-être pas amoureux, mais entiché, à coup sûr.

─ Entiché, répéta Zia en riant.

─ Ça veut pas dire ça ?

─ Si.

D'un coup, elle reprit son téléphone, Louis la vit de nouveau. Ses yeux étaient brillants, mais la caméra brouillait le visuel. Louis ne savait si elle pleurait. Lui, en tout cas, frissonnait d'émotion, et anticipait déjà les larmes. Ce n'était qu'une question de secondes.

─ Je peux te dire ce que je pense ? demanda Zia.

─ Bien sûr.

Louis connaissait sa petite amie, elle n'essaierait pas de le convaincre de quoi que ce soit. Mais il ne s'attendait pas à ce qu'elle lui confesse la suite.

─ Je l'avais vu venir.

─ T'avais interrogé ton tarot ?

Il lui arracha un sourire.

─ Non. Dès que tu m'as parlé de Ninon, j'ai vu que c'était une blessure trop vive. Je savais que si elle revenait, c'était foutu. Quand tu m'as dit que tu l'avais revue, j'ai compris que nous deux, ça se comptait en jours. Je suis même surprise de toutes les soirées que tu as passé chez moi pendant qu'elle était chez toi. C'est comme ça, avec les occasions manquées, on passe jamais entièrement à autre chose.

─ C'est la houle, psalmodia-t-il.

La première larme roula sur la joue de Louis dans une paix ironique. C'était ainsi qu'il se sentait à l'intérieur. Triste mais serein. Zia ne disait plus rien.

─ Tu peux pas être un peu fâchée contre moi ? réclama Louis. Je suis en train de rompre avec toi.

─ Pourquoi je serai fâchée ? Je ne suis pas en colère, t'as rien fait de mal. Je suis triste, c'est sûr, parce que je t'aimais et je trouvais qu'on fonctionnait bien ensemble, mais... je ne suis pas en colère.

─ Ouais, mais maintenant je me sens encore plus mal, parce que tu es beaucoup trop gentille pour moi.

─ C'est une bonne chose que tu me largues, alors. Je vais pouvoir trouver mieux, plaisanta-t-elle.

Il eut soudain l'envie de la prendre dans ses bras et de la serrer du plus fort possible. Elle blaguait, mais il y avait un fond de vérité dans ses paroles : Zia méritait d'être avec quelqu'un de mieux et de disponible.

─ Pardon pour tout à l'heure, s'excusa Louis, je suis vraiment content pour ton boulot. Tu me raconteras.

─ Oui, t'inquiète. Et toi, tu me raconteras comment ça s'est passé avec Ninon.

─ Je ne sais pas si c'est une bonne idée... dit Louis.

─ J'ai quand même envie de savoir.

Il acquiesça, un sourire triste aux lèvres.

─ Bon, eh bah, prends-soin de toi, Louis, et donne moi quelques nouvelles.

─ Oui, toi aussi.

Après un dernier au revoir, ils raccrochèrent. Quand la page d'accueil s'afficha sur l'écran de Louis, une sensation de vide traversa le jeune homme. C'était fait. Il avait rompu. Ce n'était pas si difficile que pensé, en revanche, c'était encore plus désagréable qu'imaginé. Loin d'être soulagé, Louis continuait de douter du bien-fondé de son choix. Ce n'était pas comme s'il pouvait récupérer Zia d'un claquement de doigt. Son acte était irréversible.

Louis se releva et machinalement, il rentra et se dirigea à l'étage. La porte de la chambre de Ninon était fermée, mais un trait de lumière passait en-dessous. Il frappa et reçut l'autorisation d'entrer. Ninon dit :

─ T'as déjà faim ? Il est même pas...

En voyant sa mine abattue, elle s'arrêta.

─ Ça va ?

─ Zia et moi, on a rompus.

Ce n'était pas une tactique maline pour flirter. Il n'y avait aucun enthousiasme dans sa voix. Louis n'était pas d'humeur. Il avait besoin de réconfort et de compagnie. Ninon était la seule personne dans la maison.

Pour seule réponse, Ninon se décala sur le côté de son lit pour lui faire une place. Louis s'allongea à ses côtés. Il s'attendait à ce qu'elle le fasse parler, car c'était ainsi que lui soutenait ses potes après leurs ruptures. Il les forçait à vomir leurs sentiments jusqu'à ce qu'il n'ait plus rien dans le ventre. Mais... et il aurait dû s'y attendre... pas Ninon.

─ Tu veux voir une vidéo de bébé qui tombe ?

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