-IV-
« À chacun de mes pas, je ressentais son regard sur moi. »
Dans les recoins poussiéreux de notre bibliothèque familiale, j'avais découvert des vieux livres qui m'ont introduit à l'univers mystique du spiritisme.
Les rayonnages croulaient sous le poids des ouvrages, certains datant d'une autre époque, témoins d'un temps où les croyances et les superstitions régnaient en maître. C'est là que j'avais plongé dans la lecture passionnante de ces pages, qui expliquaient la croyance en la survivance de l'âme après la mort, et la réincarnation de celle-ci. Selon cette vision, ce principe serait régi par Dieu, - mais chacun est bien sûr libre d'adhérer ou non à cette croyance. L'atmosphère feutrée de la bibliothèque, baignée par une lumière douce qui filtrait à travers les rideaux, ajoutait un ton énigmatique à ces écrits.
C'est là que j'avais commencé à explorer les limites de mon propre esprit, et à me poser des questions sur le sens de la vie et de la mort.
Je tiens à préciser que les idées que je vais exposer dans cette partie du récit seront contextualisées, et que vous ne serez pas obligé de les accepter comme vérité absolue. Cependant, je souhaite partager mes réflexions et mes souvenirs à ce sujet, car cette expérience m'a profondément marqué et poussé à réfléchir sur les mystères de l'existence et l'essence humaine.
Mais que vous croyiez ou non au spiritisme, je pense que cette idée peut nous aider à mieux comprendre la complexité de l'âme humaine et les forces qui la guident.
Je me souviens encore avec précision de ce jour où, à l'âge de quinze ans, je me laissais dominer par une immense timidité, incapable de m'affirmer comme une adolescente normale.
Mon manque de confiance en moi m'empêchait de me trouver moi, et je me retrouvais souvent à suivre les autres, plutôt qu'à tracer ma propre voie. Dans ces moments-là, j'avais l'impression que j'aurais donné n'importe quoi pour être plus forte, plus confiante, plus affirmée, - comme Emi. Mais force était de constater que mes doutes et mes peurs semblaient toujours prendre le dessus, m'enfermant dans un cocon de tristesse, de frustration.
Je me rappelle encore de cette sensation d'impuissance, et de la douleur de ne pas être capable de m'exprimer comme je l'aurais souhaité.
J'aurais tant aimé trouver ma propre voie, mais je me retrouvais à adopter le style de ma grande sœur, à m'intéresser aux sujets qui la passionnaient, et à essayer même ses vieux vêtements pour tenter de retrouver un sourire sur le visage de mon père. Bien sûr, j'étais naïve à l'époque, convaincue que mon intention était pure. Mais le jour où je suis apparue devant Edgar en imitant ma sœur, tout a basculé. Il m'a frappée, m'a hurlé dessus en m'ordonnant de ne plus jamais toucher à ses affaires, me rappelant que ce qu'elle portait était sacré.
Malgré la profonde tristesse et le choc que la disparition d'Emi avait provoqué chez nous, je refusais de me laisser écraser par la douleur, surtout quand je voyais le pendentif d'Emi autour de mon cou.
Bien au contraire, je me sentais pousser des ailes, animée par une obstination farouche. Quand notre père sombrait dans les ténèbres de la nostalgie, je n'étais pas prête à abandonner. Je me rappelle avec émotion de ces moments où, malgré ma timidité, je me sentais capable de tout pour lui redonner goût à la vie.
Je me disais que, même si Emi n'était plus parmi nous, nous avions encore besoin les uns des autres, et que j'étais prête à tout pour recoller les fissures de notre famille brisée. Alors, je me suis mise en quête de trouver un moyen de remplacer Emi, convaincue que si je parvenais à répandre un peu de lumière dans la vie de notre père, alors peut-être aurions-nous une chance de guérir ensemble.
C'était un objectif ambitieux, peut-être même un peu naïf, mais à l'époque, j'y croyais dur comme fer.
Parlant de mon père, un homme de science. Il avait la chevelure blonde ternie par les épreuves de la vie. Il avait quelques mèches de cheveux blancs qui témoignaient de la cinquantaine qui approchait.
Sa silhouette fine et maigre donnait l'impression qu'il avait perdu du poids depuis la dernière fois que son regard avait vu ma sœur ainée. Pourtant, malgré sa détresse, ses yeux pétillaient de malice et d'intelligence quand il évoquait son travail. Une lueur d'espoir brillait dans son regard lorsqu'il parlait de la possibilité de la retrouver dans l'au-delà.
Bien que son teint pâle marqué par des cernes profondes, reflet de ses nuits blanches à étudier les théories scientifiques les plus pointues pour comprendre les mystères de la vie après la mort, il gardait une certaine prestance, une aura de sagesse et de savoir qui inspirait le respect. Il avait toujours son carnet dans ses mains frêles. Ces dernières étaient agiles, témoignaient de sa passion et de son engagement sans faille pour comprendre les secrets de l'univers.
Quant à l'adolescente que j'étais, je commençai à m'intéresser de plus en plus à l'univers du spiritisme, une passion que je partageais avec une camarade de classe.
Bien qu'elle ne fût pas vraiment une amie, je l'appellerai ici sous le nom de « Rosale » pour préserver son anonymat.
Rosale avait un frère jumeau – je l'appellerais « Allen ». Et comme lui, elle avait des traits physiques qui reflétaient leur origine africaine. Son teint était d'un brun chocolaté profond avec une lueur chaude qui évoquait la douceur d'un rayon de soleil.
Ses yeux étaient corsés et profonds, révélant une personnalité à la fois docile et forte, semblaient toujours scruter quelque chose avec intensité. Elle avait un visage doux, encadré de longs cheveux en forme de boucles serrées et naturelles qui encadraient son visage accueillant. Elle avait un sourire affectueux qui me réconfortait quand j'étais mal à l'aise.
Allen, avait une apparence simple et décontractée. Son teint quant à lui, était mis en valeur par des yeux sombres et perçants, qui semblaient scrutés le monde et tous ses secrets. Sa silhouette élancée ne trahissait aucune forme excessive de musculature. Cependant, cela ne le rendait pas moins impressionnant. Au contraire, sa présence imposante, imposait l'admiration. Sa taille élevée et sa posture impériale exigeaient l'attention de tous ceux qui se trouvaient près de lui. Avec une voix chaude et mélodieuse qui capture l'attention de tout le monde.
Allen se faisait peu bavard, préférant observer plutôt que parler.
En tant qu'orateur, il était incroyablement éloquent et brillait lorsqu'il avait quelque chose à dire, captivant immédiatement l'auditoire. Mais ce qui rendait vraiment Allen remarquable, c'était sa capacité à communiquer avec des gestes. S'il s'agissait d'une activité orchestrale, alors il en serait le chef naturel. Ses gestes précis et mesurés accompagnaient ses mots, renforçant leur signification et leur impact.
Il n'était pas le plus beau du groupe, mais c'était, son éloquence exceptionnelle ainsi que ses gestes gracieux qui le mettaient en valeur à chacune de ses apparitions.
Le « Cercle des Spirites », un club où qui rassemblait les élèves provenant de notre classe, - je faisais la classe de troisième à cette époque, pour discuter et partager leurs connaissances sur les sujets que le commun des mortels ne s'attelait pas à savoir. Allen savait comment nous captiver et inciter à réfléchir en profondeur. Tandis que Rosale, plus discrète, observait avec attention chaque mot, chaque expression, son sourire chaleureux en plus de son intérêt sincère pour le bien-être des autres la rendaient très agréable à côtoyer. C'était son soutien silencieux qui suscitait le respect et l'appréciation des membres du cercle.
Grâce à elle et son frère, j'ai découvert un monde fascinant que je n'aurais jamais exploré autrement.
Malgré leurs personnalités différentes en tant que jumeaux, Allen et Rosale partageaient une passion commune pour les sujets occultes. Dans leur détermination à trouver des réponses ensemble, ils avaient créé le Cercle des Spirites. Leur passion pour les mystères inexpliqués était la force motrice de ce club. En tant que membre, j'admirais leur détermination et leur persévérance lorsqu'ils approfondissaient les sujets les plus obscurs. Leur passion inspirait les autres membres à les suivre dans leur quête de vérité.
Si seulement ma relation avec ma sœur était aussi productive et positive que celle des jumeaux. Ils avaient su trouver un terrain d'entente pour nourrir leur curiosité et leur passion commune.
C'était admirable et inspirant.
Un jour, les jumeaux avaient organisé une rencontre officielle de tous les participants dans leur manoir familial, - surnommé ici le « Domaine Brown » pour préserver son anonymat. Situé au nord de la ville, dans les montagnes. Cela faisait un trajet assez éloigné pour moi, mais j'étais déterminée à y aller car une séance de spiritisme était prévue.
C'était une opportunité pour moi d'apprendre à être plus à l'aise en société et surtout en face d'Allen qui m'impressionnait tant. Sa force de caractère m'attirait et me faisait peur en même temps, peut-être parce qu'il me rappelait ma sœur. Ou peut-être était-ce parce que je tombais éperdument amoureuse d'un garçon qui ne m'aimerait jamais.
Quoi qu'il en soit, j'imaginai toutes les objections de mon père à assister à une telle cérémonie, que je souhaitais tant honorer de ma présence.
Étrangement, lorsque j'alla voir mon père, il m'avait agréablement surpris en acceptant que j'y aille. Toutefois, sans vraiment écouter mes paroles. Il était dans son laboratoire en train de manipuler ses instruments scientifiques quand je lui avais fait part de mes projets. D'habitude, il ne me regardait pas quand il parlait, comme si je n'existais pas. Je me sentais comme une charge pour lui. Il ne semblait pas m'apprécier, et je pensais qu'il ne m'aimait pas.
Mais cette fois, il avait accepté ma demande sans poser de questions. D'une voix monotone, il m'avait demandé quand était la fête. Je lui avais répondu que c'était ce weekend, et il m'avait simplement dit : ''Va et rentre quand tu veux.'' Cette réponse concise m'avait laissé perplexe, comme si j'étais une étrangère dans notre propre maison.
J'avais accepté la permission qui m'avait été accordée telle une sentence inévitable, une habitude familière issue d'un tribunal impitoyable. C'était toujours aussi déstabilisant pour moi de voir cette facette de mon père, qui ne se préoccupait de moi que lorsque cela était strictement nécessaire.
Quoi qu'il en fût, j'étais parti pour le rendez-vous le weekend arrivant.
Le Domaine Brown était gigantesque et impressionnant, rappelant une aristocratie ancienne, oubliée des habitants de la ville. L'immense manoir familial avait été construit depuis plus d'un siècle, avec des pierres grises taillées dans les montagnes voisines qui semblaient avoir résisté à l'épreuve du temps. Les grandes fenêtres qui ornaient la façade étaient surmontées de toits en forme d'ogive, et l'ensemble du domaine était encerclé par une muraille massive en pierre. Le moindre détail avait été soigneusement pensé, du jardin impeccablement entretenu aux douves qui entouraient la propriété, alimentées par un ruisseau cristallin qui coulait dans les montagnes voisines. Les arcanes de cette bâtisse majestueuse étaient dissimulées derrière de lourdes portes en bois massif qui semblaient prêtes à repousser toute intrusion indésirable.
Le Domaine Brown dépassait de loin tout ce que j'avais vu auparavant, et je me sentais émerveillé en m'approchant de cette bâtisse majestueuse.
Je suis arrivée en début de soirée à la réunion, ou "La Rencontre" comme nous l'appelions entre nous. C'était un événement important pour notre administration, au cours duquel nous établissions les membres de notre groupe, apprenions à nous connaitre et travaillions à la création d'un langage codé que nous pourrions utiliser n'importe où.
J'étais l'une des dernières à arriver et j'ai été accueillie chaleureusement par Rosale, qui s'occupait des invités. Nous nous sommes installés confortablement dans leur salon gothique, somptueusement décoré de quelques tableaux de la Renaissance qui avaient été judicieusement choisis pour leur beauté et leur signification historique.
Une fois assis, mes yeux s'étaient posés sur les sculptures gréco-romaines, éclairées par les lumières tamisées qui leur donnaient une aura de majesté. Elles semblaient éparpillées un peu partout dans la pièce, comme des témoins silencieux d'une époque révolue. Les détails minutieux et la finesse des traits étaient époustouflants. Je pouvais même distinguer chaque ligne et chaque courbe des muscles des statues, comme si leur réalité dépassait le simple exercice artistique.
À côté de ces sculptures se trouvaient des canapés fastueux, recouverts de matières raffinées provenant de pays lointains d'Asie qui semblaient inviter les pas des personnes de la haute société.
Il y avait comme une ambiance opulente qui m'avait tout d'abord fait me sentir mal à l'aise, presque intimidée. Mais en m'y habituant, j'ai commencé à apprécier l'atmosphère sophistiquée et élégante qui régnait dans le salon. C'est alors qu'Allen est apparu, descendant les majestueux escaliers menant au deuxième étage, ajoutant une aura supplémentaire de grandeur et de raffinement à l'ensemble de la pièce.
Nos regards s'étaient croisés par hasard, et tout à coup j'avais ressenti une gêne profonde. J'étais terriblement honteuse de mon apparence ce jour-là. J'avais passé des heures à me coiffer, à me maquiller et à chercher la tenue parfaite pour cette rencontre. Pourtant, malgré tous mes efforts, je ne me sentais pas à la hauteur.
Tout ce temps consacré à ma préparation était comme effacé en une seule rencontre. C'est alors que notre hôte nous a interrompus pour nous informer du programme du dernier jour du weekend : ''Dimanche, nous allons parler aux morts !'' a-t-il affirmé calmement mais avec assurance. Cette annonce m'avait laissée sans voix.
J'avais senti mon âme trembler et mon corps sursauter en réaction.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top