-III-
« Ma première fois, avec mon père. »
Je me souviens clairement de ma première visite à l'hôpital avec mon père, j'avais alors quatorze ans et je voulais partager le monde de mon père, découvrir sa passion pour la médecine, et peut-être même combler le vide laissé par Emiliana.
En marchant dans les couloirs de l'hôpital, je me sentais à la fois nerveuse et excitée - nerveuse parce que je ne savais pas vraiment à quoi m'attendre, mais également excitée de comprendre enfin le domaine qui avait fasciné mon père et ma sœur pendant tant d'années.
Je tenais le pendentif d'Emi pour me calmer.
Nous avions visité différentes unités de soins, avions parlé avec des infirmières et des médecins, nous avions même regardé des scanners et des radios. J'ai écouté attentivement chaque mot que mon père avait dit, essayant de tout comprendre avec la même passion qu'il partageait avec ma défunte sœur.
C'est la dernière chambre que nous avions visité qui a laissé une trace indélébile dans ma mémoire.
Le patient était un homme d'une soixantaine d'années, dont le nom à la consonance étrangère m'était inconnu et impossible à prononcer. Sa peau était pâle et ridée, marquée par la souffrance, l'épuisement. À chaque respiration, on aurait dit qu'il puisait toutes les forces qui lui restaient, luttant contre une douleur omniprésente qui semblait le ronger de l'intérieur. Pourtant, malgré le mal qui le dévorait, il nous avait accueillis avec un sourire chaleureux. Un sourire chaleureux qui trahissait une grande force de caractère, témoignant d'une vie passée à surmonter des épreuves.
Cette rencontre m'a profondément marqué et m'a rappelé que la résilience humaine peut parfois briller même dans les pires situations.
Une fois le patient installé, mon père avait commencé son examen en prenant son pouls et en vérifiant ses constantes vitales. Puis, avec une détermination sans faille, il avait entamé une discussion approfondie avec son patient, cherchant à explorer chaque facette de sa douleur comme s'il était le seul à pouvoir apaiser ses souffrances.
Avec cette empathie naturelle qui le caractérisait, mon père avait su instaurer un climat de confiance qui avait permis au patient de se confier et de se sentir en sécurité. Je ne sais pas si les mots de mon père avaient pu soulager toute la souffrance de l'homme, mais je suis certaine qu'il avait apporté un certain réconfort, un peu de lumière dans l'obscurité qui avait envahi la vie de ce dernier.
Malgré la tristesse qui ne s'était jamais éteinte en lui depuis la perte de sa fille, mon père avait su garder son cœur bienveillant et attentionné envers les autres. Cependant, je me sentais parfois délaissée, comme si sa bienveillance ne s'étendait pas jusqu'à moi.
Je pensais que peut-être mon existence était difficile à assumer pour lui, fruit d'une relation passée avec ma mère, qui avait choisi de s'enfuir. Cette pensée me troublait, et je ne parvenais pas à exprimer mon mal-être à mon père.
Les yeux du patient, fenêtres de son âme, reflétaient une vie de douleur et de difficulté. Pourtant, malgré cela, je pouvais y déceler une certaine sagesse sereine, une détermination à traverser toutes les difficultés, une résilience que je ne pouvais pas m'empêcher d'admirer.
En observant la scène, je me senti submergée par un profond sentiment de gratitude envers la vie, et envers ces hommes qui ont dédié leur vie à la guérison des autres. La chambre était remplie d'un silence révérencieux, brisé seulement par le bruit faible de l'équipement médical.
Ce moment m'a rappelé que la vie était fragile et éphémère, mais aussi qu'elle pouvait être belle et remplie de sens. Le sourire de cet homme, bien qu'il soit marqué par la douleur, m'a montré qu'il était possible de trouver de la beauté en chaque instant et de profiter pleinement de la vie quoi qu'il arrive.
Après avoir achevé sa discussion avec le patient, Edgar se tourna vers les infirmières d'un sourire qui avait quelque chose de malsain, un sourire que je n'avais jamais vu sur son visage mais qui me mit mal à l'aise.
Il s'approcha d'elles d'une démarche tranquille et mesurée, comme s'il jouait un rôle dans un film.
Sa voix était douce et apaisante, mais je sentais que quelque chose clochait, que son discours n'était qu'une façade pour cacher ses véritables intentions. Les infirmières semblaient hypnotisées par ses paroles, murmurant des réponses mécaniques et semblant ignorer la noirceur qui émanait de lui. L'obscurité de la chambre se faisait plus pesante à chaque instant, et je sentais mon cœur battre abruptement dans ma poitrine. Ils parlèrent de son expérience.
Expérience de la vie après la mort, mon père passait un temps fou à faire des recherches là-dessus.
En parlant de la recherche sur l'expérience de la vie après la mort, cela pouvait sembler contre-intuitif pour un scientifique de poursuivre un tel objectif, car il n'y a pas de preuves concrètes qui puissent étayer cette hypothèse. La science suit une méthode rigoureuse, basée sur les faits, les preuves, de manière à permettre des découvertes significatives, authentiques, issues de recherches approfondies et de méthodes éprouvées.
C'est dans ce sillage que j'ai compris que mon père n'était pas un scientifique qui écoutait la science.
De telles expériences sont encore considérées comme étant controversées et largement débattues dans le domaine scientifique. Il est vrai qu'il n'y a pas de consensus parmi les experts quant à la nature et à la véracité des expériences de mort imminente.
Il n'y aurait aucune preuve tangible de l'existence d'une vie après la mort, mais les expériences de mon père portèrent sur : « la vie après la vie ».
Edgar avait donc équipé l'homme d'un dispositif de mesure de l'activité cérébrale et l'avait placé dans une pièce spéciale avec un système de communication bidirectionnel avec l'au-delà. Il avait ensuite induit chez l'homme un état de mort imminente, tout en tentant de rentrer en communication avec l'esprit d'Emiliana.
Avant de poursuivre j'aimerais vous expliquer et décrire ce système de communication bidirectionnel qu'utilisait mon père pour ses expériences, notamment pour la première dont j'étais témoins.
En général, la communication est dite unidirectionnelle lorsqu'elle s'effectue dans un seul sens, d'un émetteur vers un récepteur. Par exemple, lorsque vous envoyez un message texte à un ami, la communication est unidirectionnelle. En revanche, le système de communication bidirectionnel permet la transmission d'informations dans les deux directions, c'est-à-dire qu'il permet à un émetteur et à un récepteur de communiquer entre eux dans les deux sens.
Dans le contexte de mon récit, le système de communication bidirectionnel permet donc à l'homme qui subit l'expérience de mort imminente de communiquer à la fois avec son environnement immédiat et avec l'au-delà dans les deux sens. Il pourrait envoyer des messages et recevoir des réponses, ce qui permettrait une meilleure communication entre les deux mondes.
Et pour se faire, on utilise un appareil de voyage astral.
Cet appareil se présente sous la forme d'un casque entièrement transparent, aux lignes fluides et élégantes.
Le casque sophistiqué est conçu pour se connecter à la cartographie cérébrale du cobaye, ce qui permet un voyage dans l'au-delà une fois que celui-ci est en état de mort imminente, car la conscience de l'individu pour atteindre l'au-delà doit traverser la frontière de la vie.
Pour assurer une parfaite précision de la cartographie cérébrale, ce casque est équipé de plusieurs capteurs stratégiquement positionnés sur le crâne.
En plus de la cartographie cérébrale, le casque propose un son immersif pour reproduire les sons et les bruits de l'environnement mental, pour une expérience encore plus saisissante.
Une fois que l'utilisateur a mis le casque, il est immédiatement transporté dans le monde astral, où il peut explorer les dimensions de l'univers après la mort.
Le casque est relié à une unité de traitement ultrapuissante capable d'analyser l'activité cérébrale en temps réel, pour garantir des résultats précis et fiables lors de chaque voyage.
Un écran de haute résolution affiche les images produites par la cartographie cérébrale en temps réel, créant ainsi un voyage visuellement riche et impressionnant.
Le casque est également doté d'une capacité unique pour détecter les signes vitaux du voyageur et adapter sa fréquence pour permettre une communication avec les entités rencontrées dans le monde astral, principalement faites de vibrations. Le voyageur peut ainsi interagir avec des êtres décédés, des esprits, des démons, ou des anges qui peuplent cet univers étrange.
En outre, l'appareil est capable de capturer les souvenirs et les impressions du voyageur, une fois revenu dans le monde physique.
Bien que l'utilisation de l'appareil de voyage astral comporte de nombreux avantages, il est important de souligner que cette expérience comporte des risques.
Il existe la possibilité pour le voyageur de se retrouver pris au piège dans le monde astral et d'être incapable de regagner son corps. Pour cette raison, une formation adéquate doit être suivie avant de se lancer dans de tels voyages. De plus, il est essentiel que des mesures de sécurité soient mises en place pour prévenir toute utilisation abusive ou non autorisée de l'appareil.
Cet outil inventé par mon père porte le nom de : « la machine permettant la traversée vers l'au-delà », mais vu que ce nom est long à retenir et à exprimer, je surnommerais donc tout simplement cet appareil : La Traversée.
Mon père ne voulait pas seulement établir une communication entre ce qu'on appellerait les monde des morts et le monde des vivants, Edgar Miller voulait faire une traversée via une passerelle surréaliste qu'il a trouvé en son invention.
Mon père avait préparé méticuleusement son protocole avant d'utiliser l'appareil de voyage astral pour induire l'état de mort imminente chez l'homme de la soixantaine. Pour l'expérience, il avait été soigneusement installé dans le lit, avec des capteurs et des cordons attachés pour surveiller ses signes vitaux.
Edgar avait allumé l'appareil, réglé les paramètres, utilisant des fréquences spécifiques et des impulsions pour accompagner la personne dans l'expérience.
Le patient avait commencé à se détendre, alors que son esprit commençait à se dissocier de son corps.
Je l'avais observé avec fascination, mais aussi avec une certaine peur, alors que l'homme commençait à se tordre et à trembler dans le lit. C'est au milieu de ce qui me sembla être le début de l'expérience que quelque chose d'étrange s'était produit.
L'homme, prit de convulsions incontrôlables, se tordait dans son lit tel un corps qui se noie en pleine mer. Ses yeux écarquillés étaient braqués vers le plafond, traduisant une terreur viscérale. Sa respiration, sifflante et erratique, témoignait d'une détresse croissante. Puis, tel un fil coupé, ses yeux se sont fermés, il a sombré dans l'inconscience, son corps inanimé et devenu rigide, tombant lourdement sur le matelas.
Mon père avait sorti sa montre de gousset et l'avait consultée avec un air préoccupé. Il avait attendu une trentaine de secondes avant de demander d'une voix presque inquiète que l'on tente de ranimer le patient. J'avais bien vu que sa montre était restée figée, que les secondes ne s'écoulaient plus, comme si le temps lui-même avait été suspendu, effrayé par la scène qui se jouait devant nous.
Les infirmières s'étaient aussitôt affairées autour du patient, malgré les efforts considérables déployés par elles, j'avais rapidement compris grâce à l'expression du visage de mon père -expression que je connaissais bien, expression dont j'ai toujours été victime, expression amère et crispée- que plus rien ne pouvait être fait pour ce pauvre homme.
Il était resté immobile, comme si sa vie avait été aspirée hors de son corps. L'atmosphère était glaciale, empreinte d'une profonde tristesse et d'un sentiment d'irréalité. Mon père semblait désemparé, comme si toutes ses compétences et ses connaissances n'avaient servi à rien face à la mort.
Mon père était littéralement possédé par la frustration. Les éclairs dans ses yeux témoignaient de sa colère grandissante. Ses mains tremblaient tellement qu'elles semblaient tout à fait indociles, griffonnant frénétiquement dans son carnet. Il avait besoin de mettre de l'ordre dans ses idées chaotiques, mû par une ambition insatiable. Il se parlait à lui-même, proférant des jurons et des invectives à haute voix.
Sa colère était palpable, exacerbée par l'échec.
Tout en grattant frénétiquement la surface du papier de son stylo, il notait des formules et des équations dans un rythme effréné. Toutefois, malgré tous ses efforts, ses notes n'arrivaient pas à répondre à son attente.
C'est avec une grande tristesse que j'ai observé la détermination acharnée de mon père. Il allait y passer des jours et des nuits, voire des semaines entières, à chercher où il avait échoué. Tourné vers son obsession, il ne pensait plus à rien d'autre.
J'avais compris que la recherche de mon père sur la vie après la vie était bien plus qu'une simple expérience. C'était un effort constant pour trouver une réponse à une question qui fascine l'humanité depuis des siècles : l'existence d'une vie dans l'au-delà serait possible ?
Et même si les résultats n'étaient pas concluants, -c'est ce que j'ai appris plus tard en parlant avec une infirmière que j'appellerais dans ce récit : Yaelle. Car mon père, pour une raison que j'ignorais, refusa de m'en parler. J'ai compris à ce moment que pour lui, ne pas réussir son expérience était inconcevable, et qu'il continuerait à se battre jusqu'à ce qu'il en découvre les raisons.
Je n'étais pas spécialement religieuse à l'époque, mais cette expérience avait suscité en moi une curiosité spirituelle que je n'avais jamais ressentie auparavant. J'étais devenue fascinée par ce qui se passait au-delà de la vie que nous menons tous les jours. En rentrant à la maison, j'ai commencé à chercher des réponses. J'ai lu des livres sur les expériences de mort imminente, la philosophie orientale, la méditation. J'ai commencé à pratiquer la méditation chaque matin, à essayer de me connecter avec quelque chose de plus grand que moi.
C'est ainsi que j'ai découvert une nouvelle passion, une nouvelle voie dans ma vie : le spiritisme.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top