VI
John Corwin
Après l'appel d'un témoin anonyme, John attrapa un taxi jaune sali par la pollution ambiante. Son insigne lumineuse était cassé et le pare-brise ébréché.
Le conducteur avait la cinquantaine bien tassée, de celle qui laisse bourrelets et rides. Ses cheveux bruns étaient curieusement aplatis par une quantité astronomique de gel comme en opposition avec sa peau basanée salie par le cambouis. Une moustache touffue surplombait un sourire jaunis et complétait ainsi ce familier tableau.
-Comment ça va John ? lui demanda Miguel depuis son taxi.
Sa voix rendue rauque par son amour des cigarettes roulées suivit le détective tandis qu'il ouvrait la portière du véhicule et se glissait dans l'habitacle.
-T'attends tu vraiment qu'un jour je te réponde "bien"? lui rétorqua t-il.
Son chauffeur eût un gloussement qui aurait mieux convenu à une hyène.
-Content de voir que tu as la forme ! dit-il tout en mettant la clé sur le contact. Je t'emmène où ?
-Dépose moi au croisement entre St John's Avenue et Crown Street.
Le détective s'affala sur la banquette arrière et observa les artères de la ville à travers la vitre crasseuse. L'aube pointait déjà, ce qui signifiait qu'il ne lui restait plus que six des vingt-quatre heures qu'on lui avait attribué pour trouver sa cible si il voulait être payé. Tu parlais d'un ultimatum !
Son chauffeur lui jeta un bref coup d'oeil dans le rétroviseur intérieur avant de se concentrer sur la route.
-Je suppose que tu ne m'as pas appelé seulement car tu avais besoin d'un taxi, lui déclara t-il d'un ton brusque.
Ses commissures se relevèrent en réaction à cette question implicite.
En effet Miguel n'était pas uniquement un conducteur de taxi, c'était aussi un de ses nombreux dealers qui peuplaient les rues de New-York. De part sa position et son accumulation de casquettes, il était l'informateur privilégié de John lorsqu'il voulait prendre le pouls des bas-fonds de la ville.
-En ce moment je bosse sur une affaire...spéciale. C'est des richards de la haute qui m'ont engagé et disons que ma cible aura du mal à passer inaperçue.
-T'as pas une photo ?
-Si, attends que je la retrouve.
Le détective farfouilla dans ses poches et trouva enfin son portefeuille. Il le tendit d'une main au conducteur tandis que de l'autre il sortit une cigarette de sa poche. Sous le regard désapprobateur de Miguel il alluma sa cigarette filtre.
-C'est pas bon pour toi c'te cochonnerie j'te dis. Enfin, le jour où tu m'écouteras, marmonna ce dernier.
Profitant d'un feu rouge, le dealer ouvrit son portefeuille d'une chiquenaude. Des cartes de visite cornées côtoyaient des notes de frais et des bouts de papier froissé sur lequel John avait griffonné des adresses ou des noms. Et au milieu de tout ce fouillis, reposait une photographie.
Les doigts boudinés de Miguel n'arrivaient pas à dissiper l'impression d'étrangeté qui se dégager de l'image. Le dos droit, un simple collier autour du cou et deux yeux froids qui fixaient l'objectif, voilà à quoi se résumait sa proie. Ça et ses poils roux, exotiques même dans la cité du salad bowl.
Pourtant il s'en dégageait une impression malsaine, comme si à travers ce bout de papier il pouvait être épié et traqué.
Réprimant un frisson John gloussa nerveusement pour dissiper ses inhabituelles pensées et s'adressa à son conducteur :
-Alors, ça te dit quelque chose?
-Sûr, il est pas normal. Ce regard.....ça fait froid dans le dos. C'est celui d'une bête.
-Au fond, qui sommes nous pour juger de la bestialité ? Les animaux peuvent faire preuve de plus de compassion que nous, humains, philosopha ironiquement John avec son expérience de détective.
Face au mutisme gêné du conducteur après sa déclaration, le détective demanda:
- Tu penses que tu pourras faire passer le mot parmi tes contacts ?
-Ouais ça devrais être possible, lui répondit Miguel, plus à l'aise dans le monde concret. Je peux garder la photo pour la faire passer ?
-Si tu veux, j'en ai un double dans mon manteau, conclut John.
Le silence occupa peu à peu l'habitacle, à peine troublé par les échos de la vie citadine en éveil. De temps à autre la voiture oscillait presque dangereusement mais toujours compensé par un habile coup de volant de Miguel et une bordée de jurons colorés.
Rasséréné par cet routine rassurante le détective s'allongea sur la banquette tachée de café et ferma les yeux. Le reste du trajet passa dans cette douce somnolence qui suit les nuits blanches et qui brouille les contours de la réalité.
C'est donc empreint de regret que John s'éveilla à la jonction entre St John's Avenue et Crown Street. Ayant l'esprit encore confus, il parvînt néanmoins à récupérer deux billets froissés du fond de sa poche pour payer sa course. Tous les deux savait bien que c'était plus que nécessaire mais tout avait un prix dans ce coin, même un simple service.
-John, l'interpella le conducteur de taxi tandis que le détective descendait de la voiture.
-Oui ? lui répondit il.
Miguel eut sourire contrit.
-Je sais que c'est pas facile pour toi en ce moment avec la mort de Lizzie et tes problèmes d'argent surtout avec la petite à nourrir mais ce job, c'est pas le John que je connais, acheva t il d'un ton grave. C'est pas ce job là que tu voulais faire quand t'es arrivé à Brooklyn.
- C'était il y a plus de dix ans, Miguel. Tout le monde change, lui répliqua John.
-OK, mais promets moi qu'au moindre problème, tu nous appelles Maria et moi d'accord ? On serait plus que ravis de t'accueillir toi et la petite.
Face au silence de John il continua:
-Si tu ne le fais pas pour toi, fais le pour Jane. Elle a déjà perdu une mère.
Le détective toisa longuement Miguel avant de lui déclarer:
-Jane vaut mieux que nos deux carcasses réunies. Oui, en cas de grabuge je viendrais.
N'écoutant pas la réponse du chauffeur, il s'éloigna et remonta Crown Street jusqu'à sa destination. Là, il poussa la lourde porte qui fermait le magasin et entra au son d'une clochette.
Le magasin était aussi décrépit que le taxi qu'il venait de quitter et le vendeur arborait les mêmes cernes que John. Des pièces d'ordinateur détachées s'amoncelaient dans les recoins et des vitrines recouvertes de crasses proposaient des appareils pour ceux peu soucieux de la garantie et de la provenance.
Reconnaissant en lui un adepte de nuits blanches, l'homme derrière le comptoir déplia un doigt en direction de la rue en annonçant:
-Le Starbuck's c'est plus haut dans la rue.
Le détective sortit sa licence de détective et la plaqua violemment sur le comptoir.
-Écoute je suis là uniquement parce que certaines personnes m'ont murmuré que tu vends toute sorte de gadgets et que j'ai besoin d'un plutôt rare. Donc tu vas me faire ton plus beau sourire d'escroc et va rapidement me chercher ce que je veux fissa. C'est clair ?
Trente minutes plus tard John Corwin sortait de la boutique avec un paquet sous le bras.
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