❁ Chapitre 9 : Roses blanches ❁

Dimanche 11 janvier, après-midi

Point de vue de Tobias :

Le week-end touche déjà à sa fin. Après de douces retrouvailles, il est l'heure de rentrer à Oslo. Je n'ai pas reçu trop de remarques désagréables de la part de Papa et Heidi non plus.

Une grande première pour lui qui ne rate jamais une occasion pour nous rabaisser !

Tandis qu'Heidi salue Maman, Viggo et Aslak, je m'installe au volant une fois nos affaires rangées.

Comme je m'en doutais, ma cadette n'a rien trouvé de compromettant pour incriminer Papa dans cette sombre affaire dont elle m'a parlé succinctement hier matin. Preuve de son innocence, ou au contraire, de sa culpabilité ? Je ne saurais dire.

D'une démarche déterminée et perchée sur des bottines noires à talons hauts, elle me rejoint. Elle prend le temps de s'asseoir sur le siège passager, s'attache puis adresse un dernier signe de main en direction de nos hôtes, tristes de nous voir repartir.

En douceur, je démarre alors. Le portail s'ouvre lentement, me laissant le temps d'observer Heidi.

Sous son manteau en fausse fourrure apparaît un pull torsadé bordeaux qui lui va comme un gant. Pour compléter sa tenue, elle porte un jean slim brut qui met en valeur ses jambes galbées. Elles doivent en faire rêver plus d'un sans l'ombre d'un doute. Son visage semble plus détendu, elle est définitivement de meilleure humeur que la veille. Elle était déçue que ses recherches n'aient rien donné malgré toute sa bonne volonté et son implication exemplaire.

Je ne peux que la comprendre...

— Tu pourrais t'arrêter chez le fleuriste, s'il te plaît ? s'enquiert-elle, les yeux rivés sur la route.

Bien qu'elle prenne un ton détaché, je sais qu'au fond, elle se retient de pleurer. Il y a des signes qui ne trompent pas. Sa main gauche qui tremble sur sa cuisse par exemple témoigne de son trouble dès qu'elle pense à notre petit frère décédé, Jonas. Le fait qu'elle déglutisse avec difficulté aussi.

— Bien sûr, tout de suite.

Je me gare sur le parking devant l'enseigne lumineuse située dans une zone isolée, brillant tel un phare au milieu d'un océan déchaîné. Les traits tirés, Heidi retire sa ceinture de sécurité puis sort.

Sans un mot, je l'accompagne. Ce moment nous fait de la peine à tous les deux. J'ai le sentiment, comme elle, d'avoir perdu une partie de moi lorsqu'il est parti pour toujours.

Cette satanée maladie se plaît à prendre la vie d'âmes pures, sincères et innocentes. Notre Jonas, notre guerrier n'aura pas fait exception.

Le cœur lourd, je suis Heidi dans les allées du magasin, métamorphosé en un automate ridicule et m'arrête devant des seaux remplis de roses de toutes les couleurs. Les blanches, symbole de paix, me sautent immédiatement aux yeux et, à en juger l'expression sur la figure de ma cadette, ce sont aussi celles qui ont attiré son attention. Les grands esprits se rencontrent.

La patronne, qui nous connaît bien, s'approche de nous.

— Bonjour, Monsieur et Madame Endresen. Vous avez fait votre choix ?

— Bonjour, répond Heidi. Un bouquet de roses blanches, s'il vous plaît.

— Je vous le prépare tout de suite. En attendant, je vous laisse aller au comptoir. Mon collègue va se charger du règlement.

Après l'avoir saluée poliment, nous cheminons vers l'employé qui se tient derrière la caisse. Je lui tends la somme due puis observe ma sœur récupérer ce que nous avons acheté. Elle porte à son nez les boutons et hume leur délicat parfum floral. Dans son monde, elle tourne ensuite les talons, suit une ligne imaginaire jusqu'à la porte et sort dans le froid sec, le bouquet reposant contre son cœur meurtri. Je m'élance à sa suite, déverrouille ma Mercedes et m'engouffre dans l'habitacle. Il m'enveloppe de sa chaleur encore réconfortante.

Le trajet jusqu'au cimetière se déroule dans un silence de plomb, dans un silence de mort.

Sans mauvais jeu de mots bien sûr.

Le long d'une rue peu passante, je fais un créneau avant de couper le contact et affronte le temps capricieux qui se déchaîne dehors.

Le vent siffle entre les rangées d'arbres qui bordent l'espace de recueillement et s'infiltre sous nos vêtements, sans nous demander notre avis. Heidi n'en a cure. D'une démarche ferme, elle avance jusqu'aux grilles puis parcourt les allées désertes, les cheveux dressés sur la tête.

Rien ni personne ne semble pouvoir l'arrêter.

Telle une aiguille se plantant dans des ballons de baudruche, les nuages se déversent sur nous. Je ne la vois toujours pas flancher d'un pouce. Ni même ciller. Ses cheveux foncent avec l'eau qui se plaît à nous geler jusqu'aux os et des rigoles se creusent sur le chemin de sable mais elle avance. Elle continue. Je n'ai jamais vu pareille détermination chez quelqu'un. Heidi est une vraie machine de guerre.

Elle finit par ralentir, tourne à droite et s'accroupit devant la tombe de Jonas. Tout autour, d'autres sépultures d'enfants se dressent.

Malgré le passage de leurs familles brisées, elles se recouvrent de mousse verte et des gerbes ont même été emportées plus loin à cause de violentes rafales.

De ses doigts tremblants, Heidi effleure la plaque en or qu'elle a achetée en sa mémoire et fond en larmes. Les perles salées qui roulent sur ses joues creuses sillonnent entre ses cheveux collés. Il ne m'en faut pas plus. Je pleure à mon tour, fatigué d'avoir retenu trop longtemps mes émotions. Je n'y arrive plus. Secoué par les sanglots, je m'agenouille à terre, faisant fi de mon jean neuf.

D'une main, je serre ma cadette contre moi, voûtée par le chagrin. De l'autre, je tente de nettoyer le marbre à l'aide de mouchoirs. Avec ce voile opaque devant mes yeux, impossible de savoir si je fais du bon travail cependant.

Pourquoi cette leucémie s'est-elle attaquée à lui ? Pourquoi a-t-elle décidé d'élire domicile dans le corps d'un petit ange ? Pourquoi l'avoir fait venir au monde si c'est pour nous l'avoir retiré aussi rapidement ? Pourquoi la vie peut-elle se montrer si injuste ?

Tant de questions qui resteront éternellement sans réponses.

Si j'avais eu un infime talent dans l'écriture, j'aurais dédié un magnifique poème, poignant à notre petit soldat tant regretté.

Je lui aurais ouvert mon cœur, je lui aurais dit des mots que je n'ai jamais pu dire à personne. Si ça avait pu le sauver... Si seulement...

Je rêve encore de lui la nuit. De nous. De notre relation. De son rire communicatif. De ses blagues vraiment pas drôles. De sa voix. Si douce. Qui n'est plus que murmure.

Je commence à oublier certaines de ses intonations. Pour me rappeler, je regarde des vidéos de ces moments joyeux envolés à tout jamais. Je me remémore toutes ses dernières fois.

Le dernier dessin animé qu'il a pu visionner. Sa dernière balade à l'air libre. Son dernier repas. Ses derniers mots.

« Je vous aime. » avait-il murmuré avant de rendre son dernier souffle.

— On peut rentrer ? couine Heidi. C'est trop dur.

Son ton suppliant et désespéré me fait l'effet d'un électrochoc. Nous ne sommes décidément pas préparés à perdre des êtres chers. C'est tellement douloureux.

Avec peine, je m'appuie sur cette pierre gelée qui nous sépare de son cercueil, de son visage qui me paraissait apaisé avant l'enterrement, de sa pâleur et sa rigidité post mortem.

Pour sa part, Heidi ne parvient plus à se mettre sur ses jambes. Ses forces, qui la portaient tout à l'heure, l'ont abandonnée. Je la saisis sous les aisselles et la soutiens jusqu'à la voiture.

Ses muscles se dérobent à chaque pas, rendant le parcours plus difficile et plein d'embûches. Ses yeux et son nez sont rouges. Son mascara a coulé et a laissé d'irrégulières traînées noires. Elle est la définition même d'une personne brisée.

Une boule m'obstrue de plus en plus la gorge lorsque je fais le tour de mon véhicule. Nos regards se croisent. Nous n'avons pas besoin de parler. Nous décidons de mettre la playlist regroupant les musiques préférées de notre Jonas pour avoir le sentiment de l'avoir encore près de nous.

« La mort laisse une peine que personne ne peut guérir. L'amour laisse un souvenir que personne ne peut voler. »


Mot de l'auteure : 

Coucou tout le monde, je suis contente de voir que vous êtes toujours là pour suivre les aventures d'Heidi ! 

Ce chapitre a été très dur à écrire, j'espère qu'il vous aura plu ! Qu'en avez-vous pensé ? 

À bientôt pour la suite ♥️


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